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29/01/2012

Songez que, quand on falsifie mes ouvrages, c'est votre bien qu'on vole

 http://zwitt.over-blog.com/categorie-10703492.html

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« A M. THIERIOT

Aux Délices, le 28 mai [1755]

Vous me disiez, dans votre dernière lettre, mon cher et ancien ami, que je devrais bien vous envoyer quelques chants de la Pucelle. Je vous assure que je vous ferai tenir, de grand cœur, tout ce que j'en ai fait. Ne m'en ayez pas d'obligation , je suis intéressé à remettre le véritable ouvrage entre vos mains. Les lambeaux défigurés qui courent dans Paris achèvent de me désespérer. On s'est avisé de remplir les lacunes de toutes les grossièretés qui peuvent déshonorer un ouvrage. On y a ajouté des personnalités odieuses et ridicules contre moi, contre mes amis, et contre des personnes très-respectables 1. C'est un nouveau brigandage introduit depuis peu dans la littérature, ou plutôt dans la librairie. La Beaumelle 2 est le premier, je crois, qui ait osé faire imprimer l'ouvrage d'un homme, de son vivant, avec des commentaires chargés d'injures et de calomnies. Ce malheureux Érostrate du Siècle de Louis XIV a trouvé le secret de changer, pour quinze ducats, en un libelle abominable un livre entrepris pour la gloire de la nation. On en a fait à peu près autant des matériaux de l'Histoire générale, et enfin on traite de même ce petit poème fait il y a environ vingt-cinq ans. On fait une gueuse abominable de cette Pucelle, qui n'avait qu'une gaieté innocente. Corbi prétend qu'un nommé Grasset a acheté mille écus un de ces détestables exemplaires 3. Je sais quel est ce Grasset; il n'est point du tout en état de donner mille écus. Corbi ferait à la fois une très-mauvaise action et un très-mauvais marché d'imprimer cette détestable rapsodie. Les morceaux qu'on m'a envoyés sont faits par la canaille et pour la canaille. Si vous rencontrez Corbi, dites-lui qu'on le trompe bien indignement. Songez que, quand on falsifie mes ouvrages, c'est votre bien qu'on vole, et que vous devriez venir ici arranger votre héritage. »

2 Laurent Angliviel de La Beaumelle critiqua et mis au jours des erreurs de V* dans Le Siècle de Louis XIV ; il donnera aussi une édition subreptice de La Pucelle de Voltaire en 14 chants . http://fr.wikipedia.org/wiki/Laurent_Angliviel_de_La_Beaumelle

 

27/01/2012

Je vous prie de donner à M. de Thibouville cet âne honnête

 

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Honnête, sans aucun doute !

Patient, remarquablement !

Qui a dû trop entendre d'histoires à dormir debout !(débat Hollande-Juppé !!)

 

 

 

« A M. le comte d'ARGENTAL.

Aux Délices, près de Genève, 28 mai [1755]

Pardon, mon cher ange, nous ne savons pas précisément la demeure de Corbi 1, et nous vous supplions de lui faire tenir cette lettre. Il est très-certain que Grasset n'est qu'un prête-nom, que c'est à Paris qu'on a fabriqué les additions à cet ancien poème; que c'est à Paris qu'elles courent, et qu'on veut les imprimer, que des protecteurs de Corbi les ont eues, que Corbi ne les a obtenues que par eux, et que, en un mot, Corbi peut faire beaucoup de mal en les publiant, et beaucoup de bien en s'opposant à l'édition.
Vous devez avoir reçu un paquet par M. Bouret2. Je vous prie de donner à M. de Thibouville cet âne honnête 3, en attendant que je sois en état de refaire la fin du quatrième acte et le commencement du cinquième. La pièce tomberait dans l'état où elle est. Il faut qu'elle soit digne de votre goût et de votre amitié; mais, pour cela, il me faut santé et repos d'esprit. Je n'ai ni l'un ni l'autre.
Si vous avez quelques gros paquets à me faire tenir, je vous prie de les adresser chez M. Bouret.

Le vieux Hibou des Alpes»

1 Voir lettres précédentes, à Grasset et à Richelieu .

2 Intendant ou fermier général des postes, auquel est adressée une lettre du 13 août 1768. V* le nommera « le bienfaisant Bouret » pour les services rendus .

3 Allusion au Chant de l'Ane de la Pucelle dont circule une version scabreuse .Le paquet est L'Orphelin de la Chine .

 

un peu de gaze sied bien, même à un âne.

 

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 Gaze sur le Jura...

... Pluie sur le petit âne

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« A M. le maréchal duc de RICHELIEU.

Aux Délices, 26 mai [1755]

Est-il possible, monseigneur, que votre santé soit si longtemps à revenir ? Comment avez-vous pu soutenir tant de douleurs et tant de privations ? A quoi donc avez-vous passé le temps, dans ce désœuvrement si triste et si étranger pour vous ? Une tragédie chinoise ne vaut pas la belle porcelaine de la Chine. Vous vous connaissez à merveille à ces deux curiosités-là, et vous avez dû bien sentir que la tragédie n'était point encore digne de paraître sous vos auspices. Ces cinq magots de la Chine ne sont encore ni cuits ni peints comme je le voudrais. Il faut attendre l'année de votre consulat 1 pour les présenter, et employer beaucoup de temps pour les finir.

Mais je suis actuellement très-incapable de cuire et de peindre. Ce maudit ouvrage d'une autre espèce 2, dont on vous a régalé pendant votre maladie, me rend bien malade. On m'en a envoyé des morceaux indignement falsifiés, qui font frémir le bon goût et la décence. Ces rapsodies courent; on veut les imprimer sous mon nom. L'avidité et la malignité se joignent pour me tuer. Je vous conjure de parler à ceux qui vous ont fait lire ces misères, ils sont à portée d'empêcher qu'on ne les publie. J'aurai l'honneur de vous faire tenir le véritable manuscrit; il vous amusera , il n'en vaut que mieux pour être plus décent; un peu de gaze sied bien, même à un âne. Un nommé Corbi est fort au fait de toute cette horreur 3. Si vous daignez l'envoyer chercher, il renoncera au projet d'imprimer quelque chose d'aussi détestable et de si dangereux, dans l'espérance de faire des profits plus honnêtes.

Mme Denis et moi, nous nous mettons entre vos mains, et nous espérons tout de vos bontés. »

1 Richelieu ne dut être d'année, ou de service, qu'en 1757, comme premier gentilhomme de la chambre; mais l'Orphelin fut joué le 20 août 1755.

2 La Pucelle . Voir lettres précédentes .

 

26/01/2012

il ne vous resterait, après avoir perdu votre argent, que la honte et le danger d'avoir imprimé un ouvrage scandaleux

 http://www.deezer.com/music/track/14529547

Mr Grasset François, Your heart is as black as the night  !

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 Et une belle version de I put a spell on you , juste pour rappeler des souvenirs de slows qu'on trouvait toujours trop courts :  http://www.deezer.com/music/track/14529548

C'était des hiers : Yesterdays :

http://www.deezer.com/music/track/14769765

Qui sont un seul Yesterday :

http://www.paroles-musique.com/paroles-The_Beatles-Yester...

 

 

« A M. GRASSET 1

Aux Délices, le 26 mai [1755]

On m'a renvoyé de Paris, monsieur, une lettre que vous avez écrite au sieur Corbi. Vous lui mandez que vous allez faire une édition d'un poème intitulé la Pucelle d'Orléans, dont vous me croyez l'auteur, et vous le priez de la débiter à Paris. On m'a envoyé, en même temps, des lambeaux du manuscrit que vous achetez. Je dois vous avertir que vous ne pouvez faire un plus mauvais marché; que ce manuscrit n'est point de moi; que c'est une infâme rapsodie aussi plate, aussi grossière qu'indécente; qu'elle a été fabriquée sur l'ancien plan d'un ouvrage que j'avais ébauché il y a trente ans, que c'est l'ouvrage d'un homme qui ne connaît ni la poésie, ni le bon sens, ni les mœurs, que vous n'en vendriez jamais cent exemplaires et qu'il ne vous resterait, après avoir perdu votre argent, que la honte et le danger d'avoir imprimé un ouvrage scandaleux. J'espère que vous profiterez de l'avis que je vous donne ; je serai d'ailleurs aussi empressé à vous rendre service qu'à vous instruire du mauvais marché qu'on vous propose. Si vous voulez m'informer de ce que vous savez sur cette affaire, comme je vous informe de ce que je sais positivement, vous me ferez un plaisir que je reconnaîtrai, étant tout à vous.
VOLTAIRE, gentilhomme ordinaire du roi. »

1 François Grasset,(1722-1789) né à Lausanne, où il fut libraire, est souvent nommé dans la Correspondance, de 1755 à 1760. Il se fit l'instrument des adversaires de V* par ses publications . Son frère cadet Gabriel, après avoir travaillé avec les frères Cramer, s'établit à son compte et publia V* qui le fit venir chez lui en 1763 . Quant à Corbi, digne correspondant de Grasset, son nom est écrit tantôt Corbo, Corbie, et tantôt Corbier, dans les lettres originales de Voltaire. C'était un facteur en librairie, à Paris. (CL.)

 

24/01/2012

Il paye bien cher sa réputation par l'avidité de ceux qui se servent si souvent de son nom pour tromper le public

 

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Fontaine, je ne boirai pas de ton eau !

 

 

 

« DE MADAME DENIS

A M. LE COMTE D'ARGENSON, MINISTRE DE LA GUERRE. 1
Des Délices, près Genève, 25 mai 1755.

Mon oncle étant trop malade, monseigneur, pour avoir l'honneur de vous écrire, je vous supplie, en son nom et au mien, de vouloir bien employer vos bontés pour nous, votre autorité et votre équité, pour prévenir une chose très-désagréable, sur laquelle je vous ai confié mes craintes depuis si longtemps.
On fait courir dans Paris des morceaux très-informes de ce poème intitulé la Pucelle, fait il y a plus de vingt années. Comme ces fragments sont imparfaits, chacun se donne la liberté de remplir les lacunes à sa fantaisie. On m'en a envoyé des morceaux dont la licence n'est pas tolérable; cela est fait par des gens qui ont aussi peu de décence que de goût. Des libraires cherchent, dit-on, à imprimer ces rapsodies un ordre de votre part, monseigneur, pourrait prévenir ce scandale.
Nous vous supplions, mon oncle et moi, avec la plus vive instance, de rendre ce service aux belles-lettres et au bon goût, dont vous êtes le protecteur, ce sera une nouvelle obligation que nous vous aurons. Il serait bien cruel que mon oncle, à son âge, accablé de maladies dans sa retraite, eût l'affliction de voir paraître sous son nom un ouvrage qui n'a jamais été fait pour être imprimé, et qu'on a rendu si indigne de lui. Il paye bien cher sa réputation par l'avidité de ceux qui se servent si souvent de son nom pour tromper le public. Mais que ne fait-on pas pour de l'argent et pour nuire aux talents qui excitent l'envie? La mienne serait de vous convaincre du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'être, monseigneur, votre très-humble et très-obéissante servante.

DENIS. »

 

 

En fait de guerre, on peut bien se méprendre,/ Ainsi qu'ailleurs

 

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Point d'image de guerre, mais seulement des lumières de la ville d'un des sièges de l'ONU sensé oeuvrer pour la paix, Genève .

 

 

 

« A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

24 mai [1755]

Comptez, mon cher ange, que tant que j'aurai des mains et un petit fourneau encore allumé, je les emploierai à recuire vos cinq magots de la Chine 1. Soyez bien sûr qu'il n'y a que vous et les vôtres qui me ranimiez, mais je vous avoue que mes mains sont paralytiques, et que ma terre de la Chine est à la glace. Par tout ce que j'apprends des infidélités de ce monde, il y a un maudit âne2 qui me désespère. Vous l'avez, cet âne, et vous savez qu'il est bien plus poli et bien plus honnête que celui qui court. J'ai relu le chant onzième3; il y a depuis longtemps :

En fait de guerre, on peut bien se méprendre,
Ainsi qu'ailleurs; mal voir et mal entendre
De l'héroïne était souvent le cas,
Et saint Denis ne l'en corrigea pas.


Vous auriez eu la vraie leçon, si vous aviez apporté la défectueuse à Plombières. Il y a dans le chant onzième4 :

Ce que César sans pudeur soumettait
A Nicomède, en sa belle jeunesse;
Ce que jadis le héros de la Grèce
Admira tant dans son Éphestion;
Ce qu'Adrien mit dans le Panthéon
Que les héros, ô ciel, ont de faiblesse

Enfin je n'ai rien vu dans la bonne leçon que de fort poli et de fort honnête mais il arrivera sans doute que quelqu'une des détestables copies qui courent sera imprimée. Vous ne sauriez croire à quel point je suis affligé. L'ouvrage, tel que je l'ai fait il y a plus de vingt ans, est aujourd'hui un contraste bien désagréable avec mon état et mon âge et, tel qu'il court le monde, il est horrible à tout âge. Les lambeaux qu'on m'a envoyés sont pleins de sottises et d'impudence; il y a de quoi faire frémir le bon goût et l'honnêteté c'est le comble de l'opprobre de voir mon nom à la tête d'un tel ouvrage. Mme Denis écrit à M. d'Argenson5, et le supplie de se servir de son autorité pour empêcher l'impression de ce scandale. Elle écrit à M. de Malesherbes6; et nous vous conjurons tous deux, mon cher et respectable ami, de lui en parler fortement, c'est ma seule ressource. M. de Malesherbes est seul à portée d'y veiller. Enfin ayez la bonté de me mander ce qu'il y a à craindre, à espérer, et à faire. Veillez sur notre retraite , mettez-moi l'esprit en repos. Ne puis-je au moins savoir qui est ce possesseur du manuscrit, qui l'a lu à Vincennes tout entier ? si je le connaissais, ne pourrais-je pas lui écrire? ma démarche auprès de lui ne me justifierait-elle pas un jour? ne dois-je pas faire tout au monde pour prouver combien cet ouvrage est falsifié, et pour détruire les soupçons qu'on pourrait former un jour que j'ai eu part à sa publication ? Enfin il faut que je sois tranquille pour penser à la Chine; et je ne songerai à Gengis-kan que lorsque vous m'aurez éclairé, au moins sur ce qui me trouble, et que je me serai résigné. Adieu, mon cher ange. Jamais pucelle n'a tant fait enrager un vieillard mais j'ai peur que nos Chinois ne soient un peu froids, ce serait bien pis.
Parlez à M. de Malesherbes; échauffez-moi, et aimez-moi. »

1 L’Orphelin de la Chine .

2 C'était alors le chant XIX de la Pucelle. Voyez les variantes du chant XXI. Voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-la-pucelle-d-orleans-avertissement-des-editeurs-de-khel-82780272.html

3 Aujourd'hui le XIIIe.

4 Dans les premières éditions, c'était au chant X que se lisaient les six vers transcrits par Voltaire, et qui sont aujourd'hui dans le XIIè.

6 Guillaume de Lamoignon de Malesherbes , directeur de la Librairie royale, donc responsable de la censure, aura une attitude favorable aux Encyclopédistes : http://fr.wikipedia.org/wiki/Chr%C3%A9tien_Guillaume_de_L... . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Encyclop%C3%A9die_ou_Dictionnaire_raisonn%C3%A9_des_sciences,_des_arts_et_des_m%C3%A9tiers

 

 

 

 

 

20/01/2012

on imprimera ce que je n'ai pas fait, à la faveur de ce que j'ai fait

 

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"Il faut casser mes magots ..."

... Voilà, c'est fait ... !

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« A Mme Marie-Elisabeth de FONTAINE.

Aux Délices, 23 mai [1755] 1.

Il faut casser mes magots de la Chine, ma chère enfant, l'infidélité qu'on m'a faite sur cette ancienne plaisanterie de la Pucelle d'Orléans empoisonne la fin de mes jours. On m'a envoyé quelques morceaux de cet ouvrage; tout est défiguré, tout est plein de sottises atroces. Il n'y a ni rime, ni raison, ni bienséance. Cependant on m'imputera cette indigne rapsodie, et il m'arrivera la même chose que dans l'aventure de l'Histoire générale, on imprimera ce que je n'ai pas fait, à la faveur de ce que j'ai fait. Le contraste de cet ouvrage avec mon âge et avec mes travaux me fait sentir la plus vive douleur. Je suis très-incapable de songer à une tragédie; il faut la liberté d'esprit, et ce dernier coup m'étourdit. Si, par hasard, vous savez quelques nouvelles, si vous pouvez voir Darget 2 et m'instruire, vous me ferez grand plaisir.
J'aimerais mieux vous voir ici , vous feriez ma consolation avec votre sœur 3. Comment vont les bénéfices de votre frère?4 Si Jeanne d'Arc avait fondé quelque bon prieuré, il serait juste qu'il le desservit , je lui souhaite des pucelles et des abbayes. »

1 La lettre que nous donnons ici comme entière n'est qu'un fragment d'une autre lettre qui, après avoir toujours figuré à cette place, avait été rejetée par M. Beuchot au 23 août. Or, M. Beuchot s'est trompé, non moins que ses devanciers. Il n'a pas vu que le commencement de la lettre suspectée est bien du 23 mai 1755, mais que la fin lui est étrangère et appartient à une lettre du 13 août. Si, maintenant, on détache d'une lettre du 2 juillet les deux derniers alinéas qui sont postérieurs à cette date, et si on reporte ces fragments au 23 août à titre de lettre entière, on aura, je crois, remis quelque ordre dans cette partie de la Correspondance. (Georges Avenel)

3 Marie-Louise Denis .

4 Alexandre-Jean des Aunais , qui après avoir été lieutenant aux armées en 1744, cherche depuis 1747 à obtenir le bénéfice d'une abbaye, ce sera Scellières en Champagne, sous le nom d'abbé Mignot .