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08/09/2025

les pays étrangers, où l’on ne rit pas tant qu’en France, quoique à présent nous n’ayons pas trop de quoi rire

... Ô mâne de Voltaire apporte-nous un peu, même un tout petit peu suffirait, de réflexion, sinon de sagesse , la machine à débloquer s'est emballée tous azimuts .

 

 

« A Marie de Vichy de Chamrond , marquise Du Deffand

26è mars 1770

Je ne vous ai point écrit, madame, depuis que j’ai obtenu ma dignité de capucin : ce n’est pas que les honneurs changent mes mœurs 1, mais c’est que j’ai été entouré de massacres, et que les Genevois qui n’ont pas voulu être tués, et qui se sont réfugiés chez moi, n’ont pas laissé que de m’occuper.

Je crains bien de ne pas vous tenir parole sur les rogatons que je vous avais promis 2 pour vos pâques. De deux frères libraires qui avaient longtemps imprimé mes sottises, l’un 3 est devenu magistrat, et est actuellement ambassadeur de la république à la cour, où il fera, dit-on, beaucoup d’impression 4; l’autre monte la garde soir et matin, et ne marche qu’au son du tambour. Ainsi vous courez grand risque de vous passer de ma petite Encyclopédie 5. D’ailleurs vous n’aimez guère que le plaisant . Mon encyclopédie est rarement plaisante. Je la crois sage et honnête, et puis c’est tout. Elle ne sera bonne que pour les pays étrangers, où l’on ne rit pas tant qu’en France, quoique à présent nous n’ayons pas trop de quoi rire. Si M. l’abbé Terray vous a rogné un peu les ongles, il me les a coupés jusqu’au vif. J’avais en rescriptions tout le bien dont je pouvais disposer, toutes mes ressources sans exception. Vous verrez, par les petits quatrains 6 que je vous envoie, qu’il veut que je m’occupe uniquement de mon salut. J’y suis bien résolu, et je sens plus que jamais les vanités des choses de ce monde, d’autant plus que je suis malade depuis six semaines, et si malade que je n’ai pas consulté M. Tronchin. L’estomac, l’estomac, madame, est la vie éternelle. Je ne suis pas mal, heureusement, avec frère Ganganelli : c’est une petite consolation.

C’en est une fort grande que l’aventure de l’abbé Grizel 7 . On dit que les dévotes se trémoussent prodigieusement à Paris et à Versailles. Je m’intéresse passionnément à ce saint homme ; s’il est pendu, je veux avoir de ses reliques. Il y a quelques années qu’on fit cette cérémonie à un nommé l’abbé Fleur 8, bachelier de Sorbonne, qui, dit-on, ne prêchait pas mal.

Si les quatrains sur mon capuchon ne vous déplaisent pas absolument, il y en a d’autres 9 encore plus mauvais qui sont entre les mains de votre grand’maman, et qu’elle pourra vous montrer. Elle a eu pour moi des bontés dont je suis confus ; c’est à vous, madame, que je dois toutes les grâces dont elle m’a comblé. Je n’ai nulle idée de sa jolie figure ; je ne la connais que par son soulier. Jouissez, pendant quarante ans, madame, d’une société si délicieuse ; je vous serai entièrement attaché tant que ma vie durera, mais elle ne tient à rien. »

1 Allusion à un vieux proverbe qu'on trouve aussi sous la forme « les honneurs changent les humeurs ». V* cite un passage de la lettre de la duchesse de Choiseul du 7 mars 1770 : « J'ai lu avec beaucoup d'édification que frère Voltaire quoique capucin est toujours l'apôtre de l'humanité et qu'il a démenti le proverbe : les honneurs [et non les hommes, comme le porte l'édition Besterman] changent les mœurs . »

4 Jeu de mots sur impression , V* reprend celui-ci à plusieurs reprises ; voir lettre du même jour à Mme de Choiseul http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2025/09/08/je-m-acquitte-de-ce-devoir-en-vertu-de-la-sainte-obedience-6561921.html

et lettre du 30 mars 1770 à Dupont : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1770/Lettre_7843

5 C’est-à-dire les Questions sur l’Encyclopédie.

6 Les stances à Saurin, qu'on trouve en original dans la lettre du 21 mars 1770 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archives/2025/09/index-1.html

8 Pendu pour avoir fabriqué des fausses lettres de change .

je m’acquitte de ce devoir en vertu de la sainte obédience

... Plier bagage, perdre sa place, être un ex-, c'est écrit mon pauvre François . La meute de ceux qui veulent ta place t'a cerné, tu leur a fourni le bâton pour qu'ils te battent , trop tard pour dire "si j'aurais su qu'ça soye ça ! [" P'tit Gibus ]

 

 

« A Louise-Honorine Crozat du Châtel, duchesse de Choiseul

Du 26 mars 1770 à Ferney 1

Madame,

J’ai envoyé bien vite à votre protégé, M. Fabry, la lettre que vous avez bien voulu faire passer par mes mains. Vous avez, comme M. le duc de Choiseul, le département de la paix et de la guerre. Vous faites du bien aux pacifiques capucins et aux meurtriers canonniers. Je vous dois en outre mon salut, car c’est à vous, après Dieu et frère d’Alamballa, que je dois mon cordon. Frère Ganganelly espère beaucoup des opérations de la Grâce sur ma personne ; vous êtes, madame, le premier principe de tant de faveurs.

 

Il faut avouer que la Grâce
Fait bien des tours de passe-passe
Avant que d’arriver au but 2.

 

Je me flatte que, quand Versoix sera bâti, monseigneur votre époux voudra bien me nommer aumônier de la ville. Je suis encore un peu gauche à la messe, mais on se forme avec le temps, et l’envie de vous plaire donne des talents.

Un de nos frères, qui fait des vers, m’a envoyé ces petits quatrains 3, et m’a prié de vous les présenter ; je m’acquitte de ce devoir en vertu de la sainte obédience.

Je vous supplie, madame, d’agréer toujours mon profond respect, ma reconnaissance, et ma bénédiction.

Frère François,

capucin par la grâce de Dieu

et de madame la duchesse de Choiseul. 

P.-S. – Une dame de Genève a dit que Philibert Cramer, mon ancien libraire, ambassadeur de la République, ferait beaucoup d'impression à la cour .»

1 Copie par Wyatt ; Beaumarchais-Kehl, suivie par les éditions omet le post-scriptum ; éd. Kehl.

2 Piron , Poésies badines et facétieuses : Bethzabée :

https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Piron_-_Po%C3%A9sies_badines_et_fac%C3%A9tieuses,_1800.djvu/22

Ces trois vers sont la fin de la pièce .

Voir lettre du 21 février 1770 à Mme Du Deffand : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2025/08/06/on-a-encore-appuye-la-baionnette-sur-le-ventre-ou-dans-le-ve-6558093.html

3 Voir les Stances à madame la duchesse de Choiseul sur la fondation de Versoix, jointes à la lettre ; elles furent imprimées dans les Nouveaux mélanges, 1770 . Mme Du Deffand les a envoyées à Walpole le 4 avril 1770 .Voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome8.djvu/552

On menace ces émigrants de les jeter dans des cachots s'ils mettent les pieds dans une ville qui n'est plus leur patrie

... C'est à très peu de choses près la menace qui pèse sur les Palestiniens chassés de la bande de Gaza . Eradiquer le Hamas ET conquérir un nouveau territoire sont les désirs de Netanyahou et de ses partisans sanguinaires et affairistes . Des milliards vont tomber dans les mains des entreprises de travaux publics, les trois pour cent de chômeurs peuvent-ils s'en réjouir ? Quoi qu'ils fassent, ils vont bâtir sur du sang, et la haine n'est pas un bon ciment .

 

 

« A François de Caire

Commandant

à Versoix

Monsieur,

Il y a quelques Natifs de Genève, réfugiés dans mon village ; ils sont dans la nécessité d'aller quelquefois à Genève pour retirer leurs effets, solder leur compte, et ramener leurs femmes et leurs enfants que les Bourgeois insultent tous les jours . On menace ces émigrants de les jeter dans des cachots s'ils mettent les pieds dans une ville qui n'est plus leur patrie . Ils sont français ; ils ont signé qu'ils étaient français . Des Bourgeois d 'une petite ville auront-ils l'insolence d'insulter le roi de France dans la personne de ses sujets ?

Je vous demande, monsieur, si vous ne pouvez pas avoir la bonté de m'envoyer cinq ou six de vos déclarations 1 signées de vous avec la date en blanc ; ils mettraient leur nom au bas ; mais ce passeport ne serait pas suffisant encore .

Ne pourriez-vous pas écrire au premier syndic de Genève, et l'avertir que le roi regarde comme ses sujets tous ceux qui passeront par Genève munis de ces déclarations, que ceux qui les molesteront en quelque manière que ce puisse être, seront censés avoir manqué de respect au roi, que vous ne doutez pas qu'on ne les laisse entrer et sortir librement pour reprendre leurs femmes,leurs enfants et leurs effets ?

Que personne sans doute dans Genève n'osera s'exposer de mécontenter un souverain qui a été jusqu'ici le protecteur de la ville ?

Il me semble qu’une telle lettre serait bien à sa place, et que c'est le seul moyen de mettre un frein à la brutale audace de ceux qui dans un misérable trou entre la France et la Savoie parlent tous les jours avec la dernière indignité de vous, du résident de France et même du roi aussi bien que de M. le duc de Choiseul ? Je suis très sût que ce ministre ne vous désavouera pas .

J'aurais bien d’autres choses à vous dire mais je suis toujours malade dans mon lit . Ma lettre est pour vous seul.

Agréez, monsieur, mon sincère respect , et mon tendre attachement .

26è mars 1770. »

1 Il existait des formules en blanc en vue d'une demande de naturalisation ; le modèle en a été reproduit dans l'ouvrage de Jean-Pierre Ferrier , Le Duc de Choiseul, Voltaire et la création de Versoix-la-Ville, 1922 .

07/09/2025

Il en est de la vie comme de la cour ; plus on en reçoit de grâces, plus on en demande

...

 

« A Michel-Philippe Bouvart

16 mars 1770

Le vieux capucin de Ferney, qui a eu l’honneur de consulter M. Bouvart, le remercie très sensiblement des conseils qu’il a bien voulu lui donner.

Il a eu précisément les gonflements sanglants dont M. Bouvart parle. Il prend le lait de chèvre avec beaucoup de retenue, dans un pays couvert de glaces et de neiges six mois de l’année, et où il n’y a point d’herbe encore.

Il croit qu’il sera obligé de chercher un climat plus doux l’hiver prochain, et, en ce cas, il demande à M. Bouvart neuf mois de vie au moins, au lieu de six, sauf à lui présenter une nouvelle requête après les neuf mois écoulés. Il en est de la vie comme de la cour ; plus on en reçoit de grâces, plus on en demande. Il prie M. Bouvart de vouloir bien agréer les sentiments de reconnaissance dont il est pénétré pour lui.

V. »

06/09/2025

Quelques fanatiques n’en sont pas si contents, mais c’est qu’ils n’ont ni esprit ni mœurs . Aussi n’est-ce pas pour ces monstres que l’on écrit, mais contre ces monstres

... Quand parler français est aussi un art .

 

 

« A Joseph Audra

Le 26 mars [1770] 1

Mon cher philosophe, c’est apparemment depuis que je suis capucin que vous me croyez digne d’entrer dans des disputes théologiques. Vous n’ignorez pas qu’ayant obtenu de M. le duc de Choiseul une gratification pour les capucins de mon pays, frère Amatus d’Alamballa, notre général résidant à Rome, m’a fait l’honneur de m’agréger à l’ordre . Mais je n’en suis pas plus savant.

J’attends toujours, avec la plus grande impatience, le mémoire de M. de Lacroix, en faveur de Sirven. Je vous prie de vouloir bien me mander si Sirven a reçu quinze louis d’or que je lui envoyai à la réception de votre dernière lettre.

Je suis toujours bien malade. La justification entière de Sirven, et ce coup essentiel porté au fanatisme, me feront plus de bien que tous les remèdes du monde. On m’a mis au lait de chèvre, mais j’aime mieux écraser l’hydre.

Amusez mes confrères, les maîtres des jeux floraux, de ces petits versiculets 2 ; vous verrez qu’ils sont d’un capucin bien résigné.

Donnez-moi votre bénédiction, et recevez celle de

Frère François, capucin indigne.

P. -S. -- M. d’Alembert est bien content de votre abrégé de mon Essai sur l’Histoire générale de l’Esprit et des Mœurs des nations. Quelques fanatiques n’en sont pas si contents, mais c’est qu’ils n’ont ni esprit ni mœurs . Aussi n’est-ce pas pour ces monstres que l’on écrit, mais contre ces monstres. »

1 Copie Beaumarchais-Kehl ; copie contemporaine ; l'original est passé à la vente Charavay à Paris le 17 avril 1880 ; éd. Kehl.

2 Voir lettre du 21 mars 1770 à Saurin :

Il est vrai, je suis capucin...

je crois que la charité chrétienne ne me défend pas de souhaiter qu’il soit pendu, et que l’archevêque le confesse à la potence

... Qu'il en soit ainsi de chacun de ces agresseurs sexuels ayant quelque fonction religieuse, y compris évêques et archevêques, une haute fonction n'étant pas gage de sainteté .

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

26 mars 1770

Mon cher ange, je vous remercie de tout mon cœur de la consultation de M. Bouvart ; j’avais oublié de vous remercier de Semiramis 1 c’est un vice de mémoire et non de cœur. Je vous ai envoyé 2 un mémoire sur Fréron, qui m’a été adressé par son beau-frère, et qui me paraît bien étrange. Si vous découvrez quelque chose touchant cette affaire, ayez la bonté, je vous prie, de m’en instruire.

Je ne sais aucune nouvelle des grandes opérations de M. l’abbé Terray, je trouve seulement qu’il ressemble à M. Bouvart ; il met au régime.

Je m’amuse actuellement à travailler à une espèce de petite encyclopédie, que quelques savants 3 brochent avec moi. J’aimerais mieux faire une tragédie, mais les sujets sont épuisés, et moi aussi.

Les comédiens ne le sont pas moins ; on ne peut plus compter que sur un opéra-comique.

J’avais fait, il y a quelque temps, une petite réponse 4 à des vers que m’avait envoyés M. Saurin : cela n’est pas trop bon ; mais les voici, de peur qu’il n’en coure des copies scandaleuses et fautives. Je ne voudrais déplaire pour rien du monde ni à mon bon patron saint François, ni à frère Ganganelly.

Comme l’ami Grizel n’est pas de notre ordre, je crois que la charité chrétienne ne me défend pas de souhaiter qu’il soit pendu, et que l’archevêque le confesse à la potence, ce qui ne sera qu’un rendu.

Je me flatte que la santé de Mme d’Argental se fortifie et se fortifiera dans le printemps. Je me mets au bout des ailes de mes deux anges. »

1 Tragédie représentée à Versailles le 14 juillet 1770

3 Bertrand , Christin et Moultou .

Si je n’étais pas depuis longtemps au lit je viendrais moi-même m'informer

... Grasse mat' du WE . Les infos attendront . Il sera toujours temps de connaitre les misères du monde .

 

« A Marie-Anne Deprez de Crassier

23è mars 1760 [1770] à Ferney 1

Madame,

Nous sommes pénétrés, ma nièce et moi, des procédés nobles de monsieur de Crasser et des vôtres. Si je n’étais pas depuis longtemps au lit je viendrais moi-même m'informer de la santé de monsieur de Crassier, et vous assurer du respectueux dévouement avec lequel j'ai l'honneur d'être,

madame,

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire. »

1Original signé ; éd. Cayrol .

L'identification de la destinataire comme le femme de Jean-Baptiste Deprez de Crassier est probable, mais non certaine . L’erreur sur l'année est curieuse ; et pourtant, en mars 1760, V* était aux Délices, non à Ferney . On notera d'autre part qu'après avoir omis de parler des Deprez de Crassier pendant longtemps, V* les mentionne dans une lettre à Mme Du Deffand du 5 mai 1770 : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1770/Lettre_7875