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08/08/2010

est-il vrai que nous avons été un peu frottés en Allemagne ?

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Je ne vous ai pas trop saoulé ? Est-ce mon inconscient qui parle, à l'heure où je n'ai pas encore petit-déjeuné, à la minute où je songe plus à remplir mon frigo qu'à aller à la messe ? D'en parler, l'appétit me vient,... et la soif aussi ...

J'enfourche mon fidèle destrier Peugeot et pédale en essayant d'oublier la côte qui m'attend au retour .

Je parle au présent alors que c'est seulement un futur proche , allez, allons, j'y vais après un dernier clic pour mettre cette note en ligne .

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental


 

8è auguste [1762]


 

Mes divins anges, est-il vrai que nous avons été un peu frottés en Allemagne ?[Dans cette dernière campagne, d'Estrées est vaincu à Wilhelmstadt, et Cassel capitulera le 1er novembre. Le prince de Condé, après l'affaire de Brückermühle et la perte d'Amonsberg, est rejeté sur le Rhin]


 

Est-il vrai que le vieux comte de Munik a pris parti pour l'ivrogne Pierre Ulric ?[le 7 août, V* explique cette option ; «  ce vieux héros de comte de Munich (Burchard Christof comte von Munich) … aime peu les dames depuis que l'une d'elles l'a envoyé en Sibérie », précisément la tsarine Élisabeth qui l'avait exilé. ]



 

Est-il vrai que la paix est signée avec l'Angleterre, que le duc de Bethford vient à Paris, et que le duc de Nivernais va à Londres ? [le duc de Bedford est envoyé à Paris et le duc de Nivernais à Londres ; le traité de Fontainebleau ne sera signé que le 3 novembre 1762, et la paix de Paris le 10 février 1763.]



 

Est-il vrai qu'un empereur soit mort, soit celui de Germanie soit celui de toutes les Russies ?[Pierre Ier, tsar, est mort le 17 juillet après avoir été renversé le 9 juillet par sa femme qui devient Catherine II ; elle fera attribuer ce décès à des hémorroïdes et des coliques.]



 

Est-il vrai que le bailli de Froulai s'est joint à un certain Beaumont contre le tripot ?[le 5 août à Damilaville : « Est-il bien vrai que l'archevêque de Paris » (Christophe de Beaumont) ait « suspendu (le curé de Saint Jean de Latran) pour avoir fait » « un service pour l'âme poétique de M. de Crébillon » «  aux dépens des comédiens du roi ?» ; aux d'Argental, le 7 août : « Est-il possible » que « le bailli de Froulai (ambassadeur de Malte) se soit déclaré contre les comédiens et contre ce bon curé de Saint-Jean de Latran ? Il n'aurait jamais fait pareille infamie du temps de Mlle Lecouvreur et du chevalier d'Aydie ». ]



 

Quelle horreur pendant que j'achève Cassandre !



 

Est-il vrai qu'on a présenté requête au chancelier pour la veuve Calas ?



 

Est-il vrai que le garde des sceaux se meurt ?[Berryer meurt le 15 août]



 

Est-il vrai que le maréchal de Richelieu viendra dans mon trou ?[il viendra le 1er octobre]



 

Est-il vrai qu'on regarde Joliot de Crébillon comme un bon poète ?



 

Vous allez dire que je suis bien curieux.



 

Je baise le bout de vos ailes. »

 

Et pour rester dans le ton rouge-blanc-rosé du début: L'ivrogne corrigé, de Gluck. L'épouse ne semble pas ici avoir eu la main aussi lourde que Catherine II !

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 Et clin d'oeil de l'actualité , -que je rajoute à midi,- qui va avec le titre que j'avais choisi pour cette note : http://www.laposte.net/thematique/actualites/economie/article.jsp?idArticle=20100808114226-bussereau---la-france--ne-bloque-pas-les-trains-allemands-&idAgg=actu_economie

 

 

Les hommes sont faits originairement, ce me semble , pour penser, pour s'instruire, et non pour se tuer.

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En douceur, la liberté ...

 

 

« A René-Louis de Voyer de Paulmy, marquis d'Argenson


 

A La Haye, au palais du roi de Prusse

le 8 d'août [1743]


 

Soyez chancelier de France, Monsieur, si vous voulez que j'y revienne ; rendez-nous la gloire des lettres quand nous perdons celle des armes . Les hommes sont faits originairement, ce me semble , pour penser, pour s'instruire, et non pour se tuer. Faut-il que la guerre ne soit pas encore la seule persécution que les arts essuient ? Je gémis de voir ce pauvre abbé Lenglet [Lenglet du Fresnoy : Mémoires servant d'éclaircissement et de preuves à l'histoire de M. de Thou, tome 6è,... 1743] enfermé, à soixante-dix ans, dans la Bastille, après nous avoir donné une bonne méthode pour étudier l'histoire, et d'excellentes tables chronologiques [La Méthode pour étudier l'histoire, 1713 et les Tables chronologiques de l'histoire universelle,1729]. Qui sont donc les vandales qui se sont imaginés que l'impression du VIème volume des additions à l'Histoire de ce bon président de Thou était un crime d'État ? Quel comble de barbarie et quel excès de petitesse de ne pas permettre qu'on imprime des livres où l'on explique Newton, et où l'on dit que les rêveries de Descartes sont des rêveries !


 

J'aime encore mieux l'abus qu'on fait ici de la liberté d'imprimer ses pensées, que cet esclavage dans lequel on veut chez vous mettre l'esprit humain. Si l'on y va de ce train, que nous restera-t-il que le souvenir de la gloire du beau siècle de Louis XIV ?


 


 

Cette décadence me ferait souhaiter de m'établir dans le pays où je suis à présent. N'ayant rien à y prétendre, je n'aurais point de plaintes à former. Je vivrais tranquille, et j'y souhaiterais à la France des temps plus brillants.


 

Il y a ici des hommes très estimables ; La Haye est un séjour délicieux l'été, et la liberté y rend les hivers moins rudes. J'aime à voir les maîtres de l'État simples citoyens. Il y a des partis, et il faut bien qu'il y en ait dans une république ; mais l'esprit de parti n'ôte rien à l'amour de la patrie, et je vois de grands hommes opposés à de grands hommes.


 

Je suis bien aise, pour l'honneur de la poésie, que ce soit un poète [William Van Haren, poète et député ; il pense que le gouvernement hollandais ne soutient pas assez Marie-Térèse] qui ait contribué ici à procurer des secours à la reine de Hongrie, et que la trompette de la guerre ait été la très humble servante de la lyre d'Apollon. Je vois d'un autre côté, avec non moins d'admiration, un des principaux membres de l'État dont le système est tout pacifique, marcher à pied sans domestiques, habiter une maison faite pour ces consuls romains qui faisaient cuire leurs légumes, dépenser à peine deux mille florins par an pour sa personne et en donner plus de vingt mille à des familles indigentes.[V* pense à Halluin, de Dordrecht]


 

Ces grands exemples échappent à la plupart des voyageurs. Mais ne vaut-il pas mieux voir de telles curiosités que les processions de Rome, les récollets au capitole, et le miracle de Saint Janvier [son sang coagulé, dans une fiole, doit se liquéfier le jour de sa fête, sinon cest un mauvais présage]? Des hommes de bien, des hommes de génie : voilà mes miracles.



 

Ce gouvernement-ci vous plairait infiniment, même avec les défauts qui en sont inséparables. Il est tout municipal, et voilà ce que vous aimez. La Haye d'ailleurs est le pays des nouvelles et des livres ; c'est proprement la ville des ambassadeurs ; leur société est toujours très utile à qui veut s'instruire. On les voit tous en un jour. On sort, on rentre chez soi ;chaque rue est une promenade ; on peut se montrer, se retirer tant qu'on veut. C'est Fontainebleau, et point de cour à faire.



 

Adieu, Monsieur ; plût à Dieu que je pusse vous faire la mienne ! Vous savez si je vous suis attaché pour jamais. »

 

 

Restons zen encore un peu :

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07/08/2010

J'ai encore une passion plus forte que celle des tragédies

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« A Louis-François-Armand du Plessis , duc de Richelieu


7è auguste 1773, à Ferney

 

Si mon héros a un moment de loisir à Compiègne, je le supplie de daigner lire un petit précis très vrai et très exact , du meurtre de M. de Lally, lieutenant général ; et un précis très court de l'affaire de M. de Morangiès, maréchal de camp [@]. Il peut être sûr de ne trouver dans ces deux mémoires aucun fait qui ne soit appuyé sur des papiers originaux qu'on a entre les mains.


On a joué Les Lois de Minos à Lyon avec beaucoup de succès . Un acteur nommé La Rive [Jean Mauduit, dit de Larive] a emporté tous les suffrages dans le rôle de Datame, et Laville a prié Lekain de jouer le rôle de Teucer à son retour au mois de septembre.


Pour moi, je vous supplie instamment, Monseigneur, d'avoir la bonté d'ordonner aux Comédiens de Paris de jouer les tragédies de Sophonisbe et de Minos . Je compte sur vos promesses autant que je suis pénétré de vos bontés . Je ne demande après tout que ce qu'on ne pourrait refuser à MM. Lemierre et Portelance [@@].

 

J'ai encore une passion plus forte que celle des tragédies, ce serait de vous faire ma cour au moins deux jours avant de mourir au premier voyage que vous feriez dans notre royaume de Guyenne. Il ne faut nulle permission pour cela [@@@], les chemins sont libres ; je mourrais content.


J'envoie ce paquet sous le couvert de M. le duc d'Aiguillon, ne sachant pas si vous avez vos ports francs pour les gros paquets qui ne viennent point de votre gouvernement. Vous ne m'avez jamais répondu sur cet article.


Daignez me conserver vos bontés ; elles sont la première des consolations d'un homme qui bientôt n'aura plus besoin d'aucune. »

 


@Cf. lettres du 13 janvier 1766 à d'Alembert, 28 avril 1773 au chevalier Lally (Fils), 30 mai 1772 à Richelieu, 7 juin 1773 à d'Alembert.


@@ Portelance auteur de Antipater, qui a eu un échec retentissant en 1751.

Lemierre, auteur d'un Guillaume Tell qui eut priorité sur les Scythes de V* en décembre 1766.


@@@ V* a besoin d'une permission pour aller à Paris et depuis longtemps Richelieu est sensé se charger de la négocier.

Je veux aussi , Madame, vous vanter les exploits de ma patrie . Nous avons depuis quelque temps une danseuse excellente à l'Opéra de Paris

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« A Catherine II


7è auguste 1771


Madame,


Est-il bien vrai ? Suis-je assez heureux pour qu'on ne m'ait trompé ? Quinze mille Turcs tués ou faits prisonniers auprès du Danube, et cela dans le même temps que les troupes de Votre Majesté Impériale entrent dans Perecop [#]. Cette nouvelle vient de Vienne. Puis-je y compter ? mon bonheur est-il certain ?


Je veux aussi , Madame, vous vanter les exploits de ma patrie . Nous avons depuis quelque temps une danseuse excellente à l'Opéra de Paris [Anne-Victor Dervieux (?)]. On dit qu'elle a de très beaux bras . Le dernier opéra-comique n'a pas eu un très grand succès [Les Jardiniers, de Davesne, musique de Prudent, joué au Théâtre italien le 15 juillet 1771], mais on en prépare un qui fera l'admiration de l'univers. Il sera exécuté dans la première ville de l'univers, par les meilleurs acteurs de l'univers.


Notre contrôleur général des Finances qui n'a pas l'argent de l'univers dans ses coffres, fait des opérations qui lui attirent des remontrances et quelques malédictions [##].


Notre flotte se prépare à voguer de Paris à Saint-Cloud.


Nous avons un régiment dont on a fait la revue ; et les politiques en présagent un grand événement.


On prétend qu'on a vu un détachement de jésuites vers Avignon [###], mais qu'il a été dissipé par un corps de jansénistes qui était fort supérieur. Il n'y a eu personne de tué, mais on dit qu'il y aura plus de quatre convulsionnaires d'excommuniés.


Je ne manquerai pas, Madame, si Votre Majesté Impériale le juge à propos, de lui rendre compte de la suite de ces grands révolutions.


Pendant que nous faisons des choses si mémorables, Votre Majesté s'amuse à prendre des provinces en terre ferme, à dominer sur la mer de l'archipel et sur la mer Noire, à battre des armées turques. Voilà ce que c'est de n'avoir rien à faire, et de n'avoir qu'un petit État à gouverner.


Je n'en suis pas moins attaché à Votre Majesté Impériale avec un profond respect, et un inviolable dévouement qui ne finira qu'avec ma vie.


Le vieux malade de Ferney. »


#Elle répondra le 4/15 septembre qu'il n'y a eu cet été qu'un combat de ce côté du Danube, et que Bucarest « est toujours entre ses mains, avec toutes les places de la rive du Danube depuis Giurghi (Giurgievo) jusqu'à la mer Noire ».

L'isthme de Perekop sépare la mer d'Azov de la mer Noire.


## L'abbé Terray suspendit le paiement des rescriptions, rogna les pensions et les rentes viagères, prorogea les vongtièmes, augmenta taille et gabelle, emprunta d'autorité aux titulaires d'offices, rétablit la vénalité des offices municipaux …


### Allusion parodique au conflit avec le pape et la reprise d'Avignon par la France à la suite de l'excommunication du duc de Parme en 1768.

Les langages, à mon gré, sont comme les gouvernements, les plus parfaits sont ceux où il y a le moins d'arbitraire

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« A Pierre-Jean-Jacques-Guillaume Guyot


7è auguste 1767, à Ferney


Il est très certain, Monsieur, que la France manque d'un bon Vocabulaire [Guyot fut un des auteurs du Grand Vocabulaire français, 1767-1774]; l'Espagne [Diccionario de la lengua castellana … compuesto por la real Academia española, 1726-1739] et l'Italie [Vocabulario degli accademici della Crusca, 1612] en ont, tous les mots y sont marqués avec leur étymologies, leurs significations propres et figurées, avec des exemples tirés des meilleurs auteurs dans les différents styles . Il faut remarquer surtout qu'en espagnol et en italien, on écrit comme on parle. Tout cela est à désirer dans nos dictionnaires. Notre écriture est perpétuellement en contradiction avec notre prononciation. Il n'y a point de raison, pour laquelle je croiois, j'octroiois, doivent s'écrire ainsi, quand on prononce je croiais, j'octroiais [cette graphie en ai ne sera adoptée par l'Académie qu'en 1835. V* pense qu'on reconnaît ses publications à cette graphie]. Le second oi ne doit pas être plus privilégié que le premier. Du temps de Corneille on prononçait encore je connois, et même on retranchait l's. Vous voyez dans Héraclius :


Qu'il entre ; à quel dessein vient-il parler à moi,

Lui que je ne vois point, qu'à peine je connoi ?

[on prononçait wé]



On ne souffrirait point aujourd'hui une pareille rime puisque l'on prononce je connais.



Notre langue est très irrégulière. Les langages, à mon gré, sont comme les gouvernements, les plus parfaits sont ceux où il y a le moins d'arbitraire. Il est bien ridicule que d'augustus on ait fait aoust, de pavonem, paon, de Cadomum, Caen, de gustus, goût . Les lettres retranchées dans la prononciation prouvent que nous parlions très durement ; ces mêmes lettres que l'on écrit encore sont nos anciens habits de sauvages.



Que de termes éloignés de leur origine ! Pédant qui signifie instructeur de la jeunesse est devenu une injure . De fatuus qui signifiait prophète on a fait un fat [en latin, fatuus avec un a long est, selon Varron, un mot du vocabulaire religieux archaïque qui désigne le Devin ; mais fatuus avec un a bref signifie ou fade, ou extravagant et en substantif désigne le fou, le bouffon]. Idiot qui signifiait solitaire ne signifie plus qu'un sot [en grec ce mot était employé au sens de « simple, ignorant, vulgaire » (à partir du sens de « simple particulier ») ; en latin ça désigne « qui n'est pas connaisseur, profane, ignorant »].



Nous avons des architraves et point de trave, des archivoltes et point de volte en architecture, des soucoupes après avoir banni les coupes, on est impotent et on n'est point potent, il y a des gens implacables et pas un de placable. On ne finirait pas si on voulait exposer tous nos besoins. Cependant notre langue se parle à Vienne, à Berlin, à Stokolm, à Copenhague, à Moscou. Elle est la langue de l'Europe, mais c'est grâce à nos bons livres et à la régularité de notre idiome. Nos excellents artistes ont fait prendre notre pierre pour de l'albâtre.



J'attends, Monsieur, votre Vocabulaire pour fixer mes idées et je vous remercie par avance de votre politesse et de vos instructions. »

 

Introduire dans la pièce de Sophocle une partie carrée d'amants transis est une sottise

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« A Claire-Josèphe-Hippolyte Léris de Latude Clairon

A Ferney, 7 aug[us]te 1761



Je crois, Mademoiselle, que votre zèle pour l'art tragique est égal à vos grands talents. J'ai beaucoup de choses à vous dire sur ce zèle qui est aussi noble que votre jeu.



J'ai été très affligé que vos amis aient souffert qu'on ait fait un si pitoyable ouvrage en faveur du théâtre [%]. Si on s'était adressé à moi, j'avais en main des pièces un peu plus décisives que tous les différents ordres dont l'ordre des avocats, des fanatiques, et des sots a tant abusé contre ce pauvre Huerne . J'ai en main la décision du confesseur du pape Clément XII [%%], décision fondée sur des témoignages plus authentiques que ceux qui ont été allégués dans ce malheureux mémoire. Cette décision du confesseur du pape me fut envoyée il y a plus de vingt ans ; je l'ai heureusement conservée, et j'en ferai usage dans l'édition que j'entreprends de Corneille [%%%]. Elle sera chargée à chaque page de remarques utiles sur l'art en général, sur la langue, sur la décence de notre spectacle, sur la déclamation, et je n'oublierai pas mademoiselle Clairon en parlant de Cornélie.



Vous avez été très effarouchée d'une lettre que j'ai écrite au sujet d'Electre [%%%%]. J'ai du l'écrire dans la situation où j'étais, et ne rien prendre sur moi ; et je me flatte que vous avez pardonné à mon embarras.



Vous voulez jouer Zulime. J'ai envoyé la pièce après avoir consumé un temps très précieux à la travailler avec le plus grand soin [%%%%%]. Je vous prie très instamment de la jouer comme je l'ai faite, et d'empêcher qu'on ne gâte mon ouvrage. Les acteurs sont intéressés à cette complaisance.



Vous vous apercevrez aisément, Mademoiselle, de l'excès du ridicule de l'édition de Tancrède faite à Paris. Vous verrez qu'on a tâché de faire tomber la pièce en l'imprimant ; et que si on la joue suivant cette leçon absurde, il est impossible qu'à la longue elle soit soufferte, malgré toute la supériorité de vos talents.



Vous voyez d'un coup d'œil quelle sottise fait Orbassan en répétant en quatre mauvais vers (page 32), ce qu'il a déjà dit, et en le répétant, pour comble de ridicule, sur les mêmes rimes déjà employées au commencement de ce couplet.

Si vous récitez ce mauvais vers :



On croit qu'à Solamir mon cœur se sacrifie,



vous gâtez toute la pièce. Il ne faut pas que vous imaginiez que Solamir ait part à votre condamnation. D'où pouvez-vous savoir qu'on croit vous immoler à Solamir ? Que veut dire mon cœur se sacrifie ? Il s'agit bien ici de cœur, il s'agit d'être exécutée à mort. Vous craignez qu'on n'impute à Tancrède la trahison pour laquelle vous êtes arrêtée, et c'est pour cela que jusqu'au 3è acte vous êtes prête d'avouer tout, croyant Tancrède à Messine, vous n'osez plus prononcer son nom dès que vous le voyez à Syracuse. Mais vous ne devez pas penser à Solamir. On a fait un tort irréparable à la pièce en la donnant de la manière dont elle est si ridiculement imprimée.



La 2è scène du 2è acte est tronquée et d'une sécheresse insupportable. Si votre père ne vous parle que pour vous condamner, s'il n'est pas désespéré, qui pourra être touché? Qui pourra vous plaindre quand un père ne vous plaint pas ? Sa douleur, la vôtre, ses doutes, vos réponses entrecoupées, ce père infortuné qui vous tend les bras, votre reproche sur sa faiblesse, votre aveu noble que vous avez écrit une lettre, et que vous avez dû l'écrire, tout cela est théâtral et touchant. Il y a plus, cela justifie les chevaliers qui vous condamnent ; si on ne joue pas ainsi la pièce, elle est perdue, elle est au rang de toutes les mauvaises pièces qu'on a données depuis quatre-vingts ans, que le jeu des acteurs fait supporter quelquefois au théâtre, et que tous les connaisseurs méprisent à la lecture. En un mot l'édition de Prault est ridicule et me couvre de ridicule. Je serai obligé de la désavouer puisqu'elle a été faite malgré mes instructions précises. Je vous prie très instamment, Mademoiselle, de garder cette lettre et de la montrer aux acteurs quand on jouera Tancrède.



Je vous fais mon compliment sur la manière dont vous avez joué Electre. Vous avez rendu à l'Europe le théâtre d'Athènes. Vous avez fait voir qu'on peut porter la terreur et la pitié dans l'âme des Français, sans le secours d'un amour impertinent et d'une galanterie de ruelle, aussi déplacés dans Electre qu'ils le seraient dans Cornélie. Introduire dans la pièce de Sophocle une partie carrée d'amants transis est une sottise [%%%%%%] que tous les gens sensés de l'Europe nous reprochent assez. Tout amour qui n'est pas une passion furieuse et tragique doit être banni du théâtre ; et un amour, quel qu'il soit, serait aussi mal dans Electre que dans Athalie. Vous avez réformé la déclamation ; il est temps de réformer la tragédie, et de la purger des amours insipides comme on a purgé le théâtre des petits-maîtres [%%%%%%%].



 

 

On m'a flatté que vous pourriez venir dans nos retraites. On dit que votre santé a besoin de M. Tronchin. Vous seriez reçue comme vous méritez de l'être, et vous verriez chez moi [ à Ferney ]un assez joli théâtre que peut-être vous honoreriez de vos talents sublimes, en faveur de l'admiration et de tous les sentiments que ma nièce et moi nous conservons pour vous. Mlle Corneille ne dit pas mal les vers. Ce serait un beau jour pour moi que celui où je verrai la petite fille [ plutôt une parente, petite-nièce peut-être] du grand Corneille confidente de l'illustre mademoiselle Clairon.

Je vous présente mon respect.



V. »



%Ouvrage de Huerne de La Mothe, avocat de Mlle Clairon ; cf. lettre du 6 mai à Le Brun, 31 mai à Damilaville et Thiriot, 21 juin à d'Argental.

 

%% Cerati, à qui il demanda le 6 avril 1746 s'il était vrai que les artistes n'étaient pas excommuniés à Rome et Florence. Cerati n'était pas le confesseur du pape, mais celui du conclave qui avait élu le pape. V* reconnaitra son erreur le 27 novembre 1761 auprès de Richelieu.

V* signale aussi une ordonnance du roi de 1641 à Mlle Clairon le 27 août 1761.

 

 

%%% A voir dans les notes de l'Épitre dédicatoire de Théodore.

 

 

%%%% Lettre dont une copie partielle est conservée à la Comédie française , de V*, adressée au comte de Lauraguais en juillet . Le comte lui ayant demandé de laisser sa chance à la Zarucma du « pauvre diable » de Cordier et ayant lui-même une Clitemnestre à faire jouer, V* a rejeté sur les comédiens la responsabilité de la reprise de son Oreste. CF. Lettre du 1er avril à d'Argental et 14 septembre.

 

%%%%% Aux d'Argental, le 26 juin, il écrivit que l'impression pirate de Zulime l'avait « fait apercevoir d'un défaut capital qui régnait dans cette pièce : c'était l'uniformité des sentiments de l'héroïne qui disait toujours : j'aime ; … il faut quelquefois dire : je hais » Le 28 juillet il se « jette à leur pieds pour que Zulime se tue » et il leur envoie « cette nouvelle façon de se tuer ».

 

%%%%%% Critique de l'Electre de Crébillon.

 

%%%%%%% Grâce au don généreux du comte de Lauraguais, il n'y a plus de spectateurs sur la scène du théâtre ; cf. lettre du 6 avril 1759 à d'Argental.

on peut encore parler de quelques faiblesses d'un grand homme, surtout quand il s'en est corrigé.

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« A Ivan Ivanovitch Shouvalov



Aux Délices près de Genève 7 août 1757



Avant d'avoir reçu les mémoires dont Votre Excellence m'a flatté, j'ai voulu vous faire voir du moins par mon empressement que je cherche à n'en être pas indigne.



J'ai l'honneur de vous envoyer huit chapitres de l'Histoire de Pierre le Grand. C'est une très légère esquisse que j'ai faite sur les Mémoires manuscrits du général Le Fort, sur les relations de la Chine, sur les mémoires de Strelemberg [= Strahlenberg] et de Perri [John Perry]. Je n'ai point fait usage d'une vie de Pierre le Grand, faussement attribuée au prétendu boyard Nevestoy et compilée par un nommé Rousset [ Mémoires du règne de Pierre le Grand, 1725-1726, de Iwan Nestesuranoi (= J. Rousset de Missy)]] en Hollande. Ce n'est qu'un recueil de gazettes et d'erreurs très mal digéré, et d'ailleurs un homme sans aveu qui écrit sous un faux nom ne mérite aucune créance.



J'ai voulu savoir d'abord si vous approuvez mon plan, et si vous trouvez que j'accorde la vérité de l'histoire avec les bienséances. Je ne crois pas, Monsieur, qu'il faille toujours s'étendre sur les détails des guerres, à moins que ces détails ne servent à caractériser quelque chose de grand et d'utile. Les anecdotes de la vie privée ne me paraissent mériter d'attention qu'autant qu'elles font connaître les mœurs générales. On peut encore parler de quelques faiblesses d'un grand homme, surtout quand il s'en est corrigé. Par exemple l'emportement du czar avec le général Le Fort peut être rapporté, parce que son repentir doit servir d'un bel exemple. Cependant, si vous jugez que cette anecdote doive être supprimée, je la sacrifierai très aisément. Vous savez, Monsieur, que mon principal objet est de raconter tout ce que Pierre Ier a fait d'avantageux pour sa patrie, et de peindre ses heureux commencements qui se perfectionnent tous les jours sous le règne de son auguste fille.



Je me flatte, Monsieur, que vous voudrez bien rendre compte de mon zèle à Sa Majesté, et je continuerai avec son agrément. Je sens bien qu'il doit se passer un peu de temps avant que je reçoive les mémoires que vous avez eu la bonté de me destiner. Plus j'attendrai, plus ils seront amples. Soyez sûr, Monsieur, que je ne négligerai rien pour rendre à votre empire la justice qui lui est due. Je serai conduit à la fois par la fidélité de l'histoire, et par l'envie de vous plaire.



Vous pouviez choisir un meilleur historien, vous ne pouviez vous confier à un homme plus zélé.



Si ce monument devient digne de la postérité, il sera tout entier à votre gloire ; et j'ose dire à celle de Sa Majesté l'Impératrice, ayant été composé sous ses auspices.



J'ai l'honneur d'être avec tous les sentiments que je vous ai voués

Monsieur,

de votre Excellence,

le très humble et très obéissant serviteur.

VOLTAIRE.



M. de Vetslow [ Fedor Pavlovitch Veselovsky ; il a été chargé par Schouvalov de demander à V* d'écrire l'Histoire de la Russie] m'a dit que Votre Excellence voulait envoyer quelques jeunes Russes étudier dans le pays que j'habite. Lausanne est bien moins chère que Genève, et je me chargerai de les établir à Lausanne avec tout le zèle et toute l'attention que mériteront vos ordres.



NB : Il paraît important de ne point intituler cet ouvrage Histoire, ou Vie de Pierre Ier. Un tel titre engage nécessairement l'historien à ne rien supprimer. Il est alors forcé de dire des vérités odieuses, et s'il ne les dit pas, il se déshonore sans faire honneur à ceux qui l'emploient.



Il faudrait donc prendre pour titre, ainsi que pour sujet, La Russie sous Pierre Ier. Une telle annonce écarte toutes les anecdotes de la vie privée du czar qui pourraient diminuer sa gloire, et n'admet que celles qui sont liées aux grandes choses qu'il a commencées et qu'on a continuées depuis lui. Les faiblesses ou les emportements de son caractère n'ont rien de commun avec les objets importants ; et l'ouvrage alors concourt également à la gloire de Pierre Ier, de l'Impératrice sa fille , et de sa nation.



On travaillera sur ce plan avec l'agrément de Sa Majesté Impériale qui est nécessaire. »