25/08/2010
On n'avait donné que quelques soufflets au genre humain dans ces archives de nos sottises, nous y ajoutons force coups de pied dans le derrière
Une petite valse entrainante :
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... Ah ! ça va bien mieux maintenant !
Un coup de pied dans la montagne : http://www.deezer.com/listen-2157193 , ça soulage aussi ! Volti n'a pas hésité à cogner sur ces montagnes d'injustice, d'intolérance, de fanatisme : Ecr[asons] l'Inf[âme] , encore et toujours ;
« A Jacob Vernes
ministre à Céligny.
Ferney 25è auguste 1761
Je suis très fâché, Monsieur, que vous soyez si éloigné de moi. Vous devriez bien venir coucher à Ferney, quand vous ne prêchez pas. Il ne faut pas être toujours avec son troupeau, on peut venir voir quelquefois les bergers du voisinage .
Je n'ai point lu L'Âme de M. Charles Bonnet [i]. Il faut qu'il y ait une furieuse tête sous ce bonnet-là, si l'ouvrage est aussi bon que vous le dîtes. Je serai fort aise qu'il ait trouvé quelques nouveaux mémoires sur l'âme. Le 3è chant de Lucrèce me paraissait avoir tout épuisé. Je n'ai pas trop actuellement le temps de lire des livres nouveaux.
A l'égard de messieurs les traducteurs anglais, ils se pressent trop. Ils voulaient commencer par l'Histoire générale, on leur a mandé de n'en rien faire, attendu que Gabriel Cramer et Philibert Cramer vont en donner une nouvelle édition un peu plus curieuse que la première [ii]. On n'avait donné que quelques soufflets au genre humain dans ces archives de nos sottises, nous y ajoutons force coups de pied dans le derrière. Il faut finir par dire la vérité dans toute son étendue. Si vous veniez chez nous, je vous ferais voir un petit manuscrit indien de trois mille ans [iii], qui vous rendrait très ébahi.
Venez voir mon église,[iv] elle n'est pas encore bénite, et on ne sait encore si elle est calviniste ou papiste. En attendant, j'ai mis sur le frontispice Deo soli, voyez si vos damnés de camarades ne devraient pas avoir plus de tendresse pour moi qu'ils n'en ont. Votre plaisant arabe m'a abandonné tout net depuis qu'il est de la barbare compagnie. Il suffit d'entrer là pour avoir l'âme coriace. Ne vous avisez jamais d'endurcir votre joli petit caractère quand vous serez de la vénérable [v]. Je vous embrasse en Deo solo.
Mes compliments à Mme Volmar et à son faux germe.[vi]
V. »
i Essai analytique sur les facultés de l'âme, 1760.
ii Cf. lettre au Journal encyclopédique du 3 mars 1761.
iii Allusion à l'Ezour -Veidam que V* croit très précieux ; cf. lettres au Journal encyclopédique du 3 mars 1761 et Deshauterayes du 21 décembre.
iv V* et les difficultés rencontrées pour cette construction : cf. lettre aux d'Argental du 21 juin.
v La Vénérable Compagnie des pasteurs de Genève ; Vernes deviendra pasteur à Genève en 1770.
vi Dans
La Nouvelle Héloïse : Mme de Wolmar = « Mme Volmar ».09:21 | Lien permanent | Commentaires (0)
24/08/2010
Le vieux malade des Alpes fait mille compliments
Une illustration d'un évènement majeur de notre histoire de France : le massacre de la Saint Barthélémy, qui rendit malade Volti chaque 24 août de sa vie
A tous les malades du corps ou de l'esprit, de tous âges ... Bonne convalescence !!
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Scoop : Jean-Marie il est malade !
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« A Jacques Lacombe
24è auguste 1772, à Ferney
Le vieux malade des Alpes fait mille compliments à monsieur de Lacombe sur le succès de son Mercure,[1] et lui renouvelle tous les sentiments d'estime et d'amitié qu'il a depuis longtemps pour lui.
Il paraît à ce vieux malade qu'au lieu des petits romans et des petites pièces assez insipides, dont votre [2] Mercure est obligé de se charger quelquefois malgré lui, il ne serait pas mal de mettre l'extrait des procès qui sont des plus intéressants. On envoie à Monsieur de Lacombe ces deux Essais [3]. Il en fera ce qu'il pourra. Le vieux malade lui est sincèrement attaché. »
1Lacombe détient le privilège du Mercure depuis juillet 1768.
2« votre » ou « tout » : mot raturé illisible dans le manuscrit.
3Deux exemplaires de l'Essai sur les probabilités en fait de justice, écrit à la suite de l'affaire Morangiès.
09:28 | Lien permanent | Commentaires (0)
23/08/2010
un confesseur, un martyr de la Constitution , que j'ai vu quelque temps fort amoureux, et dont sa maitresse était aussi mécontente que ses créanciers.
"Les saints sont d'étranges gens."
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Et je dirais même plus , ce monde est une terre de contrastes , sans doute comme le monde à venir :
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« A Marie-Ursule de Klinglin, comtesse de Lutzelbourg
Aux Délices, 23 août 1756
Dîtes-moi donc, vous qui êtes sur les bords du Rhin, si notre chère Marie-Thérèse,[i] impératrice reine, dont la tête me tourne, prépare des efforts réels pour reprendre la Silésie. Voila un beau moment ; et si elle le manque, elle n'y reviendra plus. Ne seriez-vous pas bien aise de voir deux femmes, deux impératrices,[ii] peloter un peu notre grand roi de Prusse, notre Salomon du Nord ? Pour moi, dans ma douce retraite, au bord de mon lac, je ne sais aucune nouvelle ; je n'apprends rien que par les gazettes . Elles me disent qu'on coupe des têtes en Suède [iii]; mais elles ne me disent rien de cette reine Ulrique que j'ai vue si belle, pour qui j'ai fait autrefois des vers, et qui, sans vanité, en a fait aussi pour moi [iv]. Je suis très fâché qu'elle se soit brouillée si sérieusement avec son parlement. Le nôtre fait, dit-on, des remontrances pour une taxe sur les cartes, et brûle des mandements d'évêque. On vous envoie dans votre Alsace un confesseur,[v] un martyr de la Constitution [vi], que j'ai vu quelque temps fort amoureux,[vii] et dont sa maitresse était aussi mécontente que ses créanciers. Les saints sont d'étranges gens. Portez-vous bien, Madame ; faites du feu dès le mois de septembre. Traitez le climat du Rhin comme je traite celui du lac. Vivez avec une amie charmante. Souvenez-vous quelquefois de moi. Mme Denis et moi nous vous présentons nos respects. Il est triste pour nous que ce soit de loin.
V. »
iA Thiriot, le 9 août : « L'impératrice-reine m'a fait dire des choses très obligeantes . Je suis pénétré d'une respectueuse reconnaissance. »
A d'Argental, le 13 septembre : « On dit que Marie-Thérèse est actuellement l'idole de Paris et que toute la jeunesse veut actuellement s'aller battre pour elle en Bohème. »
ii Le 25 mars 1756, les deux impératrices, Marie-Thérèse d'Autriche et Élisabeth, tsarine de Russie, ont conclu une alliance défensive et offensive contre Frédéric, elle deviendra effective le 2 février 1757.
iii Les États ayant réduit à rien l'autorité du roi, la reine Ulrique avait poussé à la révolte de jeunes nobles qui furent torturés et décapités le 13 juillet. Le 27 juin, à de Brenles : « Ceux qui aiment la liberté ne regrettent pas le petit exemple que la Suède vient de donner aux despotes. Je le regrette à cause de Sa Noble Majesté Ulrique ... »
iv La reine Louise-Ulrique était une des sœurs de Frédéric. V* fit des vers pour elle pendant et après son séjour de 1743 en Prusse, puis en mai 1745, en avril et août 1751, février 1752. Elle lui envoya le 11 octobre 1743 quinze vers se terminant par : « Le hasard fait les Rois, la vertu fait les Dieux », et en 1749, sans doute, un sizain : « De l'esprit redoutons l'empire / D'un amant tel que vous le prestige est trop fort ... »
v Poncet de La Rivière, évêque de Troyes, exilé à l'abbaye de Morbach, un de ses mandements ayant été condamné le 12 avril à être brûlé.
vi A savoir la bulle Unigenitus.
vii A Lunéville.
Dans ses Mémoires , V* dit qu'il tomba amoureux de Mme de Boufflers, maîtresse du roi Stanislas.
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22/08/2010
ma vie est consacrée au travail et à la vérité.
« A Frédéric II, roi de Prusse
A Colmar 22 août 1754
Sire,
Je prends encore la liberté de présenter à Votre majesté un ouvrage [i] qui, si vous daigniez l'honorer d'un de vos regards, vous ferait voir que ma vie est consacrée au travail et à la vérité. Cette vie toujours retirée et toujours occupée au milieu des maladies, et ma conduite jusqu'à ma mort vous prouveront que mon caractère n'est pas indigne des bontés dont vous m'avez honoré pendant quinze années.
J'attends encore de la générosité de votre âme que vous ne voudrez pas remplir mes derniers jours d'amertume.
Je vous conjure de vous souvenir que j'avais perdu mes emplois [ii] pour avoir l'honneur d'être auprès de vous, et que je ne les regrette pas, que je vous ai donné mon temps et mes soins pendant trois ans, que je renonçai à tout pour vous, et que je n'ai jamais manqué à votre personne.
Ma nièce qui n'a été malheureuse que par vous,[iii] et qui certainement ne mérite pas de l'être , qui console ma vieillesse et qui veut bien prendre soin de ma malheureuse santé et des biens que j'ai auprès de Colmar,[iv] doit au moins être un objet de votre bonté et de votre justice.
Elle est encore malade de l'aventure affreuse qu'elle essuya en votre nom. Je me flatte toujours que vous daignerez réparer par quelques mots de bonté des choses qui sont si contraires à votre humanité et à votre gloire [v]. Je vous en conjure par le véritable respect que j'ai pour vous. Daignez vous rendre à votre caractère encore plus qu'à la prière d'un homme qui n'a jamais aimé en vous que vous même, et qui n'est malheureux que parce qu'il vous a assez aimé pour vous sacrifier sa patrie. Je n'ai besoin de rien sur la terre que votre bonté, croyez que la postérité dont vous ambitionnez et dont vous méritez tant les suffrages ne vous saura pas mauvais gré d'une action d'humanité et de justice.
En vérité si vous voulez faire réflexion à la manière dont j'ai été si longtemps attaché à votre personne, vous verrez qu'il est bien étrange que ce soit vous qui fassiez mon malheur. Soyez très persuadé que celui que vous avez rendu si malheureux aura jusqu'à son dernier moment une conduite digne de vous attendrir.
V. »
i Troisième volume de l'Histoire universelle.
ii Il a gardé son titre de gentilhomme ordinaire de la Chambre du roi, mais perdu sa charge d'historiographe.
iii L'avanie de Franfort ; cf. lettre du 20 juin 1753 à la margravine et du 8 juillet 1753 au Conseil de Francfort.
iv Il a une hypothèque sur les terres du duc de Wurtemberg et il « supplie » le duc, le 7, de faire établir le contrat au nom de Mme Denis.
v Frédéric ne le fit pas .
10:46 | Lien permanent | Commentaires (0)
les mauvais auteurs ne poursuivent point une femme, ils font pour elle de plats madrigaux
« A Marie-Louise Denis
A Berlin 22 août 1750
Je reçois votre lettre du huit, en sortant de Phaéton. C'est un peu Phaéton travesti [i]. Le roi a un poète italien nommé Villati à quatre cents écus de gage. Il lui donne des vers pour son argent, qui ne coûtent pas grand chose ni au poète ni au roi. Cet Orphée prend le matin un flacon d'eau de vie au lieu d'eau d'Hippocrène, et dès qu'il est un peu ivre les mauvais vers coulent de source. Je n'ai jamais rien vu de si plat dans une si belle salle. Cela ressemble à un temple de la Grèce et on y joue des ouvrages tartares . Pour la musique on dit qu'elle est bonne. Je ne m'y connais guère ; je n'ai jamais trop senti l'extrême mérite des doubles croches . Je sens seulement que la signora Astrua et i signori castrati ont de plus belles voix que vos actrices , et que les airs italiens ont plus de brillant que vos ponts-neufs [ii] que vous nommez ariettes. J'ai toujours comparé la musique française au jeu de dames et l'italienne au jeu des échecs. Le mérite de la difficulté surmontée est quelque chose. Votre dispute contre la musique italienne est comme la guerre de 1701. Vous êtes seuls contre toute l'Europe.
Mme la margrave de Bayreuth voudrait bien attirer Mme de Graffigny auprès d'elle, et je lui propose aussi le marquis d'Adhémar. Il n'y a point ici de place pour lui dans le militaire. Il faut de plus savoir bien l'allemand et c'est le moindre des obstacles. Je crois que pendant la paix il n'y a rien de mieux à faire qu'à se mettre à la cour de Bayreuth. La plupart des cours d'Allemagne sont actuellement comme celles des anciens paladins aux tournois près ; ce sont de vieux châteaux où l'on cherche l'amusement. Il y a là de belles filles d'honneur, de beaux bacheliers ; on y fait venir des jongleurs. Il y a dans Bayreuth opéra italien et comédie française avec une jolie bibliothèque dont la princesse fait un très bon usage. Je crois en vérité que ce sera un excellent marché dont ils me remercieront tous deux. Pour Mme la Péruvienne,[iii] elle est plus difficile à transplanter. La voilà établie à Paris avec une considération et des amis qu'on ne quitte guère à son âge. Je me fais là mon procès, mais, ma chère enfant, les mauvais auteurs ne poursuivent point une femme, ils font pour elle de plats madrigaux, mais ils feront éternellement la guerre à leur confrère l'auteur de La Henriade. Les inimitiés, les calomnies, les libelles de toute espèce, les persécutions sont la sûre récompense d'un pauvre homme assez malavisé pour faire des poèmes épiques et des tragédies. Je veux essayer si je trouverai plus de repos auprès d'un poète couronné qui a cent cinquante mille hommes, qu'avec les poètes des cafés de Paris. Je vais me coucher dans cette idée.[iv] »
iExemple de lettre réécrite en Alsace, à comparer par le ton à celle du 21 aux d'Argental ou à celui de la lettre du 28 où il parle aussi de Phaéton. C'est le ton de ses Mémoires où il parle aussi du poète italien et des opéras dont il fait les livrets.
ii Chansons populaires sur un air très connu.
iii Mme de Graffigny est auteur des Lettres d'une Péruvienne.
iv Ce qui n'est pas du tout le reflet des inquiétudes qu'on lit dans la lettre de la veille aux d'Argental. Il n'est pas question de l'établissement en Prusse de Mme Denis, alors que les d'Argental étaient invités à « la disposer ». Cette lettre ici devrait plutôt la décourager. Aucun rapport avec ces « tableaux admirables », ces « portraits flatteurs » que d'Argental reprocha à V* de faire à sa nièce dans les lettres authentiques de cette période. C'est sans conteste une lettre réécrite après l'avanie de Francfort.
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21/08/2010
Tout mourant qu'il est, il s'intéresse fort aux plaisirs des vivants
http://www.musicme.com/#/Jean-Baptiste-Lully/videos/?res=...
Je suis raccord avec mon titre ...
« A Louis-François-Armand du Plessis, duc de Richelieu
21è auguste 1769, à Ferney
Mon héros souffrira-t-il qu'on donne de vieille musique [i] à une jeune princesse ?[ii] Je lui répète et je l'assure que l'opéra de M. de La Borde [iii] est rempli de morceaux charmants qui tiennent de l'italien autant que du français.
Qui favorisera un premier valet de la chambre du Roi [iv] si ce n'est un premier gentilhomme de la Chambre ? L'amie de mon héros [v] ne doit-elle pas s'intéresser à faire donner une belle fête ? Cela ne lui fera-t-il pas honneur ? Je crois qu'elle n'a qu'à témoigner sa volonté. Je ne doute pas que M. le duc d'Aumont ne se fasse un plaisir de lui donner l'opéra qu'elle demandera. Si j'osais répondre quelque chose, ce serait du succès de cette musique. En vérité , il est honteux de donner du réchauffé à une dauphine. Vous avez soutenu la gloire de la nation dans des occasions un peu plus sérieuses, et vous ne l'abandonnerez pas quand il s'agit de plaisirs. Il ne vous en coûtera que trois ou quatre paroles, et à votre amie autant.
Ne rejetez pas la prière du plus ancien, du plus tendre, et du plus respectueux de vos courtisans. Tout mourant qu'il est, il s'intéresse fort aux plaisirs des vivants ; mais il vous est encore plus attaché qu'à tous les plaisirs de la cour. Il vous supplie, Monseigneur, d'agréer son profond respect.
V. »
i La musique de Lully.
ii Marie-Antoinette pour son mariage avec le dauphin, futur Louis XVI.
iii Texte du livret de V* : Pandore.
iv La Borde.
v Mme du Barry.
Je ne pense pas que le texte de ce Pandore soit de Volti, mais ce n'est pas loin de son esprit frondeur :
http://www.deezer.com/listen-5703870
09:52 | Lien permanent | Commentaires (0)
je sens bien que le reste de mes jours sera empoisonné malgré la liberté, malgré la douceur d'une vie tranquille, malgré les excessives bontés d'un roi
http://www.deezer.com/listen-4692637
Volti est encore marqué par le deuil, et presque à reculons, (ce qui est très imprudent quand on connait Frédéric ;-( !), a pris le parti de rejoindre le roi de Prusse . « Pour se changer les idées » avais-je l'habitude de dire au temps de ma fréquentation du château à Ferney . Il a de la peine et se rassure comme il peut . Le meilleur et le pire vont se cotoyer, et intelligemment et sentimentalement, il le pressent, mais c'est une autre histoire ...
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
A Charlottenbourg 21 août [1750]
Mes chers anges, si je vous disais que nous avons eu ici un feu d'artifice dans le goût de celui du Pont-Neuf, que nous allons aujourd'hui à Berlin voir Phaéton [i] dont les décorations seront de glaces, que tous les jours sont des fêtes, que d'Arnaud a fait jouer son Mauvais riche [ii] et qu'il a été jugé ici pour le fond et pour les détails tout comme à Paris [iii], vous ne vous en soucierez peut-être que très médiocrement . J'ai d'ailleurs le cœur plus rempli et plus déchiré de ma résolution [iv] que je ne suis ébloui de nos fêtes, et je sens bien que le reste de mes jours sera empoisonné malgré la liberté, malgré la douceur d'une vie tranquille, malgré les excessives bontés d'un roi qui me parait ressembler en tout à Marc-Aurèle, à cela près que Marc-Aurèle ne faisait point de vers, et que celui-ci en fait d'excellents quand il se donne la peine de les corriger. Il a plus d'imagination que moi, mais j'ai plus de routine que lui. Je profite de la confiance qu'il a en moi pour lui dire la vérité plus hardiment que je ne la dirais à Marmontel ou à d'Arnaud, ou à ma nièce. Il ne m'envoie point aux carrières [v] pour avoir critiqué ses vers, il me remercie, il les corrige , et toujours en mieux. Il en a fait d'admirables. Sa prose vaut ses vers pour le moins, mais dans tout cela il allait trop vite. Il y avait de bons courtisans qui lui disaient que tout était parfait, mais ce qui est parfait, c'est qu'il me croit plus que que ses flatteurs, c'est qu'il aime, c'est qu'il sent la vérité. Il faut qu'il soit parfait en tout. Il ne faut pas dire : Caesar est supra grammaticam. César écrivait comme il combattait. Il joue de la flûte comme Blavet [vi], pourquoi n'écrirait-il pas comme nos meilleurs auteurs ? Cette occupation vaut bien le jeu et la chasse. Son Histoire de Brandebourg sera un chef-d'œuvre quand il l'aura revue avec soin , mais un roi a-t-il le temps de prendre ce soin ? un roi qui gouverne seul une vaste monarchie ? Oui, voilà ce qui me confond, je ne sors point de surprise. Sachez encore que c'est le meilleur de tous les hommes ou bien je suis le plus sot. La philosophie a encore perfectionné son caractère. Il s'est corrigé, comme il corrige ses ouvrages.
Voilà précisément, mes anges, pourquoi j'ai le cœur déchiré, voilà pourquoi je ne vous reverrai qu'au mois de mars. Comptez qu'ensuite quand je reviendrai en France je n'y reviendrai que pour vous seuls, pour vous mes anges qui faites toute ma patrie. Je vous demande en grâce d'encourager Mme Denis à venir avec moi s'établir au mois de mars à Berlin dans une bonne maison où elle vivra dans la plus grande opulence . Le roi de Prusse lui assure à Paris une pension après ma mort. Il m'a promis que les reines (qui ne savent encore rien de nos petits desseins) l'honoreront des distinctions et des bontés les plus flatteuses. Elle fera ma consolation dans ma vieillesse. Disposez-la à cette bonne œuvre . Il n'y a plus à reculer. Le roi de Prusse m'a fait demander au roi [vii] et je ne suis pas un objet assez important pour qu'on veuille me garder en France. Je servirai le roi dans la personne du roi de Prusse son allié et son ami [viii]. Ce sera une chose honorable pour notre patrie qu'on soit obligé de nous appeler quand on veut faire fleurir les arts . Enfin je ne crois pas qu'on refuse le roi de Prusse [ix], et si par un hasard que je ne prévois pas, on le refusait, vous sentez bien que la première démarche étant faite, il la faudrait soutenir, et obtenir par des sollicitations pressantes ce qu'on n'aurait pas accordé d'abord à ses prières, et que je ne peux plus vivre en France après avoir voulu la quitter [x]. Il y a un mois que je suis à la torture, j'en ai été malade. Un tel parti coûte sans doute. Vous êtes bien sûrs que c'est vous qui déchirez mon âme, mais encore une fois quand je vous parlerai, vous m'approuverez. Ne me condamnez point avant de m'entendre, conservez-moi des bontés qui me sont aussi précieuses pour le moins que celles du roi de Prusse. J'ai les yeux mouillés de larme en vous écrivant. Adieu.
V.
Mille respects à tous les neuillistes [xi]. »
Autre saluts/respects de/à Neuilly au XXIème siècle : http://www.dailymotion.com/video/x4lkio_les-inconnus-aute...
iNouvelle version de Villati, après celle de Quinault.
iihttp://books.google.fr/books?id=WeFaAAAAQAAJ&pg=PA421&lpg=PA421&dq=mauvais+riche+%22pi%C3%A8ce+de+d%27+arnaud%22&source=bl&ots=XTLb6It_Gn&sig=ugoipAh-hwN5eDzqUOzXiiMvMD8&hl=fr&ei=5QlpTNKgKIXq4gbQ_LiYBA&sa=X&oi=book_result&ct=result&resnum=1&ved=0CBUQ6AEwAA#v=onepage&q=mauvais%20riche%20%22pi%C3%A8ce%20de%20d%27%20arnaud%22&f=false
iii Pièce représentée en privé à Paris en février 1750.
iv Résolution de s'installer en Prusse, dont il a déjà parlé à mots couverts.
v Comme Denys le tyran y envoyait Philoxène.
viiLe 8 août Frédéric a écrit à son représentant à Paris le baron Le Chambrier pour lui demander de faire le nécessaire.
viii Le 7 août, V* présente ainsi la chose au marquis (de Puisieulx ou d'Argental ?) et le 25 au comte de Saint-Florentin en lui demandant de garder son titre de gentilhomme ordinaire de la chambre. Il gardera le titre mais perdra sa charge d'historiographe.
ix De Puisieulx écrira le 22 à Richard Talbot : « Le roi de Prusse a fait demander Voltaire au roi. Sa Majesté le lui a accordé. Elle a pensé que cette complaisance serait agréable à ce prince, et que, si d'un côté elle laissait aller un académicien que quelques-uns de ses ouvrages rendent célèbre, elle n'avait d'ailleurs rien à regretter dans ce sacrifice . Je doute fort qu'à la longue le roi de Prusse s'accommode du caractère de M. de Voltaire. »
x Après avoir rapporté l'information donnée par Richelieu (celle de Puisieulx), il lui demande le 31 : « Comment serai-je donc traité si je reviens ? »
xi D'Argental réside à Neuilly ; cf. lettre du 28 août.
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