27/09/2015
Adieu, monsieur, daignez, dans le chaos, dans la décadence, dans le temps ridicule où nous sommes, me fortifier contre ce pauvre siècle
...
« A Louis-Elisabeth de La Vergne, comte de Tressan
Au château de Ferney 27 septembre [1760] 1
Je vous fais mon compliment comme mille autres, mon très aimable gouverneur, et, je crois, plus sincèrement et plus tendrement que les mille autres . Je défie les Menoux même de s'intéresser plus à vous que moi . Vous voilà gouverneur de la Lorraine allemande, vous avez beau faire, vous ne serez jamais allemand . Mais pourquoi n'êtes-vous pas gouverneur de mon petit pays de Gex ? pourquoi Tityre ne fait-il pas paître ses moutons sous un Pollion tel que vous ? J'ai l'honneur de vous envoyer les deux premiers exemplaires d'une partie de l'Histoire de Pierre le Grand ; il y a un an qu’ils sont imprimés, mais je n'ai pu les faire paraître plus tôt parce qu'il a fallu avoir auparavant le consentement de la cour de Pétersbourg . Vous êtes, comme de raison, le premier à qui je présente cet hommage . Vous verrez que j'ai fait usage du témoignage honorable que je vous dois . De ces deux exemplaires, que je fais partir par la messagerie de Genève, il y en a un pour le roi de Pologne . Je manquerais à mon devoir si je priais un autre que vous de mettre à ses pieds cette faible marque de mon respects et de ma reconnaissance . Il est vrai que je lui présente l'histoire de son ennemi ; mais celui qui embellit Nancy rend justice à celui qui a bâti Pétersbourg ; et le cœur de Stanislas n'a point d'ennemis . Permettez donc, mon adorable gouverneur, que je m'adresse à vous pour faire parvenir Pierre le Grand à Stanislas le bienfaisant . Ce dernier titre est le plus beau .
La Lorraine allemande vous fait-elle oublier l'Académie française dont vous seriez l'ornement ? Certainement vous ne feriez pas une harangue dans le goût de notre ami Lefranc de Pompignan . Vous n'auriez pas protégé la pièce des Philosophes, et sans déplaire à l'auguste fille du roi de Pologne, auprès de qui vous êtes, vous auriez concilié tous les esprits . Quoique je n'aime guère la ville de Paris, il me semble que je ferais le voyage pour vous donner ma voix . Je ne sais si deux Genevois ont eu le bonheur après lequel je soupire , celui de vous voir ? Je les avais chargés d'une lettre pour vous 2 : j'avais pris même, la liberté de vous communiquer mon petit remerciement au roi de Pologne, de son livre intitulé : L'Incrédulité combattue par le simple bon sens 3. Il a daigné me remercier de ma lettre par un billet de sa main 4 qui n'a pas été contresigné Menoux .
Adieu, monsieur, daignez, dans le chaos, dans la décadence, dans le temps ridicule où nous sommes, me fortifier contre ce pauvre siècle, par votre souvenir, par vos bontés, par les charmes de votre esprit qui est du bon temps . Mille tendres respects .
V. »
1 Une copie contemporaine est datée par erreur 1761 ; une copie ancienne donne 23 pour le quantième, suivie de toutes les autres éditions .
2 Voir lettre du 16 août 1760 au comte de Tressan : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/08/16/je-me-sens-encore-tres-mondain%C2%A0-l-envie-de-vous-plaire-l-emp-5799988.html
3 Voir lettre du 11 juillet 1760 à Menoux : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/07/11/bonsoir-ce-monde-ci-est-une-grande-table-ou-les-gens-d-espri-5732443.html
4 Voir lettre du 15 août 1760 à Stanislas : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/08/15/si-jamais-il-se-trouve-quelque-athee-dans-le-monde-ce-que-je-5799992.html
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Comment a-t-on le front d'inventer tant de circonstances et de détails !
... Tout bonnement pour mieux se vendre ou vendre du papier people !
« A Ivan Ivanovitch Schouvalov
Au château de Ferney par Genève
27 septembre 1760 1
Monsieur, Votre Excellence a reçu sans doute la lettre de M. de comte de Golofkin 2. J'ai pris la liberté de lui adresser pour vous un petit ballot contenant quelques exemplaires du premier volume de l'Histoire de Pierre le Grand . Votre Excellence en présentera un à sa Majesté Impériale si elle le juge à propos . Je m'en remets en tout à vos bontés . J'ai amassé de mon côté des matériaux pour le second volume . Ils viennent de M. le comte de Basssevits qui fut longtemps employé à Petersbourg . Le gentilhomme 3 que vous m'aviez annoncé et qui devait me rendre de votre part de nouveaux mémoires n'est point venu . Je l'attends depuis près de deux mois .
Je ne peux m'empêcher de vous conter qu'on m'a remis des anecdotes bien étranges, et qui sont singulièrement romanesques . On prétend que la princesse épouse du csarovits ne mourut point en Russie, qu'elle se fit passer pour morte, qu'on enterra une bûche qu'on mit dans la bière, que la comtesse de Konismark conduisit cette aventure incroyable, qu’elle se sauva avec un domestique de cette comtesse, que ce domestique passa pour son père, qu'elle vint à Paris, qu'elle s'embarqua pour l'Amérique, qu'un officier français qui avait été à Pétersbourg la reconnut en Amérique et l'épousa, que cet officier se nommait d'Aubane, qu'étant revenu d'Amérique, elle fut reconnue par le maréchal de Saxe, que le maréchal se crut obligé de découvrir cet étrange secret au roi de France, que le roi quoique alors en guerre avec la reine de Hongrie lui écrivit de sa main pour l'instruire de la bizarre destinée de sa tante ,
que la reine de Hongrie écrivit à la princesse en la priant de se séparer d'un mari trop en dessous d'elle et de venir à Vienne,
mais que la princesse était déjà retournée en Amérique, qu'elle y resta jusqu'en 1757 temps auquel son mari mourut, et qu'enfin elle est actuellement à Bruxelles où elle vit retirée et subsiste d'une pension de 20 mille florins d'Allemagne que lui fait la reine de Hongrie.
Comment a-t-on le front d'inventer tant de circonstances et de détails ! ne se pourrait-il pas qu'une aventurière ait pris le nom de la princesse épouse du csarovits ?
Je vais écrire à Versailles pour savoir quel peut être le fondement d'une telle histoire, incroyable dans tous les points 4.
Je me flatte que notre histoire de votre grand empereur sera plus vraie . Songez monsieur que je me suis établi votre secrétaire, dictez-moi du palais de l'impératrice, et j'écrirai .
M. de Soltikof passe sa vie à étudier, il se dérobe quelquefois à son travail pour assister à nos petits jeux olympiques . Nous jouons des tragédies nouvelles sur mon petit théâtre de Tournay, nous avons des acteurs et des actrices qui valent mieux que des comédiens de profession . Notre vie est plus agréable que celle qu’on mène actuellement en Silésie . On s'y égorge, et nous nous réjouissons .
J'ignore toujours si vous avez reçu le gros ballot que j'adressai à M. de Keizerling, et la caisse de Coladon . Il y a malheureusement bien loin d'ici à Pétersbourg . Je serai toute ma vie avec le plus sincère et le plus inviolable dévouement de Votre Excellence le très humble obéissant serviteur .
Voltaire. »
1 Manuscrit olographe . L'édition de Kehl suivie des autres éditions donne 21 pour quantième .
2 Il s'agit de la lettre du 26 août, de La Haye, par laquelle Golovkin rendait compte de ses démarches pour éviter que le libraire de Hondt n'imprimât l'Histoire de Pierre le Grand ; voir un extrait de cette lettre en note de la lettre du 2 août 1760 à Schouvalov : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/01/22/mon-zele-ne-se-ralentira-point-vous-m-avez-fait-russe-5748380.html
3 Pouchkine .
4 Voir sur toute cette histoire la lettre à la comtesse Bassewitz du 22 janvier 1761 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/01/22/d-aubant-fut-amoureux-d-elle-et-de-sa-principaute-ils-se-mar-5748378.html
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26/09/2015
faute horrible, inadvertance affreuse dont les faiseurs de feuilles feraient retentir l'Europe
... Vetos hongrois et polonais ! Coup de bluff, selon moi . Balles dans les pieds selon d'autres ( balles respectivement à 5 milliards et à 23 milliards ! ) .
Mise en ligne le 19/11/2020 pour le 26/9/2015
« A Gabriel Cramer
à Genève
[vers le 25 septembre 1760]
Voici bien une autre faute, page 105, ligne vingt, à douze lieues de Petersbourg . C'est douze lieues de Moscou, faute horrible, inadvertance affreuse dont les faiseurs de feuilles feraient retentir l'Europe . J'aime encore mieux un carton à ce feuillet qu'à la préface . On peut trouver La Lande un mauvais écrivain, mais il ne faut pas se tromper . »
18:56 | Lien permanent | Commentaires (0)
25/09/2015
Prenez vos mesures là-dessus
... "Chacune et chacun doit respecter toutes les mesures pour éviter à tout prix que le virus passe le seuil de l'EHPAD, etc., etc.", voici ce que j'entends à cette heure au milieu d'une avalanche de chiffres statistiques concernant l'étendue des dégats du Covid-19 . Les mesures sont bien prises ô ministres intègres ! La crainte actuelle est que le stress ne déglingue les Français plus qu'en temps ordinaire et que nous autres, pauvres petites choses fragiles, ne puissions pas fêter à notre gré Noël et le réveillon de nouvel an .
Nos élus, rompus à l'art du copinage, grenouillent à qui mieux mieux pour obtenir des dérogations adaptées à leur majorité électorale . La machine à passe-droits n'a ps le temps de refroidir .
Mis en ligne le 19/11/2020 pour le 25/9/2015
« A Gabriel Cramer
[vers le 25 septembre 1760]
Vous êtes un caro, un vrai caro Gabriele et moi je n'étais qu'un impatient .
Or souvenez-vous caro que le beau-frère de La Lande arrive, qu'il a fait Charles VI, et qu'il ne faut pas qu'il l'ait fait . Prenez vos mesures là-dessus . Le contretemps est bien désagréable . Un petit carton pour Genève de grâce .
Pourriez-vous par votre crédit, me faire avoir le 24 numéro du tendre Fréron 1? »
1 Ce numéro de L'Année littéraire du 4 août 1760 contient un article sur L'Ecossaise .
02:21 | Lien permanent | Commentaires (0)
Avez-vous la Perpétuité de la foi ?
... Si oui, vous êtes sur courant continu , courant alternatif, courant faible ou haute tension , toujours à la merci d'un court-circuit . Personnellement je n'ai foi qu'en deux et deux font quatre et qu'il faut bien regarder à droite et à gauche avant de traverser la rue .
Mis en ligne le 19/11/2020 pour le 25/9/2015
« A Gabriel Cramer
à Genève
[vers le 25 septembre 1760]
Je ne pouvais deviner que l'auteur de l'Histoire de l'empereur Charles VI s'appelait La Lande 1, que ce La Lande était frère de Mme de Montpérou, qu'il amènerait ici sa sœur, qu'il viendrait diner chez moi , et que le premier imprimé qu'il verrait ici serait notre Pierre Ier .
Voulez-vous caro Gabriele, me faire le plaisir d'ôter ces mots page 8 de la préface, telles sont l'histoire de 2 l'empereur Charles VI et du prince Eugène 3.
Voulez-vous mettre à la place :
tels 4 sont les mémoires du maréchal de Barvik , du comte de Bonneval, et tant d'autres .
Avez-vous la Perpétuité de la foi ?
Et réponse de Claude 5?
Tuus V. »
1 Histoire de l'empereur Charles VI, 1743 de P. A. de La Lande .
2 Mot suivi de Charles d rayé .
3 Ces ouvrages étaient cités comme exemples de « mensonges historiques », d'où l'embarras de V* .
4 V* a d'abord écrit telles rayé ensuite .
5 Voir lettre du 3 septembre 1760 à Cramer : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/11/17/je-n-aime-point-du-tout-que-le-singe-me-prenne-pour-le-chat-6278001.html
01:21 | Lien permanent | Commentaires (0)
Vous êtes bien bons de céder à l'impétuosité de la nation, il faut la subjuguer
... Avis à tous les gouvernements .
Mis en ligne le 19/11/2020 pour le 25/9/2015
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
[25 septembre 1760]
Mes divins anges, il faut vous rendre compte de tout . Nous venons de jouer Tancrède en présence d'une douzaine de Parisiens à la tête desquels était M. le duc de Villars . Non, ne 1 vous imaginez pas quel talent Mme Denis a acquis . Je voudrais qu'on pût compter les larmes qu'on verse à Paris et chez nous, et nous verrions qui l'emporte . Je vous dois celles de Paris, car les longueurs tarissent les pleurs et vos coupures judicieuses en rapprochant l'intérêt l'ont augmenté . Détaillons un peu les obligations que je vous ai . Premier acte, premier remerciement . La première scène du 2 supprimée, profit tout clair ; le monologue que j'ai envoyé fait très bien chez nous, et doit réussir chez vous .
Au troisième acte, pardon . Ce n'est pas sûrement vous qui avez mis ces malheureux vers
Car tu m'as déjà dit que cet audacieux
A sur Aménaïde osé lever les yeux 2 etc.
On devrait lui répondre, mon ami si on t'a déjà dit qu'on te prend ta maîtresse tu devrais donc en parler d'abord, tu devrais donc être au désespoir . C'est un contresens horrible .
Écoutez-moi mes chers anges, on n'a pas fait réflexion qu'Aldamon n'est pas encore le confident de la passion de Tancrède . On a imaginé qu'il lui parlait comme à un homme instruit de l'état de son cœur . Il est évident que c'est et que ce doit être tout le contraire . Aldamon est un soldat attaché à Tancrède qui a favorisé son retour , et rien de plus . Il est si clair qu'il ne sait point la passion de Tancrède, que Tancrède lui dit, cher ami je te dois
Plus que je n'ose dire et plus que tu ne crois .3
Donc Aldamon ne sait rien . Peu à peu la confiance se forme dans cette scène, et Aldamon qui doit avoir assez de sens pour apercevoir une passion qu'il approuve, court faire son message en disant à Tancrède :
C'est vous qui m'envoyez je réponds du succès .4
Il est bien mieux de mettre ce je réponds du succès dans la bouche du confident que dans celle de Tancrède car alors Tancrède dit avec bien plus de bienséance et d'enthousiasme, il sera favorable 5. Nous demandons tous à genoux qu'on laisse le troisième acte comme il était . Est-il possible qu'on ait ôté ces vers :
Rien n'est changé, je suis encore sous le couteau
Tremblez moins pour ma gloire .6
Ces vers récités avec une fermeté attendrissante ont arraché des larmes. Si le père est si étriqué, s'il ne prend pas un intérêt tendre à la chose, s'il ne flotte pas entre la crainte et l'espérance, en vérité l'intérêt total diminue beaucoup , et la pièce en général est bien moins touchante . J'ai écrit à Lekain sur ce troisième acte, et je lui ai montré l'excès de ma douleur . Dans le quatrième acte il y a beaucoup d'art à fonder comme vous avez fait mes divins anges la crédulité de Tancrède . Je voudrais seulement qu'il dit pas qu'il a pénétré le fond de cet affreux mystère 7! mais qu'on ne l'a que trop dévoilé . Vous ne pouvez sans doute souffrir ces vers :
Dans le rapide cours des plus brillants succès
Solamir l'eût-il fait sans être sûr de plaire 8.
Je tiens toujours que c'est assez que le vieux Argire ait dit à Tancrède : elle est coupable . Un père au désespoir est le plus fort des témoignages . Mais si vous voulez que Tancrède invente encore des raisons pour se convaincre, à la bonne heure . Il faudra faire des vers mais je n'aurai pas le temps d'ici à demain . Il y a un couplet de Fanie avec Aménaïde dans le quatrième acte que vous avez admirablement ajusté . Vous avez recousu, élagué, remplacé en maîtres . Nous n'avons jamais fait dire sur notre théâtre dans ce quatrième acte :
Madame il ne faut point que je vous dissimule
etc.
je pensai avoir rayé ces autre vers dans votre exemplaire .
Au cinquième acte c'est encore un coup de maître d'avoir rendu à la fois le récit de Catane plus vraisemblable et plus intéressant .
Mais je ne peux concevoir pourquoi on a retranché :
Courez rendez Tancrède à ma fille innocente 9,
ce vers me paraît de toute nécessité .
Si Ô jour du changement Ô jour du désespoir 10 a fait un si mauvais effet cela prouve que Brizard a joué bien froidement . Mais bagatelle .
Je conviens que Mlle Clairon peut faire une très belle figure en tombant aux pieds de Tancrède . Mais si vous aviez vu Mme Denis pleurante et égarée, se relever d'entre les bras qui la soutiennent, et dire d'une voix terrible arrêtez, vous n'êtes point mon père,11 vous avoueriez que nul tableau n'approche de cette action pathétique, que c'est là la véritable tragédie, une partie des spectateurs se leva à ce cri par un mouvement involontaire, et pardonnez arracha l'âme . Il y a un aveuglement cruel à me priver du plus beau morceau de la pièce . Je vous conjure de me le rendre . Qui empêche Mlle Clairon de se jeter et de mourir au pied de Tancrède quand son père éperdu et immobile est éloigné d'elle ou qu'il marche à elle, qui l'empêche de dire j'expire et de tomber près de son amant .
La somme totale de ce compte est remerciement, tendresse, respects, et envie de ne point mourir sans vous revoir .
V.
Barbare, laisse là ce repentir si vain
ce vers fait un très bel effet parmi nous qui n'avons pas la ridicule impatience de votre parterre . Vous êtes bien bons de céder à l'impétuosité de la nation, il faut la subjuguer .12 ».
1 Précédé de vous dans toutes les éditions, mais peut-être oublié par V*.
2 Sur ce vers voir lettre du 24 septembre 1760 à Lekain : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/11/19/j...
3 Tancrède , III, 1 .
4 Tancrède III, 1 ; voir lettre à Lekain du 24 :
5 Ibid. III, 2 ; voir lettre à Lekain du 24
6 Ibid . , III, 7 ; voir lettre du 23 septembre 1760 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/09/23/c...
7 Ibid. IV, 2
8 Ces vers furent supprimés .
9 Tancrède, V, 2 .
10 Ibid . V, 5 .
11 Ibid. V, 6.
12 Ce post-scriptum est écrit au bas de la quatrième page .
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24/09/2015
Tout homme qui pense devrait s'élever contre ces fanatiques hypocrites . Ils méritent d'être rendus exécrables à leur siècle et à la postérité
... Tous les fanatiques sans exception.
Mis en ligne le 19/11/2020 pour le 24/9/2015
« A Charles Palissot de Montenoy
Au château de Ferney, par Genève
24 septembre [1760] 1
Je dois me plaindre, monsieur, de ce que vous avez imprimé mes lettres sans mon consentement . Ce procédé n'est ni de la philosophie ni du monde . Je réponds cependant à votre lettre du 13 septembre 2, mais c'est en vous priant par tous les devoirs de la société de ne point publier ce que je ne vous écris que pour vous seul .
J'ai commencé par vous remercier de la part que vous voulez bien prendre au petit succès de Tancrède . Vous avez raison de ne vouloir l'appareil et l'action au théâtre qu'autant que l'un et l'autre sont liés à l'intérêt de la pièce ; vous écrivez trop bien pour ne pas vouloir que le poète l'emporte sur le décorateur .
Je suis encore de votre avis sur les guerres littéraires mais vous m'avouerez que, dans toute guerre, l'agresseur seul a tort devant Dieu et devant les hommes . La patience m'a échappé au bout de quarante années ; j'ai donné quelques petits coups de patte à mes ennemis pour leur faire sentir que, malgré mes soixante-sept ans, je ne suis pas paralytique . Vous vous y êtes pris de meilleure heure que moi ; vous avez fait des estafilades à des gens qui ne vous attaquaient pas, et malheureusement je suis l'ami de quelques personnes à qui vous avez fait sentir vos griffes . Je me suis donc trouvé entre vous et mes amis que vous déchirez ; vous sentez que vous me mettiez dans une situation très désagréable : j'avais été touché de la visite que vous m'aviez faite aux Délices ; j'avais conçu beaucoup d'amitié pour vous et pour M. Patu avec qui vous aviez fait le voyage, et mes sentiments partagés entre vous et lui se réunissaient pour vous après sa mort . Vos lettres m'avaient beaucoup plu ; je m'intéressais à vos succès, à votre fortune ; votre commerce, qui m'était très agréable, a fini par m'attirer les reproches les plus vifs de la part de mes amis . Ils se sont plaints de ma correspondance avec un homme qui les outrageait . Pour comble de désagrément, on m'a envoyé des notes imprimées en marge de vos lettres . Ces notes sont de la plus grande dureté .
Vous ne devez pas être étonné que des esprits offensés ne ménagent pas l'offenseur . Cette guerre avilit les lettres ; elles étaient déjà assez méprisées et assez persécutées par la plupart des hommes qui ne connaissent que la fortune . Il est très mal que ceux qui devraient être unis par leur goût et leur sentiment, se déchirent comme s'ils étaient des jansénistes et des molinistes . De petits scélérats en robe noire ont opprimé des gens de lettres, parce qu'ils osaient en être jaloux . Tout homme qui pense devrait s'élever contre ces fanatiques hypocrites . Ils méritent d'être rendus exécrables à leur siècle et à la postérité . Jugez combien je dois être affligé que vous ayez combattu sous leurs étendards !
Ce qui me console, c'est qu'enfin on rend justice . L'Académie entière a été indignée du discours de Lefranc ; vous auriez pu un jour être de l'Académie, si vous n'aviez pas insulté publiquement deux de ses membres sur le théâtre . Vous savez que nos amis nous abandonnent aisément, et que les ennemis sont implacables .
Toute cette aventure m'a ôte ma gaieté, et ne me laisse avec vous que des regrets . Pompignan et Fréron m'amusaient, et vous m'avez contristé .
Tout malingre que je suis , je prends la plume pour vous dire que je ne me consolerai jamais de cette aventure qui fait tant de tort aux lettres ; que les lettres sont un métier devenu avilissant, abominable, et que je suis fâché de vous avoir aimé et elles aussi . »
1 Copie par Wagnière ; éd. Œuvres de M. Palissot, 1788 donne le même texte ; Supplément au recueil .
Renouard, qui déclare son texte imprimé « sur la missive originale qui [lui] a été communiquée » et s'accorde en substance avec l'édition des Œuvres de M. Palissot, nous suivons donc son texte . L'édition 1, imprimée sur ms., est très différente, peut-être parce que ms . représente une ébauche ; en voici le texte :
« J'ai reçu , monsieur, votre lettre du 13 . Je dois me plaindre d'abord à vous de ce que vous avez publié mes lettres sans me demander mon consentement . Ce procédé n'est ni de la philosophie , ni du monde . Je vous réponds cependant en vous priant par tous les devoirs de la société de ne point publier ce que ne vous écris que pour vous seul . Je dois vous remercier de la part que vous voulez bien prendre au succès de Tancrède, et vous dire que vous avez très grande raison de ne vouloir d'appareil et d'action au théâtre qu'autant que l'un et l'autre sont liés à l'intérêt de la pièce . Vous écrivez trop bien pour ne pas vouloir que le poète l'emporte sur le décorateur . Je dois aussi vous dire que la guerre n'est pas de mon goût, mais qu'on est quelquefois forcé à la faire . Les agresseurs en tout genre ont tort devant Dieu et devant les hommes . Je n'ai jamais attaqué personne . Fréron m'a insulté des année entières sans que je l'aie su . On m'a dit que ce serpent avait mordu ma lime avec des dents aussi envenimées que faibles . Lefranc a prononcé devant l'Académie un discours insolent dont il doit se repentir toute sa vie, parce que le public a oublié ce discours, et se souvient seulement des ridicules qu'il lui a valus . Pour votre pièce des Philosophes, je vous répèterai toujours que cet ouvrage m'a sensiblement affligé . J'aurais souhaité que vous eussiez employé l'art du dialogue et celui des vers que vous entendez si bien, à traiter un sujet qui ne dût pas une partie de son succès à la malignité des hommes, et que vous n'eussiez point écrit pour flétrir des gens d'un très grand mérite dont quelques uns sont mes amis, et parmi lesquels il y en eu de malheureux et de persécutés . Le public finit par prendre leur parti . On ne veut pas que l'on immole sur le théâtre ceux que la cour a opprimés . Ils ont pour eux tous les gens qui pensent, tous les esprits qui ne veulent point être tyrannisés, tous ceux qui détestent le fanatisme ; et vous qui pensez comme eux, pourquoi vous êtes vous brouillés avec eux ? il faudrait ne se brouiller qu'avec les sots . On a envoyé un recueil de la plupart des pièces concernant cette querelle . Un des intéressés a fait des notes bien fortes sur les accusations que vous avez malheureusement intentées aux philosophes, et sur les méprises où vous êtes tombé dans ces imputations cruelles . Il n'est pas permis, vous le savez, à un accusateur de se tromper . C'est encore un grand désagrément pour moi que notre commerce de lettres ait été empoisonné par les reproches sanglants qu'on vous fait dans ce recueil, et par ceux qu'on m'a fait à moi d'entretenir commerce avec celui qui se déclare contre mes amis .J'avais été gai avec Lefranc, avec Trublet et même avec Fréron, j'avais été très touché de la visite que vous me fîtes aux Délices, j'ai regretté vivement votre ami M. Patu, et mes sentiments partagés entre vous et lui, se réunissaient pour vous ; j'avais pris un intérêt extrême aux succès de vos talents ; vous m'avez fait jouer un triste personnage quand je me suis trouvé entre vous et mes amis que vous avez déchirés . Je vous avais ouvert une voie pour tout concilier, mais au lieu de la prendre vous avez redoublé vos attaques . C'est aux jésuites et aux jansénistes à se détruire, et nous aurions dû les manger tranquillement au lieu de nous dévorer les uns les autres . »
2 Lettre non connue .
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