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19/03/2011

il faut séparer toute espèce de religion de toute espèce de gouvernement

"Les hommes ne sont pas encore assez sages", "Je mourrai avec la douleur de n'avoir pas vu cet heureux temps".

Mon pauvre Volti ! ton pronostic pessimiste, mais en réalité terriblement vrai, ne pas voir la religion être une affaire privée, seulement privée.

Le choix de sa nourriture céleste comme on choisit sa nourriture terrestre, mais quand verra-t-on cette liberté ?

La lettre de ce jour me plait particulièrement .

Je vous recommande, aussi particulièrement, la lecture du "Catéchisme du Japonais".

 

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« A Élie Bertrand

Premier pasteur de l'Église française, membre de plusieurs académies etc. à Berne

 

A Ferney 19è mars 1765

 

Mon cher philosophe, vous n'êtes pas de ces philosophes insensibles qui cherchent froidement les vérités ; votre philosophie est tendre et compatissante . On a été très bien informé à Berne du jugement souverain en faveur des Calas i, mais j'ai reconnu à certains traits votre amitié pour moi . Vous avez trouvé le secret d'augmenter la joie pure que cet heureux évènement m'a fait ressentir . Je ne sais point encore si le roi a accordé une pension à la veuve et aux enfants , et s'ils exigeront des dépens, dommages et intérêts de ce scélérat de David ii qui se meurt . Le public sera bientôt instruit sur ces articles comme sur le reste . Voilà un évènement qui semblerait devoir faire espérer une tolérance universelle, cependant on ne l'obtiendra pas sitôt, les hommes ne sont pas encore assez sages ; ils ne savent pas qu'il faut séparer toute espèce de religion de toute espèce de gouvernement ; que la religion ne doit pas plus être une affaire d'État que la manière de faire la cuisine iii: il doit être permis de prier Dieu à sa mode, comme de manger selon son goût ; et que pourvu qu'on soit soumis aux lois, l'estomac et la conscience doivent avoir une liberté entière . Cela viendra un jour, mais je mourrai avec la douleur de n'avoir pas vu cet heureux temps .

 

Je vous embrasse avec la plus vive tendresse .

 

V[OLTAI]RE. »

 

i La réhabilitation des Calas ; voir lettre du 17 mars aux d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/03/17/m...

ii David de Beaudrigue, capitoul de Toulouse .

http://histoire-geographie.ac-toulouse.fr/web/509-proces-...

iii Voir le « Catéchisme du japonais » dans le Dictionnaire philosophique .

http://www.voltaire-integral.com/Html/18/catechisme_du_ja...

 

18/03/2011

S'il n'y avait que ces évènements-là dans le monde, tout serait bien

-Allo ! Allo James ! Quelles nouvelles ?

-Tout va très bien Mme la Marquise :  http://www.deezer.com/listen-306663

Voilà la pensée qui m'est venue hier en écoutant une émission de divertissement à la radio .

Libye ? oubliée !

Japon ? évaporé !

Et je me limite, immédiatement, à ce qui est le plus frappant .

La liste des motifs de pleurs serait trop longue, au moins aussi longue que celle des bonnes actions humaines,... ce qui vous démontre mon incorrigible optimisme .

"Tout serait bien" si ...

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«  A Élie Bertrand

Pasteur de l'Église française à Berne .

 

Aux Délices 18 mars [1756]

 

Je reçois dans le moment, mon cher Monsieur, votre lettre toute pleine d'étranges nouvelles qui demandent un peu de confirmation . Le docteur Tronchin vint coucher chez moi à Montriond sur sa route . Mais l'objet de son voyage est encore très incertain pour le public i. Voici une autre nouvelle non moins singulière, c'est que je suis invité à aller entendre le 27 de ce mois à Berlin l'opéra Mérope que le roi de Prusse a composé sur ma tragédie ii. S'il n'y avait que ces évènements-là dans le monde, tout serait bien . J'ai plus envie de venir vous voir à Berne que d'aller entendre à Berlin de la musique italienne . Mandez-moi, je vous prie, quel jour M. le baron de Freydenreik partira, car je ne veux aller à Berne que quand il y sera . Dites-moi aussi je vous en prie, si vous avez reçu mon paquet . Continuez-moi vos bontés .

 

V. »

 

i A la duchesse de Saxe-Gotha le 22 mars : « Le médecin Tronchin était à Paris dans le temps qu'on le disait à Cassel » ; « Apollon-Esculape » y « déracine les préjugés ... et inocule nos princes » et il y est fêté .

http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/03/22/s... 

Elle est condamnée par les médecins, elle vivra

 

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

 

18è mars 1767

 

Voici, mon cher ami, une réponse de M. de Beaumont . Son mémoire 1 réussit beaucoup . S'il avait conservé cette belle épiphonème : Vous n'avez point d’enfants ! il aurait réussi davantage, mais tel qu'il est il inspire la pitié et la conviction .

 

On dit qu'on juge le procès d'Obéide 2 le 23 . J'espère que madame la dauphine gagnera le sien . Elle est condamnée par les médecins, elle vivra .

 

On me parle d'une lettre de l'abbé Mauduit 3; je ne sais ce que c'est .

 

Je vous embrasse tendrement . E[crasez] L[Infâme] .

 

Voici une réponse d'un moine à une héroïde de l'abbé de Rancé 4; le moine vaut mieux que l'abbé . C'est , à mon gré , le meilleur ouvrage de M. de La Harpe . Faites-en faire tant de copies qu'il vous plaira . Et ensuite, ayez la bonté d'envoyer cet exemplaire avec la lettre ci-jointe à M. Barthe, secrétaire de l'abbé de la Trappe. »


1 Le mémoire de l'avocat Élie de Beaumont sur l'affaire Sirven . Sur la copie, « Ce bel »  est corrigé en « cette belle (épiphonème) ». http://fr.wikipedia.org/wiki/Épiphonème

2 C'est-à-dire qu'on représente Les Scythes ; la pièce sera représentée en fait le 26 et ce sera un échec .http://www.voltaire-integral.com/Html/06/04SCYTHE.htm

http://dumas.ccsd.cnrs.fr/docs/00/43/38/02/PDF/Bonfand_Y....

3 Anecdote sur Bélisaire, de V*, qu'il attribue à l'abbé Mauduit .http://www.voltaire-integral.com/Html/26/09_Belisaire.html

4 Nicolas-Thomas Barthe avait publié une Lettre de l'abbé de Rancé à un ami, écrite de son abbaye de la Trappe,1765 ; http://fr.wikipedia.org/wiki/Nicolas_Thomas_Barthe

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5468163z.pdf

La Harpe répliqua par la Réponse d'un solitaire de la Trappe à la lettre de l'abbé de Rancé, où il faisait mine d'être moine et attaquait l'institution monastique ; puis V* composa une préface et publia le tout dans les Choses utiles et agréables .

17/03/2011

le ministre qui protège le peuple, et qui inspire à Pharaon l'esprit de sagesse et d'économie, vaut beaucoup mieux que le ministre des sept vaches maigres et des sept vaches grasses, qui ne fit manger du pain au peuple qu'en le rendant esclave

Jean Ferrat : 

http://www.deezer.com/listen-2554415

http://www.deezer.com/listen-2554495 : "... De temps en temps la terre tremble , Le malheur au malheur ressemble , Il est profond, profond, profond ; Vous voudriez au ciel bleu croire, je le connais ce sentiment , J'y crois aussi , moi, par moment ..."

J'ose croire que le pire n'arrivera pas au Japon . J'ose croire que les antinucléaires vont cesser leurs jérémiades . J'ose croire qu'on va évoluer vers des économies d'énergie significatives . J'ose croire que dans le même temps on n'oubliera pas les Libyens  révoltés  .

http://www.deezer.com/listen-2748154 : combien de Français ont eu la chance d'entendre ce chant sur les ondes dans les années 70 ?

http://www.deezer.com/listen-2554386 : CQFD

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« A Jean de Vaines

 

17è mars 1776

 

Voici, Monsieur, ce Sésostris i qui est un peu moins incorrect que la copie qui court dans Paris . Je ne sais si Messieurs feront brûler ce petit ouvrage, et si la Sorbonne excommuniera l'auteur comme hérétique sentant l'hérésie .

 

On prétend que Messieurs dans leurs remontrances ont dit qu'ils ne doutaient pas que la bonté et l'humanité de Sésostris ne l'engageassent à maintenir les corvées, et à faire travailler les gens loin de chez eux sans leur donner ni à manger ni à boire . Mais le roi d'Égypte ii leur aura répondu, sans doute, que ses ancêtres donnèrent du pain et des oignons à ceux qui bâtirent les pyramides.

 

J'ai surtout la plus grande espérance dans la vertu persévérante de M. Turgot . Je maintiendrai toujours malgré la Sorbonne et Messieurs, que le ministre qui protège le peuple, et qui inspire à Pharaon l'esprit de sagesse et d'économie, vaut beaucoup mieux que le ministre des sept vaches maigres et des sept vaches grasses, qui ne fit manger du pain au peuple qu'en le rendant esclave iii.

 

Je suis très fâché, Monsieur, d'être trop vieux pour voir encore un an ou deux du règne de ce Sésostris dont vous êtes le lecteur iv. J'attends avec impatience ses édits enregistrés ou non enregistrés . Ceux que j'ai lus jusqu'à présent me paraissent tout à fait dans le goût chinois . Ils encouragent à la vertu, et ils promettent le bonheur ; ces deux choses sont de votre ressort .

 

Voilà beaucoup de Sésostris qui se mettent sous votre protection .

 

V. »

 

i « Conte en vers » en l'honneur de Louis XVI, envoyé à d'Argental le 6 mars en disant : « Vous n'êtes pas hors de portée de le faire parvenir à M. de Maurepas ... » voir Lettre MMMMMMMXCVI page 176 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80042j/f181.image.r...

Sésostris : http://www.voltaire-integral.com/Html/10/12_Sesostris.html

ii Ici, V* parle de Louis XVI ; voir lettre du 13 mars à Audibert : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/03/12/l...

iv Lecteur du cabinet du roi .

16/03/2011

queste coglionerie mi trastullano un poco

Les "coïonneries" de Volti me réjouissent toujours, et celle du jour m'incite à faire appel à Mam'zelle Wagnière qui doit, avec moi,  féliciter son pépé d'avoir donné ce bon titre à cette lettre .

 

 

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Il a l'art de faire remarquer, sans y toucher, que son correspondant ne lui écrit pas beaucoup, de donner des nouvelles en paraisssant les recevoir, de faire des demandes en soufflant les réponses, un jeu terriblement agréable à mes yeux.

A ce propos, Mam'zelle Wagnière, moi aussi je ne suis pas très assidu dans ma correspondance, mais soyez persuadée que je pense d'autant plus à vous que je vous écris peu . Je n'ai pas une réputation de bavard à défendre . 

http://www.deezer.com/listen-3984205

 

 

 

 

 

 

 

 

« A Etienne-François de Choiseul-Stainville, duc de Choiseul

 

« Folie à M. le duc de Choiseul i»

 

16è mars 1768

 

J'ai reçu avec satisfaction la lettre de bonne année que vous avez pris la peine de m'écrire en date du 4 janvier ; je continuerai toujours à vous donner des marques de mes bontés ; et quoique vous radotiez quelquefois j'aurai de la considération pour votre vieillesse, attendu que je connais votre sincère attachement pour ma personne, et les idées que vous avez de mon caractère . J'ai souvent fait des grâces à des Genevois quand vous m'en avez prié, quoiqu'ils ne les méritent guère . Ils m'ont excédé pendant deux ans pour leurs sottes querelle ; et quand ils ont obtenu un jugement définitif, ils ne s'y sont point tenus . C'était bien la peine que je leur fis l'honneur de leur envoyer un ambassadeur du Roi ii!

 

Je sais que vous avez très bien traité les troupes que j'ai fait séjourner neuf mois dans vos quartiers, que vous avez fourni le prêt à la légion de Condé iii, que vous avez eu dans votre chaumière pendant deux mois M. de Chabrillant iv et tous les officiers du régiment de Conti, et si M. de Chabrillant, chargé des plus importantes affaires, a oublié de marquer sa satisfaction à madame Denis qui lui a fait de son mieux les honneurs de votre grange, je prends sur moi de vous savoir gré de votre attention pour les officiers et des couvertures que vous avez fait donner aux soldats dans votre hameau .

 

Je n'ignore pas que le grand chemin ordonné par moi pour aller de l'inconnu Meyrin à l'inconnu Versoix dans l'inconnu pays de Gex vous a coupé quatre belles prairies, et des terres que vous ensemencez au semoir v. Cela aurait ruiné l'homme aux quarante écus vi de fond en comble, mais je vous conseille d'en rire .

 

Tout décrépit que vous êtes, on ne dira pas que vous êtes vieux comme un chemin ; car vous avez, ne vous en déplaise, soixante et quatorze ans passés et mon chemin de Versoix n'a qu'un an tout au plus .

 

Je sais que vous avez pleuré comme un benêt de ce que j'ai opiné dans le Conseil contre la requête de Sirven . Vous êtes trop sensible pour un vieillard goguenard tel que vous êtes . Ne voyez-vous pas que toutes les formes s'opposaient à l'admission de la requête de Sirven vii, et que dans les circonstances où je suis, il y a des usages consacrés que je ne dois jamais heurter de front ?

 

Consolez-vous . Je sais que Sirven est dans votre maison avec sa famille . Elle est bien infortunée et bien innocente . J'en aurai soin, je leur donnerai dans Versoix un petit emploi qui avec ce que vous leur fournissez les fera vivre doucement . Je ferai le bien que je peux, mais il m'est impossible de tout faire .

 

On m'a dit que La Harpe s'était pressé d'apporter à Paris votre second chant de La Guerre de Genève qui n'était pas achevé viii. Il faut que vous le raccommodiez . Est-il vrai qu'il y a cinq chants ?

 

Envoyez-les moi, queste coglionerie mi trastullano un poco ix. Elles me délassent de mille requêtes inconsidérées, et de mille propositions ridicules que je reçois tous les jours .

 

Je veux que vous me donniez la nouvelle édition du Siècle de Louis XIV . C'était un beau siècle, celui-là, pour les gens de votre métier . Je suis fâché d'avoir oublié de recommander à Taulès de vous fournir des anecdotes . Votre ouvrage en vaudrait mieux . C'est un monument que vous érigez en l'honneur de votre patrie . Je pourrai le présenter au roi dans l'occasion .

 

Portez-vous bien, et si vous avez quelques petits calculs dans la vessie et dans l'urètre prenez du remède espagnol x. Je m'en trouve bien . L'Espagne doit contribuer à ma guérison puisque j'ai contribué à sa grandeur et à celle de la France par mon pacte de famille xi.

 

Bonsoir ma chère marmotte, je crois que je deviens aussi bavard que vous .

 

15 mars 1768 signé Le duc de Choiseul. »

 

i Ce titre a été donné par Wagnière sur la minute de cette lettre pastiche où V* « simule » la lettre que pourrait lui adresser Choiseul .

ii Pour présider à la médiation ; Le Règlement de la Médiation a été refusé par le Conseil général le 15 décembre 1766 ;

voir lettre du 8 mars 1768 à Mme Denis : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/03/08/j...

 

iii Il a fourni l'argent avec lequel les officiers font l'avance de la paie aux soldats .

iv Joseph Dominique de Moreton, marquis de Chabrillan , colonel à 20 ans du régiment de Conti infanterie .

v V* était très fier de son semoir à cinq socs , à une époque où l'on sème encore à la main .

 

vi Allusion au conte du même titre paru en 1768 .

Voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-conte-l-homme-a...

etc.

vii On avait demandé que l'affaire Sirven soit révisée par le Conseil du roi et non par le parlement de Toulouse .

Cf. lettre à Chardon du 3 février 1768 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/02/04/r...

 

ix Ces couillonneries m'amusent un peu .

xUne plante appelée Chanca piedra = briseur de pierre, en espagnol : voir : http://www.alphanatura.com/exportproduct/FRA/np3-02.html

xi Traité d'alliance entre France et Espagne signé le 15 août 1761 .

 

 

 

15/03/2011

Que n'avons-nous à la tête du gouvernement des cœurs comme le vôtre !

Y'a qu'des honnet' gens dans l'gouvernement :

http://www.deezer.com/listen-232757

Qu'en dites-vous ? Ecoutez bien ! Ce chant du début du XXè siècle a encore un air d'actualité au début du siècle suivant . Que voulez-vous, les humains sont toujours faits de la même matière et obéissent aux mêmes besoins et désirs . Dur, le progrès vers le bien .

Mais bien sûr, vous le sentez bien (?!) : J'suis d'l'avis du gouvernement  :

http://www.deezer.com/listen-9240235

 

"Son nom d'Elie me fait soupçonner qu'il n'est pas d'une famille papiste, et la générosité de son âme me persuade qu'il est un de nos frères"

C'est quand même plus élégant que le "Il n'a pas une tête bien catholique" dit par l'outrecuidant Frèche (heureusement décédé !) à l'encontre de Laurent Fabius . Mais il est vrai que l'outre montpelliéraine tonitruante était loin d'avoir les qualités de Volti .

1718mort-aux-rats.png

http://www.lapin.org/index.php?number=1718#strips

 

 

 

 

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

 

15è mars 1765

 

Que vous avez une belle âme ! Mon cher frère . Au milieu des soins que vous vous donnez pour les Calas vous portez votre sensibilité sur les Sirven . Que n'avons-nous à la tête du gouvernement des cœurs comme le vôtre ! Par quel aveuglement funeste peut-on souffrir encore un monstre qui depuis quinze cents ans déchire le genre humain, et qui abrutit les hommes quand il ne les dévore pas ?

 

M. M. d'Argental doit recevoir dans quelques jours deux paquets de mort-au-rats, qui pourront au moins donner la colique à l'Infâme . Il doit partager la drogue avec vous i.

 

Je crois qu'en effet il ne sera pas mal de publier la lettre qu'un certain V. vous a écrite sur les Calas et sur les Sirven ii. Cela pourra préparer les esprits, et on verra ce qu'on pourra faire avec M. d'Argental . M. le premier président de Toulouse iii est très bien disposé . Il s'agira de voir si M. le vice-chancelier iv voudra qu'on ôte à ce parlement une affaire qui lui ressortit de plein droit . Les Sirven ont été condamnés à Castres ; s'ils vont à Toulouse n'est-il pas à craindre que les juges irrités ne fassent rouer, pendre, brûler ces pauvres Sirven, pour se venger de l'affront que la famille Calas leur fait essuyer v? Je ferai un mémoire que je vous enverrai . Mais ces Sirven sont bien moins instruits des procédures faites contre eux que ne l'étaient les Calas . Ils ne savent rien, sinon qu'ils ont été condamnés, et qu'ils ont perdu tout leur bien . D'ailleurs, n'étant jugés que par contumace, je ne vois pas comment on pourrait faire pour les soustraire à leurs juges naturels .

 

Le procédé de M. de Beaumont m'inspire de la vénération vi. Son nom d'Elie me fait soupçonner qu'il n'est pas d'une famille papiste, et la générosité de son âme me persuade qu'il est un de nos frères . Laissons d'ailleurs juger les Calas, ne troublons pas actuellement leur triomphe par une nouvelle guerre . Je me flatte bien que vous m'apprendrez le plein succès auquel je m'attends vii. On verra immédiatement après ce qu'on pourra faire pour les Sirven . Ce sera une belle époque pour la philosophie qu'elle seule ait secouru ceux qui expiraient sous le glaive du fanatisme . Remarquez, mon cher frère, qu'il n'y a pas eu un seul prêtre qui ait aidé les Calas, car Dieu merci l'abbé Mignot viii n'est pas prêtre .

 

Voulez-vous bien faire parvenir le petit billet ci-joint à la veuve Calas ix?

 

Adieu, mon cher frère, vous êtes un homme selon mon cœur ; votre zèle est égal à votre raison . Je hais les tièdes .

 

Qu'est-ce, je vous prie , que Le Pyrrhonien raisonnable du marquis d'Autrey x, qui croit prouver géométriquement le péché originel ? Ecr l'Inf, écr l'Inf vous dis-je . Je vous embrasse de toutes mes pauvres forces . »

 

 

i Le même jour V* informe d'Argental qu'il lui envoie 16 brochures à partager avec Damilaville ; il y a sans doute le Dictionnaire Philosophique ; cf. lettre MMMMCCCLV du 15 mars à d'Argental page 175 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80037z/f180.image.r...

ii Lettre datée du 1er mars à Damilaville : lettre MMMMCCCXLVIII page 165 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80037z/f180.image.r...

qui sera mise en brochure in-8 de 16 pages . Damilaville lui a écrit le 7 mars qu'il ferait imprimer cette lettre .

iii François de Bastard , premier président du parlement de Toulouse 1762-1768, puis conseiller d'Etat, il fut chancelier du duc d'Artois.

iv Maupéou.

v Le Conseil du roi avait cassé l'arrêt du parlement de Toulouse condamnant les Calas .

vi « Le généreux Élie veut encore défendre l'innocence des Sirven » après avoir défendu les Calas ; lettre à Damilaville du 9 mars, page 170 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80037z/f175.image.r...

vii La réhabilitation de Jean Calas.

viii Neveu de Voltaire .

ix C'est un simple billet amical.

x Le Pyrrhonien raisonnable ou Méthode nouvelle proposée aux incrédules par M. l'abbé de ***, 1765, de Henri-Jean-Baptiste Fabry de Moncault, comte d'Autrey .

 

14/03/2011

l’amour : c’est une passion pour laquelle j’ai le plus profond respect ; mais je pense, comme Votre Majesté, qu’il ne faut pas qu’elle se développe de très bonne heure

Avec les Demoiselles de Saint-Cyr :

http://www.deezer.com/listen-2743008

Et indirectement, pour St François (de Volti ?! ):

http://www.deezer.com/listen-2743009

Gloire (à Catau ?! ) :

http://www.deezer.com/listen-2743011

 

 

 

« A Catherine II, impératrice de Russie

 

 

A Ferney, 12è mars 1772

 

         Madame,

 

La lettre de votre majesté impériale, du 30 Janvier/10 février, bien ou mal datée i, semble m’avoir ranimé, comme vos lettres à vos généraux d’armée semblent devoir faire tomber Moustapha en faiblesse.

 

L’article de vos cinq cents demoiselles ii m’intéresse infiniment. Notre Saint-Cyr n’en a pas deux cent cinquante. Je ne sais si vous leur faites jouer des tragédies ; tout ce que je sais, c’est que la déclamation, soit tragique, soit comique, me paraît une éducation excellente, qui donne de la grâce à l’esprit et au corps, qui forme la voix, le maintien, et le goût ; on retient cent passages qu’on cite ensuite à propos ; cela répand des agréments dans la société, cela fait tous les biens du monde.

 

Il est vrai que toutes nos pièces roulent sur l’amour : c’est une passion pour laquelle j’ai le plus profond respect ; mais je pense, comme Votre Majesté, qu’il ne faut pas qu’elle se développe de très bonne heure. On pourrait, ce me semble iii, retrancher de quelques comédies choisies les morceaux les plus dangereux pour de jeunes cœurs, en laissant subsister l’intérêt de la pièce ; il n’y aurait peut-être pas vingt vers à changer dans le Misanthrope, et pas quarante lignes dans l’Avare.

 

Si ces demoiselles jouent des tragédies, un jeune homme de mes amis iv en a fait une depuis peu, dans laquelle on ne peut pas dire que l’amour joue un rôle : ce sont deux espèces de Tartares qui se regardent plutôt comme époux que comme amants ; je l’enverrai à Votre Majesté Impériale dès qu’elle sera imprimée. Si elle juge qu’on puisse former un théâtre de nos meilleurs auteurs pour l’éducation de votre Saint-Cyr, je ferai venir de Paris des tragédies et des comédies en feuilles ; je les ferai brocher avec des pages blanches, sur lesquelles je ferai écrire les changements nécessaires pour ménager la vertu de vos belles demoiselles. Ce petit travail sera pour moi un amusement v, et ne nuira pas à ma santé, toute faible qu’elle est. Je serai d’ailleurs soutenu par le plaisir de faire quelque chose qui puisse vous plaire.

 

Je suppose que votre bataillon de cinq cents filles est un bataillon d’amazones, mais je ne suppose pas qu’elles bannissent les hommes ; il faut bien qu’en jouant des pièces de théâtre, la moitié pour le moins de ces jeunes héroïnes fasse des personnages de héros ; mais comment feront-elles celui de vieillard dans les comédies ? En un mot, j’attends les instructions et les ordres de Votre Majesté sur tout cela.

 

Je doute que Moustapha donne une si bonne éducation aux filles de son sérail. Je le crois d’ailleurs, en comique, un fort mauvais plaisant, et, en tragique, je ne le crois pas un Achille.

 

Ce que j’admire, Madame, c’est que vous satisfaites à tout ; vous rendez votre cour la plus aimable de l’Europe, dans le temps que vos troupes sont les plus formidables. Ce mélange de grandeur et de grâces, de victoires et de fêtes, me paraît charmant. Tout mon chagrin est d’être dans un âge à ne pouvoir être témoin de tous vos triomphes en tant de genres, et d’être obligé de m’en rapporter à la voix de l’Europe.

 

J’ai bien un autre chagrin, c’est que mes compatriotes soient dans Cracovie , au lieu d’être à Paris vi. Je ne peux pas dire que je souhaite qu’ils vous soient présentés avec le grand-vizir par quelques-uns de vos officiers : cela ne serait pas honnête, et on dit qu’il faut être bon citoyen ; j’attends le dénouement de cette affaire, et celui de la pièce que l’on joue actuellement en Dannemark vii.

 

Le vieux malade se met aux pieds de Votre Majesté impériale avec le profond respect et l’attachement qu’il conservera jusqu’au dernier moment de sa vie.

 

V. »

 

 

 

 

 

 

i Rappel des deux dates mises sur les lettres de Catherine « ancien style » et « nouveau style », selon l'ancien ,-julien-, et le nouveau, -grégorien-, calendrier .

http://fr.wikipedia.org/wiki/Calendrier_gr%C3%A9gorien

 

ii Qu'elle fait éduquer dans un ancien couvent .

 

iii L'impératrice l'avait « prié de donner conseils » .

 

iv V*, sous le couvert du prétendu auteur des Lois de Minos .

 

v Catherine répondra : « Ah! Monsieur, vous m'obligerez infiniment si vous entreprenez en faveur de ces aimables enfants le travail que vous nommez un amusement , et qui coûterait tant de peine à tout autre ... »

Voir lettre 111 : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance-...

 

vi « Ils faisaient la plus glorieuse résistance dans le château de la ville », selon Georges Avenel qui annotera les Œuvres de Voltaire au XIXè siècle .

Ces officiers français étaient partis soutenir les Confédérés polonais . Entrés dans Cracovie dans la nuit du 1er au 2 février . Catherine répondra à V* le 30 mars /10 avril (ou 23 mars/3 avril) : « N'ayez pas peur ... vos Parisiens ... » ;

voir lettre 111 ci-dessus

et lettre du 30 mai à Richelieu : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/06/13/q...

 

vii Struensee, réformateur philosophe et ministre autoritaire, amant de la reine, est accusé de complot contre le roi, arrêté le 17 janvier 1772 et sera décapité le 28 avril 1772 . Frédéric décrit ce complot le 1er mars à V*.

 

http://www.deezer.com/listen-2743020
Ite missa est !...