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23/10/2009

vous rendriez un grand service à elle et à ses amants de nous envoyer la joyeuse recette de la demoiselle Quinault.

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d’Argental

 

                            Voici encore , mon cher et respectable ami, un gros paquet de Babylone [Les « amples corrections qu’il leur envoie pour Sémiramis »]. Mais à présent le point essentiel est d’empêcher la parodie à la ville comme à la cour [La parodie de Sémiramis par Bidault de Montigny ne fut effectivement pas représentée, mais imprimée à Amsterdam en 1749]. J’ai eu lieu de penser que M. de Montmartel m’ayant écrit de la part de Mme de Pompadour, et m’ayant redit ses propre paroles, que le roi était bien éloigné  de vouloir me faire la moindre peine, et que  la parodie  ne serait certainement point jouée, j’ai lieu , dis-je, de me flatter que cette proscription d’un abus aussi pernicieux est pour Paris comme pour Versailles.

 

Je vais écrire dans cet esprit à M. Berryer et l’ordre du roi à Fontainebleau sera pour lui un nouveau motif de me marquer sa bienveillance, et une nouvelle facilité de faire entendre raison aux personnes qui pourraient  favoriser encore la cabale qui s’est élevée contre moi ; je suis fâché que M. le duc d’Aumont soit le seul qui ne réponde point à mes lettres [le 10 V* informait d’Argental qu’il écrivait à la reine – par l’intermédiaire et avec l’appui de Stanislas- , à Mme de Pompadour, à Mme d’Aiguillon, à la duchesse de Villars, à Mme de Luynes, au président Hénault, au duc de Fleury, au duc de Gesvres…], mais je n’en compte pas moins sur la fermeté et la chaleur de ses bons offices animés par votre amitié . Je vous demande en grâce de m’instruire de tout ce qui se passe sur cette affaire qui m’est devenue très essentielle.

 

                            La reine m’a fait écrire par Mme de Luynes que les parodies étaient d’usage, et qu’on avait travesti Virgile. Je réponds que ce n’est pas un compatriote de Virgile qui a fait l’Énéide travestie [Les parodies de Virgile les plus connues sont celles de Scarron, Perrault, Furetière]; que les Romains en étaient incapables ; que si on avait récité une Énéide burlesque à Auguste, et à Octave, Virgile en aurait été indigné ; que cette sottise était réservée à notre nation longtemps grossière, et toujours frivole ; qu’on a trompé la reine  quand on lui a dit que les parodies étaient encore d’usage, qu’il y a cinq ans qu’elles sont défendues ; que le théâtre français entre dans l’éducation de tous les princes de l’Europe et que Gilles et Pierrot ne sont pas faits pour former l’esprit des descendants de Saint Louis . Au reste si j’ai écrit une capucinade, c’est à une capucine [ V* avait entrepris la pièce pour les relevailles de la dauphine qui mourut avant qu’il eut fini].

 

                            Voici, mon divin ange, une autre grâce que je vous demande . C’est de savoir au juste et au plus vite de Mlle Quinault de quel remède elle s’est servie pour faire passer un énorme goitre dont elle s’est défaite. Il y a ici une femme beaucoup plus jolie qu’elle, qui a un cou extrêmement affligé de cette maladie, et vous rendriez un grand service à elle et à ses amants de nous envoyer la joyeuse recette de la demoiselle Quinault. Ajoutez cette grâce à tant d’autres bontés .

 

                            Tout ce que je vous dis est pour Mme d’Argental . Vous savez comme je vous adore tous les deux par indivis.

 

                            Et mes moyeux ? Ah ! Monsieur de Pont de Veyle, mes moyeux !

 

 

                            V.

                            A Lunéville ce 23 octobre 1748.

                                                                                     Ce 24.

 

                            Je reçois votre lettre , et je vous fais de nouveaux remerciements des ordres que vous avez donnés à Slodtz . Ils ont bien à réparer, et ils ont grand besoin d’être conduits par quelque homme qui entende l’effet des décorations. La grossièreté et l’ineptie de leur exécution a servi beaucoup à révolter le public qui s’attendait à du merveilleux.

 

                           Le roi de Pologne qui avait envoyé ma lettre à la reine, et qui en était très content a été fort piqué que nos adversaires aient prévalu auprès de la reine et que ce ne soit pas à elle à qui j’aie l’obligation de la suppression de l’Infamie. Les mêmes gens qui avaient fait la calomnie sur Zadig ont continué sous main leurs bons offices, et le roi de Pologne en est très instruit . Dites cela  à l’abbé de Bernis, et qu’il écrive à Mme de Pompadour pour la suppression de l’Infamie à la ville comme à la cour.

 

                            Je tâcherai, mes anges, de revenir à la fin de novembre, car j’ai besoin de vous dire combien je suis pénétré de tant de bontés. Mon dernier mémoire pour les comédiens ne doit être assurément présenté qu’à la dernière extrémité. C’est ce que j’ai dit expressément, et ce n’est qu’une ressource pour attendre l’année de M. de Richelieu, mais la meilleure de toutes les ressources, c’est vous .

 

                            Je suppose que les comédiens tout négligents qu’ils sont ont fait usage des premiers mémoires.

 

20/10/2009

Combattant contre l’oisiveté et l’ignorance naturelle avec laquelle nous sommes nés

J'ai le bonheur de disposer encore de mes cinq sens, le sixième étant un sens interdit que je prend nuitamment, sans aucun risque, pour cause de travaux. N'appelez pas les bleus, ils sont couchés à cette heure là (en tout cas, je le souhaite ! ).  Bon , puisque personne ne réagit, je vais me coucher moi aussi .

 

"Il y a beaucoup de maisons dans la demeure de mon père" disent les écritures, oui il y a beaucoup de maisons -demeures de l'Etat- pendant que des malheureux se gèlent dehors . M. Jean S.....y, si vous êtes assez couillu pour vous présenter à un poste de président sans autre bagage que votre bagout et un père logorrhéique à tic , occuppez-vous vite de ceux qui vivent sous des cartons ; sinon , circulez, y'a rien à voir, gardez votre Rolex, je garde mon Solex !

 

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"Eh bien moi, je préfère ma petite jument" nous aurais déclaré le Patriarche de Ferney à qui on présentait un Solex chinois, et "je ne veux point d'autre montre que de Ferney, les Genevois vont savoir qu'on est meilleurs qu'eux, et dans vingt ans, nous serons maitres de ce marché !"  devant une Rolex genevoise fabriquée par des français, italiens, espagnols, etc .

 

 

 

 

 

« A Pierre-Joseph Thoulier d’Olivet

 

 

                            Quoique je sois en commerce avec Neuton Maupertuis, et avec Descartes Mairan, cela n’empêche pas que Quintillien d’Olivet ne soit toujours dans mon cœur et que je ne le regarde comme mon maître et mon ami. Multae sunt mansiones in domo patris mei [Il y a beaucoup de maisons dans la demeure de mon père.], et je peux encore dire : in domo mea. Je passe ma vie , mon cher abbé, avec une dame qui fait travailler trois cents ouvriers, qui entend Neuton, Virgile et Le Tasse, et qui ne dédaigne pas de jouer au piquet.[Emilie du Châtelet, le château est en plein travaux encore] Voilà l’exemple que je tâche de suivre quoique de très loin. Je vous avoue , mon cher maître, que je vois pas pourquoi l’étude de la physique écraserait les fleurs de la poésie. La vérité est-elle si malheureuse qu’elle ne puisse souffrir les ornements ? L’art de bien penser, de parler avec éloquence, de sentir vivement et de s’exprimer de même serait-il donc l’ennemi de la philosophie ? Non, sans doute  ce serait penser en barbare. Malebranche, dit-on, et Pascal avaient l’esprit bouché pour les vers. Tant pis pour eux, je les regarde comme des hommes bien formés d’ailleurs, mais qui auraient le malheur de manquer d’un des cinq sens.

 

Je sais qu’on s’est bien étonné et qu’on m’a même fait l’honneur de me haïr, de ce qu’ayant commencé  par la poésie je m’étais ensuite attaché à l’histoire et que je finissais par la philosophie. Mais, s’il vous plait, que  faisais-je au collège, quand vous aviez la bonté de former mon esprit ? Que me faisiez-vous lire et apprendre par cœur à moi  et aux autres ? Des poètes, des historiens, des philosophes . Il est plaisant qu’on n’ose pas exiger de nous dans le monde ce qu’on a exigé dans le collège, et qu’on n’ose pas attendre d’un esprit fait les mêmes choses auxquelles on exerça son enfance.

 

                            Je sais fort bien et je sens encore mieux que l’esprit de l’homme est très borné mais c’est par cette raison-là même qu’il faut tâcher d’étendre les frontières de ce petit État, en combattant contre l’oisiveté et l’ignorance naturelle avec laquelle nous sommes nés. Je n’irai pas en un jour faire le plan d’une tragédie et des expériences de physique, sed omnia tempus habent [Mais toutes choses ont leur temps.], et quand j’ai passé trois mois dans les épines des mathématiques je suis fort aise de retrouver des fleurs.

 

Je trouve même fort mauvais que le père Castel ait dit dans un extrait des Éléments de Neuton [Dans les Mémoires de Trévoux], que je passais du frivole au solide . S’il savait ce que c’est que le travail d’une tragédie et d’un poème épique, si sciret donum dei [S’il connaissait le don de Dieu], il n’aurait pas lâché cette parole . La Henriade m’a coûté dix ans , les Éléments de Neuton m’ont coûté six mois et ce qu’il y a de pis, c’est que La Henriade n’est pas encore faite . J’y travaille encore quand le dieu qui l’a fait faire m’ordonne de la corriger, car, comme vous savez,

Est deus in nobis agitante calescimus illo.

[Il y a un dieu en  nous, nous nous enflammons sous son action.]

Et pour vous prouver que je sacrifie encore aux autels de ce dieu, c’est que M. Thiriot doit vous faire lire une Mérope de ma façon [Mérope remaniée], une tragédie française, où, sans amour, sans le secours de la religion une mère fournit cinq aces entiers . Je vous prie de m’en dire votre sentiment tout aussi naïvement que vous l’avez dit à Rousseau sur les Ayeux chimériques [d’Olivet est un des signataires d’un sonnet et d’une lettre adressée par « Voltaire et d’autres »  à Jean-Baptiste Rousseau, où étaient attaquées ses « trois épitres gothiques » et son « ode détestable sur la paix » et son « impertinente comédie des Ayeux Chimériques ».]

 

                            Je sais que non seulement vous m’aimez mais vous aimez aussi la gloire des lettres, et celle de votre siècle. Vous êtes bien loin de ressembler à tant d’académiciens, soit de votre tripot [l’Académie française], soit de celui des inscriptions, qui n’ayant jamais rien produit, sont les mortels ennemis de tout homme de génie et de talent, qui se donneront bien de garde d’avouer que de leur vivant la France a eu un poète épique , qui loueront jusqu’au Camouens [Luis de Camouens (1524-1580, auteur des Lusiades (1572), traduites par Duperron de Castera en 1735] pour me rabaisser, et qui me lisant en secret, affecteront en public de garder le silence sur ce qu’ils estiment malgré eux.  Peut être extinctus amabitu idem [Une fois mort le même sera aimé]. Vous êtes trop au-dessus de ces lâches cabales formées par les esprits médiocres, vous encouragez trop les arts par vos excellents préceptes pour ne pas chérir un homme qui a été formé par eux .Je ne sais pourquoi vous m’appelez pauvre ermite. Si vous aviez vu mon ermitage, vous seriez bien loin de me plaindre gardez-vous de confondre le tonneau de Diogène avec le palais d’Aristippe [voir une phrase du portrait malveillant de Voltaire qui a circulé en 1735, où on disait « le matin Aristippe et Diogène le soir »]. Notre première philosophie est ici de jouir de tous les agréments qu’on peut se procurer. Nous saurions très bien nous en passer , mais nous savons aussi en faire usage, et peut êtes si vous veniez à Cirey, préféreriez-vous la douceur de ce séjour   à toutes les infâmes cabales des gens de lettres, au brigandage des journaux, aux jalousies, aux querelles, aux calomnies , qui infectent la littérature. Il y a des têtes couronnées, mon cher abbé, qui ont envoyé dans cet ermitage de Mme du Châtelet leurs favoris pour venir l’admirer [Le favori de Frédéric, Dietrich von Kayserlingk a été envoyé l’été précedent], et qui voudraient y venir eux-mêmes ; et si vous y veniez nous en serions tout aussi flattés. La visite du sage vaut celle des princes .

 

                            Adieu, je ne vous écris point de ma main, je suis malade, je vous embrasse tendrement . Adieu, mon ami et mon maître.

 

 

                            V.

                            A Cirey ce 20 octobre 1738. »

.

 

19/10/2009

Quand tout le parterre crierait que c’est moi, il faut dire qu’il n’en est rien.

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Pour ceux qui suivent un peu mes élucubrations, ne voyez dans cette illustration que le goût pour la vérité historique toute nue, -ou un peu, il faut bien garder un peu de mystère, n'est-ce pas mesdames- et le souci de la présentation d'une damoiselle qui fit de l'effet sur Volti.:
"Charmante Thalie,"
persiste et signe ...

« A Jeanne-Françoise Quinault

 

Charmante Thalie, j’ai bien peur que l’Enfant prod[igue] ne soit bientôt enterré avec la chienne noire, mais il n’y a ni ouvrage ni chien qui puisse durer    autant que ma tendre reconnaissance et mon attachement pour vous .

 

                            Vous pourriez engager M. de Ponde [M. de Pont de Veyle ; M. d’Argental] ou M. Dar, à m’envoyer par la poste le pièce telle qu’on la joue [la première avait eu lieu le 10 octobre]. Ils sont à portée de faire contresigner le paquet, et on a le plaisir d’avoir son enfant au bout de deux jours. Sinon je vous supplierais de l’envoyer à  cet avocat Robert qui va toujours partir pour Cirey . Il faudrait avoir la bonté de mettre l’adresse à Mme la marquise du Châtelet.

 

                            Je ne connais point du tout Mlles Fessard . Je n’ai point écrit à Mme la duchesse de Saint-P. [De Saint-Pierre . Mlles Fessard et la duchesse de Saint-Pierre disent que son Enfant prodigue est de lui .] depuis mon départ. Je n’ai dit mon secret à personne [ La pièce avait été jouée anonymement et sans être annoncée ; c’est Britannicus qui était inscrit au programme ( il n’avait pu être joué suite à la maladie d’un acteur)]. Niez toujours fort et ferme, quand tout le parterre crierait que c’est moi, il faut dire qu’il n’en est rien.

 

                            Si la pièce n’est ni digne de tant de bontés de votre part, ni utile aux comédiens, ni flatteuse pour son auteur, du moins j’en aurai tiré un avantage, qui m’est plus cher que les plus grands succès, j’aurai connu tout ce que vous valez dans le commerce de la vie, et combien vous êtes au dessus de tous les rôles que vous embellissez, et de tous les auteurs que vous faites valoir.

 

                            Quoi ! aimable Thalie, une chienne noire vient accoucher chez vous ! Voilà la plus belle nouvelle du monde. Je vous conjure de me retenir un chien et une chienne. J’espère que le père fera un jour dans Cirey beaucoup d’enfants à la sœur , et que dans peu d’années , nous aurons d’inceste en inceste une meute de petits noirs. Voilà la fable du pot au lait , et tout est pot au lait. L’Enfant prodigue est un de ces pots là. Votre amitié, vos bontés pour moi seront quelque chose de plus réel.

 

                            Adieu, divinité que j’ai habillée de crotte . Je vous jure de ne vous donner jamais de Croupillac [Personnage de la pièce . V* écrivait le 7 septembre : « Je vous demande bien pardon pour la Croupillac. Cette bégueule-là gâte à mon gré un ouvrage qui pourrait réussir. »] de ma vie.

 

                            Encore un petit mot . Le public est donc bien raffiné. Il trouve mauvais qu’il y ait du plaisant dans l’Enfant prod[igue] et s’il n’y en avait point eu il aurait dit : c’est une tragédie.

 

                            Encore un mot . Ce Rousseau est donc un grand faquin de vouloir bannir l’intérêt [Jean-Baptiste Rousseau a écrit une épître sur la comédie]. Le fat ! confondez le et continuez-moi vos bontés.

 

 

                            Voltaire

                            A Cirey ce 19 octobre 1736. »

18/10/2009

Cartes de géographie : C’est peut-être le seul art dans lequel les derniers ouvrages sont toujours les meilleurs

 

"Je suis peu au fait des cabales de votre Paris et de votre Versailles " , c'est vrai pour moi qui ces temps -ci me détache nettement de l'actualité, au point, rendez-vous compte, de ne voir Kho lanta que dans la nuit de mardi à mercredi à des heures que connaisssent bien les parents de bébés affamés :

- 2h du mat

- j'ai des frissons

- bébé braille

- il monte le son

- j'me sens tout seul

- tout seul dans mon lit

- maman ravitaille du bout du sein

- le fruit de ses entrailles

- sacré gamin !

 

Sur l'air bien connu : http://www.dailymotion.com/video/x48f42_5-heures-du-mat-j...

avec mes excuses pour le décalage horaire, j'ai le jet lag !

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Et maintenant, sans transition , quelques "pauvres et inutiles vérités philosophiques" d'un modeste penseur du XVIIIème siècle qui me plaisent .

 

 

 

 

 

 

« A Nicolas-Claude Thiriot

 

                            M. Helvetius m’a envoyé son Esprit, mon ancien ami ; ainsi  vous voilà délivré du soin de me le faire parvenir : je ne veux point avoir double esprit comme Élisée. Je suis peu au fait des cabales de votre Paris et de votre Versailles .J’ignore ce qui a excité un si grand soulèvement contre un philosophe estimable qui (à l’exemple de saint Matthieu) a quitté la finance pour suivre la vérité [Helvétius était fermier général ; le privilège pour l’impression, accordé le 12 mai, était révoqué le 12 août, et le censeur J.-P. Tercier qui l’avait accordé avait été destitué . Le livre fut condamné par le Parlement le 6 février 1759 et brûlé le 10 février]. Il ne s’agit dans son livre que de ces pauvres et inutiles vérités philosophiques qui ne font tort à personne, qui sont lues par très peu de gens, et jugées par un plus petit nombre encore en connaissance de cause. Il y a tel homme dont la simple signature, mise au bas d’une pancarte mal écrite, fait plus de mal à une province que tous les livres des philosophes n’en pourront jamais causer. Cependant ce sont ces philosophes, incapables de nuire, qu’on persécute.

 

                            Je ne suis pas de son avis en bien des choses : il s’en faut de beaucoup ; et s’il m’avait consulté, je lui aurais conseillé de faire son livre autrement ; mais tel qu’il est, il y a beaucoup de bon, et je n’y vois rien de dangereux. On dira peut-être que j’ai les yeux gâtés.

 

                            Il faut qu’Helvétius ait quelques ennemis secrets qui aient dénoncé son livre aux sots, et qui aient animé les fanatiques. Dites-moi ce qui lui a attiré un tel orage. Il y a cent choses beaucoup plus fortes dans l’Esprit des lois, et surtout dans les Lettres persanes. Le proverbe est bien vrai qu’il n’y a qu’heur et malheur en ce monde.

 

                            Au lieu de me faire avoir cet Esprit, pourriez-vous avoir la charité de m’indiquer quelque bon atlas nouveau, bien fait, bien net, où mes vieux yeux vissent commodément le théâtre de la guerre, et des misères humaines. Je n’ai que d’anciennes cartes de géographie. C’est peut-être le seul art dans lequel les derniers ouvrages sont toujours les meilleurs. Il n’en est pas de même, à ce que je vois, des pièces de théâtre, des romans, des vers, des ouvrages de morale etc.

 

                            Je dicte ce rogaton, mon cher ami, parce que je suis un peu malade aujourd’hui. Mais j’ai toujours assez de force pour vous assurer de ma main que je vous aime de tout mon cœur.

 

                            V.

                            18 octobre 1758. »

16/10/2009

une plus grande souveraine nommée Mme du Châtelet me rappelle à Paris .

Note rédigée le 23 août 2011 pour parution le 16 octobre 2009

 

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http://www.youtube.com/watch?v=fNabASQ1N5k

 

« A Pierre-Louis Moreau de Maupertuis

membre de toutes les académies de l'Europe

chez M. Moreau de Maupertuis

rue Sainte Anne à Paris

 

A Brunswik 16 octobre 1743

 

J'ai reçu dans mes courses la lettre où mon cher aplatisseur de ce globe 1 daigne se souvenir de moi avec tant d'amitié . Est-il possible que je ne vous aurai jamais vu que comme un météore toujours brillant et toujours fuyant de moi ? n'aurai-je pas la consolation de vous embrasser à Paris ? J'ai fait tous vos compliments à vos amis de Berlin, c'est-à-dire toute la cour, et particulièrement à M. de Valori, vous êtes là comme ailleurs aimé et regretté ; on m'a mené à l'académie de Berlin, où le médecin Eller a fait des expériences par lesquelles il fait croire qu'il change l'eau en air élastique . Mais j'ai été encore plus frappé de l'opéra de Titus 2, qui est un chef-d’œuvre de musique . C'est, sans vanité, une galanterie que le roi m'a faite, ou plutôt à lui ; il a voulu que je l'admirasse dans sa gloire . Sa salle d'opéra est la plus belle de l'Europe . Charlottembourg est un séjour délicieux, Frédéric en fait les honneurs et le roi n'en sait rien . Le roi n'a pas encore fait tout ce qu'il voulait . Mais sa cour, quand il veut bien avoir une cour, respire la magnificence et le plaisir . On vit à Potsdam comme dans le château d'un seigneur français qui a de l'esprit, en dépit du grand bataillon des gardes, qui me paraît le plus terrible bataillon de ce monde . Jordan ressemble toujours à Ragotin 3, mais c'est Ragotin bon garçon et discret avec seize cents écus d'Allemagne de pension . D'Argens est chambellan avec une clé d'or à sa poche, et cent louis dedans payés par mois . Chazot, ce Chazot que vous avez vu maudissant la destinée doit la bénir ; il est major, et a un gros escadron qui lui vaut environ seize mille livres au moins par an . Il l'a bien mérité, ayant sauvé le bagage du roi à la dernière bataille 4. Je pourrais dans ma sphère pacifique jouir aussi des bontés du roi de Prusse, mais vous savez qu'une plus grande souveraine nommée Mme du Châtelet me rappelle à Paris . Je suis comme ces Grecs qui renonçaient à la cour du grand roi pour venir être honnis par le peuple d'Athènes .

 

J'ai passé quelques jours à Bareith . Son Altesse Royale m'a bien parlé de vous 5. Bareith est une retraite délicieuse où on jouit de tout ce qu’une cour a d'agréable sans les incommodités de la grandeur . Brunswik où je suis a une autre espèce de charmes . C'est un voyage céleste où je passe de planète en planète pour revoir enfin ce tumultueux Paris où je serai très malheureux si je ne vois pas l'unique Maupertuis que j'admire et que j'aime pour toute ma vie .

 

V. »


2 Tito Vespasiano, ovvero la Clemenza di Tito, musique de J. A .de Hasse, livret de Metastasio . Dans ses Mémoires, V* écrira qu'il était « mis en musique par le roi lui-même aidé de son compositeur »

http://www.youtube.com/watch?v=fNabASQ1N5k

4 A Chotusitz .

5 Wilhelmine, sœur de Frédéric II, margravine de Bayreuth.

Afin que nous puissions tous être à vos pieds.

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Avant toute chose :
tous mes voeux pour LoveVoltaire et son blog
magnifique
par le contenu et la présentation http://www.monsieurdevoltaire.com/ qui fête aujourd'hui sa première année .
Allez-y, sans hésitation ni murmure, appréciez et suivez son travail de passionné(e) de V*.
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Et qu'il brille encore longtemps !!!

 

 

 

 

 

« A Claire-Josèphe-Hippolyte Léris de La Tude Clairon

 

                            Belle Melpomène, ma main ne répondra pas à la lettre dont vous m’honorez, parce qu’elle est un peu impotente ; mais mon cœur, qui ne l’est pas, y répondra.

 

                            Raisonnons ensemble, raisonnons.

 

                            Les monologues qui ne sont pas des combats de passions ne peuvent jamais remuer l’âme et la transporter. Un monologue qui n’est et ne peut être que la continuation des mêmes idées et des mêmes sentiments, n’est qu’une pièce nécessaire à l’édifice ; et tout ce qu’on lui demande c’est de ne pas refroidir. Le mieux, sans contredit, dans votre monologue du second acte, est qu’il soit court. On peut faire venir Fanie, et finir par une situation attendrissante. Je tâcherai d’ailleurs de fortifier ce petit morceau ainsi que bien d’autres. On a été forcé de donner Tancrède avant que j’y pusse mettre la dernière main. Cette pièce ne m’a jamais coûté un mois. Vos talents ont sauvé mes défauts ; il est temps de me rendre moins indigne de vous.

 

                            Je ne suis point du tout de votre avis, ma belle Melpomène, sur le petit ornement de la Grève que vous me proposez. Gardez-vous, je vous en conjure, de vouloir rendre la scène française dégoûtante et horrible, et contentez-vous du terrible. N’imitons pas ce qui rend les Anglais odieux. Jamais les Grecs qui entendaient si bien l’appareil du spectacle ne se sont avisés de cette invention de barbares. Quel mérite y a-t-il, s’il vous plait, à faire construire un échafaud par un menuisier ? En quoi cet échafaud se lie-t-il avec l’intrigue ? Il est beau, il est noble de suspendre des armes et des devises ; il en résulte qu’Orbassan voyant le bouclier de Tancrède sans armoiries, et sa cotte d’armes sans faveurs des belles, croit avoir bon marché de son adversaire ; on jette le gage de bataille, on le relève ; tout cela forme une action qui sert au nœud essentiel de la pièce. Mais faire paraître un échafaud pour le seul plaisir d’y mettre quelques valets de bourreau, c’est déshonorer le seul art par lequel les Français se distinguent, c’est immoler la décence à la barbarie ; croyez-en Boileau, qui dit :[d’après L’Art poétique]

Mais il est des objets que l’art judicieux

Doit offrir à l’oreille, et dérober aux yeux.

 

                            Ce grand homme en savait plus que les beaux esprits de nos jours.

 

                            J’ai crié trente ou quarante ans qu’on nous donnât du spectacle dans nos conversations en vers appelées tragédies. Mais je crierais bien davantage si on changeait la scène en place de Grève. Je vous conjure de repousser cette abominable tentation.

 

                            J’enverrai dans quelque temps Tancrède, quand j’aurai pu y travailler à loisir. Car figurez-vous que, dans ma retraite, c’est le loisir qui me manque. Fanime suivra de près [ex Zulime de 1739-1740, future Zulime représentée en 1761-1762]. Nous venons de l’essayer en présence de M. le duc de Villars, de l’intendant de Bourgogne [Le frère de son ennemi Omer Joly de Fleury, venu avec le fils même d’Omer . V* parle à presque tous ses correspondants de leur visite et de l’accueil qu’il leur a fait] et de celui du Languedoc [Jean-Emmanuel de Guignard, vicomte de Saint-Priest]. Il y avait une assemblée très choisie. Votre rôle est plus décent, et par conséquent plus attendrissant qu’il n’était ; vous y mourez d’une manière qu’on ne peut prévoir, et qui a fait un effet terrible, à ce qu’on dit. La pièce est prête. Je vais bientôt donner tous mes soins à Tancrède. Quand vous aurez donné la vie à ces deux pièces, je vous supplierai d’être malade, et de venir vous mettre entre les mains de Tronchin, afin que nous puissions tous être à vos pieds.

 

 

                            Voltaire

                            16 octobre 1760. »

 

 

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Régalez-vous !
Gâteau avec Chantilly, bien évidemment  ;-)

15/10/2009

un grand homme qui n’avait de défaut que d’être femme

D'ici la réouverture du château de Volti au printemps, devrait paraître un ouvrage de la collection Itinéraires du Patrimoine descriptif d'icelui château .

Je sais que le texte est le fruit du labeur d'un voltairien engagé et les photos d'un photographe (tiens, comme c'est curieux ! James ! un photographe-des photos, Derrick n'aurait pas pu déduire mieux .- Je mets Derrick pour faire plaisir à quelqu'un qui en est fan au point de le regarder pendant le travail et qui ne me lira sans doute jamais ! -).

Photographe attentif, attentionné, perfectionniste et qui s'est donné un mal de chien pour donner des documents d'excellente qualité . Il a fini son reportage avec une bise noire (c'est un vent de chez nous , qui vient de Suisse sans déclaration en douane ) à décoller les pixels .

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Comme Volti, et grâce à lui, moi aussi, j'ai trouvé un grand homme en jupon (non, ce n'est pas Jean-Paul Gaulthier, bien qu'il me plaise énormément !!... -dans son domaine de créateur évidemment !- qu'alliez -vous penser ? ).

Si Dieu veut que nous restions amis vingt-cinq ans, je le veux aussi . Elle a toutes les vertus d'un honnête homme (comme moi  :-))  ) et celles d'un' honnêt' femm' , comme elle seule le peut.

 

 

« A Frédéric II, roi de Prusse

 

                            Sire,

                            Je viens de faire un effort dans l’état affreux où je  suis pour écrire à M. d’Argens [Frédéric écrivait le 16 septembre : « Vous avez bien affligé  le pauvre d’Argens en lui imputant des choses qu’il n’a jamais faites. Je ne sais où vous avez pu trouver des choses offensantes dans ses livres, où vous êtes loué à chaque page. »]. J’en ferai bien un autre pour me mettre aux pieds de Votre majesté.

 

                            J’ai perdu un ami de vingt-cinq années [Emilie du Châtelet], un grand homme qui n’avait de  défaut que d’être femme, et que tout Paris regrette et honore. On ne lui a peut-être pas rendu justice pendant sa vie, et vous n’avez peut-être pas jugé d’elle comme vous auriez fait si elle avait eu l’honneur d’être connue de Votre Majesté. Mais une femme qui a été capable de traduire Neuton et Virgile, et qui avait  toutes les vertus d’un honnête homme aura sans doute part à vos regrets.

 

                            L’état où je suis  depuis un mois ne me laisse guère d’espérance de vous revoir jamais, mais je vous dirai hardiment que si vous connaissiez mieux mon cœur, vous pourriez avoir aussi la bonté de regretter un homme qui certainement dans Votre Majesté n’avait aimé que votre personne.

 

                            Vous êtes roi, et par conséquent vous êtes accoutumé à vous défier des hommes. Vous avez pensé par ma dernière lettre, ou que je cherchais  une défaite pour ne pas venir à votre cour, ou que je cherchais un prétexte pour vous demander une légère faveur [le 31 août, il a écrit à Frédéric que le roi Stanislas chez qui il séjournait, était irrité d’être « traité un peu légèrement » dans un passage de l’Antimachiavel ; d’autre part que d’Argens avait imprimé que V* « étai(t) très mal dans (la) cour » de Frédéric. En  conséquence, il demandait à celui-ci de lui  « envoyer une demi-aune de ruban noir », c'est-à-dire l’ordre du mérite prussien : ainsi on «  ne pourrait l’empêcher de courir … remercier » ; « le souverain de Lunéville a besoin de ce prétexte pour n’être pas fâché … de ce voyage » . Frédéric avait répondu le 4 septembre que l’ordre pour le mérite est un ordre militaire qui ne peut se donner à des étrangers et qu’il s’étonnait qu’un philosophe comme V* pensât à de telles bagatelles, et d’autre part qu’il «  serait bien singulier que le roi Stanislas qui n’a jamais abusé de son pouvoir s’en avisât pour (le ) tyranniser ».]. Encore une fois vous ne me connaissez pas. Je vous ai dit la vérité, et la vérité la plus connue à Lunéville. Le roi de Pologne Stanislas est sensiblement affligé, et je vous conjure, Sire, de sa part et en son nom de permettre une nouvelle édition de l'Antimachiavel où l’on adoucira ce que vous avez dit de Charles XII et de lui. Il vous en sera très obligé. C’est le meilleur prince qui soit au monde, c’est le plus passionné de vos admirateurs et j’ose croire que Votre Majesté aura cette condescendance pour sa  sensibilité qui est extrême.

 

                            Il est encore très vrai que je n’aurais jamais pu le quitter pour venir vous faire ma cour dans le temps que vous l’affligiez et qu’il se plaignait de vous. J’imaginai le moyen que je proposai à Votre Majesté. Je crus et je crois encore ce moyen très décent et très convenable. J’ajoute encore que j’aurai dû attendre que Votre Majesté daignât me prévenir elle-même sur la chose dont je prenais la liberté de lui parler. Cette faveur était d’autant plus à sa place que j’ose vous répéter encore ce que je mande à M. d’Argens. Oui, Sire, M. d’Argens a constaté, relevé le bruit qui a couru que vous me retiriez vos bonnes grâces. Oui, il l’a imprimé. Je vous ai allégué cette raison, qu’il aurait dû appuyer lui-même. Il devait vous dire : « Sire, rien n’est plus vrai, ce bruit a couru, j’en ai parlé ; voici l’endroit de mon livre où je l’ai dit [dans les Lettres philosophiques et critiques par mademoiselle Co… avec les réponses de Mr. Ar…  La Haye 1744, où V*  « paraît sous le nom d’Euripide »] ; et il sera digne de la bonté de Votre Majesté de faire cesser ce bruit en appelant pour quelque temps à votre cour un homme qui m’aime et qui vous adore, et en l’honorant d’une marque de votre protection. »

 

                            Mais au lieu de lire attentivement l’endroit de ma lettre à Votre Majesté, où je le citais, au lieu de prendre cette occasion de m’appeler auprès de vous, il me fait un quiproquo où l’on n’entend rien, il me parle de libelles, de querelles d’auteurs, il dit que je me suis plaint à votre Majesté qu’il ait dit de moi des choses injurieuses, en un mot il se trompe et il me gronde et il a tort, car il sait bien, ce que je vous ai dit dans ma lettre [Le 31 août V* écrit : « Il a plu à mon cher Isaac Onis, fort aimable chambellan de Votre Majesté et que j’aime de tout mon cœur, d’imprimer que j’étais très mal dans votre cour. Je ne sais trop sur quoi fondé, mais la chose est moulée, et je le pardonne de tout mon cœur à un homme que je regarde comme le meilleur enfant du monde ; »], que je l’aime de tout mon cœur.

 

                            Mais vous, Sire, avez-vous raison avec moi ? Vous êtes un très grand roi, vous avez donné la paix dans Dresde, votre nom sera grand dans tous les siècles. Mais toute votre gloire et toute votre puissance ne vous mettent pas en droit d’affliger un cœur qui est tout à vous. Quand je me porterais aussi bien que je me porte mal, quand je serais à dix lieues de vos Etats, je ne ferai pas un pas pour aller à la cour d’un  grand homme qui ne m’aimerait point, et qui ne m’enverrait chercher que comme un souverain. Mais si vous me reconnaissiez et si vous aviez pour moi une vraie bonté, j’irais me mettre à vos pieds à Pékin. Je suis sensible, Sire,  et je ne  suis que cela. J’ai peut-être deux jours à vivre, je les passerai à vous admirer, mais à déplorer l’injustice que vous faites à une âme qui était si dévouée à la vôtre, et qui vous aime toujours, comme M. de Fénelon aimait Dieu, pour lui-même. Il ne faut pas que Dieu rebute celui qui lui offre un encens si rare.

 

                            V.

 

Croyez encore, s’il vous plait, que je n’ai pas besoin des petites vanités, et que je ne cherchais que vous seul.

 

                            A Paris ce 15 octobre 1749. »