23/10/2009
vous rendriez un grand service à elle et à ses amants de nous envoyer la joyeuse recette de la demoiselle Quinault.
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d’Argental
Voici encore , mon cher et respectable ami, un gros paquet de Babylone [Les « amples corrections qu’il leur envoie pour Sémiramis »]. Mais à présent le point essentiel est d’empêcher la parodie à la ville comme à la cour [La parodie de Sémiramis par Bidault de Montigny ne fut effectivement pas représentée, mais imprimée à Amsterdam en 1749]. J’ai eu lieu de penser que M. de Montmartel m’ayant écrit de la part de Mme de Pompadour, et m’ayant redit ses propre paroles, que le roi était bien éloigné de vouloir me faire la moindre peine, et que la parodie ne serait certainement point jouée, j’ai lieu , dis-je, de me flatter que cette proscription d’un abus aussi pernicieux est pour Paris comme pour Versailles.
Je vais écrire dans cet esprit à M. Berryer et l’ordre du roi à Fontainebleau sera pour lui un nouveau motif de me marquer sa bienveillance, et une nouvelle facilité de faire entendre raison aux personnes qui pourraient favoriser encore la cabale qui s’est élevée contre moi ; je suis fâché que M. le duc d’Aumont soit le seul qui ne réponde point à mes lettres [le 10 V* informait d’Argental qu’il écrivait à la reine – par l’intermédiaire et avec l’appui de Stanislas- , à Mme de Pompadour, à Mme d’Aiguillon, à la duchesse de Villars, à Mme de Luynes, au président Hénault, au duc de Fleury, au duc de Gesvres…], mais je n’en compte pas moins sur la fermeté et la chaleur de ses bons offices animés par votre amitié . Je vous demande en grâce de m’instruire de tout ce qui se passe sur cette affaire qui m’est devenue très essentielle.
La reine m’a fait écrire par Mme de Luynes que les parodies étaient d’usage, et qu’on avait travesti Virgile. Je réponds que ce n’est pas un compatriote de Virgile qui a fait l’Énéide travestie [Les parodies de Virgile les plus connues sont celles de Scarron, Perrault, Furetière]; que les Romains en étaient incapables ; que si on avait récité une Énéide burlesque à Auguste, et à Octave, Virgile en aurait été indigné ; que cette sottise était réservée à notre nation longtemps grossière, et toujours frivole ; qu’on a trompé la reine quand on lui a dit que les parodies étaient encore d’usage, qu’il y a cinq ans qu’elles sont défendues ; que le théâtre français entre dans l’éducation de tous les princes de l’Europe et que Gilles et Pierrot ne sont pas faits pour former l’esprit des descendants de Saint Louis . Au reste si j’ai écrit une capucinade, c’est à une capucine [ V* avait entrepris la pièce pour les relevailles de la dauphine qui mourut avant qu’il eut fini].
Voici, mon divin ange, une autre grâce que je vous demande . C’est de savoir au juste et au plus vite de Mlle Quinault de quel remède elle s’est servie pour faire passer un énorme goitre dont elle s’est défaite. Il y a ici une femme beaucoup plus jolie qu’elle, qui a un cou extrêmement affligé de cette maladie, et vous rendriez un grand service à elle et à ses amants de nous envoyer la joyeuse recette de la demoiselle Quinault. Ajoutez cette grâce à tant d’autres bontés .
Tout ce que je vous dis est pour Mme d’Argental . Vous savez comme je vous adore tous les deux par indivis.
Et mes moyeux ? Ah ! Monsieur de Pont de Veyle, mes moyeux !
V.
A Lunéville ce 23 octobre 1748.
Ce 24.
Je reçois votre lettre , et je vous fais de nouveaux remerciements des ordres que vous avez donnés à Slodtz . Ils ont bien à réparer, et ils ont grand besoin d’être conduits par quelque homme qui entende l’effet des décorations. La grossièreté et l’ineptie de leur exécution a servi beaucoup à révolter le public qui s’attendait à du merveilleux.
Le roi de Pologne qui avait envoyé ma lettre à la reine, et qui en était très content a été fort piqué que nos adversaires aient prévalu auprès de la reine et que ce ne soit pas à elle à qui j’aie l’obligation de la suppression de l’Infamie. Les mêmes gens qui avaient fait la calomnie sur Zadig ont continué sous main leurs bons offices, et le roi de Pologne en est très instruit . Dites cela à l’abbé de Bernis, et qu’il écrive à Mme de Pompadour pour la suppression de l’Infamie à la ville comme à la cour.
Je tâcherai, mes anges, de revenir à la fin de novembre, car j’ai besoin de vous dire combien je suis pénétré de tant de bontés. Mon dernier mémoire pour les comédiens ne doit être assurément présenté qu’à la dernière extrémité. C’est ce que j’ai dit expressément, et ce n’est qu’une ressource pour attendre l’année de M. de Richelieu, mais la meilleure de toutes les ressources, c’est vous .
Je suppose que les comédiens tout négligents qu’ils sont ont fait usage des premiers mémoires.
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20/10/2009
Combattant contre l’oisiveté et l’ignorance naturelle avec laquelle nous sommes nés
J'ai le bonheur de disposer encore de mes cinq sens, le sixième étant un sens interdit que je prend nuitamment, sans aucun risque, pour cause de travaux. N'appelez pas les bleus, ils sont couchés à cette heure là (en tout cas, je le souhaite ! ). Bon , puisque personne ne réagit, je vais me coucher moi aussi .
"Il y a beaucoup de maisons dans la demeure de mon père" disent les écritures, oui il y a beaucoup de maisons -demeures de l'Etat- pendant que des malheureux se gèlent dehors . M. Jean S.....y, si vous êtes assez couillu pour vous présenter à un poste de président sans autre bagage que votre bagout et un père logorrhéique à tic , occuppez-vous vite de ceux qui vivent sous des cartons ; sinon , circulez, y'a rien à voir, gardez votre Rolex, je garde mon Solex !


"
"Eh bien moi, je préfère ma petite jument" nous aurais déclaré le Patriarche de Ferney à qui on présentait un Solex chinois, et "je ne veux point d'autre montre que de Ferney, les Genevois vont savoir qu'on est meilleurs qu'eux, et dans vingt ans, nous serons maitres de ce marché !" devant une Rolex genevoise fabriquée par des français, italiens, espagnols, etc .
« A Pierre-Joseph Thoulier d’Olivet
Quoique je sois en commerce avec Neuton Maupertuis, et avec Descartes Mairan, cela n’empêche pas que Quintillien d’Olivet ne soit toujours dans mon cœur et que je ne le regarde comme mon maître et mon ami. Multae sunt mansiones in domo patris mei [Il y a beaucoup de maisons dans la demeure de mon père.], et je peux encore dire : in domo mea. Je passe ma vie , mon cher abbé, avec une dame qui fait travailler trois cents ouvriers, qui entend Neuton, Virgile et Le Tasse, et qui ne dédaigne pas de jouer au piquet.[Emilie du Châtelet, le château est en plein travaux encore] Voilà l’exemple que je tâche de suivre quoique de très loin. Je vous avoue , mon cher maître, que je vois pas pourquoi l’étude de la physique écraserait les fleurs de la poésie. La vérité est-elle si malheureuse qu’elle ne puisse souffrir les ornements ? L’art de bien penser, de parler avec éloquence, de sentir vivement et de s’exprimer de même serait-il donc l’ennemi de la philosophie ? Non, sans doute ce serait penser en barbare. Malebranche, dit-on, et Pascal avaient l’esprit bouché pour les vers. Tant pis pour eux, je les regarde comme des hommes bien formés d’ailleurs, mais qui auraient le malheur de manquer d’un des cinq sens.
Je sais qu’on s’est bien étonné et qu’on m’a même fait l’honneur de me haïr, de ce qu’ayant commencé par la poésie je m’étais ensuite attaché à l’histoire et que je finissais par la philosophie. Mais, s’il vous plait, que faisais-je au collège, quand vous aviez la bonté de former mon esprit ? Que me faisiez-vous lire et apprendre par cœur à moi et aux autres ? Des poètes, des historiens, des philosophes . Il est plaisant qu’on n’ose pas exiger de nous dans le monde ce qu’on a exigé dans le collège, et qu’on n’ose pas attendre d’un esprit fait les mêmes choses auxquelles on exerça son enfance.
Je sais fort bien et je sens encore mieux que l’esprit de l’homme est très borné mais c’est par cette raison-là même qu’il faut tâcher d’étendre les frontières de ce petit État, en combattant contre l’oisiveté et l’ignorance naturelle avec laquelle nous sommes nés. Je n’irai pas en un jour faire le plan d’une tragédie et des expériences de physique, sed omnia tempus habent [Mais toutes choses ont leur temps.], et quand j’ai passé trois mois dans les épines des mathématiques je suis fort aise de retrouver des fleurs.
Je trouve même fort mauvais que le père Castel ait dit dans un extrait des Éléments de Neuton [Dans les Mémoires de Trévoux], que je passais du frivole au solide . S’il savait ce que c’est que le travail d’une tragédie et d’un poème épique, si sciret donum dei [S’il connaissait le don de Dieu], il n’aurait pas lâché cette parole . La Henriade m’a coûté dix ans , les Éléments de Neuton m’ont coûté six mois et ce qu’il y a de pis, c’est que La Henriade n’est pas encore faite . J’y travaille encore quand le dieu qui l’a fait faire m’ordonne de la corriger, car, comme vous savez,
Est deus in nobis agitante calescimus illo.
[Il y a un dieu en nous, nous nous enflammons sous son action.]
Et pour vous prouver que je sacrifie encore aux autels de ce dieu, c’est que M. Thiriot doit vous faire lire une Mérope de ma façon [Mérope remaniée], une tragédie française, où, sans amour, sans le secours de la religion une mère fournit cinq aces entiers . Je vous prie de m’en dire votre sentiment tout aussi naïvement que vous l’avez dit à Rousseau sur les Ayeux chimériques [d’Olivet est un des signataires d’un sonnet et d’une lettre adressée par « Voltaire et d’autres » à Jean-Baptiste Rousseau, où étaient attaquées ses « trois épitres gothiques » et son « ode détestable sur la paix » et son « impertinente comédie des Ayeux Chimériques ».]
Je sais que non seulement vous m’aimez mais vous aimez aussi la gloire des lettres, et celle de votre siècle. Vous êtes bien loin de ressembler à tant d’académiciens, soit de votre tripot [l’Académie française], soit de celui des inscriptions, qui n’ayant jamais rien produit, sont les mortels ennemis de tout homme de génie et de talent, qui se donneront bien de garde d’avouer que de leur vivant la France a eu un poète épique , qui loueront jusqu’au Camouens [Luis de Camouens (1524-1580, auteur des Lusiades (1572), traduites par Duperron de Castera en 1735] pour me rabaisser, et qui me lisant en secret, affecteront en public de garder le silence sur ce qu’ils estiment malgré eux. Peut être extinctus amabitu idem [Une fois mort le même sera aimé]. Vous êtes trop au-dessus de ces lâches cabales formées par les esprits médiocres, vous encouragez trop les arts par vos excellents préceptes pour ne pas chérir un homme qui a été formé par eux .Je ne sais pourquoi vous m’appelez pauvre ermite. Si vous aviez vu mon ermitage, vous seriez bien loin de me plaindre gardez-vous de confondre le tonneau de Diogène avec le palais d’Aristippe [voir une phrase du portrait malveillant de Voltaire qui a circulé en 1735, où on disait « le matin Aristippe et Diogène le soir »]. Notre première philosophie est ici de jouir de tous les agréments qu’on peut se procurer. Nous saurions très bien nous en passer , mais nous savons aussi en faire usage, et peut êtes si vous veniez à Cirey, préféreriez-vous la douceur de ce séjour à toutes les infâmes cabales des gens de lettres, au brigandage des journaux, aux jalousies, aux querelles, aux calomnies , qui infectent la littérature. Il y a des têtes couronnées, mon cher abbé, qui ont envoyé dans cet ermitage de Mme du Châtelet leurs favoris pour venir l’admirer [Le favori de Frédéric, Dietrich von Kayserlingk a été envoyé l’été précedent], et qui voudraient y venir eux-mêmes ; et si vous y veniez nous en serions tout aussi flattés. La visite du sage vaut celle des princes .
Adieu, je ne vous écris point de ma main, je suis malade, je vous embrasse tendrement . Adieu, mon ami et mon maître.
V.
A Cirey ce 20 octobre 1738. »
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19/10/2009
Quand tout le parterre crierait que c’est moi, il faut dire qu’il n’en est rien.

« A Jeanne-Françoise Quinault
Charmante Thalie, j’ai bien peur que l’Enfant prod[igue] ne soit bientôt enterré avec la chienne noire, mais il n’y a ni ouvrage ni chien qui puisse durer autant que ma tendre reconnaissance et mon attachement pour vous .
Vous pourriez engager M. de Ponde [M. de Pont de Veyle ; M. d’Argental] ou M. Dar, à m’envoyer par la poste le pièce telle qu’on la joue [la première avait eu lieu le 10 octobre]. Ils sont à portée de faire contresigner le paquet, et on a le plaisir d’avoir son enfant au bout de deux jours. Sinon je vous supplierais de l’envoyer à cet avocat Robert qui va toujours partir pour Cirey . Il faudrait avoir la bonté de mettre l’adresse à Mme la marquise du Châtelet.
Je ne connais point du tout Mlles Fessard . Je n’ai point écrit à Mme la duchesse de Saint-P. [De Saint-Pierre . Mlles Fessard et la duchesse de Saint-Pierre disent que son Enfant prodigue est de lui .] depuis mon départ. Je n’ai dit mon secret à personne [ La pièce avait été jouée anonymement et sans être annoncée ; c’est Britannicus qui était inscrit au programme ( il n’avait pu être joué suite à la maladie d’un acteur)]. Niez toujours fort et ferme, quand tout le parterre crierait que c’est moi, il faut dire qu’il n’en est rien.
Si la pièce n’est ni digne de tant de bontés de votre part, ni utile aux comédiens, ni flatteuse pour son auteur, du moins j’en aurai tiré un avantage, qui m’est plus cher que les plus grands succès, j’aurai connu tout ce que vous valez dans le commerce de la vie, et combien vous êtes au dessus de tous les rôles que vous embellissez, et de tous les auteurs que vous faites valoir.
Quoi ! aimable Thalie, une chienne noire vient accoucher chez vous ! Voilà la plus belle nouvelle du monde. Je vous conjure de me retenir un chien et une chienne. J’espère que le père fera un jour dans Cirey beaucoup d’enfants à la sœur , et que dans peu d’années , nous aurons d’inceste en inceste une meute de petits noirs. Voilà la fable du pot au lait , et tout est pot au lait. L’Enfant prodigue est un de ces pots là. Votre amitié, vos bontés pour moi seront quelque chose de plus réel.
Adieu, divinité que j’ai habillée de crotte . Je vous jure de ne vous donner jamais de Croupillac [Personnage de la pièce . V* écrivait le 7 septembre : « Je vous demande bien pardon pour la Croupillac. Cette bégueule-là gâte à mon gré un ouvrage qui pourrait réussir. »] de ma vie.
Encore un petit mot . Le public est donc bien raffiné. Il trouve mauvais qu’il y ait du plaisant dans l’Enfant prod[igue] et s’il n’y en avait point eu il aurait dit : c’est une tragédie.
Encore un mot . Ce Rousseau est donc un grand faquin de vouloir bannir l’intérêt [Jean-Baptiste Rousseau a écrit une épître sur la comédie]. Le fat ! confondez le et continuez-moi vos bontés.
Voltaire
A Cirey ce 19 octobre 1736. »
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