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20/12/2015

Monsieur, je vous souhaite la bonne année . Votre pauvre secrétaire n'a plus que cela à faire

...

 

« A Ivan Ivanovitch Schouvalov 1

Monsieur, je vous souhaite la bonne année . Votre pauvre secrétaire n'a plus que cela à faire . Votre Excellence m'a cassé aux gages . Il y a un siècle que je n'ai eu de vos nouvelles, et je suis toujours dans ma profonde ignorance touchant les paquets que j’ai eu l'honneur de vous envoyer . Le gentilhomme qui devait venir de Vienne à Genève est apparemment amoureux de quelque Allemande . Nuls papiers, nulle instruction pour achever votre Histoire de Pierre le Grand . La mort de votre ambassadeur M. de Golofskin redouble encore mes inquiétudes . Le gros paquet que je lui avais adressé pour Votre Excellence a bien l'air d'être perdu . Je crois vous avoir déjà mandé que l'adresse de ce ballot en toile cirée était à M. de Golofskin etc. pour faire tenir à M. etc. de Schouvalov etc. à Pétersbourg . Un de vos secrétaires peut en écrire à La Haye au secrétaire d'ambassade . Enfin ma consolation monsieur est de compter toujours sur vos bonnes grâces, sur votre zèle pour la mémoire d'un fondateur et d'un grand homme . Vous n'abandonnerez pas votre ouvrage . J'ai toujours le bonheur de parler de vous avec M. de Soltikof . Il est plus digne que jamais de votre bienveillance . Vous le reverrez un jour très savant et jamais la science n'aura logé dans une plus belle âme . Je vous réitère monsieur mes souhaits pour votre prospérité et pour celle de votre auguste impératrice .

Recevez le tendre respect de votre très humble et obéissant serviteur .

Voltaire .

Au château de Ferney par Genève

20 décembre 1760. 2»

1 Le passage : La mort de votre ambassadeur ….secrétaire d'ambassade ; manque dans les éditions .

2 Schouvalov a noté sur la lettre :  « Répondu le 26 janvier 1761 »

19/12/2015

Je vous écris vendredi au soir avant que la partie carrée de Mme de Bouillon soit arrivée

... A la vérité, espoir déçu ! vendredi étant un jour maigre , ceinture, point de bouillon gras !...

 

« A Jean-Robert Tronchin

à Lyon

[19 décembre 1760] 1

Je vous écris vendredi au soir avant que la partie carrée de Mme de Bouillon 2 soit arrivée . Or vous savez mon cher correspondant ce que c'est que cette partie carrée de Mme Bouillon 3, c'est une femme et trois hommes, femme ou fille il n'importe . Quand Chimène sera venue, nous l'en aimerons mieux en sachant que vous l'avez trouvée bon enfant . Mais elle arrivera dans un temps funeste . Notre pauvre Daumart est condamné à mort . Il n'y a plus de grâce à espérer . Nous voilà dans les longues soirées d'hiver avec un mourant . La situation est douloureuse . Cela me donne du noir .

Les dix mille livres seront je crois payées à vue, ou du moins à la fin du mois .

Voulez-vous permettre que l'incluse aille franco à Paris ? Elle pourra faire venir encore quelques gouttes d'eau .

Le bruit se répand ici, comme vous savez, que le roi de Prusse a fait sa paix avec Marie-Thérèse . Vous n'en croyez rien ni moi non plus .

Mme Denis et moi nous souhaitons les bonnes fêtes aux quatre huguenots .

V. »

 

1 Manuscrit endossé du 20 décembre (le samedi) jour où la lettre a été postée .

2 Marie-Anne Mancini, femme de Godefroy-Maurice de La Tour d'Auvergne, duc de Bouillon .

3 L'expression était quasi proverbiale en effet ; voir Charles de Brosses , Lettres familières, XXI .

15/12/2015

tous nos plats poètes évêques ou non

... Ne sont pas spécialement doués pour remplir les temples et églises . Les Prêtres (ceux qui font des CD) ne rameutent guère de paroissiens, si ce n'est dans le troisième âge qui, retombant en enfance, sont plus près d'être des fans d'Henri Dès que d'Iron Maiden .

 

« A Gabriel Cramer

[décembre 1760] 1

Il y a un Corpus poetarum bouquin in-folio, imprimé à Lyon dans lequel on trouve tous nos plats poètes évêques ou non, du IV, V et VIè siècle . J'en ai un besoin indispensable pour les notes chrétiennes de Jeanne . Je prie caro Gabriel de ne plus oublier la vie de saint Fréron, ouvrage très utile pour former l'esprit et le cœur .

Vale. »

1 Ce billet semble avoir été écrit quand Cramer préparait l'impression des Anecdotes sur Fréron que V* avait dans l'esprit en août 1760 et qui furent publiées en janvier 1761 ; voir lettre du 20 août 1760 à Thieriot : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance-annee-1760-partie-29-120683464.html

et du 29 août 1760 à Damilaville : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance-annee-1760-partie-30-120702130.html

30/10/2015

Ceux qui font courir les lettres, devraient au moins les imprimer fidèlement

... Je fais de mon mieux en ce sens .

 

 

« A Jean Le Rond d'Alembert

30 octobre [1760]

Soyez sûr mon cher philosophe que je n'ai nulle part aux facéties, et que celui qui a ramassé ces plaisanteries ne m'a nullement consulté . Quant à ma lettre au roi de Pologne il y a un gentilhomme breton 1. Tel est l'original de ma lettre et j'en atteste Sa Majesté polonaise . Ceux qui font courir les lettres, devraient au moins les imprimer fidèlement .

Il faut absolument que l'imprimeur qui a mis le factum de M. de Sainte-Foix dans le recueil des facéties (quoique ce factum soit très sérieux ) ait copié le mot de sieur qui se trouve dans le factum, et qui est d'usage au barreau . S'il m'avait consulté je lui aurais appris la différence qui est établie entre le protocole du Châtelet et celui de la société .

Au reste les Essais sur Paris 2 m'ont toujours paru un très bon livre, et si j'avais été averti on en aurait dit encore plus de bien . Je reçois dans ce moment un exemplaire des facéties . Je trouve à la page 282 factum de M. de Saint-Foix . Il y a apparence que celui qui a fait cette table sait son monde, et que l'imprimeur n'a su que son métier .

Cramer entre chez moi, et me jure qu'il n' aucune part à l'édition de ces facéties .

Voilà mon très aimable philosophe tout ce que je sais sur ces facéties dont on me promet le second tome . L'ami Thieriot vous a-t-il remis un Pierre ?

Voilà l’académie berlinoise un peu dérangée . Gare que ce M. Totleben ne touche à la caisse des pensions . En ce cas il vaudrait mieux en avoir une de l'impératrice de toutes les Russies ; elle serait plus assurée . Je tremble pour Luc . Vous ai-je mandé que le fils d'Omer de Fleury est venu chez moi, qu'il a même eu sa part de nos spectacles, et que je l’ai reçu avec beaucoup de dignité ?

Et ces bons mariages de Genève ?3 qu'en dirons-nous ? votre professeur Nekre n'allait point à la comédie, mais il besognait la femme de Vernes le marchand, frère de Vernes le prédicant . Vernes le marchand qui n'allait point à la comédie , a sanglé un coup de pistolet à Nekre le professeur 4. Or ne croyez-vous pas malgré Jean-Jacques qu'il vaut mieux aller à la comédie, que de donner cette comédie ?

Je vous prie de voir Tancrède à la reprise si on la reprend . Je pourrais me plaindre des comédiens qui m'ont un peu démembré sans me consulter . Mais M. d'Argental mettra ordre à tout . Je lui ai grande obligation pour ce Tancrède . Il m'a fait corriger quelques fautes énormes dans lesquelles moi, très étourdi vieillard, j'étais tombé . Pluribus attentus minor est ad singula sensus 5. Comptez que je suis à vous et à vos ordres, et que je suis attentus à tout ce qui vous regarde . Écrasez l'infâme . 6»

 

1 Dans sa lettre du 15 août 1760 au roi Stanislas Leszcynski ( http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/08/15/si-jamais-il-se-trouve-quelque-athee-dans-le-monde-ce-que-je-5799992.html) à laquelle V* fait allusion, il appelait Saint-Foix « le Breton » ; voir aussi la lettre du 28 juillet 1760 à Mme d'Epinay : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/07/28/dans-presque-toutes-les-entreprises-il-ne-faut-que-de-la-har-5799993.html

2 Les Essais sur Paris avaient paru en 1754 .

3 Dans l'article « Genève » de l'Encyclopédie, d'Alembert avait écrit (VII, 576 b ) qu'il n'y avait peut-être de plus beaux mariages en aucune autre ville .

4 Mme Constant de Rebecque raconte cette aventure à son mari dans une lettre conservée . On en trouve aussi trace dans les archives genevoises à la date du 13 octobre 1760 .

5 Le sens attentif à plus de choses l'est moins à chacune en particulier . Le mot attentus, attentif, est repris ensuite .

6 Premier usage de la formule sous sa forme définitive, après une première ébauche dans une lettre du 5 juin 1759 à Frédéric II, en écho à une phrase de celui-ci .

19/10/2015

Quand vous voudrez venir dans ma chaumière, nous vous voiturerons, nous vous hébergerons, chaufferons, blanchirons, raserons et égaierons

... Si ce n'est pas de la générosité, qu'est-ce  donc ?

 

Mis en ligne le 9/8/2017 pour le 19/10/2015

 

« A Nicolas-Claude Thieriot

19 octobre [1760]

Voici mon cher ami une lettre de change de quatre Pierre, sur Robin mouton : je vous prie de donner un exemplaire de ma part au ferme et admirable Protagoras, et quand il aura lu mon Pierre, vous le lui ferez relier bien proprement . Faites des trois autres exemplaires ce qu'il vous plaira, et tâchez qu'aucun ne vous ennuie . Quand vous voudrez venir dans ma chaumière, nous vous voiturerons, nous vous hébergerons, chaufferons, blanchirons, raserons et égaierons 1.

L'intendant de Bourgogne vint dans mon trou ces jours passés avec le fils de l'avocat général qui en a usé si cordialement avec nous . Il avait un cortège de proconsul . Le duc de Villars était chez moi . Nous allions jouer Fanime ou Médime, le nom n'y fait rien . Fanime est plus sonore à cause de l'alpha ; nous n'en mîmes pas plus grand pot au feu . Nous étions cinquante-deux à table . L'intendant alla coucher à Ferney, sa troupe à Tournay, la mienne aux Délices . Je reçus fort noblement , fort dignement le fils de l'avocat général . Son oncle me dit que dans quelques années il succéderait à son père 2. Souvenez-vous alors, lui dis-je, que vous devez être l'avocat de la nation . Le jeune homme m'attendrit . Il pleura à Fanime

Je ne le punis point des fautes de son père 3 .

Il faut que Pompignan m'envoie son fils 4 . J'ai lu deux brochures, l'une est de Lanoue,5 aerugo mera 6– l'autre 7 d'une bonne âme mais cette âme se trompe sur le second acte de Tancrède . Il est vrai que les comédiens l'ont induit en erreur . Tancrède est toute autre chose que ce que vous avez vu au théâtre . J'espère qu'à la reprise, ils joueront ma pièce et non pas la leur . Ils me doivent cette petite condescendance puisque je leur ai donné le produit des représentations et de l'impression . Mon cher ami il serait plus doux pour moi de faire pour l'amitié ce que j'ai fait pour les talents . Ce que vous me  mandez de la Popelinière passe mes conceptions . Quelle disparate ! Les fermiers généraux sont cependant les seuls qui aient de l'argent à Paris . Adieu, vous intéressiez-vous beaucoup au Canada? quid novi ?

V. »

1 D'après Regnard, Le Joueur, III, 3 .

2 Omer-Louis-François Joly de Fleury qui était alors âgé de 17 ans succéda en effet à son père en 1767 dans la charge d'avocat général .

3 Mahomet, II, 5 .

4 Pompignan allait en effet avoir un fils qui naitra le 8 décembre 1760 et sera prénommé Jean-Georges-Louis-Marie . V* savait-il que Pompignan allait avoir cet enfant ?

5 La Noue : Lettre critique à M*** sur la tragédie de Tancrède, 1760, datée « A Paris, ce 25 septembre 1760 » ; voir un résumé de cette brochure dans John S. Henderson, Voltaire's Tancrède (Studies, 1968 ) p. 36-37 .

6 Du pur vert-de-gris ; Horace, Satires, I, 4 , 101 .

7 Cette brochure n'a pu être identifiée .

18/10/2015

Il vaut mieux employer mon temps à perfectionner ma pièce qu'à la défendre

... Soit dit en passant, ce que devraient faire bien des gens de spectacle et de lettres .

 

Mis en ligne le 9/8/2017 pour le 18/10/2015

 

« A Claire-Josèphe-Hippolyte Léris de La Tude Clairon

18 octobre 1760 1

Je ne conçois pas mademoiselle comment on a pu vous dire qu'il y a de l'inconséquence dans les reproches qu'Aménaïde fait à son père au 4è acte . Vous avez senti sans doute qu'Aménaïde ne s'emporte que quand son père s'oppose à l'idée d'aller trouver Tancrède . Aussi ces nouveaux emportements loin de contredire ces vers :

Votre vertu se fait des reproches si grands etc.2

sont la conduite évidente de ce sentiment . Elle n'ose d'abord dire à son père tout ce qu'elle retient dans son cœur par respect ; et enfin ce respect cède à la douleur . Voilà la marche du cœur humain . Je vous demande en grâce de ne point écouter les fausses délicatesses de tant de mauvais critiques et de vous en rapporter à votre propre sentiment . Il doit être celui de la nature .

J'ignore encore pourquoi on a dit que votre situation au 2è acte n'était pas intéressante avec votre père . Tout ce que je sais c'est que le père a été chez moi très intéressant à ce second acte . Il pleurait et faisait pleurer . J'ai vu aussi l'effet de la fin . Les fureurs d'Aménaïde seraient écourtées (ce qui est le plus grand des défauts) si elle ne repoussait pas son père, à qui elle demande pardon le moment d'après . Les fureurs d'Oreste sont froides, parce qu'Oreste est seul, parce qu'il n'y a pas d'objet présent qui cause ces fureurs, parce que ces fureurs ne sont pas nécessaires, parce qu'on s'intéresse médiocrement à lui . C'est ici tout le contraire .

J'aurais bien d'autres choses à vous dire mais je crains d'abuser de vos bontés . Il vaut mieux employer mon temps à perfectionner ma pièce qu'à la défendre ; et d'ailleurs vous avez une autre pièce à jouer . Rien ne réussira que par vous . Recevez parmi tant d'autres hommages ceux du vieux Suisse. »

1 L'édition Cayrol la date du 14 .

2 Tancrède , IV, 6 .

Si notre scène devient anglaise, nous sommes bien avilis

... Par anglaise, de nos jours , entendons de langue anglaise, ces foutus USA polluants toute la planète . Toute ? non, il est encore une Comédie française vivante qui résiste .

 

Mis en ligne le 9/8/2017 pour le 18/10/2015

 

« A Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

18è octobre 1760 aux Délices

Je prends la liberté madame, de faire passer par vos mains ma réponse à Mlle Clairon ; et je vous supplie instamment de vous joindre à moi pour empêcher l'avilissement le plus odieux qui puisse déshonorer la scène française et achever notre décadence . Que M. d'Argental et tous ses amis emploient leur crédit pour sauver la France de cet opprobre .

J'ai encore une grâce à vous demander qui ne regarde que moi, c'est de dissiper mes continuelles alarmes sur l'impression dont on me menace . Il y a certainement dans Paris des exemplaires de Tancrède conformes à la leçon des comédiens . Il est certain que pour peu qu'on attende la pièce paraîtra dans toute sa misère , pendant que je passe le jour et la nuit à la corriger d'un bout à l'autre, à la rendre moins indigne de vous et du public . Vous en recevrez incessamment une nouvelle copie , et je pense qu'il sera convenable de toutes façons de la reprendre vers la saint Martin . On sera obligé de transcrire de nouveau tous les rôles . Il n'y en a pas un seul où je n'aie fait des changements . Si ces changements valent quelque chose, c'est à vous que j'en suis redevable, c'est à votre goût, à l'intérêt que vous avez pris à l'ouvrage, à vos réflexions aussi solides que fines . Si je me suis un peu récrié contre quelques vers qu'on a été forcé de substituer à la hâte, si ces vers m'ont paru défectueux, c'est l'amour de l'art et non l’amour-propre qui s'est révolté en moi . Je n'ai pas senti avec moins de reconnaissance la nécessité de plusieurs changements, je n'en ai pas moins approuvé vos remarques, et plusieurs vers mis à la place des miens . M. d'Argental sera-t-il encore longtemps à la campagne ? Il me paraît qu'en son absence vous commandez l'armée avec bien du succès . Je me flatte que vos troupes préviendront les irruptions des housards libraires . Quand jouera-t-on La Belle Pénitente 1? Mlle Clairon est-elle cette pénitente ? Elle seule peut faire réussir cette détestable pièce anglaise, mais je me flatte que l'auteur qui s’abaisse à chercher des modèles chez les barbares se sera fort éloigné de son modèle . Si notre scène devient anglaise, nous sommes bien avilis . Nous ne sommes déjà que les traducteurs de leurs romans . N'avons-nous pas déjà baissé assez pavillon devant l'Angleterre ? C'est peu d'être vaincus, faut-il encore être copistes ? Ô pauvre nation ! Madame le cœur me saigne, mais il est à vous .

V. »

 

1 Il doit s'agir de Caliste, de Colardeau, pièce adaptée de The fair Penitent , de Nicolas Rowe , qui fut représentée au Théâtre-français le 12 novembre 1760 ; voir lettre du 3 novembre 1760 à d'Argental ; une Caliste plus ancienne avait été représentée en 1750 ; elle est attribuée à différents auteurs, Mauprié, Séran de La Tour et Thibouville ; Clarence Brenner la donne à l'abbé de La Place, mais se trompe peut-être , voir L'Année littéraire du 12 décembre 1760, VIII, 169-185 .