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07/08/2010

le père Porée a prié Dieu pour obtenir un beau temps ; le ciel n'a pas été d'airain pour lui, au plus fort de sa prière le ciel a donné une pluie abondante

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« A Claude-Philippe Fyot de La Marche

[à Monsieur de La Marche le fils, chez Monsieur de La Marche Président à mortier à Dijon]

[vers le 7 août 1711]



Monsieur,



J'ai différé deux ou trois jours à vous écrire afin de pouvoir vous dire des nouvelles de la tragédie [&]que le père Le Jay vient de faire représenter ; une grosse pluie a fait partager le spectacle en deux après-dîners ce qui a fait autant de plaisir aux écoliers que de chagrin au père Le Jay ; deux moines se sont cassé le col l'un après l'autre si adroitement qu'ils n'ont semblé tomber que pour servir notre divertissement, le nonce de Sa Sainteté [Agostino Cusani, nonce de Clément XI] nous a donné 8 jours de congé, M. Thevenard a chanté, le père Le Jay s'est enroué ; le père Porée a prié Dieu pour obtenir un beau temps ; le ciel n'a pas été d'airain pour lui, au plus fort de sa prière le ciel a donné une pluie abondante, voilà à peu près ce qui s'est passé ici ; il ne me reste plus pour jouir des vacances que d'avoir le plaisir de vous voir à Paris, mais bien loin de pouvoir vous posséder,[Fyot de La Marche a quitté le collège en mai] je ne puis même avoir le bonheur de contenter mon amitié par une plus longue lettre, la poste qui va partir me force de me dire à la hâte votre très humble et très obéissant serviteur et ami [la relation épistolaire reprendra en 1755 quand V* installé aux Délices, sera le voisin de Fyot devenu président à mortier au parlement de Dijon].



Arouet. »


&Croesus, pièce latine du père Gabriel-François Le Jay, déjà jouée en 1700.

Le spectacle donné au collège Louis le Grand à l'occasion de la distribution des prix, était intitulé : Apollon législateur ou le Parnasse réformé. Ballet mêlé de chant et de déclamation qui sera dansé à la tragédie de Crésus le mercredi 5è d'août 1711.

06/08/2010

Je sais seulement que c'est un barbouilleur de papier complètement déshonoré...En voilà trop sur un homme si méprisable et si méprisé.

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« A Claude-Joseph Dorat

A Ferney 6è auguste 1770



J'ignore, monsieur, et je veux ignorer quel est le sot ou le fripon, ou celui qui revêtu de ces deux caractères a pu vous dire que j'étais l'auteur des Anecdotes sur Fréron. Il aura pu dire avec autant de vraisemblance que j'ai fait Guzmán d'Alfarache [ de Mateo Aleman, traduit entre autres par Chapelain et imité par Lesage]. Je n'ai jamais, Dieu merci, ni connu ni vu ce misérable Fréron. Je n'ai jamais vu aucune de ses rhapsodies, excepté une demi-douzaine que je tiens de M. Lacombe [Jacques Lacombe, lettre du 5 juillet 1770]. Je sais seulement que c'est un barbouilleur de papier complètement déshonoré.



Je ne connais pas plus ses prétendus croupiers [ = certains écrivains comme Dorat, désignés dans les Anecdotes, collaborateurs de L'Année littéraire ] que sa personne. Je suis absent de Paris depuis plus de vingt ans, et je n'y ai fait avant ce temps qu'un séjour très court.



L'auteur des Anecdotes sur Fréron dit qu'il a été très lié avec lui. J'ai essuyé bien des malheurs dans ma vie ; mais j'ai été préservé de celui-là.[Thiriot avait envoyé à V* en août 1760 un dossier dont les éléments avaient été fournis, semble-t-il par l'abbé La Porte principalement, peut-être quelque peu par La harpe à qui V* voulait faire attribuer les éditions de 1761 ; cf. lettre à d'Alembert du 9 juillet,lettre à Thiriot du 17 juin]



Je n'ai jamais vu M. l'abbé de La Porte dont il est tant parlé dans ces Anecdotes. On dit que c'est un fort honnête homme, incapable des horreurs dont Fréron est chargé par tout le public.



Vous sentez, Monsieur, qu'il est impossible que j'aie vu Fréron au café de Viseu dans la rue Mazarine. Je n'ai jamais fréquenté aucun café [faux, il a fréquenté Le Procope, proche de la Comédie française ; il y donnait rendez-vous à Baculard d'Arnaud dans un billet du 16 juin 1749 ; il lui est arrivé d'y aller incognito écouter ce qu'on disait de ses pièces], et j'apprends pour la première fois par ces Anecdotes que ce café de Viseu existe ou a existé.



Il est de même impossible que je sache quels sont les marchés de Fréron avec les libraires, et tous les vils détails des friponneries que l'auteur lui reproche. Il serait absurde de m'imputer la forme et le style d'un tel ouvrage.



Vous vous plaignez que votre nom se trouve parmi ceux que l'auteur accuse d'avoir travaillé avec Fréron. Ce n'est pas assurément ma faute. Tout ce que je puis vous dire c'est que vous semblez avoir tort d'appeler cela un affront, puisque vous pouvez très bien lui avoir prêté votre plume sans avoir eu part à ses infamies. Vous m'apprenez vous-même que vous avez inséré dans les feuilles de ce Fréron un extrait contre M. de La Harpe [dans l'Année littéraire de Fréron a paru une « Épître d'un curé à l'auteur du drame de Mélanie », datée du 20 mars 1770, non signée, contre La Harpe].



Je ne sais ce que c'est que l'autre imputation dont vous me parlez.



Si vous êtes curieux de savoir quel est l'auteur des Anecdotes adressez-vous à M. Thiriot ; il doit le connaître ; et il y a quelques années qu'il m'écrivit touchant cette brochure . Adressez-vous à M. Marin qui est au fait de tout ce qui s'est passé depuis quinze ans dans la librairie, et qui sait parfaitement que je ne puis avoir la moindre part à toutes ces futilités. Adressez-vous à Mme Duchesne, à M. Guy [qui travaille chez Duchesne], lesquels doivent être fort instruits des gestes de Fréron ; adressez-vous à Lambert chez qui l'auteur dit avoir vu les pièces d'un procès entre Fréron et sa sœur la fripière. Adressez-vous à M. l'abbé de La Porte qui doit être mieux informé que personne. L'auteur paraît avoir écrit il y a six ou sept ans ; et je vous avoue que j'ai la curiosité de savoir son nom.



Je connais deux éditions des Anecdotes, l'une qui est celle dont vous me parlez, l'autre qui se trouve dans un pot-pourri en deux volumes [Les Choses utiles et agréables, 1770 ; cf. lettre à Thiriot du 17 juin] Il faut qu'il y en ait une troisième un peu différente des deux autres, puisque vous me parlez d'une nouvelle accusation contre vous que je ne trouve pas dans celle qui est en ma possession.



En voilà trop sur un homme si méprisable et si méprisé.



Vous pouvez faire imprimer votre lettre et la mienne.



J'ai l'honneur d'être avec tous les sentiments que je dois à votre mérite,

Monsieur,

votre très humble et très obéissant

serviteur



Voltaire »



Croyez fermement, Monseigneur,que je vous mets immédiatement au-dessus du soleil et des bibliothèques

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« A Louis-François-Armand du Plessis, duc de Richelieu

A Colmar 6 août [1754]



Croyez fermement, Monseigneur,que je vous mets immédiatement au-dessus du soleil et des bibliothèques. Je ne peux en vérité vous donner une plus belle place dans la distribution de mes goûts. Je suis assez content du soleil pour le moment mais ne vous figurez pas que dans votre belle province [Richelieu est gouveneur du Languedoc et V* n'a pas voulu s'y établir ; cf. lettre à Mme Denis du 6 juin] vous ayez les livres qu'il faut à ma pédanterie. Je les ai trouvés au milieu des montagnes des Vosges ; où ne va-t-on pas chercher l'objet de sa passion ? Il me fallait de vieilles chroniques du temps de Charlemagne et de Hugues Capet, et tout ce qui concerne l'histoire du Moyen-Age, qui est la chose du monde la plus obscure. J'ai trouvé cela dans l'abbaye de dom Calmet. Il y a dans ce désert sauvage une bibliothèque presque aussi complète que celle de Saint-Germain-des-Prés de Paris. Je parle à un académicien, ainsi il me permettra ces petits détails. Il saura donc que je me suis fait moine bénédictin pendant un mois entier. Vous souvenez-vous de monsieur le duc de Brancas qui s'était fait dévôt au Bec ?[le duc Louis de Brancas-Villars avait abandonné ses titres pour son fils en 1709 et retiré à l'abbaye du Bec en Normandie, puis à l'Oratoire de Paris] Je me suis fait savant à Senones ; et j'ai vécu délicieusement au réfectoire. Je me suis fait compiler par les moines des fatras horribles d'une érudition assommante. Pourquoi tout cela , pour pouvoir aller gaiement faire ma cour à mon héros quand il sera dans son royaume. Pédant à Senones, et joyeux auprès de vous, je ferais tout doucement le voyage avec ma nièce. Je ne pouvais régler aucune marche avant d'avoir fait un grand acte de pédantisme que je viens de mettre à fin . J'ai donné moi-même un troisième volume de l'Histoire universelle [il a fait imprimer ce tome par Schoepflin avec qui Walther devait s'entendre] en attendant que je puisse publier à mon aise les deux premiers qui demandaient toutes les recherches que j'ai faites à Senones. Et je publie exprès ce troisième volume pour confondre l'imposture qui m'a attribué ces deux premiers tomes si défectueux. J'ai dédié exprès à l'Électeur palatin ce tome troisième parce qu'il a l'ancien manuscrit des deux premiers entre les mains ; et je le prends hardiment à témoin que ces deux premiers ne sont point mon ouvrage [les tomes édités par Néaulme et par ceux qui ont reproduit cette édition Néaulme]. Cela est, je crois sans réplique [à Lambert, le 7 juin et le 9 juillet V* « demande en grâce » « de ne point débiter (le tome ) sans la préface et sans l'épître dédicatoire (à l'Electeur palatin), deux points très essentiels. »]. Et d'autant plus sans réplique que Mgr l'Électeur palatin me fait l'honneur de me mander qu'il est très aise de concourir à la justice que le public me doit [dans une lettre du 27 juillet].



Je rends compte de tout cela à mon héros. Mon excuse est dans la confiance que j'ai en ses bontés. Je le supplie de mander comment je peux faire pour lui envoyer ce troisième volume par la poste. Il aime l'histoire, il y trouvera peut-être des choses assez curieuses et même des choses dans lesquelles il ne sera point de mon avis . J'aurai de quoi l'amuser davantage quand je sera assez heureux pour venir me mettre quelque temps au rang de ses courtisans dans son royaume de Théodoric [roi des Wisigoths, qui fit sa capitale à Toulouse]. Mme Denis, ma garde-malade, voulait avoir l'honneur de vous écrire. Elle joint ses respects aux miens. Nous disputons à qui vous est attaché davantage, à qui sent le mieux tout ce que vous valez ; et nous vous donnons toujours la préférence sur tout ce que nous avons connu. Vous êtes le saint pour qui nous avons envie de faire un pèlerinage. Je crois que six semaines de votre présence me feraient plus de bien que Plombières.



Adieu, Monseigneur, votre ancien courtisan sera toujours pénétré pour vous du plus tendre respect et de l'attachement le plus inviolable.



V. »




05/08/2010

il m'a fallu repasser par des palais après avoir été dans les cavernes

http://www.deezer.com/listen-247596

 

http://www.frenergie.ch/Infos/frenews73.html

Claude Monnier: le retour aux cavernes....

Non ! il ne s'agit pas de Volti !

Mais c'est encore ce qui me fait plaisir en furetant sur le Net, de tomber au hasard de recherches [caverne] sur de l'instructif et inattendu.

Remontons dans le temps ...

Un peu de tourisme :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Ch%C3%A2teau_de_Schwetzingen

Schwetzingen01.jpg

 

 

 

«  A Marie-Louise Denis



 

A Schwitzingen auprès de Mannheim

5 août [1753]



 

J'ai été un peu de temps sans vous écrire. Ce n'est pas trop ma faute, ma chère enfant. J'étais malade à Mayence, et je comptais partir de jour en jour, d'heure en heure, dès que j'en aurais la force. Ensuite vous savez que ma destinée est du temps des Astolphes et des Alcines [personnages de Orlando furioso de l'Arioste], il m'a fallu repasser par des palais après avoir été dans les cavernes. Vous sentez bien qu'à Mayence je n'ai pu me dispenser de remercier l'Electeur de la part que ce prince et ses ministres daignèrent prendre au malheur qui vous est arrivé. Le comte de Stadian, premier ministre de l'Électeur [comte Anton Heinrich Friedrich Stadion-Warthausen], a une fille de beaucoup de mérite qui s'appelle Mme la comtesse de Shall. Elle vous regrettait beaucoup, elle était très fâchée de n'avoir pu vous faire oublier à Mayence les indignités de Francfort. Vous n'avez pas besoin à Paris de ces consolations, mais il est toujours agréable d'apprendre qu'on s'intéresse à vous, et que votre mérite n'est point ignoré. De Mayence j'ai été à Manheim, j'y suis retombé encore assez mal . Les maux et les devoirs prennent du temps. C'est un devoir indispensable pour moi de faire ma cour à Leurs Altesses Électorales, et de les remercier des bontés dont elles m'ont honoré. Je suis actuellement dans la maison de plaisance de Mgr l'Electeur palatin. Il ne me manque que la santé pour y jouir de tous les plaisirs qu'on y goûte. Comédie française [le 11, il écrira qu'on lui a joué quelques unes de ses pièces : Zaïre, L'Indiscret, Alzire], comédie italienne, grand opéra italien, opera buffa, ballets, grande chère, conversation, politesse, grandeur, simplicité, voilà ce que c'est que la cour de Manheim. Je sens que je serais enchanté si je me portais bien, et si les agréments de cette cour ne perdaient dans mon cœur beaucoup de leur prix par l'impatience et le besoin que j'ai de me rejoindre à vous. Je compte absolument m'arracher dans deux ou trois jours à toutes les consolations qu'on daigne ici me prodiguer pour aller chercher auprès de vous la seule que je sois capable de bien sentir. Vous devez penser qu'au milieu des nouvelles délices dont je suis environné, il règne dans mon cœur bien de l'amertume, et que les horreurs que vous avez éprouvées à Francfort [cf. lettre du 20 juin à la margravine et du 8 juillet au vénérable conseil de Francfort] corrompent tous les plaisirs de la route.



 

Je ne doute pas que vous n'ayez vu M. d'Argental ; il n'est pas toujours à la campagne, vous aurez retrouvé encore à Paris beaucoup de vos amis, et, leurs sentiments pour vous se seront ranimés. Vous n'en paraîtrez que plus aimable pour avoir été malheureuse ; votre accident est d'un genre si noble qu'il ajoute à votre mérite [Elle « avait fait le voyage de Francfort pour venir (l)e consoler. »]. Souffrir pour une bonne action est une récompense pour un cœur comme le vôtre. J'aimerais mieux votre situation que celle des personnes au nom desquelles vous avez été si indignement traitée . Je vous prie de faire mes compliments à votre frère et à votre sœur. Leur sensibilité et leur conduite à votre égard me les rendent bien chers. Je vous embrasse tendrement. S'il y a quelque chose de nouveau je vous supplie de m'en instruire à Strasbourg. »

 

 

Volti se languit de sa nièce, tout comme Orphée d'Eurydice : http://www.deezer.com/listen-765208

 

 

 

04/08/2010

Le chagrin s'est emparé de moi, et m'a fait perdre la tête. Je suis devenu imbécile

Imbecile et verité.jpg
 
 

 

 



 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental


4è auguste 1777


Mon cher ange, il y a plus de soixante ans que vous voulez bien m'aimer un peu. Il faut que je fasse à mon ange un petit croquis de ma situation, quoiqu'il soit défendu de parler de soi-même, et quoiqu'on ait joué L'Égoïsme [ de Jean-François Cailhava de l'Estendoux, à la Comédie française le 19 juin 1777] bien ou mal, dans votre tripot de Paris.


J'ai quatre-vingt-trois ans, comme vous savez, et il y a environ soixante et six ans que je travaille . Tous les gens de lettres en France, hors moi, jouissent des faveurs de la cour, et on m'a ôté, je ne sais comment, du moins on ne me paye plus, une pension de deux mille livres que j'avais avant que Louis XV fût sacré [Louis XV fut sacré en octobre 1722 ;la pension reçue dans la période 172-1722 était pour dédommager des pertes subies après la faillite du système Law].


Je suis retiré depuis trente ans ou environ sur la frontière de la Suisse [arrivée à Genève et à Prangins en décembre 1754]. Je n'avais qu'un protecteur en France, c'était M. Turgot ; on me l'a ôté ; il me restait M. de Trudaine, on me l'ôte encore [Trudaine est « remercié » par Necker, et mourra le 5 août].


J'avais eu l'impudence de bâtir une ville ; cette noble sottise m'a ruiné [après la chute de Turgot en mai 1776 ; V* a prêté des sommes considérables à ceux qui se sont installés à Ferney, et on commence à fuir Ferney pour aller à la nouvelle ville de Versoix].


J'avais repris mon ancien métier de cuisine [ = le théâtre] pour me consoler ; je ne sens que trop , toute réflexion faite, que je n'entends rien à la nouvelle cuisine, et que l'ancienne est hors de mode.


Le chagrin s'est emparé de moi, et m'a fait perdre la tête. Je suis devenu imbécile au point que j'ai pris pour une chose sérieuse la plaisanterie de M. de Thibouville qui me demandait des pastilles d'épine-vinette. J'ai eu la bêtise de ne pas entendre ce logogriphe ; j'ai cru me ressouvenir qu'on faisait autrefois des pastilles d'épine-vinette à Dijon, et j'en ai fait tenir une petite boite à votre voisin au lieu de vous envoyer le mauvais pâté que je vous avais promis [Agathocle].


Ce pâté est bien froid, cependant il partira à l'adresse que vous m'avez donnée à condition que vous n'en mangerez qu'avec M. de Thibouville, et que vous me le renverrez tel qu'il est, partagé en cinq morceaux [5 actes].


Je ne vous dirai point combien tous les pâtés qu'on m'a envoyés de votre nouvelle cuisine m'ont paru dégoûtants. Mon extrême aversion pour ce mauvais goût ne rendra pas mon pâté meilleur. Peut-être qu'en le faisant réchauffer on pourrait le servir sur table dans deux ou trois ans, mais il faudrait surtout qu'il fut servi par les mains d'une jeune personne de dix-huit à vingt ans, qui sût faire les honneurs d'un pâté comme Mlle Adrienne [ Lecouvreur] les faisait à trente ans passés. Il nous faudrait aussi un maître d'hôtel tel que celui qui est le chef de la cuisine ancienne [Lekain], et qui vous fait sa cour quelquefois. Et avec toutes ces précautions, je doute encore que ce pâté qui n'est pas assez épicé fût bien reçu. Quoi qu'il en soit, goûtez-en un petit moment, mon cher ange, et renvoyez-le moi subito, subito.



Je ne vous parle point du voyageur que vous prétendiez devoir passer chez moi [ Joseph II, empereur qui voyageait sous le nom de comte Falkenstein, fils d'Élisabeth d'Autriche]. Je ne sais si vous savez qu'il a été assez mécontent de la ville [Genève, dont Jacques Necker a été le représentant à Paris de 1768 à 1776] qui a été représentée quelques années par un grand homme de finances, et que cette ville a été encore plus mécontente de lui. Quoi qu'il en soit, je ne l'ai point vu [le 10 août, Frédéric lui écrit qu'il a « … appris de bonne part que l'Impératrice a défendu à son fils de voir le vieux patriarche de la tolérance. » ], et je ne compte point cette disgrâce parmi les mille et une infortunes que je vous ai étalées au commencement de mon épître chagrine.[*]



Le résultat de tout ce bavardage, c'est que j'aimerai mon cher ange, et que je me mettrai à l'ombre de ses ailes, jusqu'au dernier moment de ma ridicule vie.



V. »

 


*V* présente les faits à De Lisle le 18 juillet : « Mon âge, mes maladies et ma discrétion m'ont empêché de me trouver sur sa route … Deux horlogers genevois, habitants de Ferney, moins discrets …, s'avisèrent, après boire , d'aller à sa rencontre jusqu'à Saint Genis, arrêtèrent son carrosse, lui demandèrent où il allait, et s'il ne venait pas chez moi … L'un de ces républicains polis lui dit que c'était une députation de ma part. L'empereur ayant appris depuis que ces messieurs étaient des natifs de Genève n'a point voulu coucher dans la ville, ni même voir les syndics, qui se sont présentés à lui … »

Charles Bonnet les présente ainsi à Haller le 16 juillet : « Le vieillard attendait avec tout son monde bien paré ; il avait mis sa grande perruque dès huit heures du matin, fait d'immenses préparatifs pour le dîner, et poussé l'attention pour le monarque jusqu'à faire enlever toutes les pierres du grand chemin … Cependant le voyageur lui donna la mortification de passer outre sans s'arrêter un seul instant ; et même lorsque le postillon lui nomma Ferney, l'empereur lui cria fort haut et par deux fois : « Fouette cocher! » De là il alla dans la nouvelle ville (Versoix)... Il est clair par toute sa conduite qu'il a voulu mortifier le seigneur de Ferney, qui, je vous l'assure, l'a profondément senti... »

J'ai toujours regardé les athées comme des sophistes impudents, je l'ai dit, je l'ai imprimé

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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental


4è auguste 1775


Il est certain, mon cher ange, qu'il n'y a eu nulle négligence de la part de M. de La Reynière, et qu'il n'a point reçu les paquets. C'est un mystère sacré, qu'il n'est pas permis à un profane comme moi d'approfondir.


Papillon philosophe Mme de Saint-Julien est actuellement à Ferney sur les fleurs de Ferney, et bat des ailes. Papillon a instruit le hibou [V*] de bien des choses que le hibou ignorait.


J'ai réparé le malheur de mes paquets [] en écrivant en droiture à M. le m[aréch]al de Duras, et en lui demandant bien pardon d'une méprise dont je n'ai pas été coupable.


S'il est vrai, mon cher ange, qu'il y eût place pour Cicéron, pour Catilina, et pour César [c'est à dire pour Rome sauvée de V*; cependant on lui préfèrera Menzicoff de La Harpe], dans les fêtes qu'on prépare pour les princesses des pays subjugués autrefois par ce César [le mariage du 27 août entre la princesse Marie-Adélaïde de France avec le prince de Piémont Charles -Emmanuel], je compterais sur vos bontés auprès de M. le maréchal[Duras] dont vous êtes l'ami. Votre suffrage seul suffirait pour le déterminer, et je vous aurais l'obligation d'être compté dans Versailles parmi ceux qui cultivent les lettres avec quelque honneur. J'aurais grand besoin qu'on me regardât comme un homme qui s'est appliqué à travailler dans l'école de Corneille, et non pas comme un écrivain de livres suspects.


Papillon philosophe m'a appris que la petite cabale du Bon Sens [ du baron d'Holbach] m'attribuait ce cruel et dangereux ouvrage. Je réponds à cette imputation:

Seigneur, je crois surtout avoir fait éclater

La haine des forfaits qu'on ose m'imputer.

[Phèdre de Racine]


J'ai toujours regardé les athées comme des sophistes impudents, je l'ai dit, je l'ai imprimé. L'auteur de Jenni [ Histoire de Jenni ou le sage et l'Athée, qu'il « vient de finir » le 12 avril selon une amie et voisine Mme Gallatin, et dont on est en train de faire une nouvelle édition le 10 septembre] ne peut pas être soupçonné de penser comme Épicure. Spinosa lui-même admet dans la nature une intelligence suprême. Cette intelligence m'a toujours paru démontrée. Les athées qui veulent me mettre de leur parti me semblent aussi ridicules que ceux qui ont voulu faire passer saint Augustin pour un moliniste.


Le neveu du pape Rezzonico [ Clément XIII] est venu me voir malgré ma mauvaise réputation. Je compte plus sur vous à la cour de France que sur lui à la cour de Rome. Je vous conjure donc, mon cher ange, d'engager le premier gentilhomme de la chambre [Duras] à faire ce que vous avez si bien imaginé. Rien n'est plus aisé, et ces bagatelles réussissent quelquefois . Cela peut contribuer à me laisser finir tranquillement ma vie. Mais vous, mon cher ange, songez que votre amitié me la fait passer heureusement , songez que vous êtes toujours ma première consolation, soit de près soit de loin. Je vous embrasse plus tendrement que jamais, mon cher ange ; Mme Denis se joint à moi. Papillon philosophe paraît vous aimer autant que nous vous aimons ; et moi qui me croit plus philosophe que Papillon je me vante de l'emporter sur elle en sentiments pour vous.


Je me flatte que cette lettre arrivera à bon port. »

La lettre de remerciement que lui a écrite V*, où il « répond sur son discours à l'Académie »était perdue. Le duc de Duras, premier gentilhomme de la chambre du roi, était de quartier en 1775, chargé des spectacles.

vous osez enfin observer le costume, rendre l'action théâtrale et étaler sur la scène toute la pompe convenable,

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« A Henri-Louis Lekain

Aux Délices 4 août [1756]



Mon cher Lekain, tout ce qui est aux Délices a reçu vos compliments et vous fait les siens, aussi bien qu'à tous vos camarades [Sémiramis a été reprise le 26 juillet avec un succès inégalé]. Puisque vous osez enfin observer le costume, rendre l'action théâtrale et étaler sur la scène toute la pompe convenable, soyez sûr que votre spectacle acquerra une grande supériorité [%]. Je suis trop vieux et trop malade pour espérer d'y contribuer. Mais si j'avais encore la force de travailler ce serait dans un goût nouveau digne des soins que vous prenez et de vos talents. Je suis borné à présent à m'intéresser à vos succès. On ne peut y prendre plus de part, ni être moins en état de les seconder. Je vous embrasse de tout mon cœur.



V. »



%Lekain innove, et V* écrit à d'Argental ce jour : « On dit que Lekain s'est avisé de paraître au sortir du tombeau de sa mère avec des bras qui avaient l'air d'être ensanglantés. Cela est un tant soit peu anglais, et il ne faudrait pas prodiguer de tels ornements. Voilà de ces occasions où l'on se retrouve entre le sublime et le ridicule, entre le terrible et le dégoûtant. »

Ce nouveau jeu et les audaces du décor feront date à la Comédie française.