28/07/2022
je ne me rebute pas aisément, et toutes les fois qu'il s'agira de défendre l'innocence contre les oppresseurs je combattrai jusqu'à mon dernier soupir
... Combien d'entre nous peuvent en dire autant ?
« A Charles Manoël de Végobre, Avocat
à Genève
Je vous demande pardon, monsieur, si je ne vous ai pas remercié plus tôt de votre lettre . J'ai eu beaucoup de difficultés à surmonter pour les Sirven, mais je ne me rebute pas aisément, et toutes les fois qu'il s'agira de défendre l'innocence contre les oppresseurs je combattrai jusqu'à mon dernier soupir . Il y a trois ans que je poursuis cette affaire, et j'espère encore voir le succès avant ma mort .
M . le duc de Choiseul a donné le brevet le plus honorable, le plus ample et le plus favorable à Mlle Calas au sujet de son mariage avec le ministre de la chapelle de l'ambassadeur de Hollande à Paris 1. C'est une grande nouvelle . Il faudra bien en venir à la fin au dogme abominable de la tolérance . Mais souvenez-vous un jour, vous autres ennemis des usurpations papales, d'être tolérants à votre tour .
Adieu, monsieur, permettez-moi de vous embrasser tendrement sans cérémonie.
V.
25è février 1767 à Ferney. »
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27/07/2022
le public égaré semble ne vouloir que des événements incroyables, entassés les uns sur les autres
... D'où le succès des Jurassic Park , Jaws et Avengers, etc. jusqu'à plus soif, en séries sans fin .
« A Henri-Louis Lekain
25 février 1767
Ne vous laissez point subjuguer, mon cher ami, par un plan tout à fait antithéâtral 1 qu’on propose. Je ne réponds pas de l’effet d’une pièce où tout est simple et naturel, dans un temps où le public égaré semble ne vouloir que des événements incroyables, entassés les uns sur les autres, avec des vers aussi barbares que ceux de Garnier et de Hardy 2. Résistez au torrent du goût le plus détestable qui ait jamais déshonoré la nation. J’aime mieux tomber avec un ouvrage fait selon les règles de l’art, que de réussir par un poème barbare.
Je ne puis d’ailleurs m’imaginer que la nature ne parle pas au cœur des Parisiens comme elle nous parle ; et je ne vois pas pourquoi ce qui nous fait répandre des larmes serait mal reçu chez vous.
Je vous ai envoyé quelques changements, et je me flatte que vous en avez fait usage. En voici encore un au quatrième acte, dans lequel Indatire a nécessairement trop raison contre Athamare. Je fortifie votre rôle autant que la situation le permet ; c’est après ce vers d’Indatire :
À servir sous un maître on me verrait descendre !
Athamare
Va, l’honneur de servir un maître généreux,
Qui met un digne prix aux exploits belliqueux,
Vaut mieux que de ramper dans une république
Insensible au mérite, et même tyrannique.
Tu peux prétendre à tout en marchant sous ma loi.
J’ai parmi, 3etc.
Il faut encore, mon cher ami, que je vous dise que si, dans la scène entre Obéide et son père, au cinquième acte, il y a encore quelques longueurs, il faudra retrancher les quatre vers d’Obéide :
Une invincible loi me tient sous son empire 4, etc.
Mais j’avoue que je les supprimerais à regret. Encore une fois laissez dire les critiques de cabinet, et rapportez-vous-en à l’effet que fait la pièce au théâtre ; il n’y a point de meilleur juge. »
1 Littré cite de mot d'antithéâtral comme un néologisme .
2 Robert Garnier (1545-1601 ) dont les tragédies les plus célèbres sont Les Juives, et Bradamante (15980) ; Alexandre Hardy, né vers 1560, mort en 1632, auteur de très nombreuses tragédies, comédies, et tragi-comédies .
3 Les Scythes, Ac IV, sc. 2 .
4 Ce vers (et les suivants, semble-t-il,) fut maintenu à l'acte V, sc. 3.
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26/07/2022
Vos désirs sont mes lois
... le temps des vacances ... Et après ? ...
« A Henri Rieu
24 février [1767] au matin
Mon cher corsaire, je m'intéresse à vos plaisirs et aux avantages de M. Rosimond 1. Vos désirs sont mes lois ; il n'a qu'à venir tout à l'heure avec un copiste pour copier les rôles ; sa principale actrice et deux acteurs pour les entendre . La troupe de Ferney récitera la pièce devant les principaux acteurs de M. Rosimond pour leur donner l'esprit des rôles . Il peut venir dès aujourd'hui dîner s'il en a le temps, ou coucher, et je voudrais bien que vous fussiez du voyage . »
1 Jean -Nicolas Prévost, dit Rosimond, directeur du théâtre de Genève . Voir : https://www.e-periodica.ch/cntmng?pid=gen-001%3A1997%3A45%3A%3A277
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25/07/2022
Tu peux prétendre à tout en marchant sous ma loi
... C'est du moins ce que l'on essaie de nous faire croire : la fameuse égalité des chances sous notre sacrée république bureaucratique .
Plus sérieusement : SVP, qui a des nouvelles de LoveVoltaire , extraordinairement absente de son blog http://www.monsieurdevoltaire.com/ depuis le 13 juin ?
Grand merci pour votre attention .
« A David-Louis Constant de Rebecque, seigneur d'Hermenches
24è février 1767 à Ferney
Mon amitié est hardie, mon cher colonel, mais a vôtre est indulgente . Si l'esprit suffisait pour faire des vers tragiques vous en feriez comme Racine . Mais la poésie est un art comme la musique ; il a ses modes et ses clefs .
Semble à tous les humains prescrire un même sort
il faudrait :
Semblent à tous les humains prescrire un même sort
et le vers n'y serait pas ; c'est une faute à la fois contre la syntaxe et contre la versification, et des forces qui prescrivent un sort sont une plus grande faute contre l'art d'écrire .
Ressort, qui est au singulier, ne peux rimer avec corps qui finit par un s .
Génie rime mal avec patrie, travaux avec héros ; et ces licences ne sont jamais permises que dans des cas extraordinaires . Indatire ne peut rimer avec vivre, ni famille avec docile . Mais ce qu'il y a de plus répréhensible, c'est qu'Athamare après avoir parlé de sa maîtresse avec la plus grande chaleur, après avoir redemandé Obéide avec emportement, reprenne son sang-froid pour examiner la préférence qu'on doit donner au gouvernement monarchique sur le républicain . Cette dissertation est à sa place dans la tragédie de Brutus entre l’ambassadeur Arons et le jeune Titus ; mais ici elle est intolérable, elle ferait tomber la pièce . Je vous demande en grâce de ne faire ce tort ni à vous, ni à moi .
J'ai encore quelque chose de plus sérieux à vous dire . On saurait bientôt que ces vers sont de vous , MM. de Berne en seraient très mécontents , il semble que vous ayez voulu désigner leur gouvernement . Comptez que vous ne manquez pas de gens Lausanne qui en feraient une application maligne . Je vous parle avec une franchise que ma tendresse pour vous justifie , je vous dis vrai . Qui aimera la vérité si ce n'est vous ? Si vous ne l'aimiez pas, je vous conjurerais du moins de la pardonner, et de supprimer par bonté pour moi cette addition qui me ferait une peine extrême .
Je vous embrasse avec la confiance d'un homme qui vous sera attaché toute sa vie .
N. B. – Si vous voulez absolument quelques vers qui reviennent à votre idée, il faut sans doute les placer avant le moment où Athamare a parlé d'Obéide ; car après avoir prononcé son nom il ne doit plus parler d'autre chose . Mais ces vers doivent être en fort petit nombre, ce n'est pas ici le lieu d'une dissertation . En voici quatre qui me paraissent assez propos, et qu'on ne peut reprocher à un Français qui les avoue . C'est après qu'Indatire a répondu à Athamare :
A servir sous un maître on me verrait descendre ?
Athamare
Va, l'honneur de servir un maître généreux
Qui met un digne prix aux exploits belliqueux,
Vaut mieux que de ramper dans une république
Insensible au mérite et souvent tyrannique.
Tu peux prétendre à tout en marchant sous ma loi .
J'ai parmi etc.
Je trouve ces vers fort convenables pour le théâtre de Paris, je les lui envoie . Si vous trouvez qu'ils puissent passer à Lausanne comme étant d'un Français vous ne risquez rien, je songe à vous plus qu'à moi .
Présentez je vous prie, mes respects à votre aimable troupe .
V. »
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24/07/2022
les opinions se partagent sur toutes les affaires de ce monde ; mais après avoir tout pesé, tout discuté, il faut prendre enfin un parti
...
« A Henri-Louis Lekain
23 février 1767 à Ferney
Mon cher ami, le petit concile de Ferney a répondu au grand concile de l’hôtel d’Argental. Nous trouvons le projet qu’on nous propose froid et impraticable. Nous trouvons insipide ce Je ne puis, substitué à ce terrible Je l’accepte 1.
Nous croyons, d’après l’expérience, que ce Je l’accepte, prononcé avec un ton de désespoir et de fermeté, après un morne silence, fait l’effet le plus tragique.
Nous pensons que l’étonnement, le doute, et la curiosité du spectateur, doivent suivre ce mouvement de l’actrice. Nous sommes persuadés, d’après nos propres sensations, que tout le rôle d’Obéide, au cinquième acte, tient le spectateur en haleine, et le remue d’autant plus fortement qu’il devine dans le fond de son cœur ce qui doit arriver.
Nous avons pesé les inconvénients, et ce qui nous paraît des beautés ; nous avons conclu qu’il serait abominable de faire traîner Athamare à la torture et aux supplices, et que si dans ce moment Obéide prenait la résolution de s’offrir pour l’immoler, afin de lui épargner des souffrances, cela ressemblerait à un bourreau qui va donner le coup de grâce ; et si elle ne prend que dans ce moment la résolution de se tuer, cette inspiration subite ne fait pas, à beaucoup près, le même effet qu’un dessein pris dès la première scène, et qui rend son rôle théâtral pendant l’acte tout entier.
Nous alléguons beaucoup d’autres raisons que nous détaillons dans un mémoire que nous envoyons à M. d’Argental ; nous craignons à la vérité de nous tromper, en combattant l’avis des connaisseurs les plus éclairés, mais nous ne pouvons juger que d’après notre sentiment. Nous avons vu l’effet, et M. d’Argental ne l’a pas vu. Nous ne craignons rien de ce qu’ils craignent, et un endroit qui ne leur a fait aucune peine nous en fait beaucoup. C’est ainsi que les opinions se partagent sur toutes les affaires de ce monde ; mais après avoir tout pesé, tout discuté, il faut prendre enfin un parti. Ce parti est celui de jouer la pièce telle que je vous l’ai envoyée par M. Marin. Je vous prie seulement de changer ce vers :
Vous voyez, vous sentez quel meurtre se prépare.
Il faut mettre à la place 2:
Vous savez quel tourment un refus lui prépare.
Je suis persuadé que vous donnerez à l’actrice toute l’intelligence du rôle d’Obéide.
Nous nous flattons que le quatrième acte sera extrêmement théâtral ; je suis, bien sûr que vous le ferez réussir, quand vous direz au bonhomme Hermodan, avec une pitié noble : Vieillard, ton fils n’est plus.
Encore une fois, nous pouvons nous tromper, Mme Denis, Mme de La Harpe, Mme Dupuits, M. de La Harpe, M. Dupuits, M. Cramer, et moi ; mais répétez comme nous avons répété, et jugez d’après l’effet.
Je suis d’ailleurs dans la nécessité absolue de faire réimprimer la pièce incessamment, et j’attends de vos nouvelles avec la plus vive impatience.
V.
N. B. – Depuis ma lettre écrite 3, nous venons de jouer la pièce ; le cinquième acte a fait un plus grand effet encore que le quatrième. On a versé beaucoup de larmes, et il n’y a point de critique qui tienne contre des larmes. Si j’avais le malheur de croire une seule des critiques qu’on me fait, la pièce serait perdue : croyez-en mon expérience, et l’effet dont je viens d’être témoin.
Souvenez-vous du quatrième acte de Tancrède, qu’on voulait me faire changer. »
1 Les Scythes, acte V, scène 1.
2 La correction a été faite acte V, scène 2 .
3 Curieuse survivance de ce tour ancien, depuis ma lettre écrite, qu'on aurait pu croire tombé en désuétude depuis le temps où Mme de Sévigné en faisait usage .
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23/07/2022
Il en sera toujours d’une tragédie comme de toutes les affaires de ce monde : il faut choisir entre les inconvénients les moins grands .Il y aura sans doute des critiques
... D'où les négociations et accords russo-turco-ukrainiens . Crainte de famines possibles avec leurs désordres sociaux inévitables et nécessité de remplir les tiroirs-caisses sont de puissants moteurs , tant pour l'agresseur que l'agressé : il faut se "faire du blé ! "
« A Bernard-Louis Chauvelin
23è février 1767 à Ferney
Je suis partagé, monsieur, entre la reconnaissance que je vous dois et l’admiration où je suis qu’au milieu de vos occupations, et même de vos dissipations, vous ayez pu faire un plan si rempli de génie et de ressources. Nous convenons qu’il est l’ouvrage d’un esprit supérieur. Vous me direz : pourquoi ne l’adoptez-vous donc pas ? Vous en verrez les raisons dans le petit mémoire que nous envoyons à M. et à Mme d’Argental.
Mme Denis, M. et Mme de La Harpe, nos acteurs et moi, nous avons retourné de tous les sens ce que vous nous proposez. Nous nous sommes représenté vivement l’action, et tout ce qu’elle comporte, et tout ce qu’elle doit faire dire ; nous sommes tous d’un avis unanime ; nous osons même nous flatter que, quand vous verrez nos raisons déduites dans notre mémoire, elles vous paraîtront convaincantes.
Il est vrai que, malgré toutes nos raisons, nous tremblons d’avoir tort lorsque nous disputons contre vous. Nous sentons bien qu’il y a quelque chose de hasardé dans ce cinquième acte, mais nous ne pouvons juger que d’après l’impression qu’il nous laisse. Nous le jouons, et il nous fait un effet terrible.
Comment voulez[-vous] que nous abandonnions ce qui nous touche pour un plan qui, tout ingénieux qu’il est, nous paraît avoir des difficultés insurmontables ? Il en sera toujours d’une tragédie comme de toutes les affaires de ce monde : il faut choisir entre les inconvénients les moins grands. Il y aura sans doute des critiques ; Zaïre, Mérope, Tancrède, etc., en ont essuyé beaucoup, et le Siège de Calais a inspiré le plus grand enthousiasme. Il faut se soumettre à cette bizarrerie des hommes : mais nous sommes tous persuadés que la chaleur du cinquième acte doit l’emporter sur toutes les critiques qu’on fera de sang-froid.
Le spectateur assurément se doute bien, dans la tragédie d’Olympie, que cette Olympie se jettera dans le bûcher de sa mère ; et c’est précisément ce doute qui inspire la curiosité et l’attendrissement. Il est dans la nature humaine de vouloir voir comment les choses qu’on devine seront accomplies. C’est ce que nous détaillons dans notre mémoire, que nous vous supplions de lire avec impartialité.
Pour moi, je me défie de mes idées ; j’aime et je respecte les vôtres autant que votre personne. C’est avec timidité et avec honte que je suis d’un autre avis que vous ; mais enfin il ne faut jamais, dans aucun art, travailler contre son propre sentiment, comme en morale il ne faut point agir contre sa conscience : on est sûr alors de travailler très mal ; l’enthousiasme est entièrement éteint, l’esprit, mis a la gêne, perd toute son élasticité. On écrit raisonnablement, mais froidement. En un mot, lisez nos représentations, et jugez.
Je crois avoir d'ailleurs des remerciements à vous faire ; les fermiers généraux m'ont promis de destituer l'employé dont nous avions tant à nous plaindre ; c'est sans doute à vous que nous en avons l'obligation 1.
Agréez, monsieur, mon tendre et respectueux attachement pour vous, pour Mme de Chauvelin, et pour tout ce qui vous appartient.
N. B.-- Depuis ma lettre écrite, nous avons joué la pièce ; le cinquième acte a fait plus d’effet que les autres, et on a répandu beaucoup de larmes. »
1 Ce paragraphe omis dans la copie Beaumarchais-Kehl manque dans toutes les éditions .
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22/07/2022
Voici encore un petit changement que j’ai jugé absolument nécessaire
... Ou quand l'opposition apporte son grain de sel amer et freine des quatre fers pour l'élaboration d'une loi .
« A Henri-Louis Lekain
21 février 1767
Vous avez dû, mon cher ami, recevoir une lettre de moi avec la tragédie des Scythes, que j’ai adressée pour vous à M. Marin. Voici encore un petit changement que j’ai jugé absolument nécessaire. Ma mauvaise santé et mon épuisement total ne me permettent plus de travailler à cet ouvrage ; je vous demande en grâce de me dire si vous pouvez la faire jouer le mercredi des Cendres, parce que si elle ne peut être jouée dans ce temps-là, il est d’une nécessité absolue que je donne l’édition corrigée, pour indemniser le libraire de la perte de sa première édition. Il serait beaucoup plus avantageux pour vous que la pièce fût jouée le mercredi des Cendres, parce qu’alors je serai plus en état de vous procurer un honoraire de la part du libraire ; d’ailleurs, comme on joue actuellement cette pièce à Lausanne, et qu’on va la jouer à Bordeaux, aussi bien que chez moi, il paraît indispensable que les comédiens se déterminent sans délai. Je vous prie très instamment de me mander votre dernière résolution, et de compter toujours sur la tendre amitié que je vous ai vouée pour le reste de ma vie.
V.
Corrections à la scène deuxième du cinquième acte,
entre Sozame et Obéide.
Obéide.
Avez-vous bien connu mes sentiments secrets ?
Dans le fond de mon cœur avez-vous daigné lire ?
Sozame.
Mes yeux l’ont vu pleurer sur le sein d’Indatire ;
Mais je pleure sur toi dans ce moment cruel :
J’abhorre tes serments.
Obéide.
Vous voyez cet autel,
Ce glaive dont ma main doit frapper Athamare ;
Vous savez quels tourments mon refus lui prépare :
Après ce coup terrible, et qu’il me faut porter, etc.
M. Lekain est prié de porter ce changement sur la copie que M. Marin a dû lui remettre. »
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