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22/12/2015

il ne faut pas voir deux fois de suite un père qui dit noblement à sa fille qu'elle est une catin .

...

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

22 décembre [1760] 1

Comment vont les yeux de mon cher et respectable ami ? de mon divin ange ? N'importunai-je point un peu trop mes deux chevaliers ? Plût à Dieu que les chevaliers de Tancrède fussent aussi preux que vous ! Mais il faut que je vous dise qu'on a joué à Dijon , à La Rochelle, à Bordeaux, à Marseille La Femme qui a raison . Si l'ami Fréron m'a ôté les suffrages de Paris, je suis devenu un bon poète de province . Pourquoi après tout ne souffrirait-on pas La Femme qui a raison dans la capitale ? n'y aime-t-on pas un peu se réjouir ? n'y veut-on que des tombeaux, des chambres tendues de noir, et des échafauds ?

En tout cas, voici Oreste ; pourquoi tous ceux qui aiment l'antiquité sont-ils partisans de cet ouvrage ? Pensez-vous que Mlle Clairon ne fit pas un grand effet dans le rôle d'Electre, et Mlle Dumesnil dans celui de Clytemnestre ? Croyez-vous que les cris de Clytemnestre ne fissent pas un effet terrible ?

Vous aurez mes anges un autre petit paquet par la poste prochaine ; ou je suis bien trompé, mais ce paquet ne sera point Fanime . Pourquoi ? Parce qu'on ne peut faire qu’une chose à la fois , parce que je ne suis pas encore content, parce qu'il ne faut pas voir deux fois de suite un père qui dit noblement à sa fille qu'elle est une catin .

Je vous avoue que j'ai grande envie de savoir si la pièce de Heurtaud vous déplait autant qu'elle nous a plu , si d'autres rogatons vous ont amusés, si vous n'attendez pas incessamment M. le maréchal de Richelieu, si vous n'aurez pas la bonté de m'envoyer la seconde épreuve de Tancrède, si M. Lemierre Térée a reçu ma réponse que j'ai pris la liberté il y a longtemps de mettre sous votre enveloppe . Vous me direz que je suis un grand questionneur . Il est vrai mes anges .

Nous sommes très contents de Mlle Rodogune . Nous la trouvons naturelle, gaie et vraie . Son nez ressemble à celui de Mme de Ruffec 2, elle en a le minois de doguin, de plus beaux yeux, une plus belle peau, une grande bouche, assez appétissante, avec deux rangs de perles . Si quelqu'un a le plaisir d'approcher ses dents de celle-là, je souhaite que ce soit plutôt un catholique qu'un huguenot . Mais ce ne sera pas moi sur ma parole . Mes divins anges j'ai soixante et sept ans . Comptez que le plus beau portrait qu'on puisse faire de moi est celui que je vous envoyai il y a je crois trois ans 3. J’étais bien jeune alors . Mille tendres respects .

V. »

1 Date complétée par d'Argental ; le passage « si vous n'aurez pas la bonté ….enveloppe , supprimé dans l'édition de Kehl l'est dans toutes les éditions suivantes .

2 Sur Mme de Ruffec, voir dans le troisième discours « De l'Envie » des Discours en vers sur l'Homme ; dans celui-ci ,on prétendit dans le temps que le petit monstre était Mme de Ruffec,veuve en premières noces de M. de Maisons; voyez la lettre à Pont-de-Veyle,du 10 mai 1738 : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance-annee-1738-partie-3-111853962.html

Il désire fort d'avoir le livre sur les impôts, qui a envoyé son auteur à Vincennes

... On croirait qu'il s'agit de notre Nanard Tapie, renard tapi qui sort de son terrier .

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

[vers le 22 décembre 1760] 1

Le solitaire des Alpes fait mille compliments à monsieur Damilaville et à M. Thieriot . Il désire fort d'avoir le livre sur les impôts, qui a envoyé son auteur à Vincennes . M. Thieriot ne pourrait-il pas adresser ce volume à M. Tronchin, à Lyon, par la diligence, en cas qu'il soit un peu gros ? Mes lettres sont courtes, monsieur, mais mes travaux sont longs ; s'ils vous amusent, pardon à la brièveté de mon style épistolaire . J'ose vous prier de vouloir bien faire rendre l'incluse .

Je ne sais nulle nouvelle de la littérature : je me recommande à M. Thieriot comme à vous . Mille souhaits per le sante feste del divino natale 2. »

1 La lettre a toujours été datée du 6 janvier 1761, mais cette date paraît un peu tardive dans la mesure où l'emprisonnement de Mirabeau remonte au début de décembre 1760, et surtout incompatible avec la mention des fêtes de Noël qui termine la lettre . Mme d'Épinay écrivit à V* vers le 15 décembre 1760 : « Vous a-t-on parlé d'un livre de M. de Mirabeau intitulé Théorie de l'impôt ? C'est un orage, tout y est confondu, obscur ; et puis des traits de lumière qui éblouissent, qui renversent ; des calculs faux, des idées justes, de l'éloquence, de l'amphigouri ; hardi jusqu'à la témérité […] au reste un égard marqué pour les moines, un tableau frappant et vrai de nos malheurs, un léger crayon de remèdes assez incertains ; le tout l'a conduit à Vincennes, où il est depuis hier […] Son livre est in-4° et n'en est pas moins défendu . Il est trop considérable pour être envoyé par la poste, sans quoi, mon cher philosophe, vous l'auriez déjà . » Il s'agit de la Théorie de l'impôt (Victor Riquetti, marquis de Mirabeau ), 1760 .

2 Pour les saintes fêtes du divin Noël .

 

Après tout je trouve qu'on peut être fort heureux sans une calotte rouge, et même sans calotte .

... Ce qui fait que 29 ans plus tard, le peuple a lu , non sans raison, "sans culotte" et est passé à l'acte !

 

« A Jean-Robert Tronchin

à Lyon

22 décembre [1760]

Il faut que je vous dise mon cher monsieur combien Chimène est reconnaissante de toutes vos bontés et combien nous les partageons Mme Denis et moi . Quelle est la sorte d'attention officieuse que vous n'avez pas eue pour nous ? Nos cœurs y seront sensibles, tant que nous vivrons .

Vous ai-je mandé que M. de Laleu payerait les 10 000 à vue ou approchant ?

Je crois que je n'ai point dit que je prêterais à M. des Franches pour le terme des Rois conformément à vos intentions . Si je ne vous l'ai point mandé, je vous le mande . Je m'arrangerai en conséquence pour tous les autres paiements .

J'ai lu le mémoire de votre archevêque, il me paraît sage, clair, profond, et convaincant . Il a surement plus d'esprit et plus de science que le cardinal de Tencin, mais je ne sais s'il sera cardinal . Après tout je trouve qu'on peut être fort heureux sans une calotte rouge, et même sans calotte .

Votre très humble et très obéissant serviteur

V. »

 

 

... la divine providence nous accorde à tous une partie égale d'intelligence . Je ne crois pas avoir jamais écrit une pareille sottise , mais si je l'ai écrite je la rétracte

...

 

« A Nicolas-Claude Thieriot

22 décembre 1760

Un M. Chamberland, dans le Censeur hebdomadaire, prétend que je lui ai écrit que la divine providence nous accorde à tous une partie égale d'intelligence . Je ne crois pas avoir jamais écrit une pareille sottise , mais si je l'ai écrite je la rétracte . Je n'ai jamais prétendu avoir une tête organisée comme un Neuton, un Rameau . Je n'aurais jamais trouvé la base fondamentale 1, ni le calcul intégral . Il n'y a que le sage du stoïcien qui soit tout, même cordonnier comme dit Horace 2.

Est-il vrai que Frélon vient d'être mis au Fort l’Évêque ?3 »

1 V* fait allusion à la théorie du contrepoint de Rameau, suivant laquelle une harmonie naturelle se construit sur une base fondamentale ; voir son Traité de l'harmonie, 1722 , suivi d'autres ouvrages de théorie musicale .

2 Dans les Satires , I, 3, 125 .

3 Fréron qui défendait les institutions contre les attaques des philosophes, avait été injustement emprisonné, pour peu de temps, pour un prétendu libelle contre le marquis de Bacqueville .

 

sans préjudice des fétiches

... La peste soit des superstitieux et des vendeurs de grigris !

 

« A Pierre Pictet

22è décembre 1760 1

Je présente mes respects à mes chers voisins, et souhaite toute sorte de prospérité à la mère et à l'enfant 2; je supplie monsieur Pictet de vouloir bien avoir la bonté de lire ce petit mémoire que j'adresse à M. de Chapeaurouge, sans préjudice des fétiches 3.

V. »

1 L'édition Havens B. lit par erreur Sbre pour Xbre .

2 Mme Constant de Rebecque avait eu un fils, Juste, né le 17 décembre 1760 .

3 Allusion à De Brosses et à son Culte des dieux fétiches […].

 

Je veux qu'elle apprenne à vivre dans le monde et à y être heureuse

... Message de tous les éducateurs, les vrais , ceux qui ne mettent pas les femmes sous l'éteignoir .

 

« A Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

à Saint-Joseph

à Paris

A Ferney par Genève 22 décembre 1760

Il y a eu , madame, de la réforme dans les postes . Les gros paquets ne passent plus . Je doute fort que vous ayez reçu ceux que j'ai eu l'honneur de vous adresser et j'en suis très en peine . Je vous prie très instamment de me tirer de cette inquiétude . Les rogatons que j'avais trouvés sous ma main pour vous amuser ou pour vous ennuyer un quart d'heure sont des misères . Je le sais bien , mais je serais affligé qu'elles eussent passé dans d'autres mains que les vôtres .

Comment vous amusez-vous madame ? que faites-vous de ces journées qui paraissent quelquefois si longues dans une vie si courte ? comment le président Hénault s'accommode-t-il d'être septuagénaire ? Pour moi qui touche à ce bel âge de la maturité je me trouve très bien d'avoir à gouverner les dix-sept ans de Mlle Corneille . Elle est gaie , vive et douce , l'esprit tout naturel . C'est ce qui fait apparemment que Fontenelle l'a si mal traitée . Je lui apprends l'orthographe, mais je n'en ferai point une savante . Je veux qu'elle apprenne à vivre dans le monde et à y être heureuse .

Je vous souhaite les bonnes fêtes , madame, comme disent les Italiens mes voisins . Cependant vous ne sauriez croire combien il y a de gens en Italie qui se moquent des fêtes . Mon Dieu que le monde est devenu méchant ! C'est la faute de ces maudits philosophes .

V. »

 

je vous suis attaché comme si j'avais eu l'honneur de vivre avec vous

...

 

« A Etienne-Noël Damilaville

22 décembre 1760

Je profite , monsieur, de vos bontés . J'ai à peine le temps d'écrire un mot ; mais ce mot est que je vous suis attaché comme si j'avais eu l'honneur de vivre avec vous . Il me semble que vous êtes mon ancien ami . »1

1 On notera une fois pour toutes que tous les remerciements de ce genre adressés par V* à Damilaville concernent des envois franco de port et autres facilités postales que Damilaville, en sa qualité de premier commis des vingtièmes, fournissait abondamment, en abusant des prérogatives de sa charge .