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07/01/2025

La multitude des ouvrages inutiles est si immense que la vie d’un homme ne pourrait suffire à en faire le catalogue ... il en est ainsi de presque toutes les choses de ce monde

... Les biographies de Jean-Marie Le Pen feront-elles partie du lot alors que son encombrante carcasse va enfin cesser de polluer le pays ?

 

 

« A François-Louis-Claude Marin

5è juillet 1769 à Ferney 1

Vous savez, monsieur, que, vers la fin de l’année passée, il parut une brochure intitulée Examen de la nouvelle Histoire d’Henri IV, par M. le marquis de B*** 2.

On est inondé de brochures en tout genre ; mais celle-ci se distinguait par un style brillant, quoique un peu inégal. Le titre porte qu’elle avait été lue dans une séance d’académie, et cela était vrai. De plus, tout ce qui regarde l’histoire de France intéresse tous ceux qui veulent s’instruire, et ce qui concerne Henri IV est très précieux. On traitait, dans cet écrit, plusieurs points d’histoire qui avaient été jusqu’ici assez inconnus.

1° On y assurait que le pape Grégoire XIII n’avait pas reconnu la légitimité du mariage de Jeanne d’Albret et d’Antoine de Bourbon, père d’Henri IV ;

2° Que cette même Jeanne d’Albret avait pris la qualité de majesté fidélissime ;

3° On affirmait que Marguerite de Valois eut en dot les sénéchaussées de Quercy et de l’Agénois, avec le pouvoir de nommer aux évêchés et aux abbayes de ces provinces.

Il y avait beaucoup d’anecdotes curieuses, mais dont la plupart se sont trouvées fausses par l’examen que M. l’abbé Boudot 3 en a bien voulu faire 4.

Ce qui me choqua le plus dans cette critique fut l’extrême injustice avec laquelle on y censure l’ouvrage très utile et très estimable de M. le président Hénault.

Ce fut pour moi, vous le savez, monsieur, une affliction bien sensible quand vous m’apprîtes que plusieurs personnes me faisaient une injustice encore plus absurde, en m’attribuant cette même critique, dans laquelle il y a des traits contre moi-même. Je demandai la permission à M. le président Hénault de réfuter cet ouvrage, et je priai M. l’abbé Boudot, par votre entremise, de consulter les manuscrits de la Bibliothèque du roi sur plusieurs articles. Il eut la complaisance de me faire parvenir quelques instructions ; mais le nombre des choses qu’il fallait éclaircir était si considérable, et cette critique fut bientôt tellement confondue dans la foule des ouvrages de peu d’étendue, qui n’ont qu’un temps, enfin je tombai si malade, que cette affaire s’évanouit dans les délais.

Elle semble aujourd’hui se renouveler par une nouvelle Histoire du Parlement, qu’on m’attribue. Je n’en connais d’autre que celle de M. Le Paige 5, avocat à Paris, divisée en plusieurs lettres, et imprimée sous le nom d’Amsterdam en 1754.

Pour composer un livre utile sur cet objet, il faut avoir fouillé, pendant une année entière au moins, dans les registres ; et quand on aura percé dans cet abîme, il sera bien difficile de se faire lire. Un tel ouvrage est plutôt un long procès-verbal qu’une histoire.

Si quelque libraire veut faire passer cet ouvrage sous mon nom, je lui déclare qu’il n’y gagnera rien, et que, loin que mon nom lui fasse vendre un exemplaire de plus, il ne servirait qu’à décréditer son livre . Il y aurait de la folie à prétendre que j’ai pu m’instruire des formes judiciaires de France, et rassembler un fatras énorme de dates, moi qui suis absent de France depuis plus de vingt années, et qui ai presque toujours vécu, avant ce temps, loin de Paris, à la campagne, uniquement occupé d’autres objets.

Au reste, monsieur, si on voulait recueillir tous les ouvrages qu’on m’impute, et les mettre avec ceux que l’on a écrits contre moi, cela formerait cinq à six cents volumes, 6 dont aucun ne pourrait être lu, Dieu merci.

Il est très inutile encore de se plaindre de cet abus, car les plaintes tombent dans le gouffre éternel de l’oubli avec les livres dont on se plaint. La multitude des ouvrages inutiles est si immense que la vie d’un homme ne pourrait suffire à en faire le catalogue.

Je vous prie, monsieur, de vouloir bien permettre que ma lettre soit publique pour le moment présent, car le moment d’après on ne s’en souviendra plus ; et il en est ainsi de presque toutes les choses de ce monde.

J'ai l'honneur d'être,etc.

V. »

1 Copie par Wagnière ; éd. « Lettre de M. de V. à M. Marin, secrétaire général de la librairie », Mercure de France, juillet 1769, II, 220-224, d'après laquelle est faite une copie qui invente formule et signature .

2 Sur cet ouvrage de Bélestat, signalé à V* par d'Alembert vers la mi-juin 1768, voir lettre du 13 septembre 1768 à Hénault : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/03/26/m-6491423.html

4 En réponse à la lettre du 2 novembre 1769 . La liste des questions posées par Voltaire est conservée dans les papiers des éditeurs de Kehl ; voir lettre du 31 octobre 1768 à Hénault : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/05/10/en-fait-d-ouvrages-de-gout-il-ne-faut-jamais-repondre-en-fai-6497711.html

6 Le nombre des ouvrages de ce genre n'est pas petit, en effet ; on en aura une idée par J. Vercruysse, « Bibliographie des écrits français relatifs à Voltaire, 1719-1830 », Studies on Voltaire, 1968.

Il nous fallait un fou, et j’ai peur qu’on ne nous ait donné un homme sage

... Un fou d'audace ? Bayrou ? Je n'ose le confirmer .

https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/l-edito-politique/edito-rentree-politique-2025-francois-bayrou-les-ingenieurs-du-chaos-et-les-idiots-utiles_6980915.html

 

 

 

« A Charles Bordes

5è juillet 1769

Mon cher ami, mon cher philosophe, vos lettres valent beaucoup mieux que tous les rogatons que je vous ai envoyés. J’aurais dû être un peu moins votre bibliothécaire, et un peu plus votre correspondant. Je serais bien curieux de savoir la vérité de l’histoire de votre médecin italien . J’ai peur qu’il ne soit doublement charlatan. S’il lui prenait fantaisie de voir Genève, je vous avoue que je serais curieux de m’entretenir avec lui.

Je ne sais pas trop ce que sera le cordelier Ganganelli ; tout ce que je sais, c’est que le cardinal de Bernis l’a nommé pape, et que par conséquent ce ne sera pas un Sixte-Quint. C’est bien dommage, comme vous le dites, qu’on ne nous ait pas donné un brouillon. Il nous fallait un fou, et j’ai peur qu’on ne nous ait donné un homme sage. Plût à Dieu qu’il ressemblât au pontife de la tragédie que je vous envoie ! Les abus ne se corrigent que quand ils sont outrés. Je vous demande en grâce de ne montrer cette tragédie à personne avant de m’en avoir dit votre avis. Elle ne sera pas jouée sans doute, car les magistrats ne sont pas encore assez raisonnables, et il n’y a point d’acteurs. Tout tombe en décadence, excepté l’opéra-comique, qui soutient la gloire de la patrie.

Adieu, mon cher ami . Dites-moi votre avis, gardez-moi le secret et aimez-moi. »

06/01/2025

il y a des expressions très peu mesurées

... dans les propos de Marine Le Pen à Mayotte , l'éternelle donneuse de leçons et mouche du coche plus souvent qu'à son  tour : https://www.francetvinfo.fr/meteo/cyclone-ouragan/cyclone...

 

 

« Au chevalier Jacques de Rochefort d'Ally

Ferney 3 juillet 1769 1

J’ai reçu, monsieur, l’honneur de la vôtre du 25 juin. Je suis bien persuadé que le médecin Bigot 2 vous guérira un jour de cette maladie que vous appelez la peste 3. Votre tempérament est excellent, et je souhaite passionnément que le médecin s’affectionne à son malade. J’ai reçu quelquefois des lettres de madame Bigot 4, qui ne me paraissait point du tout embarrassée.

À propos de médecin, j’avais écrit il y a deux ans à M. de Sénac 5, sur les bontés de qui j’ai toujours compté. Il s’agissait d’un jeune homme de mes parents 6, mousquetaire du roi, à qui on avait fait une opération bien douloureuse. M. de Sénac me manda qu’il ne croyait pas qu’il y eût de remède ; il ne s’est pas trompé : le jeune homme est mort dans de cruelles douleurs.

Vous voyez donc quelquefois M. le duc de La Vallière ? c’est un des plus aimables hommes du monde, et qui ne laisse pas d’être philosophe. Je ne lui écris point du fond de ma solitude, mais je lui suis toujours très tendrement attaché.

Je voudrais bien, monsieur, que vous fussiez chef de brigade dans la compagnie Écossaise 7 ; celui qui la commande 8 n’est pas fier comme un Écossais ; mais heureux les Français qui lui ressemblent un peu ! on n’a point plus d’esprit et de raison. Je ne connais point les Lettres Hébraïques  9; mais, selon ce que vous me mandez, il n’y a qu’à faire lire la Bible à l’auteur pour y répondre. L’impotent convulsionnaire a mal pris son temps pour faire opérer sur lui un miracle ; la mode en est passée, le pauvre est venu trop tard.

Je suis bien fâché que la famille de ce pauvre Morsan soit si impitoyable. Il faut espérer que sa bonne conduite et le temps adouciront ses malheurs et le cœur de ses parents. Je lui ai dit, monsieur, de quelles bontés vous l’avez honoré ; il y est sensible comme il le doit : je vous présente ses très humbles remerciements et les miens.

Je viens de lire l’histoire 10 dont vous me faites l’honneur de me parler. Elle est sûrement d’un jeune homme qui quelquefois a été assez modeste pour imiter mon style ; on m’a dit que c’est un jeune maître des requêtes ; mais je n’en crois rien. Quoi qu’il en soit, ceux qui m’imputent cet ouvrage sont bien injustes. Il est évident que l’auteur a fouillé dans de vieilles archives dont je ne puis avoir la moindre connaissance, étant hors de Paris depuis plus de vingt ans. Ainsi, loin de prétendre que l’auteur a dit ce que d’autres avaient rapporté avant lui, il faut avouer au contraire qu’il a avancé des choses que personne n’avait jamais dites ; comme, par exemple, les emprunts de Louis XII et de François Ier. Cela ne se peut trouver que dans des registres que je n’ai jamais vus. D’ailleurs je trouve que sur la fin il y a des expressions très peu mesurées. M. de Bruguières 11 est fort méchant et fort dangereux. Je compte bien que vous aurez la bonté, ainsi que M. d’Alembert, de confondre la calomnie qui a la cruauté de m’imputer un tel ouvrage.

Vous connaissez mon très tendre attachement, qui ne finira qu’avec ma vie.

V. »

1 La lettre du chevalier n'est pas connue .

3 Le duc de Villeroi, capitaine des gardes du corps.

4 La duchesse de Choiseul.

5 Cette lettre manque, mais voir lettre du 18 juillet 1768 à Chennevières : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2023/08/22/la-poste-manque-tres-souvent-6457716.html

6 Daumart .

7 Le plus ancien régiment des garde-du-corps, la compagnie Écossaise était la première des quatre compagnies des gardes du corps. Son capitaine était le duc de Noailles ; le duc d’Ayen, son fils, avait la survivance. (Beuchot.)

8 Le duc de Noailles .

9 Antoine Guénée, Lettres de quelques juifs portugais et allemands à M. de Voltaire : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k61352438/

Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine_Gu%C3%A9n%C3%A9e

et : http://www.corpusetampois.com/cle-18-gueneedewingler.html

11 Si on rapproche cette désignation de « M. de Bruguières » de celle qu'on trouve de « MM. De Bruguières » dans la lettre du 28 juillet 1769 adressée au même destinataire, on est amené à penser qu'il s'agit du Parlement . http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/09/correspondance-annee-1769-partie-25.html

 

 

05/01/2025

Personne ne sait ce qui lui arrivera demain . On ne vit que de probabilités, d’espérances et de craintes

... Redoutablement vrai !

 

« A Marie-Louise Denis

3 juillet [1769] 1

Ma chère nièce, si ma triste lettre du 19 juin ne vous a pas déplu, la vôtre du 25 2 m'a bien consolé . Je ne puis vous rien dire à présent de ma destinée, sinon qu’elle est de vous aimer . Personne ne sait ce qui lui arrivera demain . On ne vit que de probabilités, d’espérances et de craintes .

Si Mme la duchesse d'Aiguillon me fait une injustice si dangereuse 3, il est clair que d'autres me la feront .

Il n'est pas moins clair qu'étant absent de Paris depuis vingt ans il est impossible que 4 j'aie fouillé dans les registres du Parlement et il est certain qu'il faut les avoir consultés pour avoir déterré des anecdotes dont aucun historien, aucun recueil des ordonnances, ne font mention, en un mot quiconque sera juste ne pourra m'attribuer cet ouvrage . Mais le nombre des justes est petit : c'est celui des élus .

Les belles-lettres ont été ma seule consolation . Ce livre est tout le contraire des belles-lettres . Je devine qui en est l'auteur, mais je ne veux pas imiter 5 Mme d’Aiguillon qui accuse les gens sur des conjectures .

Je suis bien sûr que votre neveu, à qui vous aurez fait connaître la force de mes raisons, les fera sentir à ses confrères dans l'occasion .

Messieurs auraient tort de vexer le seul qui a dit d'eux :

Il est dans ce saint temple un sénat vénérable

Qui des lois de son prince est l'organe et l’appui,

Marche d'un pas égal entre son peuple et lui ,6

etc.

Henriade, ch. IV.

S’il dirige sa marche contre moi, il aura tort .

Je sais à n’en pouvoir douter que ce live a été imprimé à Amsterdam chez Marc-Michel Rey . Il a demandé la permission de le faire entrer en France . C'est un fait dont M. Marin m'a instruit . Je sais encore qu'il en fait une autre édition dans laquelle on dit qu'il y a beaucoup de corrections et d’additions . Il y a, dans celle que j'ai vu depuis cinq ou six jours, quelques expressions peu mesurées que j'aurais conseillé à l'auteur de réformer .

Voilà tout ce que je sais de cette histoire .

Je suis à peu près comme M. de Pourceaugnac à qui on veut faire accroire qu'il a épousé trois ou quatre femmes 7  . On met plus d'ouvrages sur mon compte qu'on ne mit de femmes sur le compte de Pourceaugnac .

Je sais fort bien que les calomnies les moins fondées peuvent avoir des effets très désagréables . Ainsi je ne puis guère assurer en quel coin de ce globe j'achèverai ma vie . Ma santé s'affaiblit tous les jours et l'âge avance .

Les Guèbres sont un petit amusement . Cela est du moins préférable à la malheureuse insipidité dans laquelle la plupart de mes confrères les humains achèvent leur carrière .

Je crois vous avoir déjà mandé que le trésorier de M. le duc de Virtemberg n'en usait pas avec moi d'une manière insipide . Il m'a joué d'un tour de maître Gonin qui m’embarrasse beaucoup, et qui me met hors d'état de prendre aucun parti jusqu'au mois d'octobre . Ainsi, vous voyez, ma chère nièce, que j'ai plus d'une affaire . Il me semble qu'avec la santé rien n'embarrasse . Mais quand on est malade, le moindre fardeau est bien lourd . Ils me seront tous fort légers si vous m'aimez autant que je vous aime. Adieu, je vous embrasse bien tendrement .

V. »

1 Manuscrit olographe avec deux lapsus ; voir les notes 4 et 5 . La date est complétée par Mme Denis .

2 Cette lettre n'est pas connue .

3 Cette injustice consistait à dire que V* était l’auteur de l'Histoire du Parlement de Paris et l'avait écrit à l'instigation du ministère . Voir J.-H. Brumfitt, Voltaire Historian, 1958 . La source de cette dernière rumeur semble être dans les Mémoires secrets ( 17 juillet 1769).

4Ces quatre mots sont ajoutés au dessus de la ligne .

5 Mot suivi sur ms. de l'auteur biffé .

6 La Henriade, chant IV, v. 374, 376-377, inexactement cités : https://fr.wikisource.org/wiki/La_Henriade/Chant_4

7Molière, Monsieur de Pourceaugnac, II, sc. 8 : https://libretheatre.fr/monsieur-de-pourceaugnac-de-moliere/

04/01/2025

dire ce qu'il pense des ruines de Palmyre

... Posera-t-on la question à Ahmad al-Chareh ?

https://www.francetvinfo.fr/monde/syrie/chute-de-bachar-a...

baalshamin 4-main.jpg

Plus jamais ça ? Pas d'E.I. renaissant ?

https://www.france24.com/fr/20150825-syrie-palmyre-ei-exh...

 

 

« A Pierre-Michel Hennin

A Ferney lundi 3 juillet 1769

L'ermite de Ferney se laisse aller demain mardi à une horrible débauche . Il a l'audace de donner un petit dîner à un jeune antiquaire 1 qui lui a paru très aimable . Monsieur Hennin veut-il en cette qualité nous honorer de sa présence, et dire ce qu'il pense des ruines de Palmyre ? Le solitaire lui montrera une belle médaille moderne 2 ; il jugera si elle est digne de l'Antiquité . Le dit solitaire lui présente son très tendre respect . »

1 Ce passionné d'Antiquité n'est pas connu .

03/01/2025

Les détails me pilent

... Telle est la conclusion générale présidentielle du premier conseil des ministres 2025 .

 

 

« A Louise-Honorine Crozat du Châtel, duchesse de Choiseul

 3è juillet 1769 , Lyon

Guillemet ignore si madame la duchesse est dans son palais de Paris, ou dans son palais de Chanteloup, ou dans sa chambre de Versailles. Quelque part où elle soit, elle dît et elle fait des choses très agréables.

Guillemet prend la liberté de lui en dépêcher qui ne sont pas peut-être de ce genre ; mais, comme elle est très tolérante, il s’est imaginé qu’elle pourrait jeter un coup d’œil sur une tragédie 1 où l’on dit que la tolérance est prêchée. Monseigneur son époux le Corsique aurait-il le temps de s’amuser un moment de cette bagatelle ? Guillemet en doute. Monseigneur a un nouveau royaume et un nouveau pape à gouverner, et force petits menus soins qui prennent vingt-quatre heures au moins dans la journée. Les détails me pilent, disait Montaigne 2, à ce qu’on m’a rapporté . Voilà pourquoi Guillemet se garde bien d’écrire à monseigneur. Mais quand nous entendons parler de ses succès dans nos climats sauvages, notre cœur danse de joie.

Je vais bientôt, madame, quitter la typographie, avant que je quitte absolument la vie, selon le conseil de La Bletterie. Je suis comme l’apothicaire Arnoult, qui se plaignait que l’on contrefît toujours ses sachets 3. Cela dégoûte à la fin du métier les typographes comme les apothicaires ; ainsi, madame, vous vous pourvoirez, s’il vous plaît, ailleurs ; il faut bien que tout finisse . Il faut surtout finir cette lettre, de peur de vous ennuyer. Daignez donc, madame, agréer le profond respect qui ne finira qu’avec la vie de

Guillement.

P. S. –  Je ne sais comment je suis avec madame votre petite-fille 4, depuis un certain déjeuner . Je ne sais si elle aime encore les vers ; je ne sais rien d’elle. »

1 Les Guèbres . Mme de Choiseul écrit le 11 juillet 1769 à Mme Du Deffand : « Voici une fort mauvaise brochure que Voltaire m'a envoyée, quoiqu'elle ne soit pas de lui . J'y joins la lettre qu'il m'a écrite en même temps ». Le jugement de Mme de Choiseul sur la pièce est réitéré dans une autre lettre du 14 juillet à la même : « Votre lettre ma chère petite-fille, m'a sauvée de sombrer dans le panneau le plus fâcheux. Voltaire m'en avait écrit une seconde pour me dire de ne pas montrer la tragédie des Guèbres ; cette précaution ne m’avait point encore avisée que la pièce pût être de lui, tant elle me semblait mauvaise, et en lui répondant je lui mandais tout ce que j'en pensais ; heureusement ma lettre n'était point encore envoyée quand j'ai reçu la vôtre ; […] nous avons reparcouru la pièce, l’abbé [Jean-Jacques Barthélémy*] et moi, et […] nous avons cru reconnaître Voltaire, mais nous n'en sommes pas moins restés à dire que la pièce était détestable.

* https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Jacques_Barth%C3%A9lemy

2 Dans ses Essais, livre III, chap. iv, 17e alinéa, Montaigne, parlant de la mort, dit : « Je la gourmande en bloc. Par le menu elle me pile. » : fin de page 365 https://fr.wikisource.org/wiki/Essais/Livre_III/Chapitre_4

3 Dans les annonces qu'il faisait passer dans le Mercure de France, à propos de son spécifique contre l'apoplexie .

4 Mme Du Deffand qui a blâmé la cérémonie des « pâques »de V* et son attitude en la circonstance . Aucune lettre d'elle à V* ne nous est parvenue depuis celle du 24 avril 1769, sur les « médecins […] italiens » qui veulent « qu'on mange un croûton à certains jours », mais elle devra lui écrire le 16 juillet : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1769/Lettre_7596

 

02/01/2025

Je ne sais comment il se peut faire que la France étant, après l’Allemagne, le pays le plus peuplé de l’Europe, il nous manque pourtant des bras pour cultiver nos terres.

... L'incompréhension de Voltaire reste d'actualité ; l'agriculture française serait morte et enterrée s'il n'y avait pas la main-d'oeuvre étrangère , et ce n'est pas la nouvelle ministre Annie Genevard qui va remédier à cela , ni elle, ni maintenant, ni jamais .

Qui est-elle  derrière son titre ronflant ? https://agriculture.gouv.fr/annie-genevard-ministre-de-la...

Sans titre.jpg

http://dessinsmisslilou.over-blog.com/2016/02/vers-la-disparition-de-l-agriculture-francaise.html

 

 

 

« A Pierre-Joseph-André Roubaud 1

A Ferney 1er juillet 1769 2

Votre livre 3, monsieur, me paraît éloquent, profond et utile. Je suis bien persuadé avec vous que le pays où le commerce est le plus libre sera toujours le plus riche et le plus florissant, proportion gardée. Le premier commerce est, sans contredit, celui des blés. La méthode anglaise, adoptée enfin par notre sage gouvernement, est la meilleure . Mais ce n’est pas assez de favoriser l’exportation, si on n’encourage pas l’agriculture. Je parle en laboureur qui a défriché des terres ingrates.

Je ne sais comment il se peut faire que la France étant, après l’Allemagne, le pays le plus peuplé de l’Europe, il nous manque pourtant des bras pour cultiver nos terres. Il me paraît évident que le ministère en est instruit, et qu’il fait tout ce qu’il peut pour y remédier. On diminue un peu le nombre des moines, et par là on rend les hommes à la terre. On a donné des édits pour extirper l’infâme profession de mendiant, profession si réelle, et qui se soutient malgré les lois, au point que l’on compte deux cent mille mendiants vagabonds dans le royaume. Ils échappent tous aux châtiments décernés par les lois ; et il faut pourtant les nourrir, parce qu’ils sont hommes. Peut-être, si on donnait aux seigneurs et aux communautés le droit de les arrêter et de les faire travailler 4, on viendrait à bout de rendre utiles des malheureux qui surchargent la terre.

J’oserais vous supplier, monsieur, vous et vos associés 5, de consacrer quelques-uns de vos ouvrages à ces objets très importants. Le ministère, et surtout les officiers des cours supérieures, ne peuvent guère s’instruire à fond sur l’économie de la campagne que par ceux qui en ont fait une étude particulière. Presque tous vos magistrats sont nés dans la capitale que nos travaux nourrissent, et où ces travaux sont ignorés. Le torrent des affaires les entraîne nécessairement . Ils ne peuvent juger que sur les rapports et sur les vœux unanimes des cultivateurs éclairés.

Il n’y a pas certainement un seul agriculteur dont le vœu n’ait été le libre commerce des blés, et ce vœu unanime est très bien démontré par vous.

Je sais bien que deux grands hommes se sont opposés à la liberté entière de l’exportation. Le premier est le chancelier de L’Hospital, l’un des meilleurs citoyens que la France ait jamais eus ; l’autre, le célèbre ministre des finances Colbert, à qui nous devons nos manufactures et notre commerce. On s’est prévalu de leur nom et des règlements qu’on leur attribue, mais on n’a pas peut-être assez considéré la situation où ils se trouvaient. Le chancelier de L’Hospital vivait au milieu des horreurs des guerres civiles . Le ministre Colbert avait vu le temps de la Fronde, temps où la livre de pain se vendit dix sous et davantage dans Paris et dans d’autres villes . Il travaillait déjà aux finances, sans avoir le titre de contrôleur général, lorsqu’il y eut une disette effrayante dans le royaume, en 1662.

Il ne faut pas croire qu’il fut, dans le Conseil, le maître de toutes les grandes opérations. Tout se concluait à la pluralité des voix 6, et cette pluralité ne fut que trop souvent pour les préjugés. Je puis assurer que plusieurs édits furent rendus malgré lui ; et je crois très fermement que si ce ministre avait vécu de nos jours, il aurait été le premier à presser la liberté du commerce.

Il ne m’appartient pas, monsieur, de vous en dire davantage sur des choses dont vous êtes si bien instruit. Je dois me borner à vous remercier, et vous assurer que j’ai pour vous une estime aussi illimitée que doit l’être, selon vous, la liberté du commerce. 

J'ai l’honneur d'être avec tous les sentiments que je vous dois, monsieur, votre . »

1 Abbé Pierre-Joseph-André Roubaud, né à Avignon en juin 1730, mort à Paris en novembre 1792, venait de publier des Représentations aux magistrats, contenant l’exposition raisonnée des faits relatifs à la liberté du commerce des grains, et les résultats respectifs des règlements et de la liberté, 1769, in-8° de plus de cinq cents pages. Il avait travaillé avec Dupont de Nemours et autres économistes au Journal d’agriculture, etc. C’est à lui que l’on doit les Nouveaux Synonymes français, 1785, quatre volumes in-8°.

Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre-Joseph-Andr%C3%A9_Roubaud

et : https://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/journaliste/709-pierre-joseph-andre-roubaud

et : https://www.hetwebsite.net/het/profiles/roubaud.htm

2 Seconde minute . La première minute , également conservée est corrigée par V* . Ed. « Lettre de M. de Voltaire à l'auteur des Représentations, etc. », Mercure de France août 1769, p. 132-135. En tête du manuscrit décrit le premier, Wagnière a porté « 2decopie »

4 Ainsi V* souhaiterait disposer du droit d'arrêter les mendiants ou vagabonds passant sur ses terres pour les mettre au travail force .

5 Dupont de Nemours et le groupe des physiocrates .

6 C'était en effet l’habitude de Louis XIV de suivre l’abus de la majorité dans les différents conseils qu’il présidait .