21/10/2022
Où est le temps que je n’avais que soixante-dix ans ! je vous assure que je jouais les vieillards parfaitement
... Et je n'aurais pu le faire si le couperet de la retraite était tombé sur ma tête à la soixantaine .
« A Pierre-Laurent Buirette de Belloy
A Ferney, le 19 Avril 1767 1
Je suis bien touché, monsieur, de vos sentiments nobles, de votre lettre et de vos pièces 2. Il n’y a point de pièces de théâtre qui aient excité en moi tant de sensibilité. Vous faites plus d’honneur à la littérature que tous les Frérons 3 ne peuvent lui faire de honte. On reconnaît bien en vous le véritable talent. Il ressemble parfaitement au portrait que saint Paul fait de la charité 4; il la peint indulgente, pleine de bonté, et exempte d’envie . C’est le meilleur morceau de saint Paul, sans contredit, et vous me pardonnerez de vous citer un apôtre le saint jour de Pâques.
Il est vrai que nos beaux-arts penchent un peu vers leur chute . Mais ce qui me console, c’est que vous êtes jeune et que vous aurez tout le temps de former des auteurs et des acteurs. Les vers que vous m’envoyez sont charmants. J’ai avec moi M. et Mme de La Harpe, qui en sentent tout le prix, aussi bien que ma nièce. Il y a longtemps que nous aurions joué le Siège de Calais sur notre petit théâtre de Ferney, si notre compagnie eût été plus nombreuse. Nous ne pouvons malheureusement jouer que des pièces où il y a peu d’acteurs. M. de Chabanon va venir chez nous avec une tragédie ; nous la jouerons, et, dès que vous aurez donné La comtesse de Vergy , notre petit théâtre s’en saisira 5. On ne s’est pas mal tiré de la Partie de Chasse de Henri IV, de M. Collé. Où est le temps que je n’avais que soixante-dix ans ! je vous assure que je jouais les vieillards parfaitement. Ma nièce faisait verser des larmes, et c’est là le grand point. Pour M. et Mme de La Harpe, je ne connais guère de plus grands acteurs.
Vous voyez que vos beaux fruits de Babylone croissent entre nos montagnes de Scythie 6; mais ce sont des ananas cultivés à l’ombre dans une serre, loin de votre brillant soleil 7.
Adieu, monsieur ; vous me faites aimer plus que jamais les arts, que j’ai cultivés toute ma vie. Je vous remercie ; je vous aime, je vous estime trop pour employer ici les vaines formules ordinaires, qui n’ont pas certainement été inventées par l’amitié. »
1 Copie ancienne . L'édition « Lettre de M. de Voltaire à M. de Belloy », Mercure de France, juin 1767 , abrégée et non datée .
2L'édition 1 donne : de vos vers . Belloy a envoyé à V* une lettre écrite vers le 10 avril 1767 conservée dans le Mercure de France avec des « vers sur la première représentation de la tragédie des Scythes » ainsi que ses pièces Le Siège de Calais, et Gabrielle de Vergy .
3 L'édition 1 remplace tous les Frérons par certains critiques .
4 Épîtres aux Corinthiens, XIII, 4 : https://bible.catholique.org/1ere-epitre-de-saint-paul-apotre-aux/3373-chapitre-13
5 Voir une phrase de ce genre dans le dernier paragraphe de la lettre du 10 février 1767 à d'Hermenches : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/06/19/serait-il-possible-que-je-ne-jouisse-pas-mais-mon-coeur-sera-6387787.html
6 On rectifie le texte de l'édition Besterman qui porte de Scythe pour de Scythie .
7 Ce paragraphe manque dans le Mercure de France . La mention de Babylone fait penser à La Princesse de Babylone, à laquelle V* songeait certainement déjà ; voir en effet le début de la lettre du 22 avril 1767 à d'Argental : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/05/correspondance-a...
Mais bien entendu Babylone désigne ici Paris, comme c'est habituel chez V*
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20/10/2022
Au parti que je prends je me suis condamnée.
... dit , la mort dans l'âme ( enfin, pas tout à fait ! ), Elisabeth Borne en dégainant le 49-3 . E viva la costituzione !
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
19 avril 1767 1
Je devrais dépouiller le vieil homme 2 dans ce saint jour de Pâques, et me défaire du vieux levain ;
Mais enfin je suis Scythe, et le fus pour vous plaire. 3
Je plaide encore pour les Scythes du fond de mes déserts. Voilà trois éditions de ces pauvres Scythes, celle des Cramer, celle de Lacombe, et une autre qu’un nommé Pellet vient de faire à Genève ; on en donnera pourtant bientôt une quatrième, dans laquelle seront tous les changements que j’ai envoyés à mes anges et à M. de Thibouville, avec ceux que je ferai encore si Dieu prend pitié de moi. Je ne plains point ma peine ; mais voyez ma misère ! Toutes les lettres qu’on m’écrit se contredisent à faire pouffer de rire . Une des critiques les plus plaisantes est celle de quelques belles dames qui disent : « Ah ! pourquoi Obéide va-t-elle s’aviser d’épouser un jeune Scythe, c’est-à-dire un Suisse du canton de Zug, lorsque dans le fond de son cœur elle aime Athamare, c’est-à-dire un marquis français ? » Mais, ô mes très belles dames ! ayez la bonté de considérer que son marquis français est marié, et qu’elle ne peut savoir que madame la marquise est morte. Cette fille fait très bien de chercher à oublier pour jamais un marquis qui a ruiné son pauvre père ; et ces vers que vous m’avez conseillés, et que j’ai ajoutés trop tard, ces vers assez passables, dis-je, répondent à toutes ces critiques :
Au parti que je prends je me suis condamnée.
Va, si j’aime en secret les lieux où je suis née,
Mon cœur doit s’en punir il se doit imposer
Un frein qui le retienne et qu’il n’ose briser.4
Je vous assure encore que le second acte, récité par Mme de La Harpe, arrache des larmes. Soyez bien persuadé que si la scène du troisième acte entre Athamare et Obéide était bien jouée, elle ferait une très vive impression.
Pleurez donc, mademoiselle Obéide, lorsque Athamare vous dit :
Elle l’est dans la haine, et lui seul est coupable.5
Pleurez en disant :
Tu ne le fus que trop ; tu l’es de me revoir,
De m’aimer, d’attendrir un cœur au désespoir,
Destructeur malheureux d’une triste famille,
Laisse pleurer en paix et le père et la fille, etc.6
Et vous, Athamare, dites d’une manière vive et sensible :
Juge de mon amour ! il me force au respect.
J’obéis… Dieux puissants, qui voyez mon offense,
Secondez mon amour, et guidez ma vengeance, etc. 7
La scène des deux vieillards, au quatrième acte, attendrit tous ceux qui n’ont point abjuré les sentiments de la simple nature. Mais ces sentiments sont toujours étouffés dans un parterre rempli de petites critiques à qui la nature est toujours étrangère dans le tumulte des cabales. C’est ce qui arriva à la scène touchante de Sémiramis et de Ninias ; c’est ce qui arriva à la scène de l’urne dans Oreste ; c’est ce que vous avez vu dans Tancrède et dans Olympie. Trois amis y seront , etc.,8 est très à sa place, très naturel, très touchant ; mais avec des acteurs froids et intimidés rendent tout ridicule aux yeux d’un public frivole et barbare, qui ne court à une première représentation que pour faire tomber la pièce.
Les deux dernières représentations ne subjuguèrent l’hydre qu’à moitié, parce que les acteurs n’étaient point encore parvenus à ce degré nécessaire de sensibilité qui est le maître des cœurs. Ce n’est qu’avec le temps qu’on goûtera ces mœurs champêtres, cette simplicité si touchante mise en opposition avec l’insolence du despotisme et la fureur des passions d’un jeune prince qui se croit tout permis. C’est précisément au parterre que cela doit plaire. Tous les gens de lettres sont de mon avis. On s’apercevra aussi que le style n’est point négligé, et que sa naïveté, convenable au sujet, loin d’être un défaut, est un véritable ornement ; car tout ce qui est convenable est bien. Les mots de toison, de glèbe, de gazons, de mousse, de feuillage, de soie, de lacs, de fontaines, de pâtre,9 etc., qui seraient ridicules dans une autre tragédie, sont ici heureusement employés. Mais cette convenance n’est sentie qu’à la longue ; elle plaît quand on y est accoutumé.
J’ai dit, dans la préface, que la pièce est très difficile à jouer, et j’ai eu grande raison. Voilà les acteurs enfin un peu accoutumés. Profitez donc, je vous en supplie, mes anges, de ce moment favorable ; faites reprendre la pièce après Pâques. La nature, après tout, est partout la même, et il faudra bien qu’elle parle dans votre Babylone comme dans ma Scythie. Si Brisard peut avoir plus de sentiment, si d'Oberval peut être moins gauche, si Pin pouvait être moins ridicule, s’ils pouvaient prendre des leçons dont ils ont besoin, si de jeunes bergères vêtues de blanc venaient attacher des guirlandes, dans le deuxième acte, aux arbres qui entourent l’autel, pendant qu’Obéide parle, si elles venaient le couvrir d’un crêpe dans la première scène du cinquième acte, si tous les acteurs étaient de concert, si les confidents étaient supportables, je vous réponds que cela ferait un beau spectacle.
Essayez, je vous prie, et surtout qu’Obéide sache pleurer. Je vois bien qu’elle 10 n’est point faite pour les rôles attendrissants ; il lui faudra des Léontine 11 qui disent des injures à un empereur dans sa maison, contre toute bienséance et contre toute vraisemblance. Il lui faudra des Cléopâtre 12 qui fassent à ses deux enfants la proposition absurde d’assassiner leur maîtresse. Le parterre aime encore ces sottises gigantesques, à la bonne heure ! Pour moi, qui suis le très humble et très obéissant serviteur du naturel et du vrai, je déteste cordialement ces prestiges dramatiques.
Je crois que je vais bientôt quitter ma Scythie, et en chercher une autre ; ma santé ne peut plus tenir à l’hiver barbare qui nous accable au mois d’avril, et aux neiges qui nous environnent, lorsque ailleurs on mange des petits pois. Les commis sont devenus plus affreux que les neiges. Je veux fuir les loups et les frimas.
En voilà trop ; respect et tendresse, mes anges.
N. B. – Vous n'aimez peut-être pas Marmontel, mais vous n'aimez pas assurément la Sorbonne .
Permettez que je vous adresse cette réponse pour M. du Belloy 13 . Voici la cinquantième lettre que j'écris depuis deux jours . Comment rapetasser un drame ? »
1 Original, le second paragraphe du post-scriptum, autographe ; édition de Kehl . Les deux premiers tiers de la lettre manquent dans le manuscrit, dont le texte ne commence qu'avec de toison, de glèbe ,[..,]. le post-scriptum , rayé sur la copie Beaumarchais-Kehl , manque dans toutes les éditions .
2 Ière épître aux Corinthiens, v. 7-8 ; voir Ephésiens, IV, 22 ; Colossiens, III, 9.
Voir : https://www.aelf.org/bible/1co/7
3 Act. V, sc. II.
4 Act. II, sc I.
5 Act. III, sc II.
6 Act. III, sc II.
7 Act. III, sc II.
8Ac. IV, sc. 6.
9Les mots toison, soie, lacs, fontaines sont tirés de l'acte I, sc. 1 ; glèbe de l'acte IV, sc. 2 ; gazon des indications scéniques des actes I, sc. 1 et IV, sc. 5 ; mousse et feuillage, de l'acte , sc ; 3 ; pâtres de l'acte I, sc. 2 .
10 Mademoiselle Durancy. (G.Avenel.)
11 Comme dans Héraclius, de Corneille. (G.A.)
12 Comme dans Rodogune, de Corneille . (G.A.)
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19/10/2022
Vous me ferez un plaisir extrême de faire dépêcher les feuilles suivantes
... Le budget ne doit plus attendre , dégainons le 49-3 !
Que les grèves cessent, elles nous ruinent, et seules quelques catégories pistonnées par des syndicats vont y gagner maintenant et puis finalement couper la branche où elles seront perchées , elles n'auront qu'augmenté la hauteur de leur chute . Gagner plus, dépenser pour plus cher, je ne vois pas l'intérêt .
« A Henri Rieu
18 avril 1767
Mon cher ami, je suis aussi honteux que reconnaissant, je rougis autant que je vous aime .
Je vous renvoie les trois premières feuilles corrigées ; je suppose qu'elles ne sont point tirées ; il y a beaucoup de fautes . Je ne sais qui a oublié quatre vers, si c'est l'éditeur ou moi ; je les ai replacés il n'y a plus qu'à serrer à la page 22, en rapprochant le titre de la scène . Vous me ferez un plaisir extrême de faire dépêcher les feuilles suivantes . Permettez-moi d'en acheter plusieurs exemplaires et de souscrire pour quatre exemplaires du total . Pellet me paraît un bon enfant et je m'intéresse tout à fait à lui 1. »
1 Cette lettre et des références ultérieures ont conduit à une découverte bibliographique importante : Le Théâtre français, ou Recueil de toutes les pièces françaises restées au théâtre . Avec les vies des auteurs, des anecdotes sur celles des plus célèbres acteurs et actrices, et quelques dissertations historiques sur le théâtre (1767-1769), 12vol. , avec une dédicace à Voltaire des éditeurs P. Pellet et fils datée du 15 avril 1767, publiée par les soins de V* avec des morceaux critiques de sa plume . Voir page 13 : https://elar.urfu.ru/bitstream/10995/21665/1/us2001-13.pdf
Voir Samuel Taylor : « La collaboration de Voltaire au Théâtre Français (1767-1769), Studies on Voltaire and the Eighteenth century, 1961 .
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18/10/2022
Il y a des hommes qui ne sont jamais occupés qu'à nuire
... Liste interminable rien qu'en s'en tenant à des chefs d'Etats, de gouvernements, de ministères, d'églises et religions, il est alors quasi désespérant de tenter de compter aussi ceux qui les soutiennent et les encensent . Fort heureusement, ils ne sont pas immortels .
« A Etienne-Noël Damilaville
17 avril [1767]
Monsieur, la famille des Sirven a renvoyé selon vos ordres, à M. de Courteilles, le mémoire signé pour être remis à M. l’avocat de Beaumont par votre entremise ; ayez la bonté de le retirer avec les autres pièces .
Toute notre famille est fort étonnée et très indignée de la démarche odieuse faite auprès de M. de Meaux . Il y a des hommes qui ne sont jamais occupés qu'à nuire . Nous prions Dieu, qui bénit notre petit commerce, qu'il ne vous fasse point tomber sous la dent de ces gens-là . M. Raitvole 1 dit vous avoir envoyé le livre cité par Fabricius 2, qu'il a eu bien de la peine à trouver . Il y a longtemps qu'on ne trouve plus dans nos quartiers de livres espagnols .
Mon épouse vous salue . J’ai l'honneur d'être très cordialement,
Boursier . »
1 Anagramme de Voltaire .
2 On ne comprends guère cette référence à Fabricius ; mais la mention des « livres espagnols » apprend qu'il s'agit des Questions de Zapata . Voir : https://books.google.fr/books?id=WDQHAAAAQAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
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17/10/2022
le blocus de mon petit pays me met à la gêne
... Ce qui, à l'opposé, réjouit complètement M. Martinez de la CGT ! M. Martinez vous êtes un fieffé tordu, et votre mantra "la réquisition est une atteinte intolérable au droit de grève" est celui d'un pauvre d'esprit malfaisant .
« A Charles Bordes
Je suis dans la nouvelle Scythie, mon cher monsieur, et j’ai perdu toute idée de l’ancienne . Je ne puis plus tenir au vent de bise et à votre éloignement. Les neiges qui m’entourent me rendent aveugle ; le vent me tue ; les tracasseries de Genève m’ennuient ; le blocus de mon petit pays me met à la gêne. On m’a parlé d’une jolie maison sur la Saône, à une lieue de votre belle ville. Si je puis l’acheter sur la tête de madame Denis, à un prix convenable, je ferai le marché, et je partagerai mon temps entre Ferney et cette maison. Mandez-moi sur votre honneur, je vous en prie, si vous avez eu aujourd’hui vendredi 17 avril, un vent affreux et de la neige.
Connaissez-vous l’Anecdote sur Bélisaire ? Si vous ne l’avez pas je vous l’enverrai, et tant que je serai près de Genève, je me charge de vous fournir toutes les nouveautés ; vous n’aurez qu’à parler. Adieu, mon cher confrère. Votre très humble et très obéissant serviteur
V.
A Ferney , 17è avril 1767. 1»
1 L'édition de Kehl amalgame des extraits de cette lettre avec celle du 11 février 1767 et celle du 13 mai 1767 pour en faire une lettre unique ; Cayrol donne la version de l'original .
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16/10/2022
Plus la rage du fanatisme exhale de poison, plus elle rend service à la vérité. Rien n’est plus heureux que de réduire ses ennemis à mentir
...
« A Philippe-Antoine de Claris, marquis de Florian
Le 16 Avril [1767]
En réponse à la lettre du 3 d’avril du cher grand-écuyer, je dirai à toute la famille que mon voyage à Montbéliard est absolument nécessaire ; mais je ne le ferai que dans la saison la plus favorable.
Le succès de l’affaire des Sirven me paraît infaillible, quoi qu’en dise Fréron. La calomnie absurde contre cette pauvre servante des Calas ne peut servir qu’à indigner tout le conseil, que cette calomnie attaquait vivement, en supposant qu’il avait protégé des coupables contre un parlement équitable et judicieux. Plus la rage du fanatisme exhale de poison, plus elle rend service à la vérité. Rien n’est plus heureux que de réduire ses ennemis à mentir.
Le prince au service duquel est Morival m’a mandé 1 qu’il l’avait fait enseigne, et qu’il aurait soin de lui. Il est aussi indigné que moi de cette abominable aventure, que j’ai toujours sur le cœur.
Nous sommes embarrassés de toutes les façons à Ferney. Vous pensez bien, messieurs, que les commis condamnés à restituer les cinquante louis d’or 2 cherchent à les regagner par toutes les vexations de leur métier. Nous sommes en pays ennemi. Il est triste de batailler continuellement avec les fermiers-généraux. Notre position, qui était si heureuse, est devenue tout à fait désagréable : il faut quelquefois savoir boire la lie de son vin. Nous serons plus heureux quand vous pourrez venir passer quelques mois chez nous. Notre transplantation à Hornoy est actuellement de toute impossibilité.
J’aurais souhaité que Tronchin eût été plus médecin que politique, qu’il se fût moins occupé des tracasseries d’une ville qu’il a abandonnée. S’il a pris parti dans ces troubles, il devait me connaître assez pour savoir que je me moque de tous les partis. Quoi qu’il en soit, il est plaisant que Tronchin soit à Paris, et moi aux portes de Genève, Rousseau en Angleterre, et l’abbé de Caveyrac 3 à Rome. Voilà comme la fortune ballotte le genre humain.
Je demande à M. le grand-Turc pourquoi son baron de Tott4 est à Neuchâtel. Dites-moi, je vous prie, mon Turc, si ce Turc de Tott vous a donné de bons mémoires sur le gouvernement de ses Turcs. N’êtes-vous pas bien fâché qu’Athènes et Corinthe soient sous les lois d’un bacha ou d’un pacha ?
Mille amitiés à tous. Le Turc est prié d’écrire un mot. »
1 Dans une lettre reproduite à propos de la lettre de V* à Frédéric II du 5 avril 1767 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/09/22/il-faut-attaquer-le-monstre-par-les-oreilles-comme-a-la-gorg-6402425.html
2 Dans l’affaire Le Jeune. (G.Avenel.)
3 Apologiste de la révocation de l’édit de Nantes et de la Saint-Barthélemy. (G.Avenel.)
4Voir lettre du 11 avril 1767 à la marquise de Florian : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/09/29/on-ne-sait-plus-ou-se-fourrer-pour-etre-bien-je-sais-qu-il-f-6403824.html
V* a peut-être écrit à Tott car le 18 avril 1767, celui-ci lui envoya une lettre de Neuchâtel dont on sait seulement qu'elle contenait des détails sur les Turcs .
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15/10/2022
felix qui potuit rerum cognoscere causas ! Heureux qui a pu pénétrer la cause des choses
... Par exemple, je ne comprends pas encore les causes de l'explosion du tarif de l'électricité ; dois-je me faire soigner ? Est-ce un racket institutionnel ?
« Au cardinal François-Joachim de Pierre de Bernis
16è avril 1767
Albi nostrorum sermonum candide judex.1
Vous êtes sûrement du nombre des élus, monseigneur, puisque vous n’êtes pas du nombre des ingrats. Vous chérissez toujours les lettres, à qui vous avez dû les principaux événements de votre vie. Je leur dois un peu moins que Votre Éminence ; mais je leur serai fidèle jusqu’au tombeau. Je suis encore moins ingrat envers vous, qui avez bien voulu m’honorer de très bons conseils sur la Scythie. J’attends de Paris mon ouvrage tartare 2, pour vous l’envoyer dans le pays des Wisigoths, quoique assurément il n’y ait dans le monde rien de moins wisigoth que vous. Le blocus de Genève retarde un peu les envois de Paris. Cette campagne-ci sera sans doute bien glorieuse ; mais elle me gêne beaucoup. Dès que j’aurai ma rapsodie imprimée, j’y ferai coudre proprement une soixantaine de vers que vous m’avez fait faire, et je dirai : Si placeo, tuum est.3
Si Votre Éminence souhaite que je lui envoie le factum des Sirven, il partira à vos ordres . Il est signé de dix-neuf avocats ; c’est un ouvrage très bien fait. On y venge votre province de l’affront qu’on lui fait de la croire féconde en parricides. C’était à un Languedochien, et non à moi, de faire rendre justice aux Sirven et aux Calas. Mais ces deux familles infortunées s’étant réfugiées dans mes déserts, j’ai cru que la fortune me les envoyait pour les secourir.
Plus vous réfléchissez sur tout ce qui se passe, plus vous devez aimer votre retraite. La grosse besogne archiépiscopale me paraît fort ennuyeuse ; mais vous faites du bien, vous êtes aimé, et il vous appartient de vous réjouir dans vos œuvres 4, comme dit le livre de l’Ecclésiaste, attribué fort mal à propos à Salomon.
Oserai-je vous demander si vous avez lu le Bélisaire de mon ami Marmontel, qu’on appelle son petit-carême ? La Sorbonne le censure pour n’avoir pas damné Titus, Trajan, et les Antonins 5. Messieurs de Sorbonne seront sauvés probablement dans l’autre monde, mais ils sont furieusement sifflés dans celui-ci.
Riez, monseigneur : il faut souvent rire sous cape ; mais il est fort agréable de rire sous la barrette, felix qui potuit rerum cognoscere causas ! 6 etc.
Que Votre Éminence agrée le très tendre respect du vieux Suisse. »
1 Albus, juge sincère de nos propos ; Horace, Épîtres, I, iv, 1, avec une interversion .
2 Les Scythes .
3 Si je plais en quelque chose, cela t'appartient ; Horace, Odes, IV, iii, 24 .
4 Ecclésiaste, III, 22 .
5 La condamnation de la Sorbonne, Indiculus propositionum exerptarum ex libro cui titulus Bélisaire, ne parut qu'un peu plus tard . D'Alembert signale dans une lettre à V* du 4 mai 1767 qu'elle « vient de paraître » . Le point que V* signale ici consiste dans la huitième des trente-sept propositions condamnées par la Sorbonne .
6 Heureux qui a pu pénétrer la cause des choses ; Virgile, Georgiques, II, 90.
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