02/03/2025
J'oublie entièrement les choses auxquelles il n'y a point de remède
.... C'est dit, c'est fait .
« A Marie-Louise Denis
rue Bergère vis-à-vis l'hôtel des Menus
à Paris
Par Lyon ce 18 août au soir 1769
Je reçois dans ce moment votre lettre du 10 août 1 par M. Des Franches, ma chère amie . Elle est curieuse . D'abord je vous envoie par M Lefèvre la seconde édition d'un livre qui parait dans les pays étrangers 2 . Vous ne recevrez par ce courrier que le second volume pour ne pas faire un trop gros paquet . Il y en a encore d'autres éditions, mais elles ne sont pas parvenues jusqu'à moi .
Il y a quelques jours que j'envoyai par M. de La Sourdière à Mme la présidente 3 une petite édition fort jolie du Siècle de Louis XIV et de Louis XV, dans laquelle on avait inséré de petits papiers qui indiquaient les endroits les plus gérables pour son notaire et pour M. de La Sourdière lui-même . Peut-être n'y aura-t-on pas fait beaucoup d'attention, mais on ne me saura pas mauvais gré .
Venons au fait actuellement . Je suis bien vieux et bien faible ; je ne suis pas fait pour habiter auprès de Gonesse 4, à moins que je n'y vécusse dans la plus profonde solitude . Je touche à ma soixante et seizième année, tout fracas me tuerait en trois jours . Si j'allais auprès de Gonesse, ce ne serait que pour vous voir et pour y être ignoré .
Je dis plus que jamais : Vanité des vanités, et tout n'est que vanité 5. Cependant j'aurais la vanité de souhaiter que Les Guèbres réussissent . Je suis persuadé qu'ils seront très bien joués par La Harpe . Vous faites très bien d'y aller, et je ne veux pas qu'il croient jamais que je me plaigne de lui 6 . J'oublie entièrement les choses auxquelles il n'y a point de remède 7. Ce serait pour moi une chose essentielle que cette tragédie réussit ; j'en suis le parrain, j'ai aidé l'auteur, je m'y intéresse comme si je l'avais faite . Mais quand on la jouerait actuellement sur le théâtre de Paris, je ne pourrais venir la voir, quelque envie que j'aie de vous embrasser . Non seulement il me faut du temps pour raccommoder un peu ma machine, mais la crise où je suis avec les agents de M. de Virtemberg ne me permet guère de m'écarter avant le mois de novembre ; je ne crois pas d'ailleurs qu'avant ce temps-là il faille faire la moindre tentative pour les affaires que je puis avoir avec le notaire Wim 8. Il serait bon sans doute de ménager les bonnes intentions de Mme la présidente Le Long . Je dois absolument ignorer si elle est bien ou mal avec votre beau-frère . Mon âge et mon éloignement me mettent à couvert de toutes ces tracasseries de famille .
La conduite de M. et Mme Binet ne me parait pas adroite , mais je le crois riche et au-dessus de ses affaires .
Pour moi tout ce que je puis dire pour le moment présent, c'est que je dois envisager une mort prochaine et qu'il faut que je vous embrasse avant de sortir de ce monde . Encore une fois, attendons jusqu'au mois de novembre . Si je suis assez heureux pour être en état de venir passer trois mois avec vous, et vous amener ensuite à votre campagne, je voudrais absolument ne prendre que l'appartement de Mme Dupuits ; j'y serais très bien, je n'irais souper chez qui que ce soit, je ne sortirais point ; nous donnerions à souper chez nous à nos amis trois ou quatre fois par semaine, après quoi vous viendriez voir votre château et votre Châtelard, qui consolent bien de toutes les amertumes de la vie, et qui font oublier toutes les illustres misères de ce monde .
Adieu ma chère amie, vous êtes ma consolation et mon espérance . »
1 Il s'agit d'une seconde lettre du même jour où Mme Denis parle librement des intrigues opposant à la cour Choiseul et Mme Du Barry . Mme Denis propose à V* de venir à Paris, en disant « que ce n'est que pour trois mois », puis éventuellement de s'y installer, en achetant une maison de campagne . Après avoir convenu d'un code pour désigner les principaux personnages de la cour ('« je serai en état de vous mander dans huit jours la réponse du roi . Je l'appellerai M. de La Vime, Mme Du Barry Mme Le Long, vous M. Talon, et M. de Choiseul mon beau-frère », elle conclut en disant à son oncle « Souvenez-vous bien qu'il faudra que vous accordiez Mme Du Barry avec M. de Choiseul » . Le porteur de la lettre devait être le sieur Des Franches, d’où la liberté d'expression de Mme Denis .
2La seconde édition de l'Histoire du Parlement de Paris
3 Cet exemplaire destiné à Mme Denis avait été envoyé en même temps que la lettre du 31 juillet 1769 à Richelieu : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2025/02/04/bien-presenter-cette-edition-telle-qu-elle-est-sans-oter-les-6533870.html
4 Dans la région Nord de paris ; allusion au projet de maison de campagne de Mme Denis .
5 L'Ecclésiaste, I, 2 : https://www.biblegateway.com/passage/?search=Eccl%C3%A9siaste%201-2&version=LSG
6 Dans la lettre évoquée plus haut, Mme Denis a rapporté à V* que La Harpe l'a invitée à assister à une représentation privée des Guèbres à Orangis, avec les d'Argental : « […] M. d'Argental a accepté et veut que j'y aille avec lui. Je me suis hasardée dans l’espoir que le ministre prendrait bien la chose . »
7 Par cette phrase, V* peint un aspect intéressant de son caractère . Il « oublie entièrement les choses auxquelles il n'y a point de remède » pour se consacrer à celles sur lesquelles il peut agir .
8 Wim est une variante du nom de code Vim, Vime ou Vimes désignait Louis XV ; voir lettre du 11 septembre 1769 à Mme Denis .
10:05 | Lien permanent | Commentaires (0)
01/03/2025
Il est vrai qu’on commence toujours à Paris par s’opposer à tout ce que l’Europe approuve... Mais à la fin la voix de la raison l’emporte toujours sur les réquisitoires
... Devenir raisonnables ? Pas toujours, hélas , mon cher Patriarche ! Trop d'intérêts particuliers sont en jeu .
« A Louise-Florence-Pétronille de Tardieu d'Esclavelles d'Épinay
17è auguste 1769
Il y a un mois, ma belle philosophe, que le solitaire des Alpes devrait vous avoir écrit ; mais je ne fais pas toujours ce que je veux ; ma santé n’est pas aussi forte que mon attachement pour vous.
Je trouve que notre cher prophète 1 est bien sage et bien habile d’avoir fait le voyage de Vienne ; il sera connu et protégé par madame la dauphine 2 longtemps avant qu’elle parte pour Paris. Il est impossible que son mérite ne lui procure pas quelque place plus avantageuse, et il sera peut-être un jour à portée de faire un bien réel a la philosophie. Je vous prie, madame, de lui dire combien je l’approuve et combien j’espère.
On dit que Les Guèbres, dont vous me parlez, rencontrent quelques difficultés sur la permission de se montrer en public. Cela est bien injuste ; mais il est à croire que cette petite persécution finira comme la pièce, par une tolérance entière. Les esprits de tous les honnêtes gens de l’Europe penchent vers cette heureuse tolérance. Il est vrai qu’on commence toujours à Paris par s’opposer à tout ce que l’Europe approuve. Notre savante magistrature condamna l’art de l’imprimerie dès qu’il parut , tous les livres contre Aristote, toutes les découvertes faites dans les pays étrangers, la circulation du sang, l’usage de l’émétique, l’inoculation de la petite vérole ; elle a proscrit les représentations de Mahomet, elle pourrait bien en user ainsi avec Les Guèbres et la tolérance. Mais à la fin la voix de la raison l’emporte toujours sur les réquisitoires ; et puisque l’Encyclopédie a passé, Les Guèbres passeront, surtout s’ils sont appuyés par le suffrage de ma belle philosophe. Il faut que les sages parlent un peu haut, pour que les sots soient enfin obligés à se taire. Je connais l’auteur des Guèbres ; je sais que ce jeune homme a travaillé uniquement dans la vue du bien public ; il m’a écrit qu’il espérait que les philosophes soutiendraient la cause commune avec quelque chaleur. C’est dommage qu’ils soient quelquefois désunis ; mais voici une occasion où ils doivent se rallier.
Puissent-ils, madame, se rassembler tous sous vos drapeaux ! Je fais des vœux, du fond de ma retraite, pour que les disciples de saint Paul ne persécutent point les disciples de Zoroastre. D’ailleurs, en qualité de jardinier, je dois m’intéresser à Arzame 3, la jardinière. Vous êtes un peu jardinière aussi ; voyez que de raisons pour crier en faveur des Guèbres !
J’ajoute à toutes ces raisons que je suis serviteur du Soleil autant que les Parsis. Je n’ai de moments passables que quand cet astre veut bien paraître sur mon horizon ; ainsi c’est ma religion que je défends. Cependant il y a une divinité que je lui préfère encore, c’est celle que je vis à Genève il y a quelques années : elle avait de grands yeux noirs et infiniment d’esprit . Si vous la connaissez, madame, ayez la bonté de lui présenter mes très humbles respects. »
1 Grimm.
2 Marie-Antoinette.
00:05 | Lien permanent | Commentaires (0)
28/02/2025
Je jouirai de la consolation des philosophes, qui consiste à rechercher la vérité avec un homme qui la connaît
... Avec la réforme du BAC, seuls quelques élus ont encore la chance de philosopher pendant que les autres rament sur les flots des options , véritables bazars digne des soukhs pour la majorité , parfois bouées de sauvetage pour quelques uns qui savent ce qu'ils veulent faire à l'issue du lycée .
« A Jean-Baptiste- Jacques Élie de Beaumont
17 auguste [1769]
Mme Denis, mon cher Cicéron, m’a mandé 1 que, lorsque vous protégez si bien l’innocence de vos clients, vous me faites à moi la plus énorme injustice. Vous pensez qu’en fermant ma porte à une infinité d’étrangers qui ne venaient chez moi que par une vaine curiosité, je la ferme à mes amis, à ceux que je révère.
Si vous venez à Lyon, ce dont je doute encore, j’irai vous y trouver, plutôt que de ne vous pas voir, si vous venez à Genève, je vous conjurerai de ne pas oublier Ferney ; vous ranimerez ma vieillesse, j’embrasserai le défenseur des Calas et de Sirven, mon cœur s’ouvrira au vôtre . Je jouirai de la consolation des philosophes, qui consiste à rechercher la vérité avec un homme qui la connaît.
Vous avez mis le sceau à votre gloire en rétablissant l’innocence et l’honneur de M. de La Luzerne. Vous êtes
… et nobilis et decens,
Et pro sollicitis non tacitus reis.2
Je ne sais si vous êtes informé de l’aventure d’un nommé Martin, condamné à être roué par je ne sais quel juge de village en Barrois, sur les présomptions les plus équivoques. La Tournelle étant un peu pressée, et le pauvre Martin se défendant assez mal, a confirmé la sentence. Martin a été roué dans son village. Trois jours après, le véritable coupable a été reconnu ; mais Martin n’en a pas moins comparu devant Dieu avec ses bras et ses cuisses rompus. On dit que ces choses arrivent quelquefois chez les Welches.
Je vous embrasse bien tendrement, et je me mets aux pieds de Mme de Beaumont. »
1 Dans la première de ses deux lettres à V* du 10 août : « M. Élie de Beaumont est venu chez moi les larmes aux yeux . Il va le mois de septembre à Lyon pour une grande affaire . De là il ira voir Genève et dit qu'il mourrait de désespoir s'il ne vous voyait pas . Il vous a écrit pour en demander la permission . C'est le seul article de sa lettre auquel vous n'ayez pas répondu . Il a le cœur percé . Je lui ai dit que je ne doutais pas que vous l’eussiez oublié . Il m'a priée en grâce de vous en écrire . Je lui ai promis . Ou dites-moi un mot pour lui dans votre première lettre ou écrivez-lui car il est au désespoir et c'est un homme qui vous est attaché . »
2 Horace, lib. IV, Odes. I, 13-14 : et noble et digne, Et éloquent en faveur des accusés inquiets .
00:15 | Lien permanent | Commentaires (0)
il n’y a rien de si aimable et de si généreux qu’un Français
... Ce compliment est rare, appréciez-le !
« A Gottlob Louis , comte de Schomberg
16 auguste 1769
Vous êtes trop bon, monsieur. Il est vrai que j’ai eu un petit avertissement ; il est bon d’en avoir quelquefois pour mettre ordre à ses affaires, et pour n’être pas pris au pied levé. Cette vie-ci n’est qu’une assez misérable comédie ; mais soyez bien sûr que je vous serai tendrement attaché jusqu’à la dernière ligne de mon petit rôle.
Dès qu’il y aura quelque chose de nouveau dans nos quartiers, je ne manquerai pas de vous l’envoyer. Voyez si vous voulez que ce soit sous le contreseing de M. le duc de Choiseul, ou sous celui de Mgr le duc d’Orléans.
Je voudrais bien que ce prince protégeât un peu Les Guèbres. Henri IV, dont il a tant de choses, les protégea ; et la dernière scène des Guèbres est précisément l’édit de Nantes. Ceci n’est point un amusement de poésie, c’est une affaire qui concerne l’humanité. Les Welches ont encore des préjugés bien infâmes. Il n’y a rien de si sot, de si méprisable qu’un Welche ; mais il n’y a rien de si aimable et de si généreux qu’un Français. Vous êtes très Français, monsieur ; c’est en cette qualité que vous agréerez mon très tendre respect. »
00:13 | Lien permanent | Commentaires (0)
un nouvel outrage au sens commun, à la physique, aux sentiments de la nature
... Bel exemple de gaspillage insensé dans l'affaire du chantier de l'A69 : https://www.francetvinfo.fr/environnement/crise-climatiqu...
Comment peut-on être borné à ce point ?
« A Charles Le Roy
À Ferney, 16è auguste 1769 1
Je suis, monsieur, aussi sensible que Sirven à la justice que vous lui rendez. Si les prétendus professeurs d’équité étaient aussi éclairés et aussi honnêtes qu’un professeur de médecine tel que vous, cette famille innocente et malheureuse ne serait pas dans l’état funeste où l’ignorance et l’injustice l’ont plongée. La sentence contre les Sirven est un nouvel outrage au sens commun, à la physique, aux sentiments de la nature, qui couvre la patrie de honte. Je me flatte que votre rapport ne contribuera pas peu à venger les Sirven et la France. Tous les bons citoyens vous béniront, et je vous aurai, monsieur, une obligation particulière, moi qui suis occupé depuis six ans à tirer la famille Sirven de l’oppression et de la misère. Il est bien cruel que la vie et l’honneur d’un père de famille dépendent d’un chirurgien ignorant et d’un juge idiot.
Agréez, monsieur, ma reconnaissance et tous les sentiments avec lesquels j’ai l’honneur d’être votre , etc. »
1 Minute ou copie par Wagnière qui a intitulé le manuscrit : « A M. Le Roy, professeur en médecine, à Montpellier », ce qui permet l'identification du destinataire . Celui-ci va peu après publier des Mélanges de physique et de médecine , 1771 . Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9738418w
00:05 | Lien permanent | Commentaires (0)
27/02/2025
Monsieur le chancelier a bu publiquement à ma santé
... Friedrich Merz a porté "ein Prosit" pour Emmanuel Macron, si on en croit ce dernier et quelques témoins avinés : https://www.20minutes.fr/monde/allemagne/4140893-20250227...
* https://www.youtube.com/watch?v=6Xe7mRV0S-0&ab_channe...
« A Marie-Louise Denis
16 auguste [1769] à Ferney
Pour réponse à votre lettre du 6 1, je vais vous ouvrir mon cœur . Vous savez qu'il saigne depuis dix-huit mois. Dupuits m'a avoué que c'est lui qui contribua à vous faire partir si tôt, en vous disant que je lui avais demandé deux fois si vous partiez, et en n'entendant pas le sens de ces paroles. Il se trompa de même en disant que je ne voulais pas ouvrir la porte de ma chambre quand j’étais au bout du jardin 2.
Le résultat est que j'ai vécu seul et malade dans un désert . J'ai cru et je crois encore que je pourrais passer l'hiver prochain auprès de vous dans une profonde obscurité , et ne voir que deux ou trois amis . J’ai pensé qu'on n'aurait pas la barbarie de m'envier cette consolation à soixante et seize ans . Vous me fîtes aller à Lyon quand je devais abandonner pour jamais un pays où je n'ai été que persécuté . Ce voyage à Lyon me conduisit dans le désert où je suis . L'hiver y est horrible et mortel, et vous m'écrivez aujourd'hui que vous voulez y venir pour faire des visites, que vous avez dix ou douze amis dans ce pays barbare 3.
Ah ! Croyez-moi vos amis de Paris méritent la préférence . Vous mourriez de douleur au bout d'un mois . Ferney , la moitié de l'année, est une prison affreuse où l'on ne peut supporter la vie qu'en ayant chez soi et sous la main toutes les ressources de la société . Je n'ai pu y vivre qu'autant que le travail , qui console de tout, m'a soutenu au milieu de mes souffrances . Mais toutes mes forces sont épuisées, ma patience aussi . Je ne puis plus travailler et ma fin approche .
Le parti le plus doux et le plus sage serait de passer ensemble l'hiver à Paris et l'été à Ferney . Pourquoi serions-nous moins heureux que M. et Mme de Florian ? Si le fracas de Paris nous rebutait ou si la barbarie m'empêchait d'y cacher mes derniers jours avec vous, les climats méridionaux de la France nous conviendraient . C'est dans ce dessein que j'ai fait ajuster un carrosse qui est une espèce de dormeuse où nous serions très à notre aise . Nous serions suivis d'un bon fourgon qui porterait tout ce qui est nécessaire . Tout cela est prêt . Je suis d'ailleurs très bien avec le parlement de Toulouse qui expie son crime envers les Calas en protégeant les Sirven . Hyères en Provence, Montpellier en Languedoc, Toulouse même pourraient avoir des agréments pour vous, et au mois de mai vous retrouveriez Ferney délicieux . Tout cela peut s'exécuter, et je ne ferai que ce qu'il vous plaira .
La situation embarrassante et délicate dans laquelle je me trouve avec M. le duc de Virtemberg exigera un peu d’économie dans les premiers mois de notre établissement, soit à Paris, soit dans un pays chaud . Il a fallu lui donner cent mille francs qu'il me devait . Il les rembourse en quatre années, et probablement le remboursement ne commencera qu'en janvier . L'affaire est bonne et sûre pour moi et les miens . Presque tout le comté de Montbéliard appartiendra à mes héritiers ou à moi pendant quatre ans . Mais je serai très à l'étroit jusqu'au mois de janvier ou de février . Le Châtelard a beaucoup coûté et coûte encore et il faut tout payer argent comptant, tandis que dans le pays on me doit plus de trente mille francs d'argent prêté dont on ne me rend pas un denier .
Je vous ai proposé une femme qu'en cas que vous n'en eussiez point 4 . C'est la nièce de l'abbé Nollet . Elle ne sert point un jeune homme . Le frère de Mme de Sauvigny a cinquante-trois ans . Il y a quatre mois qu'il est chez moi dans l’aile du théâtre . Je l'ai tiré d'un état très triste . Sa famille en use avec lui avec une dureté barbare et acharnée . Il a fait des fautes, mais ce qu'on lui a fait souffrir est infiniment au-dessus de tout ce qu'on peut lui reprocher . Il s'est conduit avec moi avec toute la reconnaissance et la circonspection possibles . Je n'ai qu'à m'en louer . Il a d'ailleurs des talents . Il est le meilleur médecin du pays . Ce n'est pas beaucoup dire . Il prépare très bien tous les médicaments . Il reste dans sa chambre comme moi toute la journée . La Nollet est pleine de talents et infiniment serviable . On ne voit Adam que pour manger et jouer aux échecs . Voilà pour Ferney . Quel que soit l'auteur de l'Histoire qui a fait tant de bruit, ce bruit était fondé sur bien peu de choses , mais les hommes sont injustes et méchants .
M. de Chimène veut crier, se remuer, agir, pour faire jouer Les Guèbres 5. Il faut qu'il les préconise et qu'il attende . Il y a peu de connaisseurs . Presque tout le monde juge d'après le parterre .
Monsieur le chancelier a bu publiquement à ma santé . M. le duc de Choiseul m'accable de bontés . M. de Saint-Florentin s'est conduit avec le fanatique d’Annecy en homme d'esprit qui me veut du bien et en ministre très sage .
Je reçois dans le moment deux éditions de cette Histoire qui a fait tant de bruit, et qui ne fera que du bien . Si on la brûle, on brûlera probablement la cinquième édition en attendant la dixième . J'ignore encore l'auteur de ce livre . Les deux dernières éditions me paraissent très bonnes .
Votre lettre du 10 arrive 6. Tout ce que vous voulez est fait, et je vous ai envoyé par M. de La Borde la copie de ma lettre à M. le duc d'Aumont .
Comment ! Je ne verrais pas Élie de Beaumont ! Je me transfigurerais plutôt comme Jésus se transfigura pour converser avec Élie 7 ! il se moque de s'affliger . Je vais lui écrire 8, et lui laver sa très aimable tête .
Que dîtes-vous de ce pauvre Martin ? Il faut des dédommagements à sa famille . Que d'horreurs juridiques ! Et de quoi dépend notre vie ? Tout le monde convient que Lally n’était qu'un brutal très innocent . L’Europe redemande le sang du chevalier de La Barre et Pasquier 9 est tranquille !
Je vous embrasse de toutes mes forces, et je vous aimerai autant que j'ai été affligé . »
1 Voici le passage essentiel de cette lettre du 6 août 1769 :
« Je sens par votre dernière lettre qu'il me serait bien difficile de faire de projets sur mon retour, puisque vous n'êtes pas encore décidé . J'aimerais bien mieux votre projet de l'incognito . C'est celui-là actuellement auquel il faut songer ; je vous écrirai sur cela par M. des Franches mais s'il n'y a pas lieu l'endroit du monde où j'aimerais le mieux vivre serait sans contredit Ferney . Vous voulez mon cher ami que je vous mande mes conditions . Assurément je n'aurais jamais imaginé d'en faire avec vous mais je prendrai la liberté de répondre à celle que vous me faites .
Vous me dites que vous avez en horreur les laquais de Paris . Cependant il faut bien que j'aie un laquais ainsi qu'une femme de chambre dans la route . Je voudrais de tout mon cœur que mon sexe, mon âge, mes forces et mon état me permissent de faire le voyage à pied avec un petit paquet sur mon dos . Mais vous sentez qu'à pied ou à cheval il me faut quelqu'un dans la route . Maton est toujours avec moi . Cependant si je pars je ne l'emmènerai pas . Elle a ici son mari et ses enfants qu'elle ne pourrait pas abandonner . Pour lors je prendrais Agathe qui ne demanderait pas mieux que de venir . Je l'ai placée chez une de mes parentes qui me la cédera quand j'en aurai besoin . Je suis persuadée mon cher ami que le femme de chambre qui demeure chez vous est excellente, mais elle est accoutumée à servir un jeune homme, et il y a une furieuse différence de la condition d'un jeune homme à celle d'une vieille femme . Vous sentez que cela ne serait ni honnête ni faisable . À l'égard du cocher comment pourrais-je m'en passer ? Vous me dites que non seulement il n'y aura plus de fêtes mais que je n'aurai aucune société . Je serais assurément bien fâchée d'attirer chez vous un seul être pensant si cela vous déplaît . Mais c'est une raison pour que je puisse aller en chercher quelquefois . Je compterais mener à à Ferney une vie toute opposée à celle que j'y menais, c'est-à-dire que je sortirais souvent et que je n'attirerais personne chez vous, puisque cela vous déplaît . Vous aimez la solitude . J'irais me délasser chez une douzaine de personnes que je connais et que j'aime . Lorsque vous voudriez de moi assurément vous auriez toujours sur eux la préférence, et je serais trop heureuse de vous voir et de vous entendre .
Je vous demanderais la grâce de ne me point mêler de votre ménage , d'avoir simplement à moi mes trois domestiques et mes deux chevaux, mon laquais pour faire mon appartement, pour le frotter, pour me servir et pour monter derrière le carrosse ; ma femme de chambre ; et mon cocher pour me traîner . Il me semble mon cher ami que ces chose-là ne sont pas coûteuses dans une terre et que trois domestiques ne sont pas de trop pour une femme de mon âge . Mandez-moi ce que vous en pensez, mais soyez sûr que vous m’êtes plus cher que ma vie . »
Voir aussi la lettre de Mme Denis à Hennin du 9 août citée en note : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2025/02/16/les-honnetes-gens-doivent-rembarrer-avec-vigueur-les-mechants-allegoristes.html
2 Voir à ce sujet le début de la lettre du 1er mars 1768 à Mme Denis : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/10/13/il-y-a-une-destinee-sans-doute-et-souvent-elle-est-bien-crue-6465707.html
3 Dans la lettre du 6 août où elle posait les conditions de son retour, Mme Denis disait qu'elle n'attirerait plus chez V* « aucune tête pensante », mais « irai[t] [se] délasser chez une douzaine de personnes qu'[elle ] connai[t] et qu'[elle] aime » .
4 Dans la lettre du 31 juillet 1769 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2025/02/03/je-fremis-d-un-cocher-de-paris-6533760.html
5 Voir lettre du 20 août 1769 à Ximénès .
6 Cette lettre est conservée . Elle est très courte, et Mme Denis n'y ajoute que « deux choses très importantes » à sa lettre du 6 août : qu'il faut écrire d'urgence au duc d'Aumont pour Pandore ; qu' Elie de Beaumont se rend à Lyon pour affaire et qu'il mourrait de désespoir » s'il ne voyait pas Voltaire .
7 Évangile de Matthieu, XVII, 2 : https://www.aelf.org/bible/Mt/17
8 Lettre du 17 août 1769 à Élie de Beaumont : https://www.monsieurdevoltaire.com/2015/09/correspondance-annee-1769-partie-28.html
9 Denis-Louis Pasquier, l'un de ses juges . Sur l'affaire du chevalier de La Barre et le blasphème , voir : https://reason.com/2015/01/26/charlie-hebdo-and-the-horrible-history-o/
10:25 | Lien permanent | Commentaires (0)
ne paraîtra pas sitôt. On adoucira ce qui est trop vrai
... Le décret de Donald Trump visant à suspendre l'admission des réfugiés est retoqué , heureusement : https://www.hautetfort.com/admin/posts/post.php
« A Gabriel Cramer
[août 1769] 1
Mon cher Gabriel a raison sur bien des points, mais ceci n'est que pour les pays étrangers, et ne paraîtra pas sitôt. On adoucira ce qui est trop vrai . »
1 Manuscrit olographe ; éd. Crowley qui suggère avec vraisemblance que ce billet se rapporte aux Guèbres, d'où la date proposée.
00:10 | Lien permanent | Commentaires (0)