13/03/2013
Ils me donnent quelquefois des articles peu intéressants à faire; mais tout m'est bon, et je me tiens trop heureux et trop honoré de mettre quelques cailloux à ce magnifique édifice
... Also sprach Voltaire ! Modeste maçon de l'Encyclopédie .
Je vous donne parfois (souvent ? ! ) des commentaires à jeter au fond de l'eau directement, quelques fois bons à faire des ricochets, avec la même fin quand même .
Ne retenez que les paroles de Voltaire et vous ferez une part de mon bonheur .
« A M. Nicolas-Claude THIERIOT.
Lausanne, 5 janvier [1758].
Le cacouac 1 de Lausanne vous souhaite santé et prospérité. Je ne sais pas comment les supérieurs des jésuites, qui d'ordinaire réparent par la prudence la folie qu'ils ont faite de s'enrôler à quinze ans, peuvent souffrir de telles impertinences dans leurs bas officiers. Ils se font des ennemis irréconciliables; ils se rendent l'horreur et le mépris de tous les honnêtes gens. Voilà de plaisants marauds, de croire soutenir la religion par des libelles diffamatoires, et de mériter le pilori en prêchant les bonnes mœurs Les prédicants de Genève seront plus sages, et je crois qu'ils se garderont bien de s'exposer au ridicule en attaquant l'Encyclopédie.
J'attends avec impatience la tragédie 2 de l'homme à talent qui a eu le bon esprit de quitter les jésuites, et le courage de donner à vos dames une belle pièce sans amour. J'espère qu'il n'en sera pas de cette pièce comme de tant d'autres, qui ont paru avec éclat pour être plongées ensuite dans un éternel oubli. Il y a en effet, mon cher et ancien ami, de beaux articles dans le septième tome de l'Encyclopédie; mais ce ne sont pas les miens. Ce ne sont pas non plus les déclamations vagues et plates qui se trouvent là en trop grand nombre, mais les articles vraiment utiles concernant les sciences et les arts. Ce sera un ouvrage immortel, et si les entrepreneurs avaient mieux choisi leurs ouvriers, ce serait un ouvrage parfait. Ils me donnent quelquefois des articles peu intéressants à faire; mais tout m'est bon, et je me tiens trop heureux et trop honoré de mettre quelques cailloux à ce magnifique édifice. Je ne suis pourtant pas sans occupations dans ma douce retraite j'y passerai tout l'hiver. On n'a point une plus belle vue à Constantinople, et on n'y est pas si bien logé. J'irai ensuite revoir mes tulipes aux Délices. J'attends toujours le gros tonneau d'archives 3 qu'on m'emballe de Pétersbourg; mais il ne partira qu'après le dégel des Russes. c'est-à-dire au mois de mai. En attendant, j'ajoute à l'Histoire générale les chapitres de la religion mahométane, des possessions françaises et anglaises en Amérique, des anthropophages, des jésuites du Paraguai, des duels, des tournois, du commerce, du concile de Trente, et bien d'autres. C'est à M. de Richelieu et au roi de Prusse à terminer cette histoire. Je ne sais à présent où est mon disciple. Il disait, il y a quelque temps, à Mitchell, le ministre d'Angleterre, à propos de la cacata 4 de la flotte d'Albion « Eh bien que faites-vous à présent ? » « Sire, nous laissons faire Dieu. » « Ah je ne savais pas qu'il fût votre allié. » « Sire, c'est le seul à qui nous ne payons pas de subsides. » « C'est aussi le seul qui ne vous assiste pas. » Voilà une plaisante conversation.
Vale, scribe, et ama. »
1 Ce nom désigne les philosophes. J.-N. Moreau, mort en 1803, avait publié Nouveau Mémoire pour servir à l'Histoire des Cacouacs, 1757, petit in-8°. Le Catéchisme et Décisions des cas de conscience, à l'usage des Cacouacs, etc., publié en 1758, est d'un abbé de Saint-Cyr. (Beuchot.)
Dans sa lettre du 27 décembre 1757 Thieriot écrit à V* : « … les jésuites vont publier un écrit périodique intitulé La Religion vengée dans lequel ils combattent Milord Bolingbroke, M. de Montesquieu, M. de Buffon, d'Alembert, Diderot, Rousseau et l'essai sur l'Histoire universelle . Ils font précéder ce grand ouvrage d'une satire allégorique assez ingénieuse et assez piquante dans laquelle ils vous appellent des Kakouacs d'après la mot grec kakos, méchant, et tâchent de vous rendre aussi odieux qu'il leur est possible . Vous recevrez vraisemblablement un petit recueil d'injures presque en même temps que ma lettre . »
L'affaire avait commencé par une attaque dans le Mercure de France d'octobre 1757 contre les philosophes plus ou moins assimilés aux petits-maîtres esprits forts, où le mot cacouac s'appliquait à un monstre ayant sous la langue une poche de poison distillé à chaque mot et faisant le mal pour le plaisir .
2 Iphigénie en Tauride, par Claude Guymond de La Touche dont la reprise du 12 décembre 1757 était annoncée par la lettre du 27 de Thieriot .http://books.google.fr/books?id=pTZMAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
3 Pour mener à bien l'Histoire de l'empire de Russie sous le règne de Pierre le Grand ; voir lettres : du 1er octobre 1757 à Thieriot : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/12/31/il-se-perdit-dans-ce-temps-la-un-paquet-du-courrier-les-aman.html
du 26 octobre 1757 au même : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/01/16/je-n-en-suis-pas-moins-persuade-que-le-commerce-est-l-ame-d.html
du 14 novembre 1757 à Shouvalov : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/01/16/je-n-en-suis-pas-moins-persuade-que-le-commerce-est-l-ame-d.html
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12/03/2013
Ah madame, ne changez pas avec la fortune
... Depuis l'origine des temps la femme a un faible pour l'homme fort , sa survie en dépendant, et accessoirement celle de l'espèce .
Qu'y faire ?
Rien .
Restons zen
« A Marie-Ursule de KLINGLIN, comtesse de LUTZELBOURG.
A Lausanne, où je serai tout l'hiver, 5 janvier [1758].
Eh bien madame, monsieur votre fils n'a donc perdu qu'un cheval, et a gagné de la gloire 1. Je lui en fais comme à vous, madame, mon très-tendre compliment. Je me flatte qu'il n'a pas été moins heureux dans la bataille qu'on dit que M. le maréchal de Richelieu a gagnée le 26 décembre contre M. le prince de Brunswick. J'ai gagné, à Potsdam, plus de cinquante louis à ce prince aux échecs; mais il vaut mieux gagner au beau jeu que M. de Richelieu joue. Je n'ai aucun détail de cette grande journée qui venge l'honneur de nos armes, et qui lave dans le sang hanovrien la perfidie dont on les accuse, et la honte de l'armée de Soubise.
Vous abandonnez donc Marie-Thérèse, depuis que le roi de Prusse bat ses troupes, reprend Breslau 2, et a quarante mille prisonniers ? Ah madame, ne changez pas avec la fortune. Je vous ai vue si bonne Autrichienne Mais surtout ayez soin de votre santé. Faites comme moi, mon appartement est si chaud que j'y suis incommodé des mouches en voyant quarante lieues de neiges. Je me suis arrangé une maison à Lausanne qu'on appellerait palais en Italie; quinze croisées de face en ceintre donnent sur le lac à droite, à gauche, et par devant. Cent jardins sont au-dessous de mon jardin . Le grand miroir du lac les baigne. Je vois toute la Savoie au delà de cette petite mer, et, par delà la Savoie, les Alpes qui s'élèvent en amphithéâtre, et sur lesquelles les rayons du soleil forment mille accidents de lumière. M. des Alleurs n'avait pas une plus belle vue à Constantinople. Dans cette douce retraite, on ne regrette point Potsdam et on juge tranquillement les rois .
Avez-vous toujours Mme de Brumath dans votre île ? Vivez-y longtemps heureuse avec elle. Je ne laisse pas de déchiffrer votre écriture, et j'attends vos lettres avec impatience à Lausanne.
Mille tendres respects .
Le Suisse V. »
1 Ce fut le 25 décembre qu'eut lieu le combat où les Hanovriens perdirent cinq à six cents hommes et cent cinquante chariots.
2 Breslau, pris par les Autrichiens le 24 novembre, avait été repris par les Prussiens le 20 décembre; d 'Alembert en parlera dans sa lettre du 11 janvier à V*.
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11/03/2013
Les talents sont parfois cruellement traités
... Mais ce qui me dégoûte au plus profond, c'est le manque de talent récompensé . J'ai eu le malheur de faire une incursion replay sur une émission de C'Cauet : C comme "connerie" à l'état pur sera mon résumé, je ne trouve pas de mot plus exact ; qu'elle chance il a d'être entouré de crêve-la-faim prêts à tout pour lui assurer un succès d'écoute et financier ; à vomir . Comme dit Jean-Pierre Coffe : "c'est de la merde !" . Cauet, je tire la chasse , adieu , reste dans ton élément ! Tes auditeurs se sentent de loin eux aussi . Triomphe de la bassesse .
Quand on est nombreux on a moins peur, c'est ça ?
Je te dédie ceci Riche con : http://www.deezer.com/track/2297841
« A Henri-Louis Lekain
A Lausanne 5 janvier [1758]
On dit mon cher Lekain que monsieur le maréchal de Richelieu a gagné une bataille – mais je ne serai tout à fait content de lui que quand il vous aura donné cette part entière qu'il y a tant d'injustice à vous refuser . Mais pourquoi les autres gentilshommes de la chambre ont-ils la même dureté ? Les talents sont parfois cruellement traités . J'en ai fait longtemps l'expérience et je n'ai été heureux que dans ma retraite .
C'est une fantaisie de Mme Denis que ces habits de théâtre qu'elle vous a demandés . Ces amusements ne conviennent ni à mon âge ni à ma santé ni à ma façon de penser . Mais j'aime toujours l'art dans lequel vous excellez .
Je serai enchanté de vous voir à Lausanne si vous allez à Dijon . Vous auriez mieux fait vos affaires à Genève avec la troupe de Dijon qui au printemps réjouira Genève . Vous gagneriez plus en province qu'à Paris . C'est une honte insoutenable . Je vous embrasse de tout mon cœur , Mme Denis vous fait bien ses compliments .
V. »
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La mort est partout, dans les palais, dans les chaumières, dans les champs de carnage, qu'on appelle les champs d'honneur
... En ce jour où l'on en est à décorer des soldats à titre posthume, soldats morts sur des trottoirs de la métropole, les champs de carnage sont sans limites .
Que peut-on faire tant que les assassins sont admirés, aimés ?
« A M. François de CHENNEVIÈRES
A Lausanne, 5 janvier [1758].
Je ne me porte pas assez bien, mon cher monsieur, pour vous répondre en vers; mais mon état languissant ne m'empêche pas de sentir le mérite des vôtres.
Mêlez, je vous prie, à vos vers un peu de prose qui m'instruise des détails de la victoire qu'on dit remportée, le 26 décembre, par M. le maréchal de Richelieu 1. Je n'ai encore que des bruits vagues. Il est bien étrange que cette nouvelle ne soit pas encore confirmée dans un pays qui a trois régiments à notre service dans cette armée. On dit Mme la duchesse d'Orléans 2 malade, sans espoir de guérison. Cette triste nouvelle est-elle vraie? La mort est partout, dans les palais, dans les chaumières, dans les champs de carnage, qu'on appelle les champs d'honneur; et les douleurs du corps et les peines de l'esprit sont pour la vie.
Écrivez-moi, vous me rendrez la vie douce. »
1 Voir lettre du même jour à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/03/10/nous-laissons-faire-dieu-repondit-mitchenous-laissons-faire.html
2Louise-Henriette de Bourbon, duchesse d'Orléans, mourra le 9 février 1759 . http://fr.wikipedia.org/wiki/Louise-Henriette_de_Bourbon-Conti
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10/03/2013
Nous laissons faire Dieu, .... C'est le seul à qui nous ne payons pas de subsides ...Aussi,dit le roi, c'est le seul qui ne vous assiste pas
... Chers cardinaux papabile !
Selon vos dires le pape est choisi par Dieu, aussi je vous conseille, pour abrèger le temps d'enfermement, d'opter pour la courte paille, Dieu ne pouvant manquer de favoriser le meilleur, à vue d'oeil .
« A M. LE COMTE D'ARGENTAL.
A Lausanne, 5 janvier [1758].
Le roi de Prusse, en parlant à M. Mitchell,1 ministre d'Angleterre, de la belle entreprise de la flotte anglaise sur nos côtes 2, lui dit « Eh bien ! que faites-vous à présent ? Nous laissons faire Dieu, répondit Mitchell. Je ne vous connaissais pas cet allié, dit le roi. C'est le seul à qui nous ne payons pas de subsides, répliqua Mitchell. Aussi, dit le roi, c'est le seul qui ne vous assiste pas. »
Voilà, mon cher ange, les dernières nouvelles après la prise de Breslau. Le roi de Prusse a quarante mille prisonniers à présent, en nous comptant. Je fais des vœux et je crains pour M. de Richelieu. Quoiqu'il ait refusé un malheureux quart de part à Lekain 3, je l'aime toujours. Mais que diable allait-il faire dans cette galère ? Et vous, pourquoi avez-vous une maison dans une maudite île 4 ? C'est l'affaire de M. de Boullongne 5 de vous la payer. Son père 6 l'aurait peinte, il a peint le plafond de la Comédie. Mais daignez donc me dire ce qu'on fait en faveur des pauvres auteurs qui viennent se faire siffler sous ce plafond. De mon temps, on ne cherchait pas à les consoler. Nous allons, nous autres Suisses, donner nos comédies gratis; nous ne payons ni auteurs ni acteurs; mais aussi nous ne sommes point sifflés. Nous n'avons point de premier gentilhomme, et nous ne jouons point à la cour. Lekain m'a fait faire des habits pour Zamti 7 et pour Narbas. Nous jouerons la Femme qui a raison; et, si cette femme et Fanime font plaisir, nous vous les enverrons.
Pour comble de bénédiction, il nous vient un peintre assez bon 8. Il ne peint qu'en pastel : il travaillera sur ma maigre effigie, pour vous et pour les Quarante. Il faudra une copie à l'huile pour mes confrères qui ne veulent pas de crayons. Vous aurez l'original, mon cher et respectable ami; cela est bien juste. Il y a une comédie du roi de Prusse, intitulée le Singe de la mode 9; nous pourrions bien la jouer, tandis qu'il fait de si terribles tragédies en Allemagne. La catastrophe était peu attendue, vous n'auriez pas dit, au 1er d'octobre, qu'il écraserait tout, quand vous autres le teniez pour écrasé, et qu'il m'écrivait qu'il était perdu et qu'il voulait mourir, et que j'essuyais de loin ses larmes, que je ne veux plus essuyer de près. Il n'y a qu'à vivre pour voir des prodiges.
Adieu, mon divin ange. Ah ! si vous pouviez voir ma maison, qui forme un ceintre sur mon jardin, et qui voit d'un côté quinze lieues de lac, et sept de l'autre, et qui a le lac en miroir au bout du jardin, et la Savoie par delà ce lac, et les Alpes au delà de cette Savoie, vous me diriez Tenez-vous là. Mais je suis trop loin de vous.
V.
Voilà donc le vainqueur de Mahon 10 vainqueur du prince de Brunswick . Il ne lui manque que de donner part entière à Lekain . Mais il faut que mes héros pêchent toujours par quelque endroit .
Je n'ai encore que des nouvelles fort vagues de la victoire de M. de Richelieu . Puisse la renommée n'avoir point exagéré à son ordinaire .11 »
1 Sir Andrew Mitchell envoyé par la Grande Bretagne en Prusse . Voir lettre IX de Frédéric II à Mitchell : http://friedrich.uni-trier.de/de/oeuvres/25/id/001000000/text/
et faire recherche « Mitchell » dans : http://friedrich.uni-trier.de/de/oeuvres/5/75/text/?h=mitchell
2 « On vient de recevoir la nouvelle bien constatée de la prise du fort Saint Georges avec deux mille cinq cents prisonniers . Le fort a été rasé . La flotte anglaise qui avait débarqué à l'ile d'Aix s'est contentée d'incendier quelques maisons et de faire quelques désordres à Fouras et ensuite a payé les dégâts sans doute de peur que l'on n'en fit autant dans Hanovre . Ils sont rentrés à Plymouth. » : lettre de Thieriot à Voltaire du 12 octobre 1757 .
5 Jean de Boullongne , fils ainé de Louis de Boullongne, premier peintre du roi ,venait de succéder le 25 août 1757 à François-Marie Peyrenc de Moras au poste de contrôleur général des Finances . http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_de_Boullongne
et : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Marie_Peyrenc_...
6 Louis Boullongne le Jeune 1654-1733 : http://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_de_Boullogne
7 Zamti est un personnage de l'Orphelin de la Chine : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-l-orphelin-de-la-chine-avertissement-114073427.html
, et Narbas de Mérope .
8 Peut-être s'agit-il du peintre Jean-Etienne Liotard (1702-1789) qui selon Mme Denis dans sa lettre du 7 juin 1758 « s'est retiré à Genève sa patrie ».
9 Comédie en un acte composée par Frédéric II pour le mariage de Kaiserlinck le 30 novembre 1742 .Voir article LII : http://friedrich.uni-trier.de/fr/oeuvres/14/text/
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08/03/2013
Mes compliments à toute votre famille et à votre frère l'arabe . Allah, illah, allah
... Yallah ! comme disait soeur Emmanuelle .
« A monsieur le ministre Jacob Vernes
chez monsieur son père à Genève
A Lausanne 3 janvier [1758]
Je suis prêt mon cher monsieur de rendre tous les services qui dépendront de moi au sujet de l’affaire dont vous me parlez et si on a quelque confiance en moi on ne s'en repentira pas . Deux choses sont préalablement nécessaires, c'est que vous soyez bien instruit de ce qu'on veut faire, et que je le sois aussi , afin que ni vous ni moi ne soyons exposés à une fausse démarche . Les voies de conciliation sont toujours les meilleures . Il y a des guerres dans lesquelles il est clair qu'il n’y a rien à gagner pour personne . Il est démontré qu'alors il faut la paix .
Cela n'est pas si bien démontré pour les puissances qui désolent aujourd'hui le monde . Si votre ode 1 est bonne comme je le crois ce sera le seul bien que cette affreuse guerre aura produit . Je vous prie de me l'envoyer . Je me flatte que j'aimerai votre ouvrage autant que j'aime son auteur . Si vous avez quelque nouvelle intéressante n'oubliez pas celui dont vous êtes l'ami et le prêtre
Le Vieux Suisse V.
Pax in terra hominibus bonae voluntatis 2 comme dit notre Vulgate .
Mes compliments à toute votre famille et à votre frère l'arabe 3. Allah, illah, allah. »
1 Vernes devait publier au troisième trimestre 1758 des Fragments d'une ode sur la guerre », dans le « Choix littéraire », périodique qu'il dirigeait . En fait ce poème est de Bordes .
3 Abauzit : voir lettre du 24 décembre 1757 à Vernes : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/02/25/vous-vous-plaignez-de-n-etre-pas-loues-comme-il-faut-que-vou.html
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07/03/2013
Pourquoi nous nommez-vous vilains ? Nous pillons, nous saccageons, et nous sommes larrons privilégiés, cela est vrai. Sommes-nous en cela plus condamnables que ceux qui gouvernent le monde, que les auteurs qui dérobent les pensées d'autrui,
... Ni plus ni moins, vous êtes tous mis dans le panier des indésirables sur cette terre que vous saccagez et polluez
« De Louise-Dorothée von Meiningen , duchesse de Saxe-Gotha
[janvier 1758]
Lettre des pandours au frère suisse.
Pourquoi nous nommez-vous vilains ? Nous pillons, nous saccageons, et nous sommes larrons privilégiés, cela est vrai. Sommes-nous en cela plus condamnables que ceux qui gouvernent le monde, que les auteurs qui dérobent les pensées d'autrui, et que les saints du paradis, qui, pour fonder des églises et des couvents, s'appropriaient les biens du peuple et des particuliers ? Non, assurément. Rendez-nous donc plus de justice, et souhaitez, au lieu de nous injurier, que les souverains de l'Europe suivent à l'avenir notre exemple qu'ils deviennent aussi avides que nous de posséder vos lettres; qu'ils apprennent, par leur lecture, à devenir philosophes, et pandours de la vertu. Si jamais nous avons le bonheur de vous attraper, nous tâcherons de piller votre esprit et vos connaissances, pour nous venger de votre mépris. Nos rossinantes seront alors métamorphosés en Pégases, et nous saurons bien, avec le secours d'une certaine dame qui se nomme Raison, vous empêcher de faire des neuvaines contre nous. Adieu.
P. S. J'ai reçu toutes vos lettres, et j'y réponds à la fois. Le plan de la comédie italienne n'est pas tout à fait assez juste; mais il me siérait mal de vouloir critiquer vos ouvrages. La sœur de Mezzetin 1 n'ose se mêler que de ce qui la regarde; et d'ailleurs il est bien dangereux d'entreprendre de jouer la comédie, puisqu'on risque d'être enlevé par les pandours, ou que les rôles ne soient interceptés. Il y a plus de quatre semaines que je n'ai aucunes nouvelles du roi. Il se peut qu'il m'ait écrit, ce que je crois très- sûrement mais je pense que ses lettres ont peut-être pris des routes qui ne conduisent pas ici.2
On dit que les Français ont reçu un petit échec à Bremen, et qu'il y a eu sept mille hommes de battus. Les Suédois sont au pis en Poméranie. Leur cavalerie s'est retirée dans l'île de Rugen. L'infanterie est à Stralsund, où on les a bloqués et où on va les bombarder. Voilà tout ce que je sais. Mon frère de Prusse m'a adressé cette lettre pour vous. Vous pouvez voir par la date combien les lettres arrivent régulièrement ici.3 Je plains votre aveuglement de ne croire qu'un dieu, et de renier JC . Comment ferez-vous pour plaider votre cause ? Si quelque chose pouvait me divertir encore, ce serait de voir votre apologie. Adieu; donnez-moi, je vous prie, de vos nouvelles, et surtout de celles de mon amant 4. Veuille le ciel qu'elles soient bonnes !
WILHELMINE.
J'ai oublié de vous dire que c'est moi qui suis la pandoure. Je me suis méprise, et j'ai envoyé un papier blanc au roi au lieu de votre lettre, que j'ai retrouvée. Je l'ai fait repartir. Si elle arrive à bon port, vous aurez bientôt réponse. »
1 Personnage de comédie : http://fr.wikipedia.org/wiki/Mezzetin
2 Ceci fait allusion à quelque passage d'une des lettres perdues. Peut-être s'agit-il d'un projet de paix. (Beuchot.)
3 Elle est perdue, ainsi que toute la correspondance entre Voltaire et le prince Auguste-Guillaume, né en 1722, devenu prince royal en 1740, mort le 12 juin 1758.
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