14/09/2023
Je ne mérite pas d'être servi le premier
...
« A Adrien-Michel-Hyacinthe Blin de Sainmore, etc.
rue des Capucines
à Paris
6è février 1768 à Ferney
Je vous supplie, monsieur, de vouloir bien faire porter chez M. Damilaville les six volumes de Racine pour lesquels j'ai souscrit entre vos mains . M. Damilaville qui a bien voulu avancer pour moi une partie du prix de la souscription paiera le reste . Il y a plus d'un mois que le livre est en vente 1. Je ne mérite pas d'être servi le premier, mais mon zèle pour la gloire de ce grand homme et votre amitié pour moi me font espérer que du moins je ne serai pas oublié .
J'ai l'honneur d'être,
monsieur,
votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire. »
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13/09/2023
Il n'importe pas qu'on accuse les morts, mais il importe beaucoup que l'on n'accuse pas les vivants
...
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
Mon cher ange, mon gendre 1 m'apporte votre lettre ; il est enchanté de vos bontés, et moi je suis désespéré. M. le duc de Choiseul s'est déclaré violemment contre les Sirven, après m'avoir promis qu'il serait leur protecteur 2. Mais le repas dont vous me parlez me fait encore plus de peine . Saint-Hyacinthe était, à la vérité, un sot dans la conversation, mais il écrivait bien . Il a fait de bons journaux, et il y a de lui un Militaire philosophe, imprimé depuis peu en Hollande, lequel est ce qu'on a fait peut-être de plus fort contre le fanatisme 3. Le dîner a été imprimé sous son nom pourquoi donc l'attribuer à une autre personne? Cela est injuste et barbare . Il y a plus, cela est très dangereux et d'une conséquence affreuse. On est déchaîné de tous les côtés ; on cherche l'ouvrage de Saint-Hyacinthe pour le faire brûler. M. Suard est l'homme du monde le plus capable de détourner des soupçons odieux qui perdraient un vieillard aimé de vous, et rempli pour vous de la tendresse la plus inaltérable.
Vous ai-je prié de persuader M. Suard ? Non ; je vous ai supplié de l'engager à rendre un service digne d'un honnête homme. Il n'importe pas qu'on accuse les morts, mais il importe beaucoup que l'on n'accuse pas les vivants. Que vous coûterait-il de prier M. Suard de passer chez vous, et de l'engager à rendre ce service ? Je vous le demande au nom de l'amitié. Les personnes avec lesquelles vous vivez en intimité croiront ce qu'elles voudront . Je suis bien sûr qu'elles ne me feront pas de mal mais les autres peuvent en faire beaucoup.
La poste va partir, je n'ai que le temps de vous dire combien il est nécessaire qu'on ne me calomnie point auprès du roi, et que M. Suard et M. l'abbé Arnaud, que je vous crois attachés, empêchent qu'on ne me calomnie dans la ville.
Je vous embrasse avec la plus vive tendresse.
V.
6è février 1768.»
1 Dupuits .
2 La requête des Sirven fut admise le 23 janvier 1768 au Conseil du roi , mais rejetée . Les ministres, dont Choiseul ont craint de soulever toute la magistrature en ayant l'air de mettre en cause les prérogatives des parlements régionaux . Il faudra donc utiliser une autre tactique .Voir : https://www.site-magister.com/afsirv.htm
3 Bien entendu Le Dîner du comte de Boulainvilliers .
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il y aura un peu de peine
...
« A Anne-Madeleine-Louise-Charlotte-Auguste de La Tour du Pin de Saint-Julien
5è février 1768 à Ferney
Votre lettre, madame, vos bontés, pour mon fils adoptif, votre souvenir de mon respectueux attachement pour vous, le désir que vous me témoignez d'honorer encore ma chaumière de votre présence ; tout cela ranime mon cœur et tourne ma vielle tête . Je suis pénétré de la bienveillance que M. le duc de Choiseul daigne me conserver . Il veut faire quelque chose de mon petit pays barbare ; il y aura un peu de peine .
Vous me faites, madame, beaucoup d'honneur et un mortel chagrin en m'attribuant l'ouvrage de Saint-Hyacinthe , imprimé il y a quarante ans . Les soupçons dans une matière aussi grave seraient capables de me perdre, et de m'arracher au seul asile qui me reste sur la terre, dans une vieillesse accablée de maladies qui ne me permet pas de me transplanter . Mes derniers jours seraient empoisonnés de la manière la plus funeste .
Je vous conjure, madame, par toute la bonté de votre cœur, de bien dire surtout à M. le duc de Choiseul que je n'ai, ni ne puis avoir aucune part à la foule de ces ouvrages hardis qu'on imprime et qu'on réimprime depuis plusieurs années, et qui ont fait une prodigieuses révolution dans les esprits d'un bout de l'Europe à l'autre .
Puisque vous avez envoyé à M. le duc de Choiseul une partie de l'imprimé de Saint-Hyacinthe en manuscrit 1 vous êtes en droit plus que personne de certifier que le nom de Saint-Hyacinthe est imprimé à la tête de la brochure avec la date de 1728 .
De plus, il y a cent traits dans cet ouvrage qui indique évidemment le temps auquel il fut composé 2. Vous n'étiez pas née alors, madame, il s'en faut de beaucoup, mais toute jeune que vous êtes, vous avez un cœur toujours occupé de faire du bien . Empêchez donc qu'on ne me fasse du mal . Repoussez la calomnie . Mon fils Dupuits vous doit tout, et je vous devrai autant que lui .
Votre très humble et très obéissant serviteur V. avec bien du respect . »
1 Effectivement Le Dîner du comte de Boulainvilliers circula en manuscrit quelque temps avant d'être imprimé, ainsi que l'atteste la Correspondance littéraire en date du 1er janvier 1768 , mais l’argumentation qui suit n'en doit pas moins être considérée des plus faibles .
2 Effectivement, mais l'ouvrage contient aussi, vers la fin , une référence à l'Histoire critique de la philosophie, de Bourreau Deslandes qui ne fut publiée qu'en 1737 ,
voir lettre du 6 décembre 1757 à d'Alembert : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/02/13/nous-autres-droles-de-francais-nous-sommes-plus-expeditifs-n.html
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12/09/2023
Ah ! Que de peines dans ce monde !
... Dont celle-ci ! Triple peine . Le 13 octobre .
Ce n'est pas ça qui nous consolera
« A Etienne-Noël Damilaville
5 février [1768]
Mon fils adoptif 1 arrive . Je suis bien affligé, mon cher ami . Mon désert me devient plus précieux que jamais . Je serais obligé de le quitter si la calomnie m'imputait le petit écrit de Saint-Hyacinthe .
Voici une lettre que je vous envoie pour M. Saurin 2. Je vous prie de la lui faire porter, et de parler fermement à M. l'abbé Morellet , à MM. d'Alembert, Grimm, Arnaud, Suard, etc.
Ah ! Que de peines dans ce monde ! »
1 Dupuits . Mme Du Deffand écrit le 30 janvier à Walpole : « J'ai fait grande connaissance avec M. Dupuits , mari de Mlle Corneille ; il a passé un mois ici, il a obtenu une compagnie de dragons, il est retourné chez Voltaire, il lui porte une lettre » [qui ne nous est pas parvenue, mais à laquelle Voltaire répondra par la lettre du 8 février 1768 à Mme Du Deffand : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/07/correspondance-annee-1768-partie-7.html] ; « je lui donnai à souper la veille de son départ, il m'a promis de m'envoyer toutes les productions nouvelles ; il les adressera à la grand-maman, ou à son mari . »
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Les morts se moquent de la calomnie, mais les vivants peuvent en mourir
... Les réseaux sociaux peuvent tuer, c'est indéniable . Le harcèlement , comme on dit, l'exposition de l'intimité d'autrui sont mortifères chez les plus fragiles . Quand l'IA sera-t-elle mise en route pour effacer toute attaque de ce genre , réduire au silence ces malfaisants ? Ce serait plus utile que de pondre des dissertations à la place de lycéens boutonneux ou/et les balader dans le metavers .
Il est quand même effarant, mais utile, qu'on soit obligé d'avoir recours à un service de prévention du suicide : https://sante.gouv.fr/prevention-en-sante/sante-mentale/la-prevention-du-suicide/article/le-numero-national-de-prevention-du-suicide
« A Bernard-Joseph Saurin
5è février 1768
Mon cher confrère, mon cher poète philosophe, je ne suis point de votre avis. On disait autrefois les vertus de Henri IV, et il est permis aujourd'hui de dire les vertus d'Henri IV. Les Italiens se sont défaits des h, et nous pourrions bien nous en défaire aussi, comme de tant d'autres choses.
J'aime bien mieux
Femme par sa tendresse, héros par son courage 1,
que
Femme par sa tendresse, et non par son courage.
Ayez donc le courage de laisser le vers tel qu'il était, et de ne pas affaiblir une grande pensée pour l'intérêt d'un h. Je dirai toujours ma tendresse héroïque, et cela fera un très bon hémistiche. Ma tendress-eu héroïque serait barbare.
Le Dîner dont vous me parlez est sûrement de Saint-Hyacinthe. On a de lui un Militaire philosophe qui est beaucoup plus fort, et qui est très bien écrit 2. Vous sentez d'ailleurs, mon cher confrère, combien il serait affreux qu'on m'imputât cette brochure, évidemment faite en 1726 ou 27, puisqu'il y est parlé du commencement des convulsions. Je n'ai qu'un asile au monde . Mon âge, ma santé très dérangée, mes affaires qui le sont aussi, ne me permettent pas de chercher une autre retraite contre la calomnie. Il faut que les sages s’entraident; ils sont trop persécutés par les fous.
Engagez vos amis, et surtout M. Suard, et M. l'abbé Arnaud, à repousser l'imposture qui m'accuse de la chose du monde la plus dangereuse. On ne fait nul tort à la mémoire de Saint Hyacinthe, en lui attribuant une plaisanterie faite il y a quarante ans . Les morts se moquent de la calomnie, mais les vivants peuvent en mourir. En un mot, mon cher confrère, je me recommande à votre amitié pour que les confesseurs ne soient pas martyrs. »
1 Spartacus, ac. I, sc. 1, de Saurin . V* a parfaitement raison : l'h d'origine grecque n'a aucune existence phonétique en français .
2 La position de V* est bien arrêtée : il renvoie Le Dîner du comte de Boulainvilliers à Saint-Hyacinthe à qui il attribue, par une précaution supplémentaire Le Militaire philosophe . Le mot « beaucoup plus fort » n'est pas entièrement insincère : V* a été frappé par l’argumentation de l'auteur . Mais l'ouvrage n'est pas plus « fort » au sens de plus audacieux puisqu'il est très positivement déiste, au moins dans sa version authentique .
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On dit que les calculs en sont justes
... Est-ce bien vrai , concernant l'utilisation des énergies fossiles quand on doit par ailleurs lutter contre le réchauffement climatique ? Voir : https://fr.euronews.com/tag/energies-fossiles
https://www.placedesenergies.com/professionnels/actualites
« A [Louise-Florence-Pétronille de Tardieu d'Esclavelles d'Épinay ?]
3 février 1768 1
Toute ma famille, madame, vous fait ses baisemains . J'ai l'honneur de vous envoyer cette brochure faite par un commis du grenier à sel de notre ville 2. On dit que les calculs en sont justes . Monsieur votre époux pourra les vérifier aisément .
Je suis derechef, madame, de vous et de votre époux et de monsieur son neveu, le très humble et très obéissant serviteur
Yvroie. 3»
1Wagnière avait commencé la lettre de son écriture habituelle qu'il s'est ensuite efforcé de déguiser .
2 Il s'agit encore apparemment de L'Homme aux quarante écus, et non, comme le dit M. Besterman de l’ouvrage de Messance mentionné à propos de la lettre du 2 novembre 1767 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/06/02/ces-bagatelles-amusent-un-moment-deux-ou-trois-cents-oisifs-6445853.html
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11/09/2023
il ne faut désespérer de rien
... Pas mieux !
Mais au fond, qu'espérer quand on est au Maroc, en Ukraine, au Yémen, en Iran, en Afghanistan, sur une barcasse en Méditerranée , un pneumatique dans le Channel, etc., une femme ?
« A Paul-Claude Moultou fils
à Genève
3 février 1768.
Mon cher philosophe, enfin, après cinq ans de peines et de soins incroyables, la requête des Sirven fut admise au Conseil, samedi 23 janvier, après un débat assez long, et le procès doit avoir été rapporté vendredi dernier 29, devant le roi.
Il n'est plus douteux que cette famille ne soit rétablie dans ses honneurs, dans ses biens, et que l'arrêt infâme qui la condamnait à la mort ne soit cassé comme celui des Calas.
Mon cher philosophe, il ne faut désespérer de rien. Mandez cette nouvelle à vos amis du Languedoc. Mais quand ce pauvre vieillard malade aura-t-il la consolation de vous revoir?
V. »
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