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13/01/2012

Laissons attendre le démon de la poésie et le démon du public, et prenons bien le temps de l'un et de l'autre

 

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Petit matin blême, tôt ! trop tôt !!

 

 

 

« A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

Aux Délices, 4 mai [1755]

Chœur des anges, prenez patience; je suis entre les mains des médecins et des ouvriers, et le peu de moments libres que mes maux et les arrangements de ma cabane me laissent, sont nécessairement consacrés à cet Essai sur l'Histoire générale, qui est devenu pour moi un devoir indispensable et accablant, depuis le tort qu'on m'a fait d'imprimer une esquisse si informe d'un tableau qui sera peut-être un jour digne de la galerie de mes anges. Laissez-moi quelque temps à mes remèdes, à mes jardins, et à mon Histoire.
Dès que je me sentirai une petite étincelle de génie, je me remettrai à mes magots de la Chine. Il ne faut fatiguer ni son imagination, ni le public. Laissons attendre le démon de la poésie et le démon du public, et prenons bien le temps de l'un et de l'autre. Je veux chasser toute idée de la tragédie, pour y revenir avec des yeux tout frais et un esprit tout neuf. On ne peut jamais bien corriger son ouvrage qu'après l'avoir oublié. Quand je m'y mettrai, je vous parlerai alors de toutes vos critiques, auxquelles je me soumettrai autant que j'en aurai la force. Ce n'est pas assez de vouloir se corriger, il faut le pouvoir. Permettez-moi cependant, mon cher et respectable ami, de vous demander si M. de Ximenès était chez vous quand on lut ces quatre actes. Nous sommes bien plus embarrassés, Mme Denis et moi, de ce que nous mande M. de Ximenès que de Gengis-kan et d'Idamé. Si ce n'est pas chez vous qu'il a lu la pièce, c'est donc Lekain qui la lui a confiée; mais comment Lekain aurait-il pu lui faire cette confidence, puisque la pièce était dans un paquet à votre adresse, très-bien cacheté? Si, par quelque accident que je ne prévois pas, M. de Ximenès avait eu, sans votre aveu, communication de cet ouvrage, il serait évident qu'on lui aurait aussi confié les quatre chants i que je vous ai envoyés. Tirez-moi, je vous prie, de cet embarras.
Je ne sais, mon cher ange, à quoi appliquer ce que vous me dites à propos de ces quatre derniers chants. Il n'y a, ce me semble, aucune personnalité, si ce n'est celle de l'âne ii. Je sais que, malheureusement, il se glissa dans les chants précédents quelques plaisanteries qui offenseraient les intéressés. Je les ai bien soigneusement supprimées; mais puis-je empêcher qu'elles ne soient, depuis longtemps, entre les mains de Mlle du Thil?iii C'est là le plus cruel de mes chagrins, c'est ce qui m'a déterminé à m'ensevelir dans la retraite où je suis. Je prévois que, tôt ou tard, l'infidélité qu'on m'a faite deviendra publique, et alors il vaudra mieux mourir dans ma solitude qu'à Paris. Je n'ai pu imaginer d'autre remède au malheur qui me menace que de faire proposer à Mlle du Thil le sacrifice de l'exemplaire imparfait qu'elle possède, et de lui en donner un plus correct et plus complet, mais comment et par qui lui faire cette proposition? Peut-être M. de La Motte, qui a pris ma maison iv et qui est le plus officieux des hommes, voudrait bien se charger de cette négociation, mais voilà de ces choses qui exigent qu'on soit à Paris. Ma tendre amitié pour vous l'exige bien davantage, et cependant je reste au bord de mon lac, et je ne me console que par les bontés de mes anges. Mon cœur en est pénétré. »


 

 

i De La Pucelle.

 

 

iii Demoiselle de compagnie de la marquise du Châtelet à Cirey .

 

iv Celle de la rue Traversière à Paris .

 

12/01/2012

L'éternel malade, le solitaire, le planteur de choux et le barbouilleur de papier, qui croit être philosophe

 

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Cailloux, choux, ...

 

 

 

« A M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.

Aux Délices, 1er mai [1755]

L'éternel malade, le solitaire, le planteur de choux et le barbouilleur de papier, qui croit être philosophe au pied des Alpes, a tardé bien indignement, monseigneur le maréchal, à vous remercier de vos bontés pour Lekain i; mais demandez à Mme Denis si j'ai été en état d'écrire. J'ai bien peur de n'être plus en état d'avoir la consolation de vous faire ma cour. J'aurai pourtant l'honneur de vous envoyer ma petite drôlerie ii; c'est le fruit des intervalles que mes maux me laissaient autrefois; ils ne m'en laissent plus aujourd'hui, et j'aurai plus de peine à corriger ce misérable ouvrage que je n'en ai eu à le faire. J'ai grande envie de ne le donner que dans votre année iii. Cette idée me fait naître l'espérance de vivre encore jusque-là. Il faut avoir un but dans la vie, et mon but est de faire quelque chose qui vous plaise, et qui soit bien reçu sous vos auspices. Vous voilà, Dieu merci, en bonne santé, monseigneur; et les affaires, et les devoirs de la cour, et les plaisirs qui étaient en arrière par votre maudit érysipèle, vous occupent à présent que vous avez la peau nette et fraîche.
Je n'ose, dans la multitude de vos occupations, vous fatiguer d'une ancienne requête que je vous avais faite avant votre cruelle maladie, c'était de daigner me mander si certaines personnes iv approuvaient que je me fusse retiré auprès du fameux médecin Tronchin, et à portée des eaux d'Aix. Ce Tronchin-là a tellement établi sa réputation qu'on vient le consulter de Lyon et de Dijon, et je crois qu'on y viendra bientôt de Paris. On inocule, ce mois-ci, trente jeunes gens à Genève v. Cette méthode a ici le même cours et le même succès qu'en Angleterre. Le tour des Français vient bien tard, mais il viendra. Heureusement la nature a servi M. le duc de Fronsac aussi bien que s'il avait été inoculé.
Il me semble que ma lettre est bien médicale mais pardonnez à un malade qui parle à un convalescent. Si je pouvais faire jamais une petite course dans votre royaume de Cathai, vous et le soleil de Languedoc, mes deux divinités bienfaisantes, vous me rendriez ma gaieté, et je ne vous écrirais plus de si sottes lettres. Mais que pouvez-vous attendre du mont Jura, et d'un homme abandonné à des jardiniers savoyards et à des maçons suisses? Mme Denis est toujours, comme moi, pénétrée pour vous de l'attachement le plus tendre. Elle l'exprimerait bien mieux que moi elle a encore tout son esprit, les Alpes ne l'ont point gâtée.
Conservez vos bontés, monseigneur, à ces deux Allobroges qui vivent à la source du Rhône vi, et qui ne regrettent que les climats où ce fleuve coule sous votre commandement vii. Le Rhône n'est beau qu'en Languedoc. Je vous aimerai toujours avec bien du respect, mais avec bien de la vivacité, et je serai à vos ordres si je vis. »

 

ii L’Orphelin de la Chine, que Voltaire dédia à Richelieu.

iii Richelieu ne dut être d'année, ou de service , qu'en 1757, comme premier gentilhomme de la chambre chargé des spectacles ; mais l'Orphelin fut joué le 20 août 1755.

iv Louis XV et Mme de Pompadour.

v Inoculation de la petite vérole ou variole ( maladie fréquemment mortelle), ancêtre de la vaccination .V* en est un ardent promoteur, lui qui faillit mourir de cette infection .

vi Plus exactement, au début du cours français du Rhône dont la source est au Valais en Suisse .http://fr.wikipedia.org/wiki/Rh%C3%B4ne

vii Richelieu est gouverneur de Guyenne et séjourna Montpellier .

http://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Fran%C3%A7ois_Armand_de_Vignerot_du_Plessis,_duc_de_Richelieu

 

 

La vengeance, monsieur, fatigue l'âme, et la mienne a besoin d'un grand calme

 

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Je meurs où je m'attache, dit l'un .

 

 

 

« A M. GUYOT DE MERVILLE 1

Avril [1755]

La vengeance, monsieur, fatigue l'âme, et la mienne a besoin d'un grand calme. Mon amitié est peu de chose, et ne vaut pas les grands sacrifices que vous m'offrez. Je profiterai de tout ce qui sera juste et raisonnable dans les quatre vohvmes de critiques que vous avez faites de mes ouvrages, et je vous remercie des peines infinies que vous avez généreusement prises pour me redresser. Si les deux satires que Rousseau et Desfontaines vous suggérèrent contre moi sont agréables, le public vous applaudira. Il faut, si vous m'en croyez, le laisser juge.
La dédicace de vos ouvrages, que vous me faites l'honneur de m'offrir, n'ajouterait rien à leur mérite, et vous compromettrait auprès du gentilhomme à qui cette dédicace est destinée. Je ne dédie les miens qu'à mes amis. Ainsi, monsieur, si vous le trouvez bon, nous en resterons là.2 »

 

1 Réponse à la lettre de Guyot de Merville du 15 avril .

 

2 Guyot de Merville rendra visite à V* qui le recevra froidement et ne donnera aucune suite au projet éditorial de Guyot .

 

il est plus grand de reconnaître ses fautes que de n'en jamais faire

 

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« DE GUYOT DE MERVILLE i

A Lyon, le 15 d'avril 1755.

Vous ne pouvez pas ignorer, monsieur, que je suis établi à Genève depuis deux ans. Dans l'espèce de nécessité où les mauvais procédés des comédiens français de Paris m'ont mis de fuir leur présence, il n'y avait point de retraite qui convint mieux au penchant naturel que j'ai pour le repos et pour la liberté. Je suis d'autant plus content de mon choix que d'autres raisons vous ont déterminé pour le même asile. Mais ce n'est pas assez que nos goûts s'accordent, il faut encore que nos sentiments se concilient. Quel désagrément pour l'un et pour l'autre, si, habitant les mêmes lieux et fréquentant les mêmes maisons, nous ne pouvions ni nous voir ni nous parler qu'avec contrainte, et peut-être avec aigreur ! Je sais que je vous ai offensé; mais je ne l'ai fait par aucune de ces passions qui déshonorent autant l'humanité que la littérature.
Mon attachement à Rousseau ii, ma complaisance pour l'abbé Desfontaines , sont les seules causes du mal que j'ai voulu vous faire, et que je ne vous ai point fait. Leur mort vous a vengé de leurs inspirations, et le peu de fruit des sacrifices que je leur ai faits m'a consolé de leur mort. Mille gens pourraient vous dire, monsieur, que je vous estime plus que vos partisans les plus zélés, parce que je vous estime moins légèrement et moins aveuglément qu'eux. La preuve en est incontestable. Dauberval, comédien à Lyon, dont vous avez goûté les talents, et dont vous adoreriez le caractère si vous le connaissiez comme moi, peut vous certifier que je le chargeai, trois jours avant votre départ subit et imprévu, des vers que je vous envoie. Je profitais du passage que vous faisiez en cette ville, où je n'étais aussi qu'en passant. Ces vers sont encore plus de saison que jamais, puisque je serai à Genève le 22 de ce mois, et que nous y voilà fixés tous les deux. Je n'ai rien à y ajouter que les offres suivantes.
J'ai fait, en quatre volumes manuscrits, la critique de vos ouvrages; je vous la remettrai. Il y a à la tête de ma première comédie une lettre dont Roussel m'écrivit autrefois que vous aviez été choqué; je la supprimerai dans l'édition que je prépare de mes œuvres. L'abbé Desfontaines a fait imprimer deux pièces de vers qu'il m'avait suggérées contre vous; je les supprimerai aussi. C'est à ce prix que je veux mériter votre amitié.
Je ferai plus. Mes Œuvres diverses iii en deux volumes sont dédiées à un gentilhomme du pays de Vaud, qui brûle de vous voir, et que vous serez bien aise de connaître; pour convaincre le public de la sincérité de mes intentions et de ma conduite à votre égard, je suis prêt, si vous le permettez, à vous dédier mon théâtre en quatre volumes. Je ne crois pas que vous puissiez rien exiger de plus.
Mais, à propos d'édition, il est bien temps, monsieur, que vous pensiez, ainsi que moi, à en faire paraître une de vos ouvrages, sous vos yeux, et de votre aveu. Le public l'attend avec impatience, parce qu'il ne croira jamais vous tenir que vous ne vous donniez vous-même. Vous êtes à Genève en place pour cela et je me charge, si vous voulez, d'une partie du matériel de cette impression, comme vous m'avez chargé, à la Haye, il y a plus de trente ans, de la correction des épreuves de la Henriade .
J'envoie copie de cette lettre, et des vers qui l'accompagnent, à M. de Montpéroux iv, qui m'honore de son estime et de son affection. Je me flatte qu'il voudra bien appuyer le tout. Mais est-il besoin que monsieur le résident joigne sa recommandation à ma démarche ? Ne savez-vous pas, monsieur, qu'il est plus grand de reconnaître ses fautes que de n'en jamais faire, et plus glorieux de pardonner que de se venger? Je parle à Voltaire, et c'est Merville qui lui parle. Vous voyez que je finis en poète; mais ce n'est pas en poète, c'est en ami, c'est en admirateur, c'est en homme qui pense, que je vous assure de l'estime singulière et du dévouement parfait avec lequel je suis, monsieur, etc. 

Guyot de Merville »

 

i Michel Guyot de Merville, né à Versailles le 2 février 1696, se noya volontairement dans le lac de Genève le 4 mai 1755; il y a plusieurs autres versions sur sa mort.

Voir : http://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/journaliste/382-michel-guyot-de-merville

ii Jean-Baptiste Rousseau qui fut en exil à Bruxelles .

iii Beuchot écrivit cette note à ce sujet : « Je n'ai pu me procurer ces deux volumes. Dans la notice qui est en tête des Œuvres de théâtre de Guyot de Merville, 1766, trois volumes in-12, on rapporte un assez long fragment d'une lettre du gentilhomme du pays de Vaud; mais on ne donne pas son nom. »

iv Résident de France à Genève .

 

11/01/2012

vous avez deux grandes consolations, la philosophie et du tempérament

 

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 Lit vide, nid vide 

 

 

« A M. de BRENLES

Aux Délices, 16 avril [1755]

Je partage votre douleur, monsieur, après avoir partagé votre joie 1; mais heureux ceux qui, comme vous, peuvent réparer leur perte au plus vite, je ne serais pas dans le même cas. Bien loin de faire d'autres individus, j'ai bien de la peine à conserver le mien, qui est toujours dans un état déplorable. En vérité, je commence à craindre de n'avoir pas la force d'aller sitôt à Monrion.
Soyez bien sûr, monsieur, que mes maux ne dérobent rien au tendre intérêt que je prends à tout ce qui vous touche. Je crois que Mme de Brenles et vous avez été bien affligés mais vous avez deux grandes consolations, la philosophie et du tempérament 2. Pour moi, je n'ai que de la philosophie; il en faut assurément pour supporter des souffrances continuelles qui me privent du bonheur de vous voir. Ma nièce s'intéresse à vous autant que moi, elle vous fait les plus sincères compliments, aussi bien qu'à Mme de Brenles. Nous apprenons que vous avez un nouveau bailli ce sera un nouvel ami que vous aurez.
Adieu, mon cher monsieur; je suis bien tendrement à vous pour jamais.

 

V. »

 

 

2 Ici, V* sous entend : « Avoir du tempérament, être porté au plaisir physique de l'amour ». Voir par exemple la lettre à Mlle de Lubert :

Les neuf bégueules savantes

Avec leurs têtes de pédantes

...

Avaient peu de tempérament.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Marguerite_de_Lubert

 

 

 

10/01/2012

vous avez la permission de vous faire admirer à Lyon tant qu'il vous plaira

Si Lekain eut la permission de se "faire admirer" à Lyon en 1755, moi, je connais quelqu'un d'autre qui en toute simplicité et une ténacité extraordinaire travaille à faire connaître Volti au monde entier . Mam'zelle Wagnière , que Volti vous garde et vous "embrasse tendrement", autant que vous l'admirez .

 

paqueretteDSCF483.JPGSi j'ai bien compté, en effeuillant cette paquerette, on arrive à "passionnément" !


 

 « A M. LEKAIN.

Aux Délices, près de Genève, 14 avril 1755.

M. le duc de Richelieu, tout malade qu'il est, n'a point perdu de temps, mon cher et grand acteur. Il a écrit à M. de Roche-Baron 1, et vous avez la permission de vous faire admirer à Lyon tant qu'il vous plaira 2. Vous devez avoir reçu cette permission, dont vous doutiez, nous vous en faisons notre compliment, Mme Denis et moi. Vous recevrez peut-être ce petit billet à Paris.
Aimez-nous dans quelque pays qu'on vous admire. Je vous embrasse tendrement.

V. »

1 Louis-Marie-Augustin de La Rochebaron, duc d’ Aumont(1709-1782), premier gentilhomme de la chambre, responsable des divertissements de la cour, et de la Comédie-Française .

 

09/01/2012

heureux celui qui contemple ces débats, et qui en rit en secret!

 

merci kala 484.JPG

Inspiré par Kala69, que je remercie pour le partage de ses oeuvres d'art photographiques .

Voici la réponse de Dupont à la lettre du 6 avril de Voltaire .

 

 

 

 

« DE M. DUPONT

 

Avocat.

Colmar, 15 avril 1755.

Vous m'écrivez des Délices. Que cette terre est bien nommée vous y habitez. Lorsque vous étiez à Colmar, j'aurais pu dater de même. Tandis que vous élevez des murs sur un terrain étranger, je vous élève des autels dans mon cœur. J'envie le sort de vos ouvriers. Ils vous voient, ils vous entendent; que ne suis-je au milieu d'eux ! Hélas l le destin ne le veut pas, il faut bien s'y soumettre, malgré qu'on enrage. On a cela de commun avec Jupiter.
Vos infirmités me désespèrent. Faut-il donc que la santé imite la fortune, et qu'elle ne se donne qu'à des gens qui en font mauvais usage ? Encore la fortune est-elle plus judicieuse, du moins vous a-t-elle bien traité à quelques égards. Mais pour la santé, elle vous a toujours été cruelle. L'espèce de gens qu'elle traite bien dégoûte de ses faveurs. Heureusement vous avez su vous en passer, persistez dans votre mépris, puisqu'elle persiste dans son oubli; continuez à faire votre corps tous les matins, et votre exemple apprendra aux hommes l'art de digérer sans estomac, le secret d'être gai dans les douleurs et de se bien porter étant malade. Conservez votre corps au milieu des maladies, comme un pilote habile conserve son vaisseau au milieu des orages; et si la Providence veut que l'on croie ce que l'on dit de la longue vie des patriarches, qu'elle vous fasse durer en années ce que vos écrits dureront en siècles, vous méritez bien ce miracle. Après avoir lu les deux Électres de Sophocle et d'Euripide, les Choéphores d'Eschyle, et l'Électre de Crébillon, j'ai lu la tragédie d'Oreste. Ah ! quelle différence ! si l'un des trois Grecs avait fait Oreste, avec quel transport d'admiration n'en parlerait-on pas?

Le parlement a osé dire dans un arrêt qu'il y avait abus dans l'exécution de la bulle Unigenitus. C'était donner un coup de couteau dans la cuisse du bœuf Apis. Le conseil d'État vient de punir cet horrible sacrilége en cassant l'arrêt du parlement; on imite assez bien les anciens prêtres d'Égypte : on punit ceux qui ne sont pas superstitieux ; heureux celui qui contemple ces débats, et qui en rit en secret!

Mme et MM. de Klinglin ont été enchantés de votre ressouvenir. Nous avons vu ici l'ex-préteur. Quel stoïcien , il a autour du cœur une cuirasse d'airain qui émousse tous les traits de la mauvaise fortune. Aucun n'a pu pénétrer ; quoique tout le monde le trouve malheureux, il est heureux à sa manière.

Que ferai-je avec M. de Paulmy? Y songez-vous? Ressouvenez-vous qu'Horace bégayait devant Mécène quand il y fut présenté par Virgile; que fera donc un pauvre diable qui n'a ni langue ni plume que pour dire et pour écrire, en mauvais style, qu'il vous est entièrement dévouè, et qu'il n'a d'autre bonheur que de penser que vous daignez quelquefois vous ressouvenir de lui? »