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25/09/2010

vos suffrages serviront beaucoup à déterminer celui du public, et le public influera sur le Conseil du roi

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« A Marie de Vichy de Chamrond, marquise du Deffand

 

24è septembre 1766 à Ferney

 

Ennuyez-vous souvent, Madame, car alors vous m'écrirez. Vous me demandez ce que je fais. J'embellis ma retraite, je meuble de jolis appartements où je voudrais vous recevoir. J'entreprends un nouveau procès dans le goût de celui des Calas, et je n'ai pas pu m'en dispenser, parce qu'un père, une mère et deux filles [i] remplis de vertu et condamnés au dernier supplice sont réfugiés à ma porte dans les larmes et dans le désespoir. C'est une des petites aventures dignes du meilleur des mondes possibles. Je vous demande en grâce de vous faire lire le mémoire que M. de Beaumont a fait pour cette famille aussi respectable qu'infortunée. Il sera bientôt imprimé. Je prie M. le président Hénault de le lire attentivement ; vos suffrages serviront beaucoup à déterminer celui du public, et le public influera sur le Conseil du roi. La belle âme de M. le duc de Choiseul nous protège. Je ne connais point de cœur plus généreux et plus noble que le sien ; car quoi qu'en dise Jean-Jacques, nous avons de très honnêtes ministres. J'aimerais mieux, assurément , être jugé par M. le prince de Soubise et par M. le duc de Praslin que par le parlement de Toulouse [ii].

 

Il faudrait , Madame, que je fusse aussi fou que l'ami Jean-Jacques pour aller à Vezel. Voici le fait.[iii] Le roi de Prusse m'ayant envoyé cent écus d'aumône, pour cette malheureuse famille des Sirven, et m'ayant mandé qu'il leur offrait un asile à Vezel ou à Clèves, je le remerciai comme je le devais, je lui dis que j'aurais voulu lui présenter moi-même ces pauvres gens auxquels il promettrait sa protection ; il lut ma lettre devant un fils de M. Tronchin qui est secrétaire de l'envoyé d'Angleterre à Berlin. Le petit Tronchin qui ne pense pas que j'ai soixante et treize ans, et que je ne peux sortir de chez moi, crut entendre que j'irais trouver le roi de Prusse, il le manda à son père [iv], ce père l'a dit à Paris, les gazetiers en ont beaucoup raisonné, et voilà comme on écrit l'histoire [v].

 

Puis fiez-vous à messieurs les savants ![vi]

 

Il faut que je vous dise pour vous amuser, que le roi de Prusse m'a mandé qu'on avait rebâti huit mille maisons en Silésie. La réponse est bien naturelle : Sire, on les avait donc détruites , il y avait donc huit mille bonnes familles désespérées ; vous autres rois vous êtes de plaisants philosophes.

 

Jean-Jacques, du moins, ne fait de mal qu'à lui, car je ne crois pas qu'il ait pu m'en faire, et Mme la duchesse de Luxembourg ne peut pas croire que j'aie jamais pu me joindre aux persécuteurs du Vicaire savoyard . Jean-Jacques ne le croit pas lui-même, mais il est comme Chiant-pot la perruque [vii] qui disait que tout le monde lui en voulait.

 

Savez-vous que l'horrible aventure du chevalier de La Barre a été causée par le tendre amour ? Savez-vous qu'un vieux maraud d'Abbeville nommé Belleval, amoureux de l'abbesse de Vignancour, et maltraité comme de raison, a été le seul mobile de cette abominable catastrophe ?[viii] Ma nièce de Florian qui a l'honneur de vous connaître, et dont les terres sont auprès d'Abbeville,[ix] est bien instruite de toutes ces horreurs. Elles font dresser les cheveux sur la tête. Savez-vous encore , Madame, que feu monsieur le dauphin, qu'on ne peut assez regretter, lisait Loke dans sa dernière maladie ? J'ai appris avec bien de l'étonnement qu'il savait toute la tragédie de Mahomet par cœur . Si ce siècle n'est pas celui des grands talents, il est celui des esprits cultivés.

 

Je crois que M. le président H[énault] a été aussi enthousiasmé que moi de M. le prince de Brunswick. Il y a un roi de Pologne philosophe qui se fait une grande réputation. Et que dirons-nous de mon impératrice de Russie ?

 

Je m'aperçois que ma lettre est un éloge de têtes couronnées, mais en vérité ce n'est pas par fadeur, car j'aime encore mieux leurs valets de chambre. Il m'est venu un premier valet de chambre du Roi, nommé M. de La Borde, qui fait de la musique, et à qui monsieur le dauphin avait conseillé de mettre en musique l'opéra de Pandore. C'est de tous les opéras, sans exception, le plus susceptible d'un grand fracas. Faites-vous en lire les paroles qui sont dans mes œuvres, et vous verrez s'il n'y a pas là bien du tapage. Je croyais que M. de La Borde faisait de la musique comme un premier valet de chambre en doit faire , de la petite musique de cour et de ruelle. Je l'ai fait exécuter, j'ai entendu des choses dignes de Rameau. Ma nièce Denis en est tout aussi étonnée que moi, et son jugement est bien plus important que le mien, car elle est une excellente musicienne.

 

Vous en ai-je conté ? Madame, vous ai-je ennuyée ? Suis-je assez bavard ? Souffrez que je finisse en vous disant que je vous aimerai jusqu'au dernier moment de ma vie de tout mon cœur, avec le plus sincère respect. »

 

i Les Sirven.

ii Bien sur, à cause des affaires Calas et Sirven.

iii Cf. lettre aux d'Argental du 22 mai 1765 ; V* fut affolé et songea un temps à se réfugier dans les États du roi de Prusse. Le projet varia pour ses lieux et modalités. Frédéric y crût et en juillet 1766 :  « Je vois avec étonnement par votre lettre que vous pourriez choisir une autre retraite que la Suisse et que vous pensez au pays de Clèves. Cet asile vous sera ouvert en tout temps. » En fait, cet été 1766, V* essaie d'établir une « colonie » philosophique dont il ne ferait sans doute pas partie ; cf. lettre du 23 juillet à Diderot et d'Alembert, du 4 août à Damilaville.

iv Théodore Tronchin, le médecin ; cf. lettre à Damilaville du 4 août.

v Issu de Charlot que V* est sans doute en train de rédiger.

vi Extrait de La Pucelle.

vii Cf. lettre à d'Argental du 21 septembre 1750 , pour l'histoire de Chie-en-pot.

viii Cf. lettre à Damilaville du 14 juillet, à Florian le 28 juillet.

« Vignancour » = Villancourt.

ix A Hornoy.

 

24/09/2010

Cela me fait saigner le cœur, car je suis très bon Français

 Dédicace à M. Brise-Heurtafaux Tunoulé : http://www.deezer.com/listen-6621297

Chelon-Apollinaire et les peuples bohémiens ! qu'ajouter ?

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

 

A Bruxelles, ce 24 septembre [1742]

 

Mon cher ange de lumière a donc vu des maldisants qui prétendent avoir vu mon Mahomet imprimé à Meaux [i]. Il y des gens qui voient d'une étrange manière. Non, ne le croyez pas. Mahomet vous appartient et je ne dispose pas ainsi de votre bien. Je compte venir dans votre petit ciel les derniers jours d'octobre. Les poules au riz ne sont bonnes que là . Toute la Flandre ne vaut pas le nid de mes deux anges .

 

Savez-vous que je suis tout au mieux avec

 

Le vieillard vénérable à qui les destinées

Ont de l'heureux Nestor accordé les années ?[ii]

 

Il m'écrit de grandes lettres ; dans lesquelles même il daigne avoir beaucoup d'esprit. On dit que nos affaires vont très bien par delà le Danube ; mais le grand point est qu'il y ait à Paris beaucoup de bonnes tragédies et de bons opéras. Le roi de Prusse donne un bel exemple à mes chers compatriotes ; il fait bâtir une salle d'opéra, dont les quatre faces seront sur le modèle des portiques du Panthéon, et à Paris vous savez qu'on entre dans une vilaine salle par un vilain égout [iii]. Cela me fait saigner le cœur, car je suis très bon Français.

 

Je vous ai écrit une grande lettre à Lyon, toute pleine de vieilles nouvelles. Elle était adressée à l'archevêché [iv]. Je soupçonne qu'elle ne vous est pas parvenue, et qu'une lettre de moi n'est pas faite pour arriver dans le lieu saint. Du moins M. de Pont-de Veyle n'en dit mot dans celle qu'il a écrite à Mme du Châtelet. Cette du Châtelet vous fait les plus tendres compliments . Mme d'Argental sait avec quel respectueux dévouement je lui suis attaché comme à vous pour toute ma vie.

 

V. »

i Éditions pirates de Mahomet (imprimées à Paris sous l'adresse de Bruxelles); cf. lettre à Missy du 20 octobre.

ii Le cardinal de Fleury, comme va le noter d'Argental dans la marge de la lettre. Les deux vers sont une adaptation des vers de l'Ode sur les affaires du temps faite le 3 juin de l'année 1742, envoyée par V* à César de Missy le 24 novembre 1742.

iii La Comédie-française était encore dans l'actuelle Rue de l'Ancienne Comédie ; le Panthéon est celui de Rome.

iv D'Argental est le neveu du cardinal de Tencin, archevêque de Lyon.

23/09/2010

j'ose dire qu'il y a une espèce de plaisir à sentir qu'on ne peut souffrir que par le malheur des autres

 

"Il faut que tous les musulmans soient naturellement bien malpropres, puisque Dieu a été obligé de leur ordonner de se laver cinq fois par jour "

Le ramadan est fini depuis peu. Yom kippour avait lieu ce week-end dernier.

Je ne sais quel autre dieu ou saint exige une reconnaissance éperdue de sa créature bipède à bouche ventrale ; en tout cas Volti, une fois de plus, appuie là où ça peut faire mal dans ces religions où le rite est d'une bêtise remarquable et culpabilise le croyant qui ose sortir du carcan.

Esclaves du rituel, libérez-vous ! Dieu n'est pas aussi c.. que ses représentants patentés qui vivent à vos dépens!

Persiste et signe .

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« A Maria Anna Louisa Jablonowska, princesse de Talmont

 

23è septembre 1771, à Ferney

 

Madame,

 

J'ai soixante-dix-huit ans [i], je suis né faible, je suis très malade et presque aveugle. Moustapha lui-même excuserait un homme qui dans cet état ne serait pas exact à écrire.

 

Si monsieur le prince de Salm [ii] vous a dit que je me portais bien, je lui pardonne cette horrible calomnie en considération du plaisir infini que j'ai eu quand il m'a fait l'honneur de venir dans ma chaumière.

 

A l'égard du Grand Turc , Madame, je ne puis absolument prendre son parti ; il n'aime ni l'opéra, ni la comédie, ni aucun des beaux-arts ; il ne parle point français ; il n'est pas mon prochain ; je ne puis l'aimer. J'aurai toujours une dent contre ces gens qui ont dévasté, appauvri et abruti la Grèce entière. Vous ne pouvez honnêtement exiger de moi que j'aime les destructeurs de la patrie d'Homère, de Sophocle et de Démosthène. Je vous respecte même assez pour croire que dans le fond du cœur vous pensez comme moi.

 

J'aurais désiré que vos braves Polonais qui sont si généreux, si nobles et si éloquents et qui ont toujours résisté aux Turcs avec tant de courage, se fussent joints aux Russes [iii] pour chasser d'Europe la famille d'Ortogul [iv]. Mes vœux n'ont pas été exaucés, et j'en suis bien fâché. Mais quelque chose qui arrive, je suis persuadé que votre respectable nation conservera toujours ce qu'il y a de plus précieux au monde : la liberté. Les Turcs n'ont jamais pu l'entamer, nulle puissance ne la lui ravira. Vous essuierez toujours des orages, mais vous ne serez jamais submergés. Vous êtes comme les baleines qui se jouent dans les tempêtes.

 

Pour vous, Madame, qui êtes dans un port assez commode [v], je conçois quel est le chagrin de votre belle âme de voir les peines de vos compatriotes. Vous avez toujours pensé avec grandeur, et j'ose dire qu'il y a une espèce de plaisir à sentir qu'on ne peut souffrir que par le malheur des autres. Je ne puis qu'approuver tous vos sentiments, excepté votre tendre amitié pour des Barbares qui traitent si mal votre sexe, et qui lui ôtent cette liberté dont vous faites tant de cas. Que vous importe, qu'ils se lavent en commençant par le coude ? Comme vous n'avez aucun intérêt à ces ablutions, autant vaudrait pour vous qu'ils fussent aussi crasseux que les Samoyèdes . Il faut que tous les musulmans soient naturellement bien malpropres, puisque Dieu a été obligé de leur ordonner de se laver cinq fois par jour .

 

Au reste, Madame, je sens que je serai toujours rempli de respect et d'attachement pour vous, soit que vous fussiez née à La Mecque ou à Jérusalem, ou dans Astracan. Je finis mes jours dans un désert fort différent de tous ces lieux si renommés. J'y fais des vœux pour votre bonheur supposé qu'en effet il y ait du bonheur sur notre globe. Vous avez vu des malheurs de toutes les espèces, je vous recommande à votre esprit et à votre courage.

 

Agréez, madame, le profond respect de votre très humble et très obéissant serviteur

 

Le vieux malade de Ferney V. »

i En réalité, soixante-dix-sept en février passé.

ii Friedrich Johann Otto, prince de Salm-Kyrburg, qui est venu en août, lui apportant les compliments de la princesse (de Talmont) que V* « avait beaucoup vue autrefois à Paris. »

iii Le 6 mai, plus ou moins anonymement la princesse lui avait envoyé un Manifeste des Confédérés (polonais) et le 4 juin V* lui exprimera son désaccord : les Polonais ne peuvent s'allier aux Russes qui les oppriment.

iv Les Ortokid.

v Paris.

22/09/2010

il est sensible à la gloire. C'est par là seulement qu'on peut obtenir quelque chose de lui

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« A Louise-Dorothée Von Meiningen, duchesse de Saxe-Gotha

 

A Strasbourg 22 septembre [1753]

 

Madame,

 

Après avoir écrit à Votre Altesse sérénissime la lettre qu'elle m'ordonne de lui envoyer [i], je me livre à mon étonnement, aux transports de ma sensibilité, à tout ce que je dois à votre cœur adorable. Madame, il n'y a que vous au monde auprès de qui je voulusse finir ma vie. Je me suis arrêté auprès de Strasbourg uniquement pour finir cet ouvrage que Votre Altesse Sérénissime m'avait commandé [ii]. Le hasard qui conduit tout a voulu que j'eusse ici un bien assez considérable qui est dans une terre d'Alsace appartenant à Mgr le duc de Virtemberg [iii]. Votre Altesse Sérénissime sent bien que la fortune ne peut jamais être un motif pour souhaiter les bonnes grâces du roi de Prusse. Non, Madame,je ne veux que les vôtres, et si je peux ambitionner quelque retour de sa part, c'est uniquement parce que je vous le devrai. Mon cœur est pénétré de ce que vous daignez faire, c'est le seul sentiment dont je sois capable. Je dois vous ouvrir, Madame, un cœur qui est entièrement à vous. Il est clair que le premier pas dans toute cette abominable affaire est la lettre que fit imprimer le roi de Prusse contre Koenig et contre moi [iv]. Il est clair que ce premier faux pas si indigne d'un roi a conduit toutes les autres démarches. L'outrage affreux fait à ma nièce dans Francfort a indigné toute l'Europe, et la cour de Versailles comme celle de Vienne. Que peut-on espérer, Madame , d'un homme qui n'a point réparé cette indignité, et qui au contraire a disculpé en quelque sorte ses ministres en écrivant à la ville de Francfort, tandis qu'il les désavouait à Versailles ?[v] Pensez-vous, Madame, qu'il ait un cœur aussi bon, aussi vrai que le vôtre ? pensez-vous qu'il respecte l'humanité et la vérité ?

 

Du moins il est sensible à la gloire. C'est par là seulement qu'on peut obtenir quelque chose de lui ; et puisque vos bontés généreuses ont commencé cet ouvrage, il ne faut pas qu'elles en aient le démenti. Peut-être qu'en effet M. de Gotter pourra quelque chose [vi], surtout s'il n'est pas de lui ; mais il pourra bien peu sans Mme la margrave de Bareith. Sans doute, Madame, le roi voudra se justifier auprès de vous. Peut-il ne pas ambitionner votre estime ? mais il ne voudra que se justifier à mes dépens, plus jaloux de pallier son tort que de le réparer. Il est roi, il a cent cinquante mille hommes, il peut m'écraser, mais il ne peut empêcher qu'une âme comme la vôtre ne le condamne secrètement.

 

Il en sera tout ce qui pourra [vii]. Je suis trop heureux, les bontés de Votre Altesse Sérénissime me consolent de tout. La forêt de Thuringe ne me fait plus trembler. Gotha devient le climat de Naples. Puissé-je après la révision de mes empereurs venir me jeter à vos pieds ! Mon cœur y est, il y parle à Madame la grande Maîtresse, il dit qu'il veut ne respirer que pour Votre Altesse Sérénissime, il est votre sujet jusqu'au tombeau avec le plus profond respect.

 

V. »

iLa duchesse voulant réconcilier V* et Frédéric a demandé à V* d'écrire une mettre ostensible devant être présentée au roi.

ii Les Annales de l'Empire.

iii Ce sont des terres appartenant au duc et qui garantissent un prêt de V*.

iv Lettre d'un académicien de Berlin à un académicien de Paris.

v A milord Maréchal, ambassadeur à Paris de Frédéric II, celui-ci écrit le 28 juin qu'il désapprouve « l'exactitude brutale » de son résident de Francfort et se propose de « redresser le passé ». A contrario, le 24 juillet et le 4 août, il répond à quelques représentations du Conseil de Francfort par un réquisitoire contre V* et Mme Denis et une justification presque totale des fonctionnaires prussiens.

vi Ce même jour, V* écrit à la margravine : « Mme la duchesse de Gotha ... a chargé M. de Gotter de parler au roi votre frère ... Gotter, né à Gotha est au service de la Prusse.

vii Le 24 novembre à Mme Denis : « C'était Mme la duchesse de Gotha, que la bonté de son cœur avait séduite, qui se flattait de faire parvenir le repentir dans un cœur qu'elle ne connait pas ... Il n'y a rien à faire avec un homme né faux. »

21/09/2010

il n'est pas bien sûr que dans quatre jours je ne demande l'extrême-onction, au lieu de travailler à un ballet.

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« A Jules-David Cromot du Bourg

 

Ferney 20 septembre [1776]

 

Monsieur, en me donnant la plus agréable commission dont on pût jamais m'honorer [i], vous avez oublié une petite bagatelle ; c'est que j'ai quatre-vingt-deux ans passés. Vous êtes comme le Dieu des jansénistes qui donnait des commandements impossibles à exécuter ; et pour mieux ressembler à ce Dieu-là, vous ne manquez pas de m'avertir qu'on n'aura que quinze jours pour se préparer ; de sorte qu'il arrivera que la reine aura soupé avant que je puisse recevoir votre réponse à ma lettre.

 

Malgré le temps qui presse, il faut, Monsieur, que je vous consulte sur l'idée qui me vient.

 

Il y a une fête fort célèbre à Vienne, qui est celle de L'Hôte et de L'Hôtesse [ii]: l'Empereur est l'hôte, et l'Impératrice est l'hôtesse ; ils reçoivent tous les voyageurs qui viennent souper et coucher chez eux, et donnent un bon repas à table d'hôte. Tous les voyageurs sont habillés à l'ancienne mode de leur pays ; chacun fait de son mieux pour cajoler respectueusement l'hôtesse ; après quoi tous dansent ensemble. Il y a juste soixante ans que cette fête n'a pas été célébrée à Vienne : Monsieur voudrait-il la donner à Brunoy ?

 

Les voyageurs pourraient rencontrer des aventures : les uns feraient des vers pour la reine, les autres chanteraient quelques airs italiens ; il y aurait des querelles, des rendez-vous manqués, des plaisanteries de toute espèce.

 

Un pareil divertissement est, ce me semble, d'autant plus commode que chaque acteur peut inventer lui-même son rôle, et l'accourcir ou l'allonger comme il voudra.

 

Je vous répète , Monsieur, qu'il me parait impossible de préparer un ouvrage en forme pour le peu de temps que vous me donnez ; mais voici ce que j'imagine : je vais faire une petite esquisse du ballet de L'Hôte et de L'Hôtesse ; je vous enverrai des vers aussi mauvais que j'en faisais autrefois ; vous me paraissez avoir beaucoup de goût, vous les corrigerez, vous les placerez, vous verrez quid deceat, quid non [iii].

 

Je ferai partir, dans trois ou quatre jours, cette détestable esquisse, dont vous ferez très aisément un joli tableau. Quand un homme d'esprit donne une fête, c'est à lui à mettre tout en place.

 

Vous pourriez, à tout hasard, Monsieur, m'envoyer vos idées et vos ordres ; mais je vous avertis qu'il y a cent vingt lieues de Brunoy à Ferney. Je vous demande le plus profond secret, parce qu'il n'est pas bien sûr que dans quatre jours je ne demande l'extrême-onction, au lieu de travailler à un ballet.

 

J'ai l'honneur d'être avec respect, et une envie, probablement inutile, de vous plaire, etc. »

i Ce surintendant de « Monsieur » le comte de Provence a demandé à V* de composer un divertissement pour la fête que le prince offrirait à la reine le 7 octobre à Brunoy.

ii Ce fût le titre du divertissement que V* composa et qui fût représenté.

iii Ce qui convient, ce qui ne convient pas.

20/09/2010

Il faudrait que Mme de Pompadour fût une grande poule mouillée pour craindre ma fière dédicace

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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

envoyé de Parme, rue de la Sourdière à Paris

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

 

 

20 septembre 1760

 

Madame Scaliger, vous êtes divine, vous nous avez donc secourus dans la guerre, vous avez payé de votre personne. Vous avez pansé des blessés et mis les morts à quartier. C'est à vous que la dédicace devrait appartenir.[i]

 

Mes divins anges,nous jouâmes hier Alzire, nous allons rejouer Tancrède. Nous sommes à l'abri des cabales. C'est beaucoup. Nos plaisirs sont purs. M. le duc de Villars, grand connaisseur, nous encourage. Notre théâtre commence à être en réputation. Brioché n'avait pas si bien réussi chez les Suisses [ii]. Envoyez nous donc la pièce telle qu'on la joue à Paris. Vous donnez L'Indiscret [iii]. La pièce n'est-elle pas un peu froide ?

 

Le comique écrit noblement

Fait bailler ordinairement .[iv]

 

Si Tancrède avait un plein succès, il faudrait hardiment donner La Femme qui a raison [v]. Car qu'elle ait raison ou non elle est gaie. Et la morale est bonne. Il y a beaucoup de coucherie, mais c'est en tout bien tout honneur.

 

Il faudrait que Mme de Pompadour fût une grande poule mouillée pour craindre ma fière dédicace.[vi] Pardon , divins anges, de mon laconisme. Il faut marier demain notre résident de France [vii] dans mon petit château de Ferney. Nous sommes occupés à imaginer une façon nouvelle de dire la messe. Et je vais répéter deux rôles, Argire et Zopire [viii]. La tête me tournera si je n'y prends garde.

 

Je baise le bout de vos ailes humblement. »

 

i Cf. lettre du 8 septembre pour la « bataille » de Tancrède et dédicace à Mme de Pompadour.

ii Cf. le Pot pourri que V* commence à composer (voir lettre du 5 septembre 1760 ) . Brioché qui avait montré ses marionnettes à Soleure avait été accusé de magie par les paysans et emprisonné.

iii Pièce pour accompagner Tancrède à sa dernière représentation du 2 octobre.

iv Extrait de L'Impromptu de la folie, 1726, de Marc-Antoine Le Grand.

v Jamais jouée en public à Paris.

vi Cf. lettre du 8 septembre ; Mme de Pompadour fit supprimer quelques lignes de l'Épitre dédicatoire , elle fera demander par Choiseul que V* n'ajoute pas de préface pour ne pas être compromise.

vii M. de Montpéroux ; V* a entrepris la construction d'une nouvelle église à Ferney, et vient juste de finir les travaux de son château de Ferney.

viii Dans Tancrède et dans Mahomet.

Tout ce que je vous dis là est toujours comme tout le reste, soumis à la destinée, qui est fort accoutumée à se jouer de nos projets.

 

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« A Marie-Louise Denis

rue Bergère, vis-à-vis l'hôtel des Menus à Paris

 

20è septembre 1769

 

Ma chère amie,

 

Si Mme d'Erlach vous fait des offres convenables [i] je crois que vous devez les accepter. En ce cas, vous viendriez chez vous [ii] à la fin d'octobre, ou si vous l'aimiez mieux, je viendrais vous prendre à Lyon, et je vous conduirais avec armes et bagages à Toulouse, où les hivers sont très tempérés, et vous reviendriez au printemps dans votre belle habitation.

 

Vous croyez bien que je ne vous proposerais pas Toulouse si je n'étais sûr d'y être très bien reçu. Le parlement y est devenu protecteur des Sirven et ne cherche qu'à expier l'horreur du jugement des Calas [iii]. Je ne sais comment cela s'est fait, mais on compte mon suffrage pour quelque chose dans cette ville [iv]. J'ai mandé que je ferais ce voyage en qualité de malade, et que je ne rendrais aucune visite [v]. Je vivrais comme je vis , dans la plus grande solitude ; à cela près que les souscripteurs qui ont établi le théâtre viendraient me consulter quelquefois. Je leur ferais des chœurs pour orner la fin des tragédies. Ils ont de belles voix, et on a exécuté les chœurs d'Athalie avec beaucoup de succès ; c'est ce que vous pourriez savoir de Lekain qui en revient.[vi]

 

Tout ce que je vous dis là est toujours comme tout le reste, soumis à la destinée, qui est fort accoutumée à se jouer de nos projets.

 

Je doute beaucoup que je puisse profiter des idées de Mme Le Long [vii]. Je pourrais bien me transporter languissant à Toulouse, et y vivre à ma fantaisie. Mais le bruyant de Mme Le Long m'effraierait et ne me conviendrait pas. Le troisième parti qui est de rester où je suis serait peut-être le meilleur ; il n'y a que ces maudites neiges qui s'y opposent. Ma mauvaise santé serait toujours une excuse valable auprès de Mme Le Long, et je serais dispensé de profiter de ses bontés en lui témoignant ma reconnaissance, et en l'assurant que je viendrai dès que je le pourrai. Je prendrais d'ailleurs le prétexte d'aller aux eaux en allant en Languedoc. Quelque chose qui arrive je ne ferai rien sans voir reçu de vos nouvelles, et je vous laisse maîtresse de tout.

 

M. de Bourcet vient de faire tracer l'enceinte de Versoix ; on a fixé le prix de tous les terrains dont on s'empare. La ville sera plus grande et plus belle que Genève. Vous savez que le port avance, et qu'on bâtit une frégate où il y aura du canon. M. le duc de Choiseul réussit dans toutes ses entreprises ; le pays de Gex deviendrait charmant sans ces affreux hivers qui rendent la vie insupportable et qui l'abrègent.

 

J'envoie la première partie [viii] de ce que vous demandez à M. Lefevre [ix].

 

Je vous embrasse bien tendrement. »

 

 

 

 

 

i Mme Denis désire louer la maison qu'elle veut quitter.

ii Ferney, qui a été acquis par V* au nom de Mme Denis et qu'il lui a donné.

iii Le même jour, à l'abbé Audra : « Je partirai probablement dès que je serai certain d'être bien reçu, et de n'avoir rien à craindre des vieux restes du fanatisme » ... « si on rend une justice complète » aux Sirven.

iv Cf. lettre à d'Alembert du 13 janvier 1769 et un passage d'une lettre de l'abbé Audra du 2 novembre 1768.

v Ce qu'il dit ce même jour à l'abbé Audra.

vi Cf. lettre à d'Argental du 16 septembre.

vii Selon le code employé par V* et sa nièce : Mme du Barry.

viii Le 11 septembre elle signala n'avoir reçu que le second tome de l'Histoire du parlement et demanda le premier.

ix Selon le code de V* : Marin.

 

 

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