06/11/2009
il n’y a point de fautes qui ne soient bien chères quand le cœur les fait commettre
"...il n’y a point de fautes qui ne soient bien chères quand le cœur les fait commettre"
Certains ont un portefeuille à la place du coeur, et ceux-là, pour ceux qui m'ont déjà lu, je considère que leurs fautes sont à mes yeux impardonnables . M.H. désormais le sait ! Ce que je raye est le nom d'un infréquentable qui sait de ce jour tout le bien que je pense de lui et je ne veux même pas écrire son nom ni le dire (sauf pour nécessité de service, comme on dit !).

Grosse colère, rage qui devait sortir . Mort aux faux-culs !
Mais je n'oublie pas dans mon ire : le lèche-cul !

Ouf, ça fait du bien parfois de s'exprimer, même mal. Les aigreurs d'estomac devront trouver une autre victime .
Et puis, merci Volti , je te lis et tu me permets de retrouver un humain que j'aime (sans oublier une humaine que j'aime itou ! )
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d’Argental
Dans un cabaret hollandais sur le chemin de Bruxelles ce 4 novembre [1743]
Mon cher et respectable ami, voilà horriblement de bruit pour une omelette [Allusion à une histoire que raconte V* dans ses Lettres à S. A. Mgr le prince de *** sur Rabelais : « Le conseiller au parlement Des Barreaux … passa… pour un athée … sur un conte qu’on a fait de lui … Un jeune homme … peut très bien dans un cabaret manger gras un samedi, et pendant un orage mêlé de tonnerre jeter le plat par la fenêtre en disant : Voilà bien du bruit pour une omelette au lard, sans … mériter l’affreuse accusation d’athéisme. » . Mme du Châtelet s’est plainte à plusieurs reprises à d’Argental, disant que V* ne lui avait écrit depuis longtemps qu’un billet en passant dans un cabaret et qu’il tardait à revenir. Elle demandera à d’Argental d’écrire à V*.]. On ne peut être ni moins coupable ni plus vexé. Je n’ai pas manqué une poste. Ce n’est pas de ma faute si elles sont très infidèles dans les chemins de traverse de l’Allemagne, et puisqu’on envoya en Touraine une de vos lettres adressée en Hollande, on peut avoir fait de plus grandes méprises dans la Franconie et dans la Vestphalie. J’ai été un mois entier sans recevoir des nouvelles de votre amie [Mme du Châtelet], mais j’ai été affligé sans colère, sans croire être trahi, sans mettre toute l’Allemagne en mouvement [Pour avoir des nouvelles de V*, Mme du Châtelet envoie un courrier en Hollande et en Allemagne ; V* le dit dans une lettre à Amelot de Chaillou le 10 octobre.] . Je vous avoue que je suis très fâché des démarches qu’on a faites .Elles ont fait plus de tort que vous ne pensez, mais il n’y a point de fautes qui ne soient bien chères quand le cœur les fait commettre. J’ai les mêmes raisons pour pardonner, qu’on a eu de se mal conduire. Vous auriez grand tort, mon cher ange, de m’avoir condamné sans m’entendre. Et quel besoin même aviez-vous de ma justification ? Votre cœur ne devait-il pas deviner le mien ? et n’est-ce pas au maître à répondre du disciple ? Je me flatte que vous me reverrez bientôt à l’ombre de vos ailes, que vous me rendrez plus de justice, et que vous apprendrez à votre amie à ne point obscurcir par des orages un ciel aussi serein que le nôtre. Mille tendres respects à tous les anges.
V.
Ce 6 novembre.
J’arrive à Bruxelles, où je jouis du bonheur de voir votre amie, en bien meilleure santé que moi, je me croirai parfaitement heureux quand l’un et l’autre nous aurons la consolation de vous embrasser.
Je sens ma joie toute troublée par la maladie de Mme d’Argental. J’ai reçu une ancienne lettre de M. le commandeur de Solare. Je vais lui répondre. Je me flatte que l’un de mes deux anges l’assurera bien qu’il n’est pas fait pour être oublié. Tous ces ministres de Sardaigne sont aimables. J’en ai vu dont je suis presque aussi content que de M. de Solare. Adieu couple charmant, adieu divinités de la société et de mon cœur.
V.
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05/11/2009
votre très humble et très pauvre secrétaire des niaiseries
http://www.youtube.com/watch?v=88dOSmJiuIs&feature=related
" Qu’est ce que tu voulais que j’lui dise ? "
D'accord, pas grand chose à voir avec la lettre qui suit .
Mais ce jour je réécoute Benabar, - et je me permets même de faire des dédicaces par mail qui pourront paraitre sottes ou pire (pourvu que non !! ), mais j'assume (trop fort ce James ;-))- et je découvre. Ses chants d'amour décoiffent et ses descriptions de la société valent le détour.
"Pas contemporain des Pharaons, ni du siècle des Lumières..." dit-il (et je vous assure qu'il ne pense pas à cet instant aux guirlandes de Noël qui se tressent en ce moment ! ), ce gars-là m'a plû, et puis a été un peu noyé, -en tout cas à mes oreilles-, dans le souk radiophonique ambiant .
Ce jour, j'ai un peu de vague à l'âme, mêlé de joie, et Benabar tombe à point. Il connait tous les sentiments et les chante bien, en tout cas, moi je trouve !
Il a une immense qualité, comme Volti, il pratique l'humour et va même jusqu'à l'autodérision.

En temps que secrétaire des niaiseries modernes, je vous laisse apprécier ce qui suit .
« A Philippe II, duc d’Orléans, régent de France
Faudra-t’il que le pauvre Voltaire ne vous ai d’autres obligations que de l’avoir corrigé par une année de Bastille ? [Du 16 mai 1717 au 14 avril 1718, condamné comme auteur du Regnante puero / Veneno et incestis famoso/ Administrante … eu d’autres « vers très exécrables » contre le régent et sa fille, sur les rapports « des sieurs d’Argenteuil et Beauregard » auxquels il avait accordé sa confiance sans se rendre compte qu’ils étaient de la police.].Il se flattait qu’après l’avoir mis en purgatoire, vous vous souviendriez de lui dans le temps que vous ouvrez le paradis à tout le monde. Il prend la liberté de vous demander trois grâces : la première de souffrir qu’il ait l’honneur de vous dédier la tragédie qu’il vient de composer [Œdipe , qui sera représentée le 18 novembre 1718, obtiendra un privilège le 19 janvier 1719, mais sera dédiée à « Son Altesse Royale Madame » = princesse Palatine, et non au Régent.], la seconde de vouloir bien entendre quelque jour les morceaux d’un poème épique [la Henriade] sur celui de vos aïeux auquel vous ressemblez le plus, et la troisième de considérer que j’ai l’honneur de vous écrire une lettre où le mot de souscription ne se trouve point.
Je suis avec un profond respect
Monseigneur
de Votre Altesse Royale
votre très humble et très pauvre
secrétaire des niaiseries
Voltaire. [Il signe encore « Arouet » en mai 1718, dès juin certaines sont signées « Arouet de Voltaire ». Celle-ci dont on possède le manuscrit autographe est signée « Voltaire ». Vers mars 1719, il explique à Jean-Baptiste Rousseau qu’il « a été si malheureux sous le nom d’Arouet qu’ (il) en (a) pris un autre surtout pour ne plus être confondu avec le poète Roy. »]
Novembre ( ?) 1718. »
20:32 | Lien permanent | Commentaires (0)
23/10/2009
vous rendriez un grand service à elle et à ses amants de nous envoyer la joyeuse recette de la demoiselle Quinault.
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d’Argental
Voici encore , mon cher et respectable ami, un gros paquet de Babylone [Les « amples corrections qu’il leur envoie pour Sémiramis »]. Mais à présent le point essentiel est d’empêcher la parodie à la ville comme à la cour [La parodie de Sémiramis par Bidault de Montigny ne fut effectivement pas représentée, mais imprimée à Amsterdam en 1749]. J’ai eu lieu de penser que M. de Montmartel m’ayant écrit de la part de Mme de Pompadour, et m’ayant redit ses propre paroles, que le roi était bien éloigné de vouloir me faire la moindre peine, et que la parodie ne serait certainement point jouée, j’ai lieu , dis-je, de me flatter que cette proscription d’un abus aussi pernicieux est pour Paris comme pour Versailles.
Je vais écrire dans cet esprit à M. Berryer et l’ordre du roi à Fontainebleau sera pour lui un nouveau motif de me marquer sa bienveillance, et une nouvelle facilité de faire entendre raison aux personnes qui pourraient favoriser encore la cabale qui s’est élevée contre moi ; je suis fâché que M. le duc d’Aumont soit le seul qui ne réponde point à mes lettres [le 10 V* informait d’Argental qu’il écrivait à la reine – par l’intermédiaire et avec l’appui de Stanislas- , à Mme de Pompadour, à Mme d’Aiguillon, à la duchesse de Villars, à Mme de Luynes, au président Hénault, au duc de Fleury, au duc de Gesvres…], mais je n’en compte pas moins sur la fermeté et la chaleur de ses bons offices animés par votre amitié . Je vous demande en grâce de m’instruire de tout ce qui se passe sur cette affaire qui m’est devenue très essentielle.
La reine m’a fait écrire par Mme de Luynes que les parodies étaient d’usage, et qu’on avait travesti Virgile. Je réponds que ce n’est pas un compatriote de Virgile qui a fait l’Énéide travestie [Les parodies de Virgile les plus connues sont celles de Scarron, Perrault, Furetière]; que les Romains en étaient incapables ; que si on avait récité une Énéide burlesque à Auguste, et à Octave, Virgile en aurait été indigné ; que cette sottise était réservée à notre nation longtemps grossière, et toujours frivole ; qu’on a trompé la reine quand on lui a dit que les parodies étaient encore d’usage, qu’il y a cinq ans qu’elles sont défendues ; que le théâtre français entre dans l’éducation de tous les princes de l’Europe et que Gilles et Pierrot ne sont pas faits pour former l’esprit des descendants de Saint Louis . Au reste si j’ai écrit une capucinade, c’est à une capucine [ V* avait entrepris la pièce pour les relevailles de la dauphine qui mourut avant qu’il eut fini].
Voici, mon divin ange, une autre grâce que je vous demande . C’est de savoir au juste et au plus vite de Mlle Quinault de quel remède elle s’est servie pour faire passer un énorme goitre dont elle s’est défaite. Il y a ici une femme beaucoup plus jolie qu’elle, qui a un cou extrêmement affligé de cette maladie, et vous rendriez un grand service à elle et à ses amants de nous envoyer la joyeuse recette de la demoiselle Quinault. Ajoutez cette grâce à tant d’autres bontés .
Tout ce que je vous dis est pour Mme d’Argental . Vous savez comme je vous adore tous les deux par indivis.
Et mes moyeux ? Ah ! Monsieur de Pont de Veyle, mes moyeux !
V.
A Lunéville ce 23 octobre 1748.
Ce 24.
Je reçois votre lettre , et je vous fais de nouveaux remerciements des ordres que vous avez donnés à Slodtz . Ils ont bien à réparer, et ils ont grand besoin d’être conduits par quelque homme qui entende l’effet des décorations. La grossièreté et l’ineptie de leur exécution a servi beaucoup à révolter le public qui s’attendait à du merveilleux.
Le roi de Pologne qui avait envoyé ma lettre à la reine, et qui en était très content a été fort piqué que nos adversaires aient prévalu auprès de la reine et que ce ne soit pas à elle à qui j’aie l’obligation de la suppression de l’Infamie. Les mêmes gens qui avaient fait la calomnie sur Zadig ont continué sous main leurs bons offices, et le roi de Pologne en est très instruit . Dites cela à l’abbé de Bernis, et qu’il écrive à Mme de Pompadour pour la suppression de l’Infamie à la ville comme à la cour.
Je tâcherai, mes anges, de revenir à la fin de novembre, car j’ai besoin de vous dire combien je suis pénétré de tant de bontés. Mon dernier mémoire pour les comédiens ne doit être assurément présenté qu’à la dernière extrémité. C’est ce que j’ai dit expressément, et ce n’est qu’une ressource pour attendre l’année de M. de Richelieu, mais la meilleure de toutes les ressources, c’est vous .
Je suppose que les comédiens tout négligents qu’ils sont ont fait usage des premiers mémoires.
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20/10/2009
Combattant contre l’oisiveté et l’ignorance naturelle avec laquelle nous sommes nés
J'ai le bonheur de disposer encore de mes cinq sens, le sixième étant un sens interdit que je prend nuitamment, sans aucun risque, pour cause de travaux. N'appelez pas les bleus, ils sont couchés à cette heure là (en tout cas, je le souhaite ! ). Bon , puisque personne ne réagit, je vais me coucher moi aussi .
"Il y a beaucoup de maisons dans la demeure de mon père" disent les écritures, oui il y a beaucoup de maisons -demeures de l'Etat- pendant que des malheureux se gèlent dehors . M. Jean S.....y, si vous êtes assez couillu pour vous présenter à un poste de président sans autre bagage que votre bagout et un père logorrhéique à tic , occuppez-vous vite de ceux qui vivent sous des cartons ; sinon , circulez, y'a rien à voir, gardez votre Rolex, je garde mon Solex !


"
"Eh bien moi, je préfère ma petite jument" nous aurais déclaré le Patriarche de Ferney à qui on présentait un Solex chinois, et "je ne veux point d'autre montre que de Ferney, les Genevois vont savoir qu'on est meilleurs qu'eux, et dans vingt ans, nous serons maitres de ce marché !" devant une Rolex genevoise fabriquée par des français, italiens, espagnols, etc .
« A Pierre-Joseph Thoulier d’Olivet
Quoique je sois en commerce avec Neuton Maupertuis, et avec Descartes Mairan, cela n’empêche pas que Quintillien d’Olivet ne soit toujours dans mon cœur et que je ne le regarde comme mon maître et mon ami. Multae sunt mansiones in domo patris mei [Il y a beaucoup de maisons dans la demeure de mon père.], et je peux encore dire : in domo mea. Je passe ma vie , mon cher abbé, avec une dame qui fait travailler trois cents ouvriers, qui entend Neuton, Virgile et Le Tasse, et qui ne dédaigne pas de jouer au piquet.[Emilie du Châtelet, le château est en plein travaux encore] Voilà l’exemple que je tâche de suivre quoique de très loin. Je vous avoue , mon cher maître, que je vois pas pourquoi l’étude de la physique écraserait les fleurs de la poésie. La vérité est-elle si malheureuse qu’elle ne puisse souffrir les ornements ? L’art de bien penser, de parler avec éloquence, de sentir vivement et de s’exprimer de même serait-il donc l’ennemi de la philosophie ? Non, sans doute ce serait penser en barbare. Malebranche, dit-on, et Pascal avaient l’esprit bouché pour les vers. Tant pis pour eux, je les regarde comme des hommes bien formés d’ailleurs, mais qui auraient le malheur de manquer d’un des cinq sens.
Je sais qu’on s’est bien étonné et qu’on m’a même fait l’honneur de me haïr, de ce qu’ayant commencé par la poésie je m’étais ensuite attaché à l’histoire et que je finissais par la philosophie. Mais, s’il vous plait, que faisais-je au collège, quand vous aviez la bonté de former mon esprit ? Que me faisiez-vous lire et apprendre par cœur à moi et aux autres ? Des poètes, des historiens, des philosophes . Il est plaisant qu’on n’ose pas exiger de nous dans le monde ce qu’on a exigé dans le collège, et qu’on n’ose pas attendre d’un esprit fait les mêmes choses auxquelles on exerça son enfance.
Je sais fort bien et je sens encore mieux que l’esprit de l’homme est très borné mais c’est par cette raison-là même qu’il faut tâcher d’étendre les frontières de ce petit État, en combattant contre l’oisiveté et l’ignorance naturelle avec laquelle nous sommes nés. Je n’irai pas en un jour faire le plan d’une tragédie et des expériences de physique, sed omnia tempus habent [Mais toutes choses ont leur temps.], et quand j’ai passé trois mois dans les épines des mathématiques je suis fort aise de retrouver des fleurs.
Je trouve même fort mauvais que le père Castel ait dit dans un extrait des Éléments de Neuton [Dans les Mémoires de Trévoux], que je passais du frivole au solide . S’il savait ce que c’est que le travail d’une tragédie et d’un poème épique, si sciret donum dei [S’il connaissait le don de Dieu], il n’aurait pas lâché cette parole . La Henriade m’a coûté dix ans , les Éléments de Neuton m’ont coûté six mois et ce qu’il y a de pis, c’est que La Henriade n’est pas encore faite . J’y travaille encore quand le dieu qui l’a fait faire m’ordonne de la corriger, car, comme vous savez,
Est deus in nobis agitante calescimus illo.
[Il y a un dieu en nous, nous nous enflammons sous son action.]
Et pour vous prouver que je sacrifie encore aux autels de ce dieu, c’est que M. Thiriot doit vous faire lire une Mérope de ma façon [Mérope remaniée], une tragédie française, où, sans amour, sans le secours de la religion une mère fournit cinq aces entiers . Je vous prie de m’en dire votre sentiment tout aussi naïvement que vous l’avez dit à Rousseau sur les Ayeux chimériques [d’Olivet est un des signataires d’un sonnet et d’une lettre adressée par « Voltaire et d’autres » à Jean-Baptiste Rousseau, où étaient attaquées ses « trois épitres gothiques » et son « ode détestable sur la paix » et son « impertinente comédie des Ayeux Chimériques ».]
Je sais que non seulement vous m’aimez mais vous aimez aussi la gloire des lettres, et celle de votre siècle. Vous êtes bien loin de ressembler à tant d’académiciens, soit de votre tripot [l’Académie française], soit de celui des inscriptions, qui n’ayant jamais rien produit, sont les mortels ennemis de tout homme de génie et de talent, qui se donneront bien de garde d’avouer que de leur vivant la France a eu un poète épique , qui loueront jusqu’au Camouens [Luis de Camouens (1524-1580, auteur des Lusiades (1572), traduites par Duperron de Castera en 1735] pour me rabaisser, et qui me lisant en secret, affecteront en public de garder le silence sur ce qu’ils estiment malgré eux. Peut être extinctus amabitu idem [Une fois mort le même sera aimé]. Vous êtes trop au-dessus de ces lâches cabales formées par les esprits médiocres, vous encouragez trop les arts par vos excellents préceptes pour ne pas chérir un homme qui a été formé par eux .Je ne sais pourquoi vous m’appelez pauvre ermite. Si vous aviez vu mon ermitage, vous seriez bien loin de me plaindre gardez-vous de confondre le tonneau de Diogène avec le palais d’Aristippe [voir une phrase du portrait malveillant de Voltaire qui a circulé en 1735, où on disait « le matin Aristippe et Diogène le soir »]. Notre première philosophie est ici de jouir de tous les agréments qu’on peut se procurer. Nous saurions très bien nous en passer , mais nous savons aussi en faire usage, et peut êtes si vous veniez à Cirey, préféreriez-vous la douceur de ce séjour à toutes les infâmes cabales des gens de lettres, au brigandage des journaux, aux jalousies, aux querelles, aux calomnies , qui infectent la littérature. Il y a des têtes couronnées, mon cher abbé, qui ont envoyé dans cet ermitage de Mme du Châtelet leurs favoris pour venir l’admirer [Le favori de Frédéric, Dietrich von Kayserlingk a été envoyé l’été précedent], et qui voudraient y venir eux-mêmes ; et si vous y veniez nous en serions tout aussi flattés. La visite du sage vaut celle des princes .
Adieu, je ne vous écris point de ma main, je suis malade, je vous embrasse tendrement . Adieu, mon ami et mon maître.
V.
A Cirey ce 20 octobre 1738. »
.
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19/10/2009
Quand tout le parterre crierait que c’est moi, il faut dire qu’il n’en est rien.

« A Jeanne-Françoise Quinault
Charmante Thalie, j’ai bien peur que l’Enfant prod[igue] ne soit bientôt enterré avec la chienne noire, mais il n’y a ni ouvrage ni chien qui puisse durer autant que ma tendre reconnaissance et mon attachement pour vous .
Vous pourriez engager M. de Ponde [M. de Pont de Veyle ; M. d’Argental] ou M. Dar, à m’envoyer par la poste le pièce telle qu’on la joue [la première avait eu lieu le 10 octobre]. Ils sont à portée de faire contresigner le paquet, et on a le plaisir d’avoir son enfant au bout de deux jours. Sinon je vous supplierais de l’envoyer à cet avocat Robert qui va toujours partir pour Cirey . Il faudrait avoir la bonté de mettre l’adresse à Mme la marquise du Châtelet.
Je ne connais point du tout Mlles Fessard . Je n’ai point écrit à Mme la duchesse de Saint-P. [De Saint-Pierre . Mlles Fessard et la duchesse de Saint-Pierre disent que son Enfant prodigue est de lui .] depuis mon départ. Je n’ai dit mon secret à personne [ La pièce avait été jouée anonymement et sans être annoncée ; c’est Britannicus qui était inscrit au programme ( il n’avait pu être joué suite à la maladie d’un acteur)]. Niez toujours fort et ferme, quand tout le parterre crierait que c’est moi, il faut dire qu’il n’en est rien.
Si la pièce n’est ni digne de tant de bontés de votre part, ni utile aux comédiens, ni flatteuse pour son auteur, du moins j’en aurai tiré un avantage, qui m’est plus cher que les plus grands succès, j’aurai connu tout ce que vous valez dans le commerce de la vie, et combien vous êtes au dessus de tous les rôles que vous embellissez, et de tous les auteurs que vous faites valoir.
Quoi ! aimable Thalie, une chienne noire vient accoucher chez vous ! Voilà la plus belle nouvelle du monde. Je vous conjure de me retenir un chien et une chienne. J’espère que le père fera un jour dans Cirey beaucoup d’enfants à la sœur , et que dans peu d’années , nous aurons d’inceste en inceste une meute de petits noirs. Voilà la fable du pot au lait , et tout est pot au lait. L’Enfant prodigue est un de ces pots là. Votre amitié, vos bontés pour moi seront quelque chose de plus réel.
Adieu, divinité que j’ai habillée de crotte . Je vous jure de ne vous donner jamais de Croupillac [Personnage de la pièce . V* écrivait le 7 septembre : « Je vous demande bien pardon pour la Croupillac. Cette bégueule-là gâte à mon gré un ouvrage qui pourrait réussir. »] de ma vie.
Encore un petit mot . Le public est donc bien raffiné. Il trouve mauvais qu’il y ait du plaisant dans l’Enfant prod[igue] et s’il n’y en avait point eu il aurait dit : c’est une tragédie.
Encore un mot . Ce Rousseau est donc un grand faquin de vouloir bannir l’intérêt [Jean-Baptiste Rousseau a écrit une épître sur la comédie]. Le fat ! confondez le et continuez-moi vos bontés.
Voltaire
A Cirey ce 19 octobre 1736. »
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18/10/2009
Cartes de géographie : C’est peut-être le seul art dans lequel les derniers ouvrages sont toujours les meilleurs
"Je suis peu au fait des cabales de votre Paris et de votre Versailles " , c'est vrai pour moi qui ces temps -ci me détache nettement de l'actualité, au point, rendez-vous compte, de ne voir Kho lanta que dans la nuit de mardi à mercredi à des heures que connaisssent bien les parents de bébés affamés :
- 2h du mat
- j'ai des frissons
- bébé braille
- il monte le son
- j'me sens tout seul
- tout seul dans mon lit
- maman ravitaille du bout du sein
- le fruit de ses entrailles
- sacré gamin !
Sur l'air bien connu : http://www.dailymotion.com/video/x48f42_5-heures-du-mat-j...
avec mes excuses pour le décalage horaire, j'ai le jet lag !

Et maintenant, sans transition , quelques "pauvres et inutiles vérités philosophiques" d'un modeste penseur du XVIIIème siècle qui me plaisent .
« A Nicolas-Claude Thiriot
M. Helvetius m’a envoyé son Esprit, mon ancien ami ; ainsi vous voilà délivré du soin de me le faire parvenir : je ne veux point avoir double esprit comme Élisée. Je suis peu au fait des cabales de votre Paris et de votre Versailles .J’ignore ce qui a excité un si grand soulèvement contre un philosophe estimable qui (à l’exemple de saint Matthieu) a quitté la finance pour suivre la vérité [Helvétius était fermier général ; le privilège pour l’impression, accordé le 12 mai, était révoqué le 12 août, et le censeur J.-P. Tercier qui l’avait accordé avait été destitué . Le livre fut condamné par le Parlement le 6 février 1759 et brûlé le 10 février]. Il ne s’agit dans son livre que de ces pauvres et inutiles vérités philosophiques qui ne font tort à personne, qui sont lues par très peu de gens, et jugées par un plus petit nombre encore en connaissance de cause. Il y a tel homme dont la simple signature, mise au bas d’une pancarte mal écrite, fait plus de mal à une province que tous les livres des philosophes n’en pourront jamais causer. Cependant ce sont ces philosophes, incapables de nuire, qu’on persécute.
Je ne suis pas de son avis en bien des choses : il s’en faut de beaucoup ; et s’il m’avait consulté, je lui aurais conseillé de faire son livre autrement ; mais tel qu’il est, il y a beaucoup de bon, et je n’y vois rien de dangereux. On dira peut-être que j’ai les yeux gâtés.
Il faut qu’Helvétius ait quelques ennemis secrets qui aient dénoncé son livre aux sots, et qui aient animé les fanatiques. Dites-moi ce qui lui a attiré un tel orage. Il y a cent choses beaucoup plus fortes dans l’Esprit des lois, et surtout dans les Lettres persanes. Le proverbe est bien vrai qu’il n’y a qu’heur et malheur en ce monde.
Au lieu de me faire avoir cet Esprit, pourriez-vous avoir la charité de m’indiquer quelque bon atlas nouveau, bien fait, bien net, où mes vieux yeux vissent commodément le théâtre de la guerre, et des misères humaines. Je n’ai que d’anciennes cartes de géographie. C’est peut-être le seul art dans lequel les derniers ouvrages sont toujours les meilleurs. Il n’en est pas de même, à ce que je vois, des pièces de théâtre, des romans, des vers, des ouvrages de morale etc.
Je dicte ce rogaton, mon cher ami, parce que je suis un peu malade aujourd’hui. Mais j’ai toujours assez de force pour vous assurer de ma main que je vous aime de tout mon cœur.
V.
18 octobre 1758. »
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16/10/2009
une plus grande souveraine nommée Mme du Châtelet me rappelle à Paris .
Note rédigée le 23 août 2011 pour parution le 16 octobre 2009
http://www.youtube.com/watch?v=fNabASQ1N5k
« A Pierre-Louis Moreau de Maupertuis
membre de toutes les académies de l'Europe
chez M. Moreau de Maupertuis
rue Sainte Anne à Paris
A Brunswik 16 octobre 1743
J'ai reçu dans mes courses la lettre où mon cher aplatisseur de ce globe 1 daigne se souvenir de moi avec tant d'amitié . Est-il possible que je ne vous aurai jamais vu que comme un météore toujours brillant et toujours fuyant de moi ? n'aurai-je pas la consolation de vous embrasser à Paris ? J'ai fait tous vos compliments à vos amis de Berlin, c'est-à-dire toute la cour, et particulièrement à M. de Valori, vous êtes là comme ailleurs aimé et regretté ; on m'a mené à l'académie de Berlin, où le médecin Eller a fait des expériences par lesquelles il fait croire qu'il change l'eau en air élastique . Mais j'ai été encore plus frappé de l'opéra de Titus 2, qui est un chef-d’œuvre de musique . C'est, sans vanité, une galanterie que le roi m'a faite, ou plutôt à lui ; il a voulu que je l'admirasse dans sa gloire . Sa salle d'opéra est la plus belle de l'Europe . Charlottembourg est un séjour délicieux, Frédéric en fait les honneurs et le roi n'en sait rien . Le roi n'a pas encore fait tout ce qu'il voulait . Mais sa cour, quand il veut bien avoir une cour, respire la magnificence et le plaisir . On vit à Potsdam comme dans le château d'un seigneur français qui a de l'esprit, en dépit du grand bataillon des gardes, qui me paraît le plus terrible bataillon de ce monde . Jordan ressemble toujours à Ragotin 3, mais c'est Ragotin bon garçon et discret avec seize cents écus d'Allemagne de pension . D'Argens est chambellan avec une clé d'or à sa poche, et cent louis dedans payés par mois . Chazot, ce Chazot que vous avez vu maudissant la destinée doit la bénir ; il est major, et a un gros escadron qui lui vaut environ seize mille livres au moins par an . Il l'a bien mérité, ayant sauvé le bagage du roi à la dernière bataille 4. Je pourrais dans ma sphère pacifique jouir aussi des bontés du roi de Prusse, mais vous savez qu'une plus grande souveraine nommée Mme du Châtelet me rappelle à Paris . Je suis comme ces Grecs qui renonçaient à la cour du grand roi pour venir être honnis par le peuple d'Athènes .
J'ai passé quelques jours à Bareith . Son Altesse Royale m'a bien parlé de vous 5. Bareith est une retraite délicieuse où on jouit de tout ce qu’une cour a d'agréable sans les incommodités de la grandeur . Brunswik où je suis a une autre espèce de charmes . C'est un voyage céleste où je passe de planète en planète pour revoir enfin ce tumultueux Paris où je serai très malheureux si je ne vois pas l'unique Maupertuis que j'admire et que j'aime pour toute ma vie .
V. »
1 Voir lettre du 6 octobre 1741 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/10/07/il-y-a-une-sorte-de-gloire-et-du-repos-dans-le-refus.html
2 Tito Vespasiano, ovvero la Clemenza di Tito, musique de J. A .de Hasse, livret de Metastasio . Dans ses Mémoires, V* écrira qu'il était « mis en musique par le roi lui-même aidé de son compositeur »
3 Personnage dans Le Roman comique de Scarron. http://books.google.com/books?id=OdIPAAAAYAAJ&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false
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