06/09/2024
si le grand homme dont vous me parlez a des lubies, je donne le siècle à tous les diables sans exception
... Michel Barnier, premier ministre, aura-t-il des lubies et saura-t-il combattre celles de ses opposants malveillants et irréalistes ?
https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Barnier
« A Anne-Madeleine-Louise-Charlotte-Auguste de La Tour du Pin de Saint Julien
A Ferney ce 3 mars 1769
Minerve-papillon, le hibou à qui vous avez fait l’honneur d’écrire a été enchanté de votre souvenir ; il en a secoué ses vieilles ailes de joie ; il est tout fier de vous avoir si bien devinée, car, dès le premier jour qu’il vous vit, il vous jugea solide plus que légère, et aussi bonne que vous êtes aimable.
Soyez bien sûre, madame, que mon cœur est pénétré de tout ce que vous me dites ; mais il faut laisser les aigles, les rossignols et les fauvettes dans Paris, et que les hiboux restent dans leurs masures. J’ai soixante-quinze ans ; ma faible machine s’en va en détail ; le peu de jours que j’ai à respirer sur ce tas de boue doit être consacré à la plus profonde retraite. Les enfants 1 qui sont revenus sont chez eux, et je reste chez moi ; ma maison n’est plus faite pour les amuser. Je l’ai fermée à tout le monde ; bien heureux encore de pouvoir vivre avec moi-même dans le triste état où je suis. Regardez-moi, madame, comme un homme enterré, et ma lettre comme un De profundis.
Il est vrai que mes De profundis sont quelquefois fort gais, et que je les change souvent en Alléluia. J’aime à danser autour de mon tombeau, mais je danse seul comme l’amant de ma mie Babichon 2, qui dansait tout seul dans sa grange.
J’estime trop l’homme principal 3 dont vous me faites l’honneur de me parler pour penser qu’il ait pris sérieusement l’ordre que m’a donné l’abbé de La Bletterie de me faire enterrer au plus vite 4, et les petites gaietés avec lesquelles je lui ai répondu. Il faudrait que la tête lui eût tourné pour voir gravement des bagatelles. S’il veut faire quelque attention sérieuse à moi, il ne doit considérer que ma passion pour son bonheur et pour sa gloire. Il serait très ingrat s’il faisait la moindre fêlure à la trompette qui est embouchée pour lui.
Si quelque autre personne, fort au-dessous en tout sens du caractère de grandeur et du génie de votre ami, veut déplumer le hibou, il ira tout doucement mourir ailleurs 5. Je suis un être assez singulier, madame : né presque sans bien, j’ai trouvé le moyen d’être utile à ma famille, et de mettre cinq cent mille francs à peupler un désert. Si la moindre persécution y venait effrayer mon indépendance, il y a partout des sépulcres ; rien ne se trouve plus aisément.
J’ai lu la petite esquisse 6 que vous avez eu la bonté de m’envoyer. Je pense qu’on en pourrait faire quelque chose de fort noble et de fort gai pour les noces de monseigneur le dauphin. Ce serait même une très bonne leçon pour un jeune prince, et les personnes de votre espèce pourraient voir avec plaisir qu’elles sont faites pour rendre quelquefois de plus grands services que des hommes d’État. Ce ne serait point aux bateleurs de l’Opéra-Comique qu’il faudrait abandonner cet ouvrage. Il faudrait faire exécuter une musique tantôt sublime, tantôt légère, par les meilleurs acteurs du véritable opéra. L’Opéra-Comique n’est autre chose que la Foire renforcée. Je sais que ce spectacle est aujourd’hui le favori de la nation ; mais je sais aussi à quel point la nation s’est dégradée. Le siècle présent n’est presque composé que des excréments du grand siècle de Louis XIV. Cette turpitude est notre lot presque dans tous les genres, et si le grand homme dont vous me parlez a des lubies, je donne le siècle à tous les diables sans exception, en vous exceptant pourtant vous, madame Minerve-papillon, pour qui j’ai un vrai respect, et que je prends même la liberté d’aimer.
V. »
1 M. et Mme Dupuits.
2 Voir page 523 : lettre 29 août 1760 à Thieriot :
https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome40.djvu/533
3 Le duc de Choiseul.
4 Voir note 1 sur la lettre du 20 juin 1768 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/02/03/l-absence-a-de-terribles-inconvenients-6483596.html
5 L'allusion n'est pas claire mais il apparaît que, vers cette époque, V* croit à certaines machinations contre lui et songe aux moyens d'y répondre ; voir par exemple les lettres à Hennin du 11 janvier 1769 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/07/21/ses-ennemis-se-demenent-beaucoup-tant-pis-s-ils-reussissent-6507820.html
et à Mme Denis du 27 février 1769 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/08/30/les-gens-qui-sont-dans-la-boue-a-ce-que-vous-dit-d-alembert-6512555.html
6 Le Baron d'Otrante ; Grétry a apparemment soumis son spécimen de la musique qu'il méditait pour cette pièce.
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05/09/2024
rire, et même faire rire ! Si on n’avait pas ce palliatif contre les misères, les sottises atroces, et même les horreurs dont on est quelquefois environné, où en serait-on ? ... il faut quelquefois danser avec les singes
... que voulez-vous ? on n’est pas assez fort pour combattre les tigres..."
Guillaume Meurice a payé son insolence : https://www.ladepeche.fr/2024/05/07/guillaume-meurice-sus...
Pauvre France, on ne peut plus rire de tout , soupe à la grimace du matin au soir, sale régime allégé : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/et-main...
« A Gabriel-Henri Gaillard
2è mars 1769
Ombre adorée, ombre sans doute heureuse ! 1
Parbleu, il faut que vous ayez lu la Canonisation de saint Cucufin, faite il y a deux ans par le pape Rezzonico. L’auteur qui a écrit la relation de la fête de saint Cucufin propose hardiment de fêter saint Henri IV. Pour moi, monsieur, je vous avertis que je vous dénoncerai à la Sorbonne. Comment, Henri IV sauvé, lui qui était en péché mortel ! lui qui est mort amoureux de la princesse de Condé 2 ! lui qui est mort sans sacrements ! Je vous réponds que Ribaudier et Coger pecus vous laveront la tête, et Christophe vous savonnera. C’est Ravaillac qui est sauvé, entendez-vous : car il a été bien confessé ; et d’ailleurs la Sorbonne, ayant fait un saint de Jacques Clément, pourrait-elle refuser une apothéose à François Ravaillac, fût-elle en mauvais latin ? J’espère que vous reviendrez de vos mauvais principes. Il serait bien triste qu’un homme si éloquent errât dans la foi.
Vous me parlez de certaines petites folies : il est bon de n’être pas toujours sur le ton sérieux, qui est fort ennuyeux à la longue dans notre chère nation. Il faut des intermèdes. Heureux les philosophes qui peuvent rire, et même faire rire ! Si on n’avait pas ce palliatif contre les misères, les sottises atroces, et même les horreurs dont on est quelquefois environné, où en serait-on ? Les Sirven passent encore leur vie sous mes yeux, dans les déserts, jusqu’à ce que je puisse les envoyer à Toulouse, où les mœurs, grâce au ciel, se sont un peu adoucies. Mais qui osera passer par Abbeville ? Enfin que voulez-vous ? on n’est pas assez fort pour combattre les tigres, il faut quelquefois danser avec les singes.
Le mari de Mlle Corneille est arrivé ; mais les malles où sont les horreurs ecclésiastiques de François Ier 3 sont encore en arrière. Dieu merci, je n’aime aucun de ces gens-là. Il faut avouer qu’on vaut mieux aujourd’hui qu’alors. Il s’est fait dans l’esprit humain une étrange révolution depuis quinze ans. L’Europe a redemandé à grands cris le sang des Sirven et des Calas ; et tous les hommes d’État, depuis Archangel jusqu’à Cadix, foulent aux pieds la superstition. Les jésuites sont abolis, les moines sont dans la fange. Encore quelques années, et le grand jour viendra après un si beau matin. Quand les échafauds sont dressés à Toulouse et à Abbeville 4, je suis Héraclite ; quand on se saisit d’Avignon 5, je suis Démocrite 6 . Voilà le mot de l’énigme. Je vous embrasse, mon cher Tite-Live ; je vous répète que je vous aime autant que je vous estime.
V. »
1 C’est une phrase vers la fin de la péroraison de l’Éloge de Henri IV, par Gaillard.
2 Charlotte de La Trémoille, femme du prince Henri de Condé : https://fr.wikipedia.org/wiki/Charlotte-Catherine_de_La_Tr%C3%A9moille
3 Histoire de François Ier, roi de France, 1766-1769 , de Gaillard, qui finit par comprendre huit volumes . Voir : https://books.google.ru/books?id=9FEPAAAAQAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
4 Les affaires de Calas et de La Barre ; voir page 365 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome24.djvu/375
et page 501 :https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome25.djvu/511
5 Sur la saisie d’Avignon, voir lettre du 11 juin 1768 à Mme Denis et Mme Dupuits : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/01/29/agathe-rit-elle-toujours-6482666.html
6 Voir la fin de Jean qui pleure et qui rit : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome9.djvu/568
Le philosophe grec Héraclite passait pour pleurer de tout et Démocrite pour rire de tout . Mais plus précisément on est tenté de penser que V* fait allusion à Jean qui pleure et Jean qui rit, (publié en 1774), qui aurait déjà été composé à cette époque . On y lit en effet :
Et le plus triste Héraclite
Redevient un Démocrite
Lorsque ses affaires vont mieux .
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J'aime mieux des citoyens libres que des citoyens égorgés . Il y a plus de plaisir à bâtir des villes qu'a en détruire
... Israëliens, Palestiniens, mais que faites-vous, insensés !
« A François de Caire 1
Monsieur,
Vous me mettez toujours un grand diable de Monsieur en sentinelle en haut de vos lettres ; il faut bien que j'en use de même ; mais l’amitié souffre de ces cérémonies-là . Je vous remercie bien fort de la bonté que vous avez de me mander qu'on a tué des Corses ; mais je vous remercie davantage de m'apprendre qu'on va enfin tracer le plan de la ville de la Tolérance 2. J'aime mieux des citoyens libres que des citoyens égorgés . Il y a plus de plaisir à bâtir des villes qu'a en détruire .
Je m'affaiblis de jour en jour ; je vous supplie, vous et madame de Caire, de poser la première pierre le plus tôt que vous pourrez et de me permettre de me faire enterrer tout auprès, afin que j'aie la consolation de mourir en France dans une ville libre . C'est un petit divertissement qu’on n'a point eu depuis Hugues Capet .
Je vous présente à tous deux le très tendre et respectueux hommage avec lequel j’ai l'honneur d'être,
monsieur,
votre très humble et très obéissant serviteur
V.
A Ferney ce 2 mars 1769. »
2 Versoix.
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04/09/2024
sûrement il n’ira point se baigner à Aix-la-Chapelle, cette année
... Non, Emmanuel Macron ne le fera pas; pas plus qu'il qu'il ne se baignera dans la Seine contrairement à sa promesse :
https://www.dailymotion.com/video/x92ipea
Faut-il lui fournir un jet-ski ?
« A François-Gabriel Le Fournier, chevalier de Wargemont
1er mars 1769 1
Une maladie épidémique a régné si longtemps dans mon pays barbare, celui qui écrit d’ordinaire pour moi 2 a été si longtemps malade et moi aussi, j’ai été enfin dans un état si triste, que je ne sais plus si j’ai répondu à la lettre dont vous m’honorâtes, il y a environ un mois 3. Si je ne me suis pas acquitté de ce devoir, je vous en demande pardon, quoique je n’aie pas tort. Si je l’ai rempli, cette lettre-ci ne sera qu’un duplicata de mes sentiments pour vous et de ma reconnaissance.
J’ai trouvé toute ma façon de penser et de voir les choses dans ce que vous avez eu la bonté de m’écrire. Cela m’a donné une confiance extrême. Voici bientôt le temps où vous partirez pour la Corse. Je vous y souhaite tous les succès que votre valeur et votre prudence méritent. Il y a quelque apparence que les troubles de Pologne et la guerre des Turcs dureront plus que la petite guerre des Corses. Je ne sais guère que des nouvelles de l’Orient et du Nord. Moustapha s’étant fait apporter des lettres qui n’étaient pas écrites en turc, et qu’on avait interceptées, fit venir ses drogmans pour les traduire. Ces lettres étaient en chiffres ; les interprètes répondirent qu’ils ne pouvaient pas faire leur traduction. Moustapha les menaça de les faire étrangler. Le vizir ayant demandé grâce pour eux, il lui dit qu’il était un fou et qu’il le déposait. Les provisions de la place données au successeur portent que son devancier a été déposé parce qu’il était fou, et que Sa Hautesse ordonnait au présent vizir d’aller sur-le-champ châtier les Russes pour n’avoir pas obéi aux ordres exprès que lui, Moustapha, leur avait donnés de vider sans délai la Podolie. Il faut avouer qu’on ne peut avoir ni plus d’esprit, ni plus de modestie que Moustapha.
Vous savez que l’électeur palatin a envoyé trois mille de ses soldats prendre les eaux à Aix-la-Chapelle. Le pauvre malade n’en sait pas davantage, et sûrement il n’ira point se baigner à Aix-la-Chapelle, cette année. En quelque état qu’il soit, il vous sera toujours attaché, monsieur, avec les sentiments les plus tendres et les plus respectueux.
V. »
1 Original ; éd. Cayrol / le second feuillet du manuscrit a été réparé avec un papier provenant d’une autre lettre .
2 Wagnière. Cette lettre est de la main de Bigex, mais celle du même jour à Thieriot est de celle de Wagnière .
3 Lettre non connue .
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03/09/2024
comme les rois, ils font payer leurs fêtes au peuple
... Déficit public de l'Etat français : 5.5% cette année . Qui dit mieux ? 6% sont attendus . Quels impôts vont enfler en 2025 ? Voyons voir : https://www.lafinancepourtous.com/2024/07/17/rapport-2024...
Quel.le premier.e ministre va gérer notre panier percé ? On comprend les atermoiements présidentiels .
« A Nicolas-Claude Thieriot, etc.
1er mars 1769 à Ferney
Il y a non-seulement trois grandes années de différence entre vous et moi, mon cher ami ; mais il y a trente ans pour la vigueur, et surtout pour la belle maladie qui vous rendait si fier il y a quelques années, et dont peut-être vous êtes encore honoré. Pour moi, je me sens au bout de ma carrière. Quand on a vécu soixante-quinze ans, on ne doit pas se plaindre ; c’est avoir un lot assez honnête à la loterie de ce monde ; tout le monde ne peut avoir le gros lot comme Fontenelle. Je suis bien étonné même d’être parvenu à mon âge avec tant de faiblesse et tant de maux. J’ai dansé jusqu’à la fin sur le bord de ma tombe. Si vous n’avez point lu le Lion et le Marseillois, si vous ne connaissez pas les Trois Empereurs, je pourrai vous envoyer ces rogatons, qui pourront amuser votre royal correspondant 1, à qui je n’écris plus depuis près d’une année.
Vous ignorez sans doute que le Rezzonico avait avant sa mort rendu à l’Église le service important de canoniser un capucin nommé Cucufin, dont on a changé le nom en celui de Séraphin . C’est un monument de bêtise qui mérite d’entrer dans vos nouvelles. On imprime, je crois, à présent l’histoire de cette canonisation 2; elle est exacte et curieuse. Les capucins ont fait en Europe, à cette fête, une dépense qui va à plus de quatre cent mille écus. Vous savez que les capucins sont comme les rois, ils font payer leurs fêtes au peuple.
N’avez-vous jamais déterré une lettre qui a couru, et qui court encore, sur la mort de l’ivrogne Pierre III ? Si vous en aviez un précis, je vous prierais de me le communiquer. Ce n’est pas que je croie à ces anecdotes, mais il faut qu’un homme qui écrit l’histoire lise tout.
Avez-vous les Moyens de réformer l’Italie, ouvrage italien 3? Vous pourriez m’envoyer ce livre avec celui de milord Greenville 4, par les guimbardes de Lyon, à mon adresse à Ferney. M. de Laleu vous rembourserait fidèlement .Je n’ai pu vous répondre plus tôt, parce que j’ai été très malade au milieu de mes neiges. »
1 Frédéric II de Prusse.
2 La Canonisation de Saint Cucufin ; voir lettre du 21 décembre 1768 à Mme Du Deffand : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/12/20/je-deteste-les-poules-mouillees-et-les-ames-faibles.html
3 Voyez la note 2 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome46.djvu/144
La Riforma d'Italia est pourtant entre les mains de V* depuis longtemps ; voir lettre du 3 octobre 1768 à Hennin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/04/21/qu-on-laisse-faire-les-italiens-ils-iront-a-bride-abattue-6495118.html
4George de Greenville , Tableau de l'Angleterre relativment à son commerce et à ses finances, 1769 . Thieriot lui a recommmandé la lecture de cet ouvrage dans une lettre du 6 février 1769 . Voir : https://data.bnf.fr/fr/12112194/george_grenville/
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02/09/2024
Paris est fort bon pour ceux qui ont beaucoup d’ambition, de grandes passions, et prodigieusement d’argent, avec des goûts toujours renaissants à satisfaire
... Les siècles passent , les Parisiens demeurent .
« A Marie-Elisabeth de Dompierre de Fontaine, marquise de Florian
1er mars 1769
Ma chère nièce, j’ai été bien charmé de voir 1 votre écriture : car vous savez que j’aime votre style, et surtout votre souvenir. L’idée de n’être point oublié de vous me console dans ma solitude. Il y a aujourd’hui un an que je ne suis sorti de ma chambre et de mon jardin qu’une seule fois 2. Vous me paraissez avoir pour Paris autant d’aversion qu’il m’inspire d’indifférence. Paris est fort bon pour ceux qui ont beaucoup d’ambition, de grandes passions, et prodigieusement d’argent, avec des goûts toujours renaissants à satisfaire. Quand on ne veut être que tranquille, on fait fort bien de renoncer à ce grand tourbillon. Paris a toujours été à peu près ce qu’il est, le centre du luxe et de la misère : c’est un grand jeu de pharaon, où ceux qui taillent emboursent l’argent des pontes. Mais vous trouveriez Paris le pays de la félicité si vous aviez vu comme moi le temps du système 3, où il était défendu, comme un crime d’État, d’avoir chez soi pour cinq cents francs d’argent. Vous n’étiez pas née lorsqu’on augmenta de cent francs la pension que l’on payait pour moi au collège, et que, moyennant cette augmentation, j’eus du pain bis pendant toute l’année 1709. Les Parisiens sont aujourd’hui des sybarites et crient qu’ils sont couchés sur des noyaux de pêches, parce que leur lit de roses n’est pas assez bien fait. Laissez-les crier, et allez dormir en paix dans votre beau château d’Hornoy.
Je m’affaiblis tous les jours, ma chère nièce ; je n’ai pas longtemps à vivre, et bientôt je vous dirai bonsoir. Si, en attendant, vous voulez vous amuser à Hornoy de quelques nouveautés, vous n’avez qu’à faire un marché avec la fermière générale qui se charge de vos paquets ; on lui donnera la permission de les lire, pourvu qu’elle vous les envoie bien honnêtement. Je vous embrasse, vous et M. de Florian, de tout mon cœur. »
1 L'éditeur ajoute ici de .
2 La lettre est donc écrite le jour anniversaire du départ de Mme Denis .
3 De Law.
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01/09/2024
Il me paraît que vous êtes endurci aux éloges, et que vous ne sentez plus rien : cependant on dit que vous êtes encore dans la force de l’âge
... D'Emmanuel Macron à Cazeneuve ? A suivre ...
« A Louis-François-Armand du Plessis, duc de Richelieu
27è février 1769 à Ferney
Vous avez plus d’une affaire, monseigneur, et moi je n’en ai presque qu’une seule, c’est d’employer mes derniers jours à vous aimer dans ma retraite entourée de neiges 1. Je ne vous le dis pas souvent ; mais aussi vous ne me répondez jamais. J’avais cru ne pas déplaire tout à fait dans l’histoire du grand siècle de Louis XIV. Le libraire a fait bien des fautes ; mais il n’en a point fait sur la bataille de Fontenoy, sur Gênes, sur Port-Mahon. Il me paraît que vous êtes endurci aux éloges, et que vous ne sentez plus rien : cependant on dit que vous êtes encore dans la force de l’âge. Pour moi, qui ai environ trois ans plus que vous, je suis dans la plus pitoyable décrépitude ; et tandis que vous courez lestement de Bordeaux à Paris, à Fontainebleau, à Versailles. j’ai passé une année entière sans sortir un moment de ma chambre. C’est de mon lit, ou plutôt de ma bière, que j’élève ma voix rauque jusqu’à vous, ma lettre est un petit De profundis. On dit le président Hénault tombé en enfance . Pour moi, je suis tombé en poussière. Je n’exige pas que vous réchauffiez ma cendre par quelqu’une de vos agréables lettres . Je sais assez qu’un premier gentilhomme d’année 2, gouverneur de province, n’a pas beaucoup de temps à lui ; mais je demande que vous lisiez au moins avec bonté le De profundis d’un serviteur d’environ cinquante années.
Si j’osais me ressouvenir encore du théâtre qui est sous vos lois, et que j’ai tant aimé, je vous demanderais votre protection pour la tragédie, qui s’en va, dit-on, à tous les diables, comme bien d’autres choses ; mais je ne suis plus de ce monde, et il ne me reste de vie que pour vous assurer, avec le plus tendre respect, que je mourrai en révérant et en aimant le doyen de notre Académie 3, et l’homme qui fait le plus d’honneur à la France.
V. »
1 Ceci est un brillant exercice de style quand on sait ce que V* pensait réellement de Richelieu ; voir lettre du même jour à Mme Denis : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/08/30/les-gens-qui-sont-dans-la-boue-a-ce-que-vous-dit-d-alembert-6512555.html
2 C'est-à-dire en charge des spectacles pour l'année, les premiers gentilshommes de la chambre servant « par quartier », soit une année sur quatre .
3 Richelieu est doyen de l'Académie par le rang de réception, depuis longtemps ; il a été reçu dès 1720 ; voir lettre du 22 août 1757 à Thoulier d'Olivet : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/12/11/c-est-peu-de-chose-d-exister-en-peinture.html
Voir : https://www.academie-francaise.fr/les-immortels/louis-francois-armand-du-plessis-de-richelieu
et : https://www.academie-francaise.fr/discours-de-reception-et-reponse-de-nicolas-gedoyn-0
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