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08/10/2016

vous vous préparez à accabler du poids de votre crédit, une femme que vous croyez sans appui ...Mais je vous avertis, monsieur, que vous ne réussirez pas dans cette entreprise odieuse

... Voilà encore un exemple de la volonté de justice de ce Voltaire que j'aime/nous aimons .

Et que ceux qui ne voient en lui qu'un chicanier, qu'ils se mettent à la place de la famille Calas, Sirven, de La Barre, des serfs de Saint-Claude, etc. et ils verront alors la qualité défensive et la valeur offensive de cet homme génial .

 

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 Avertissement aux barons de la finance et de la politique !

 

« A Charles de Brosses, baron de Montfalcon

20 octobre 1761 1

Vous n'êtes donc venu chez moi, monsieur, vous ne m'avez offert votre amitié que pour empoisonner par des procès la fin de ma vie . Votre agent le sieur Girod dit, il y a quelque temps , à ma nièce, que si je n'achetais cinquante mille écus, pour toujours, la terre que vous m'avez vendue à vie, vous la ruineriez après ma mort, et il n’est que trop évident que vous vous préparez à accabler du poids de votre crédit, une femme que vous croyez sans appui, puisque vous avez déjà commencé des procédures que vous comptez faire valoir quand je ne serai plus . Mais je vous avertis, monsieur, que vous ne réussirez pas dans cette entreprise odieuse .

J'achetai votre petite terre de Tournay à vie, à l'âge de soixante et six ans, sur le pied que vous voulûtes . Je m'en remis à votre honneur, à votre probité ; vous dictâtes le contrat, je signai aveuglément . J'ignorais que ce chétif domaine 2 ne vaut pas douze cent livres dans les meilleures années ; j'ignorais que le sieur Chouet votre fermier, qui vous en rendait trois mille livres, y en avait perdu vingt-deux mille . Vous exigeâtes de moi trente-cinq mille livres, je les payai comptant . Vous voulûtes que je fisse les trois premières années pour douze mille francs de réparations . J'en ai fait pour dix-huit mille en trois mois de temps, et j'en ai les quittances . J'ai rendu très logeable une masure inhabitable , j'ai tout amélioré, et tout embelli, comme si j'avais travaillé pour mon fils, et la province en est témoin ; elle est témoin aussi que votre prétendue forêt, que vous me donnâtes dans vos mémoires pour cent arpents, n'en contient pas quarante . Je ne me plains pas de tant de lésions, parce qu'il est au-dessous de moi de me plaindre .

Mais je ne peux souffrir (et je vous l'ai mandé, monsieur ) que vous me fassiez un procès pour deux cents francs, après avoir reçu de moi plus d'argent que votre terre ne vaut . Est-il possible que dans la place où vous êtes, vous vouliez nous dégrader l'un et l'autre, au point de voir les tribunaux retentir de votre nom et du mien pour un objet si méprisable ?

Mais vous m'attaquez . Il faut me défendre, j'y suis forcé . Vous me dîtes en me vendant votre terre au mois de décembre 1758, que vous vouliez que je laissasse sortir des bois de ce que vous appelez la forêt ; que ces bois étaient vendus à un gros marchand de Genève, qui ne voulait pas rompre son marché . Je vous crus sur votre parole ; je vous demandai seulement quelques moules de bois de chauffage, et vous me les donnâtes en présence de ma famille .

Je n'en ai jamais pris que six : et c'est pour six voies de bois que vous me faites un procès . Vous faites monter ces six voies à douze, comme si l'objet devenait moins vil .

Mais il se trouve, monsieur, que ces moules de bois m'appartiennent, et non seulement ces moules, mais tous les bois que vous avez enlevés de ma forêt depuis le jour que j'eus le malheur de signer avec vous . Vous me faites un procès, dont les suites ne peuvent retomber que sur vous, quand même vous le gagneriez .

Vous me faites assigner au nom d'un paysan de cette terre, à qui vous dites à présent avoir vendu ces bois en question . Voilà donc le gros marchand de Genève avec qui vous aviez contracté ! Il est de notoriété publique que jamais vous n'aviez vendu ces bois à ce paysan ; que vous les avez fait exploiter, et vendre par lui à Genève pour votre compte : tout Genève le sait . Vous lui donniez deux pièces de vingt-et-un sous par jour pour faire l'exploitation, avec un droit sur chaque moule de bois, dont il vous rendait compte . Il a toujours compté avec vous de clerc à maître . Je crus votre agent le sieur Girod, quand il me dit que vous aviez fait une vente réelle . Il n'y en a point, monsieur ; le sieur Girod a fait vendre en détail, pour votre compte, mes propres bois, dont vous me redemandez aujourd'hui douze moules .

Si vous avez fait une vente réelle à votre paysan, qui ne sait ni lire ni écrire, montrez moi l'acte par lequel vous avez vendu, et je suis prêt à payer .

Quoi ! Vous me faites assigner par ce paysan au bas de l'exploit même que vous lui envoyez ! Et vous dites dans votre exploit, que vous fîtes avec lui une convention verbale ! Cela est-il permis, monsieur? les conventions verbales ne sont elles pas défendues par l'ordonnance de 1667, pour tout ce qui passe la valeur de cent livres ?

Quoi, vous auriez voulu en me vendant si chèrement votre terre, me dépouiller du peu de bois qui peut y être ! Vous en aviez vendu un tiers il y a quelques années , votre paysan a abattu l'autre tiers pour votre compte . Son exploit porte qu'il me vend le moule douze francs, et qu'il vous en rend douze francs ( en déduisant, sans doute, sa rétribution ). N'est-ce pas là une preuve convaincante, qu'il vous rend compte de la recette et de la dépense ? que votre vente prétendue n'a jamais existé, et que je dois répéter tous ces bois que vous fîtes enlever de ma terre ? Vous en avez fait débiter pour deux cents louis, et ces deux cents louis m'appartiennent . C'est en vain que vous fîtes mettre dans notre contrat que vous me vendiez à vie le petit bouquet nommé forêt, excepté les bois vendus .

Oui, monsieur, si vous les aviez vendus en effet, je ne disputerais pas; mais encore une fois, il est faux qu'ils fussent vendus, et si votre agent 3 s'est trompé, c'est à vous de rectifier cette erreur .

J'ai supplié monsieur le premier président, monsieur le procureur général, M. le conseiller Le Bault, de vouloir bien être nos arbitres . Vous n'avez pas voulu de leur arbitrage, vous avez dit que votre vente au paysan était réelle ; vous avez cru m'accabler au bailliage de Gex . Mais , monsieur, quoique monsieur votre frère soit bailli du pays, et quelque autorité que vous puissiez avoir, vous n'aurez pas celle de changer les faits, il sera toujours constant qu'il n'y a point eu de vente véritable .

Vous dites dans votre exploit signifié à ce paysan, que vous lui vendîtes une certaine quantité de bois . Quelle quantité s'il vous plait ? Vous dites que vous les fîtes marquer : par qui ? Avez-vous un garde-marteau ? Aviez-vous la permission du grand maître des Eaux et Forêts ?

La justice de Gex est obligée de juger contre vous si vous avez tort ; elle jugerait contre le roi, si un particulier plaidait avez raison contre le domaine du roi . Le sieur Girod prétend qu'il fait trembler en votre nom tous les juges de Gex ; il se trompe encore sur cet article , comme sur les autres .

S'il faut que monsieur le chancelier et tous les ministres, et tout Paris soient instruits de votre procédé, ils le seront, et s'il se trouve dans votre compagnie respectable une personne qui vous approuve, je me condamne .

Vous m'avez réduit, monsieur, à n'être qu'avec douleur, votre très humble et très obéissant serviteur . »

1 Copie envoyée à Ruffey et à Claude-Philippe Fyot de La Marche . V* a porté sur le manuscrit « Copie de la lettre de M. de Voltaire à M. le président De Brosses du 20 octobre » ; deux autres copies portent des mentions semblables, de sa main et de celle de Wagnière .

2 Note de V* sur la copie envoyée à Le Bault (d'après Mandet-Gracey ) : « Je viens de l'affermer douze cents livres et trois quarterons [75 bottes ?] de paille et un char de foin . »

3 Note de V* en marge de la troisième copie : « votre agent, c'est à dire vous « ; et sur la copie destinée à Le Bault : « Pardieu l'agent n'est là que par politesse . »

 

07/10/2016

J'ai imaginé comme un éclair et j'ai écrit avec la rapidité de la foudre . Je tomberai peut-être comme la grêle . Lisez, vous dis-je, divins anges, et décidez

... Señor météo, lances-tu une alerte ora(n)ge ?

En tout cas je saute sur l'occasion pour mettre en ligne cette lettre, je viens de retrouver un accès Internet, pour combien de temps ? SFR m'ayant joyeusement annoncé, il y a quelques heures, un problème général qui durerait sans doute jusqu'au 10 !! Alors je speede !

 Afficher l'image d'origine

 

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'ArgentaI

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

20 octobre [1761] 1

Ô anges, ô anges,

Nous répétions Mérope (que nous avons jouée sur notre très joli théâtre, et où Marie Corneille s'est attiré beaucoup d'applaudissements dans le récit d'Isménie 2 que font à Paris de vilains hommes ) . Elle était charmante .

En répétant Mérope, je disais, voilà qui est intéressant . Ce ne sont pas là de froids raisonnements, de l'ampoulé, et du bourgeois . Ne pourrais-tu pas, disais-je tout bas à V..., faire quelque pièce qui tint de ce genre vraiment tragique ? Ton Don Pèdre sera glaçant avec tes états généraux, et ta Marie de Padille ! Le diable alors entra dans mon corps . Le diable ? non pas, c'était un ange de lumière, c'était vous . L'enthousiasme me saisit . Esdras n'a jamais dicté si vite . Enfin en six jours de temps j'ai fait ce que je vous envoie . Lisez, jugez, mais pleurez .

Vous me direz peut-être que l’ouvrage des six jours est souvent bafoué 3. D'accord mais lisez le mien . Il y a deux ans que je cherchais un sujet ; je crois l'avoir trouvé . Mais, dira madame d'Argental, c’est un couvent, c'est une religieuse, c'est une confession, c'est une communion. Oui madame, et c'est par cela même que les cœurs seront déchirés . Il faut se retrouver à la tragédie pour être attendri . La veuve du maître du monde aux carmélites, retrouvant sa fille épouse de son meurtrier, tout ce que l'ancienne religion a de plus auguste, ce que les plus grands noms ont d'imposant, l'amour le plus malheureux, les crimes, les remords , les passions, les plus horribles infortunes ! En est-ce assez ? J'ai imaginé comme un éclair et j'ai écrit avec la rapidité de la foudre . Je tomberai peut-être comme la grêle . Lisez, vous dis-je, divins anges, et décidez .

Voici peut-être de quoi terminer les tracasseries de la comédie . Fi Zulime ! Cela est commun et sans génie. Donnez la veuve d'Alexandre à Dumesnil, la fille d'Alexandre à Clairon , et allez .

Mlle Hus m'a écrit 4. Elle atteste les dieux contre vous . Qu'elle accouche . J'ai bien accouché, moi, et je n'ai été que six jours au travail . Que dites-vous de Mlle Arnould, et du roi d'Espagne 5?

Ô charmants anges je baise le bout de vos ailes .

V, le vieux V, âgé de

soixante et huit commencés . »

1 Date complétée par d'Argental sur le manuscrit .

2 Ac. V, sc. 6

4 Quand le comte de Lauraguais était venu à Ferney en septembre 1761, Bertin avait abandonné Mlle Hus enceinte pour Sophie Arnould, maîtresse de Lauraguais ; mais celle-ci revint à Lauraguais, dont elle eut encore deux enfants, avant de passer entre les bras d'autres amants .

5 Sur le roi d'Espagne : sa femme Marie-Amélie de Saxe était morte le 27 septembre, mais il ne se remaria pas ; le troisième pacte de famille avait été signé le 15 août 1761 et devait conduire à la déclaration de guerre de l'Angleterre à l'Espagne, puis au traité de Paris le 10 février 1763 . voir lettre du 11 octobre 1761 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/10/11/je-n-ai-nulle-part-a-la-tumefaction-du-ventre-de-mlle-hus-je.html

 

Mettons-le hors d'état de nuire en faisant voir combien il veut nuire .

... Et même si ce n'est pas 'veut', mais seulement 'peut', tout candidat à la présidence de la république, ou tout autre poste subalterne d'ailleurs, doit impérativement être mis à l'écart, le pouvoir de nuisance d'un dirigeant n'est que trop grand .

[Mise en ligne le 4 pour le 7 depuis une médiathèque]

 

 

« A Jean Le Rond d'Alembert

20 octobre [1761]

A quoi pensez-vous mon très cher philosophe 1? de ne vouloir que rire de l'historiographe lefranc de pompignan ? ne savez-vous pas qu'il compte être à la tête de l'éducation de M. le duc de Bourgogne avec son fou de frère ? que ce sont tous deux des persécuteurs ? que les gens de lettres n'auront jamais du plus cruels ennemis ? Il me paraît qu'il est d'une conséquence extrême de faire sentir à la famille royale elle-même, ce que c'est que ce malheureux . Il faut se mettre à genoux devant monsieur le dauphin, en fessant son historiographe .

Voici ce qu'une bonne âme m'envoie de Montauban 2. Si vous étiez une bonne âme de Paris, cela vaudrait bien mieux . Mais maître Bertrand vous vous servez de la patte de raton 3.

Il est sûr que ce détestable ennemi de la littérature a calomnié tous les gens de lettres quand il a eu l'honneur de parler à monseigneur le dauphin . Son Épître dédicatoire est pire que son discours à L'Académie . Ce sont là de ces coups qu'il faut parer . Il ne faut pas seulement le rendre ridicule, il faut qu'il soit odieux . Mettons-le hors d'état de nuire en faisant voir combien il veut nuire .

Vraiment vous avez mis le doigt dessus en disant que Corneille est froid . Du moins Cinna n'est pas fort chaud, mais d'où vient en partie cette glace ? de la note de l'Académie . Elle me dit dans sa note ( et c'est vous qui l'avez écrite 4) qu'on s'intéresse à Auguste . Eh messieurs c'est à Cinna qu'on s'intéresse dans le premier acte, car vous savez bien qu'on aime tous les conspirateurs . Cinna est conjuré, il est amant, il fait un tableau terrible des prescriptions, il rend Auguste exécrable . Et puis messieurs on s'intéresse dites-vous à Auguste ! On change donc d'intérêt . Il n'y en a donc point , et voilà ce qui fait que votre fille est muette 5. Proposez ce petit argument quand vous irez là . Mais ce n'est pas assez de savoir la langue, il faut connaître le théâtre . Ah mon cher philosophe, il n'est que trop vrai que notre théâtre est à la glace . Ah si j'avais su ce que je sais ! si on avait plus tôt purgé le théâtre de petits maîtres ! si j'étais jeune ! Mais tout vieux que je suis, je viens de faire un tour de force, une espièglerie de jeune homme . J'ai fait une tragédie en six jours, mais il y avait tant de spectacle, tant de religion, tant de malheurs, tant de nature que j'ai peur que cela ne soit ridicule . L’œuvre des six jours est sujette à rencontrer des railleurs 6.

J'ai actuellement le plus joli théâtre de France . Nous avons joué Mérope 7. Mlle Corneille a été applaudie . Mme Denis a fait pleurer des Anglaises . Les prêtres de Genève ont une faction horrible contre la comédie . Je ferai tirer sur le premier prêtre socinien qui passera sur mon territoire . Jean-Jacques est un Jeanf... qui écrit tous les quinze jours à ces prêtres pour les échauffer contre les spectacles . Il faut pendre les déserteurs qui combattent contre leur patrie .

Aimez-moi beaucoup je vous en prie – car je vous aime – car je vous estime prodigieusement – car tous les êtres pensants doivent être tendrement unis contre les êtres non-pensants, contre les fanatiques, et les hypocrites, également persécuteurs . »

1 D'Alembert écrit à V* le 10 octobre 1761 : « […] s'il est vrai, comme vous le dites, qu'il est bon de rire un peu pour la santé, jamais saison n'a été si favorable pour se bien porter . Voici par exemple Paul Lefranc de Pompignan ( je ne sais si c'est Paul l'apôtre ou Paul le simple) qui vient encore de fournir aux rieurs de quoi vivre, par son Éloge historique du duc de Bourgogne .[https://books.google.fr/books?id=hxQ6AAAAcAAJ&pg=PA54... ] […] On prétend que Pompignan sollicite pour récompense de son bel ouvrage une place d’historiographe des enfants de France ; je voudrais qu'on la lui donnât, avec la permission de commencer dès le ventre de la mère et défense d'aller au delà de sept ans . » Voir page 154 : https://books.google.fr/books?id=l4lBAAAAcAAJ&pg=PA159&lpg=PA159&dq=mo%C3%AFse+de+montauban&source=bl&ots=cHi_-CBicB&sig=lMhPzhBvdMuCvIijE4cEoKBfE2o&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwi6udWG3LnPAhXCNhoKHecaC404ChDoAQg4MAc#v=onepage&q=mo%C3%AFse%20de%20montauban&f=false

2 Le Car, dans lequel Pompignan est désigné sous le nom de Moïse de Montauban, est une polémique à l'occasion de la dédicace de l’Éloge au dauphin et à la dauphine .Voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-36700183.html

3 Allusion à la fable « Le singe et le chat » de La Fontaine : http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/singchat.htm

4 C'est à dire de la main de d'Alembert . Celui-ci écrivait encore le 10 octobre : « Nous avons relu vos remarques sur Cinna […] . Je vous avouerai d'abord que la pièce me paraît d'un bout à l'autre froide et sans intérêt, que c'est une conversation en cinq actes , et en style tantôt sublime, tantôt bourgeois, tantôt suranné ; que cette froideur est le grand défaut, selon moi , de toutes nos pièces de théâtre, et qu'à l'exception d quelques scènes du Cid, du 5è acte de Rodogune, et du 4è d'Héraclius, je ne vois rien (dans Corneille en particulier ) de cette terreur et de cette pitié qui fait l'âme de la tragédie .[...] il faut être poli ; il faut donc de grands ménagements, pour avertir les gens qu'ils s'ennuient, et qu'ils n'osent le dire . À l'égard de vos raisonnements et des nôtres, sur les remords de Cinna, qui selon vous viennent trop tard, et qui selon nous viennent assez tôt , je voudrais que vous ne fissiez aucune critique qui fût sujette à contradiction ; et que vous vous bornassiez aux fautes évidentes contre le théâtre ou la grammaire [...] »

6 Comme la Genèse, I, I, 31- Pour la tragédie, voir lettre du 24 octobre 1761 aux d'Argental : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance-annee-1761-partie-43-122533298.html

7 « On joua vendredi [le 16] Mérope avec Rocqueville et Brunet, dont Mme Denis était très fâchée, mais tout son monde était invité quand les Cramer se dégagèrent […] La pièce fut très bien jouée, Voltaire fit des miracles, la petite passablement et Grenier point mal . Il y avait quarante spectateurs quoi qu'il y en eût manqué 25 . La duchesse y pleura beaucoup . On fait de grands projets pour le printemps, le théâtre est charmant, G[r]enier s'est engagé avec la troupe de Lyon et part la semaine prochaine : ainsi plus d'importuns ». : Charlotte Constant à son mari le 19 octobre 1761 , voir page 69 : http://www.archivesfamillepictet.ch/bibliographie/documents/LettresCharlottePictetSamuelConstant_11_2015.pdf

 

06/10/2016

je m'aperçois depuis longtemps que rien n'est si rare que de faire ce que l'on veut

... Ah c'est bien vrai, ça !

[Mise en ligne le 4 pour le 6 depuis une médiathèque]

 

 

« A Alexis-Jean Le Bret

Au château de Ferney près Genève

le 18 octobre 1761 1

J'ai parlé aux frères Cramer, monsieur, plus d'une fois, en conformité de ce que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire . Ils me paraissent surchargés d'entreprises, et je m'aperçois depuis longtemps que rien n'est si rare que de faire ce que l'on veut . Je suis très fâché que votre Bayle 2 ne soit pas encore imprimé : on craint peut-être que ce livre, autrefois si recherché, ne le soit moins aujourd'hui . Ce qui paraissait hardi ne l’est plus . On avait crié par exemple contre l'article de David, et cet article est infiniment modéré en comparaison de ce qu'on vient d'écrire en Angleterre 3. Un ministre a prétendu prouver qu'il n'y a pas une seule action de David qui ne soit d'un scélérat digne du dernier supplice , qu'il n'a point fait les psaumes, et que d'ailleurs ces odes hébraïques qui ne respirent que le sang et le carnage 4, ne devraient faire naître que des sentiments d'horreur dans ceux qui croient y trouver de l'édification .

M. l'évêque de Warburton nous a donné un livre 5 dans lequel il démontre que jamais les Juifs ne connurent l'immortalité de l'âme et les peines et les récompenses après la mort , jusqu'au temps de leur esclavage dans la Chaldée . M. Hume 6 a été encore plus loin que Bayle et Warburton ; le Dictionnaire encyclopédique ne prend pas, à la vérité, de telles hardiesses, mais il traite toutes les matières que Bayle a traitées . J'ai peur que toutes ces raisons n'aient retenu nos libraires . Il en est de cette profession comme de celle de marchande de modes : le goût change pour les livres comme pour les coiffures .

Au reste soyez persuadé qu'il n'y a rien que je ne fasse pour vous témoigner mon estime et l'envie extrême que j'ai de vous servir . »

1 La copie manuscrite 1 et Kehl datent du 10 octobre ; la copie 2 Le Bret, limitée à quelques lignes, donne le 18 .

2 Voir lettre du 15 juin 1757 à Le Bret , première mention de cet ouvrage ; c'est Frédéric II qui publia un Extrait du dictionnaire historique et critique de Bayle, en 1765 et Le Bret le soupçonna d'avoir pillé ses manuscrits .Voir aussi lettre du  8 janvier 1758 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/03/15/ce-n-est-que-par-des-choses-nouvelles-qu-on-peut-reveiller-l.html

3 Allusion à un ouvrage de Peter Annet, The History of the man after god's own heart, 1761, qui fut traduit plus tard par d'Holbach sous le titre David ou l'Histoire de l'homme selon le coeur de Dieu, 1768 . Les éditions de Voltaire donnent toutefois pour auteur Huet ou Hut ; le livre a été aussi attribué à d'autres, tels Archibald Campbell et John Noorthouck .

4 Même thème, encore retrouvé dans le Pot pourri .

5 The divine legation of Moses ; voir lettre de janvier-février 1756 aux Cramer et lettre du 26 octobre 1757 à Keate : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/01/15/ni-moise-ni-les-prophetes-ne-connurent-jamais-rien-de-l-immo.html

6 Dans un essai sur le suicide, paru dans Two essays, 1777 ; on se demande comment V* pouvait déjà en avoir connaissance .Voir : http://oll.libertyfund.org/titles/hume-essays-moral-political-literary-lf-ed

 

05/10/2016

travailler comme un écureuil

... Et puis jouer/danser Casse-Noisettes !

[Mise en ligne le 4 pour le 5 depuis une médiathèque]

 

 

« A Gabriel Cramer

[vers octobre 1761] 1

Je me borne caro Gabriele à travailler comme un écureuil à me tuer . Décidez absolument de l'édition, je m'en remets à vous . Le nombre des volumes sera grand . Tâchons que les frais ne le soient pas .

Je fais mille vœux pour le rétablissement de M. de Tournes .

M. Watelet se charge du frontispice . »

1 L'édition Fucilla la date de février 1762 ; mais la lettre a été écrite avant la mort de Jean-Jacques de Tournes, oncle de Gabriel et Philibert Cramer, (membre du Conseil des Deux cents : voir : http://gw.geneanet.org/peyrot?lang=fr&pz=solene&n... ), le 29 décembre 1761 ( https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_de_Tournes ) ; et c'est le 9 août 1761 que Watelet avait remercié V* de lui avoir commandé l'illustration du Corneille ; voir lettre du 14 août 1761 au comte de La Touraille : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/07/14/quoi-qu-il-arrive-je-donnerai-mon-temps-et-mon-argent-pour-le-succes-d-une.html

 

Je voudrais, madame, me porter assez bien pour être un de vos garçons vendangeurs

... Et boire avec vous le vin de vos vignes à votre santé . Tchin tchin !!  (pas d'Afflelou ! )

[Mise en ligne le 4 pour le 5 depuis une médiathèque]

 

 

« A Louise-Suzanne Gallatin

[octobre 1761] 1

Je voudrais, madame, me porter assez bien pour être un de vos garçons vendangeurs . Je suis d'ailleurs entièrement à vos ordres . Vraiment je vous serai très obligé de permettre que mon jardinier prenne chez vous quelques rejetons de ces excellents figuiers . Il y a bien longtemps que nous n'avons eu l'honneur de manger avec lui les fruits de nos jardins .

Permettez que j'insère dans ce paquet une lettre pour Louis Corbot .

Votre très humble et très obéissant serviteur .

V. »

1 Manuscrit olographe sur lequel est noté 1761 ; le mois est déduit d'après les références aux récoltes .

 

04/10/2016

il est quelquefois plus difficile d'avoir de la richesse qu'une femme aimable .

... Ce qui veut dire que parfois il est plus facile d'avoir une femme aimable que de gagner au loto; je le crois bien, c'est difficile, certes, mais pas impossible, et c'est tant mieux .

[Mis en ligne le 4 depuis une médiathèque]

 

 

 

« A Bernard-Joseph Saurin

de l'Académie

A Ferney [vers le 15 octobre 1761] 1

Dieu soit loué mon cher confrère de votre sacrement de mariage 2. Si Moïse Lefranc de Pompignan fait une famille d'hypocrites, il faut que vous en fassiez une de philosophes . Travaillez tant que vous pourrez à cette œuvre divine . Je présente mes respects à madame la philosophe . Il y a beaucoup de jolies sottes, beaucoup de jolies friponnes . Vous avez épousé beauté, bonté et esprit, vous n'êtes pas à plaindre . Tâchez de joindre à tout cela un peu de fortune , mais il est quelquefois plus difficile d'avoir de la richesse qu'une femme aimable .

Mes compliments je vous en prie à frère Helvétius, et à tout frère initié . Il faut que les frères réunis écrasent les coquins . J'en reviens toujours là . Delenda est Carthago 3.

Ne soyez pas en peine de Pierre Corneille . Je suis bien aise de recueillir d'abord les sentiments de l'Académie, après quoi je dirai hardiment mais modestement la vérité . Je l'ai dite sur Louis XIV, je ne la tairai pas sur Corneille . La vérité triomphe de tout . J'admirerai le beau, je distinguerai le médiocre, je noterai le mauvais . Il faudrait être un lâche ou un sot pour écrire autrement . Les notes que j'envoie à l'Académie sont des sujets de dissertations qui doivent amuser les séances, et les notes de l’Académie m’instruisent ; je suis comme La Flèche, je fais mon profit de tout 4.

Adieu, mon cher philosophe , je vis libre, je mourrai libre 5. Je vous aimerai et vous estimerai jusqu'à ce qu'on me porte dans la chienne de jolie église que je viens de bâtir, et où je vais placer des reliques envoyées par le Saint-Père .

V. »

1 Datée d'octobre, édition de Kehl ; datée ici par rapport à l'affaire des reliques et au mariage de Saurin .

2 Saurin , dans sa cinquante-sixième année, épousa Marie-Anne-Jeanne Sandras ( née le 31 mars 1734 ) le 12 août 1761 ; voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Bernard-Joseph_Saurin

et : http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/bernard-jo...

3 Il faut détruire Carthage ; c'est le mot connu de Scipion l'Africain, que Caton le censeur aimait à citer en terminant ses harangues .

4 Réminiscence de L'Avare de Molière, I, 3 .

5 Sans doute une allusion au Spartacus de Saurin , derniers vers : Spartacus expirant brave l'orgueil du Tibre / Il vécut non sans gloire, et meurt en homme libre.