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26/02/2011

Je ne sais pas ce qui est arrivé à notre nation, qui donnait autrefois de grands exemples en tout

Cette note datée du 26 février a été en fait mise en ligne le 13 mars . Son titre confirmé par l'actualité à cette date, l'était aussi le 26 février .

Je l'ai écrit en écoutant d'une oreille (oui, une seule suffit pour certaines choses) à la limite de la distraction M. Coppé/Copain-de-qui-vous savez, qui brasse beaucoup de vent pour défendre son beau parti de l'Union des Mauvais Perdants .

Sachez qu'à cette heure-ci, je n'ai pas poursuivi l'écoute de ce débat, qui selon la vedette citée, est le principal sujet de préoccupation des Français .

Pas un mot sur tous ceux qui dès le 15 mars vont se retrouver sur le pavé, le droit à l'expulsion arrivant à échéance . Que n'avons-nous une loi d'expulsion pour périodiquement, annuellement,  éliminer des politiciens sans intérêt !

 

 

 

« A Catherine II ,impératrice de Russie



26è février 1769,à Ferney i



  Cette belle et noire pelisse

Est celle que perdit le pauvre Moustapha,

Quand notre brave impératrice

De ses musulmans triompha ;

Et ce beau portrait que voilà,

C’est celui de la bienfaitrice

Du genre humain qu’elle éclaira.

 

         Voilà ce que j’ai dit, Madame, en voyant le cafetan dont votre majesté impériale m’a honoré, par les mains de M. le prince Kouslowsky, capigi bachi de vos janissaires, et surtout cette boite tournée de vos belles et augustes mains, et ornée de votre portrait ii.

 

Qui le voit et qui le touche

Ne peut borner ses sens à le considérer ;

Il ose y porter une bouche

Qu’il n’ouvre désormais que pour vous admirer.

 

         Mais quand on a su que la boite était l’ouvrage de vos propres mains, ceux qui étaient dans ma chambre ont dit avec moi :

 

Ces mains, que le ciel a formées

Pour lancer les traits des Amours,

Ont préparé déjà ces flèches enflammées,

Ces tonnerres d’airain dont vos fières armées

Au monarque sarmate iii assurent des secours ;

Et la Gloire a crié, de la tour byzantine,

Aux peuples enchantés que votre nom soumet :

Victoire à Catherine !

Nazarde à Mahomet !

 

         Qu’est devenu le temps où l’empereur d’Allemagne aurait, dans les mêmes circonstances, envoyé des armées à Belgrade, et où les Vénitiens auraient couvert de vaisseaux les mers du Péloponnèse ? Eh bien ! Madame, vous triompherez seule. Montrez-vous seulement à votre armée vers Kiovie, ou plus loin, et je vous réponds qu’il n’y a pas un de vos soldats qui ne soit un héros invincible. Que Moustapha se montre aux siens, il n’en fera que de gros cochons comme lui.

 

         Quelle fierté imbécile dans cette tête coiffée d’un turban à aigrette ! Tous les rois de l’Europe ne devraient-ils pas venger le droit des gens, que la Porte ottomane viole tous les jours avec un orgueil si grossier iv ?

 

         Ce n’est pas assez de faire une guerre heureuse contre ces barbares, pour la terminer par une paix telle quelle ; ce n’est pas assez de les humilier, il faudrait les détruire v. Un homme à idées neuves vi me disait il y a quelques jours qu'on pourrait aisément dans les vastes plaines où vos troupes vont marcher se servir avec succès des anciens chariots de guerre en les rectifiant . Il imaginait des chars à deux timons bordés à leur extrémité d'un large chanfrein qui couvrirait le poitrail des chevaux . Chaque char très léger serait conduit par deux fusiliers postés derrière le char sur une soupente . Ces chars précéderaient la cavalerie . Ce spectacle étonnerait les Turcs, et tout ce qui étonne subjugue . Ce qui ne vaudrait rien dans un pays entrecoupé ou montagneux pourrait être merveilleux en plaine, au moins pour une campagne . L'essai coûterait fort peu de chose . Il pourrait beaucoup servir sans nuire . Voila ce que me disait mon songe-creux . Et je le répète à l'héroïne de notre siècle . Elle en jugera d'un coup d'œil . Elle pourra en rire, mais elle pardonnera au zèle .



Pendant qu'elle se prépare contre le Turc elle forme un corps de loi . Je lis votre Instruction vii et je n'interromps ma lecture que pour achever ma lettre . Madame, Numa et Minos auraient signé viii votre ouvrage, et n'auraient pas été peut-être capable de le faire . Cela est net, précis, équitable, ferme, et humain. Soyez sûre que personne n’aura dans la postérité un plus grand nom que vous . Mais, au nom de Dieu, battez les Turcs, malgré le nonce du pape en Pologne, qui est si bien avec eux ix.

 

De tous les préjugés destructrice brillante,

Qui du vrai dans tout genre embrassez le parti,

Soyez à la fois triomphante

Et du saint-Père et du mufti.

 

         Eh ! Madame, quelle leçon Votre Majesté Impériale donne à nos petits-maîtres français, à nos sages maîtres de Sorbonne, à nos Esculapes des écoles de médecine x! Vous vous êtes fait inoculer, avec moins d’appareil qu’une religieuse ne prend un lavement. Le prince impérial a suivi votre exemple. M. le comte Orlof va à la chasse dans la neige, après s’être  fait donner la petite-vérole : voilà comme Scipion en aurait usé, si cette maladie, venue d’Arabie, avait existé de son temps.

 

         Pour nous autres, nous avons été sur le point de ne pouvoir être inoculés que par arrêt du parlement. Je ne sais pas ce qui est arrivé à notre nation, qui donnait autrefois de grands exemples en tout ; mais nous sommes bien barbares en certains cas, et bien pusillanimes dans d’autres.

 

         Madame, je suis un vieux malade de soixante et quinze ans. Je radote peut-être, mais je vous dis au moins ce que je pense ; et cela est assez rare quand on parle à des personnes de votre espèce. La majesté impériale disparaît sur mon papier devant la personne. Mon enthousiasme l’emporte sur mon profond respect. Je révère la législatrice, la guerrière, la philosophe . Je prends la liberté de mettre dans ce paquet des niaiseries indignes d'elle . J'ai ramassé sur-le-champ ce que j'ai pu . S'il paraît quelque chose qui puisse l'amuser, comment pourrai-je l'envoyer ? Est-ce par la poste ? Mais je serai mort d'étisie xi avant d'avoir reçu vos ordres . Battez les Turcs , et je meurs content xii.



Vous n'avez que faire, Madame, des formules ordinaires des lettres . Votre Majesté Impériale est de toute façon trop au dessus du profond respect du vieil ermite .



P.-S. : Ce vieux habitant des Alpes qui osa se présenter l'année passée à Votre Majesté Impériale avec son hommage au cou, était en porcelaine . On ne l'émaille point, parce que l'émail cause des reflets qui empêchent de discerner les figures . C'est un art assez agréable et que Votre majesté peut aisément introduire dans les manufactures, avec tous les autres arts qu'elle fait naître . Mais le premier des arts est d'apprendre à vivre à Moustapha .»

 

 

i Ce texte est celui de la minute autographe de la Bibliothèque historique de la Ville de Paris ; y compris la page et demie (jusqu'à « pardonnera au zèle ») barrée sur le manuscrit ; et compte tenu des corrections de V* . Nous avons ici le texte non corrigé pour le passage : « pendant qu'elle se prépare ... auraient signé », la correction étant destinée à compenser l'absence de la page et demie barrée qui figure ici . Pour la formule et le post scriptum qui figuraient certainement sur la dernière page qui manque dans cette minute, ici est mis le texte du manuscrit conservé à Moscou .

 

ii  Le 15 mars, dans La Correspondance littéraire, on lit que fin février, le prince Kouslowski a apporté à V* de la part de l'impératrice , « une boite ronde d'ivoire à gorge d'or, artistement travaillée et tournée de la propre main de l'impératrice ... enrichie du portrait de Sa majesté ... entouré de superbes diamants » et « une pelisse magnifique », « accompagnés d'une traduction française du Code de Catherine II, d'un journal manuscrit de l'inoculation de cette auguste souveraine, et d'une lettre ... » ; le journaliste ajoute : « on prétend que cette ambassade impériale a rajeuni le patriarche de dix ans ... M. Huber ... a envoyé à l'impératrice le tableau de la réception de l'ambassade impériale ... »

 

iii Au roi de Pologne .

 

iv Choiseul, au contraire, inquiet de l'intervention armée de Catherine en Pologne, avait poussé le sultan à déclarer la guerre à la Russie en octobre 1768. Ayant arraché du résident russe l’aveu que, malgré des promesses réitérées, l’impératrice n’avait pas encore donné à ses troupes l’ordre d’évacuer la Pologne, le sultan l’avait fait enfermer aux Sept-Tours et avait déclaré qu’il allait entrer en campagne avec cinq cent mille hommes .

 

v V* a atténué le terme par la suite, remanié lors de la publication . La guerre dura jusqu'en 1774 et les Turcs furent battus .

 

vi V* avait envoyé à l’impératrice, dans cette même lettre, un mémoire d’un officier français, Florian, futur époux de sa nièce Marie-Elisabeth,, qui proposait de renouveler dans la guerre des Turcs l’usage des chars de guerre, absolument abandonné par les anciens depuis l’époque de la guerre Médique . V* avait proposé ce char à la France lors de la Guerre de Sept ans, on avait fait une maquette au ministère de la Guerre, mais sans suite .

Voir lettre à Mme de Fontaine du 3 avril 1757 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/04/03/j...

 

vii L'Instruction de Sa Majesté Impériale Catherine II pour la commission chargée de dresser le projet d'un nouveau code de lois.

Voir page 6 : http://www.ac-paris.fr/portail/upload/docs/application/pd...

 

viii Le passage après correction : «  Madame, quoi ! Pendant que votre majesté impériale se prépare à battre le grand-turc, elle forme un corps de lois chrétiennes. Je lis l’Instruction préliminaire qu’elle a eu la bonté de m’envoyer. Lycurgue et Solon auraient signé votre ouvrage, et n’auraient pas été capables de le faire. Cela est net, précis, équitable, ferme, et humain. Les législateurs ont la première place dans le temple de la gloire, les conquérants ne viennent qu’après. »

 

ix Voir Essai sur les dissensions des Églises de Pologne : « Les plus ardents catholiques (polonais) ayant le nonce du pape à leur tête, implorèrent l'Église des Turcs contre la grecque et la protestante », à savoir contre les Dissidents polonais et les Russes qui les soutenaient . Le nonce du pape en Pologne pensait qu'une guerre des Turcs contre la Russie obligerait Catherine à retirer ses troupes de Pologne, et aiderait ainsi les Confédérés catholiques polonais .

 

xAutre version : « à notre ridicule Sorbonne, à nos charlatans disputeurs dans les écoles de médecine ! »

 

xi De phtisie = tuberculose .

 

xii Le texte de « je révère » à « content » est barré dans le manuscrit.

Il s'en faut de beaucoup que le c. de Richelieu ait porté autant d'envie à Corneille que le roi de Prusse m'en portait

 

 

 

 

«  A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

 

A Berlin 26 février [1753]

 

Mon cher ange, j'ai été très malade et en même temps plus occupé qu'un homme en santé ; étonné de travailler dans l'état où je suis, étonné d'exister encore, et me soutenant par l'amitié, c'est-à-dire par vous et par Mme Denis . Je suis ici le meunier de La Fontaine i. On m'écrit de tous les côtés : partez, fuge crudeles terras fuge littus iniquum ii, mais partir quand on est depuis un mois dans son lit, et qu'on n'a point de congé, se faire transporter couché à travers cent mille baïonnettes, cela n'est pas tout à fait aussi aisé qu'on le pense . Les autres me disent : Allez vous en à Potsdam, le roi vous a fait chauffer votre appartement , allez souper avec lui . Cela m'est encore plus difficile . S'il s'agissait d'aller faire une intrigue de cour, de parvenir à des honneurs et à de la fortune, de repousser les traits de la calomnie, de faire ce qu'on fait tous les jours auprès des rois, j'irais jouer ce rôle là tout comme un autre ; mais c'est un rôle que je déteste, et je n'ai rien à demander à aucun roi .

 

Maupertuis que vous avez si bien défini iii est un homme que l'excès d'amour-propre a rendu très fou dans ses écrits, et très méchant dans sa conduite . Mais je ne me soucie point du tout d'aller dénoncer sa méchanceté au roi de Prusse .

 

J'ai plus à reprocher au roi qu'à Maupertuis . Car j'étais venu pour Sa Majesté et non pour ce président de Bedlam iv. J'avais tout quitté pour elle, et rien pour Maupertuis , elle m'avait fait des serments d'une amitié à toute épreuve, et Maupertuis ne m'avais rien promis . Il a fait son métier de perfide en intéressant sourdement l'amour-propre du roi contre moi . Maupertuis savait mieux qu'un autre à quel excès se porte l'orgueil littéraire . Il a su prendre le roi par son faible . La calomnie est entrée très aisément dans un cœur né jaloux et soupçonneux v. Il s'en faut de beaucoup que le c. de Richelieu ait porté autant d'envie à Corneille que le roi de Prusse m'en portait . Tout ce que j'ai fait pendant deux ans pour mettre ses ouvrages de prose et de vers en état de paraitre a été un service dangereux qui déplaisait dans le temps même qu'il affectait de m'en remercier avec effusion de cœur . Enfin son orgueil d'auteur piqué l'a porté à écrire une malheureuse brochure contre moi, en faveur de Maupertuis vi qu'il n'aime point du tout ; il a senti avec le temps que cette brochure le couvrait de honte et de ridicule dans toutes les cours de l'Europe, et cela l'aigrit encore . Pour achever le galimatias qui règne dans toute cette affaire, il veut avoir l'air d'avoir fait un acte de justice, et de le couronner par un acte de clémence vii. Il n'y a aucun de ses sujets , tout prussiens qu'ils sont, qui ne le désapprouve . Mais vous jugez bien que personne ne le lui dit . Il faut qu'il se dise tout à lui-même . Et ce qu'il se dit en secret c'est que j'ai la volonté et le droit de laisser à la postérité sa condamnation par écrit . Pour le droit je crois l'avoir . Mais je n'ai d'autre volonté que de m'en aller , et d'achever dans la retraite le reste de ma carrière entre les bras de l'amitié, et loin des griffes des rois qui font des vers et de la prose .

 

Je lui ai mandé tout ce que j'ai sur le cœur . Je l'ai éclairci . Je lui ai dit tout . Je n'ai plus qu'à lui demander une seconde fois mon congé . Nous verrons s'il refusera à un moribond la permission d'aller prendre les eaux viii. Tout le monde me dit qu'il me la refusera, je le voudrais pour la rareté du fait . Il n'aura qu'à ajouter à L'Antimachiavel un chapitre sur le droit de retenir les étrangers par force, et de le dédier à Busiris ix. Quoi qu'on me dise, je ne le crois pas capable d'une si atroce injustice . Nous verrons . J'exige de vous et de Mme Denis que vous brûliez tous deux les lettres que je vous écris par cet ordinaire, ou plutôt par cet extraordinaire . Adieu, mes chers anges .

 

V. »

 

i Le meunier, son fils et l'âne .

http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/meunfils.htm

ii Fuis des terres cruelles, fuis une rive inique .

iii Le 18 janvier, d'Argental écrit : «  ... je le connaissais pour un homme dur jusqu'à la férocité, jaloux, envieux, intraitable ..., mais j'ai appris depuis votre départ qu'il était ... capable des intrigues les plus adroites, et des plus profondes noirceurs, plusieurs personnes dignes de foi m'en ont raconté les traits affreux ... »

iv Asile de fous de Londres . Allusion aux théories/ « rêveries » de Maupertuis .

v Dans ses Mémoires, V* écrit : « Il (Maupertuis) ajouta ... que je trouvais les vers du roi mauvais, et cela réussit » ; dans une pseudo-lettre à Mme Denis du 24 juillet 1752, il précise «  (Maupertuis) débite sourdement que le roi m'ayant envoyé ses vers à corriger, j'avais répondu : Ne se lassera-t-il pas de m'envoyer son linge sale à blanchir ? » D. Thiébault cite cette phrase dans ses Mémoires, bien que n'étant arrivé à Berlin qu'en 1765 et ses Mémoires publiés en 1826 ; il se serait contenté des écrits de V* . Toutefois , le roi fait une allusion à des « traits » lancés contre ses ouvrages par V*, dans sa lettre du 15 mars .

Lettre MCMLXVIII page 56 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80033k/f60.image.r=...

vi Lettre d'un académicien de Berlin à un académicien de Paris . http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5624446m

vii Le 27 janvier, à l'envoyé de France La Touche : « S.M. Le roi de Prusse vient de m'inviter à retourner avec elle à Potsdam, le 30, jour de son départ . Si vous écrivez à Paris et à Versailles, je vous prie de vouloir bien mander cette nouvelle pour détruire les faux bruits qui y courent . »

Et à Walther le 1er février 1753 , voir page 49 l' « avertissement » qu'il lui demande de faire paraitre : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80033k/f53.image.r=...

viii A Plombières . Voir lettre à Frédéric du 11 mars 1753 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/03/11/d...

et la réponse du roi : lettre MCMLXVIII Cf. note v.

ix Roi légendaire d'Égypte qui faisait périr les étrangers au feu sur des lits de fer .http://www.cosmovisions.com/$Busiris.htm

 

25/02/2011

Beaumarchais . Quel homme ! il réunit tout : la bouffonnerie, le sérieux, la raison, la gaieté, la force, le touchant, tous les genres d'éloquence

Chats et souris, cha cha cha et sourires, ah ! quelle salsa  ....http://www.deezer.com/listen-237261

Une fabulette d'Esope : Le lion et la souris/raton :http://www.deezer.com/listen-5538087

Ah! oui, je ne vous ai pas prévenus, c'est en espagnol !!

El raton y el toro : http://www.deezer.com/listen-5538118  . En voici deux qui ne finiront pas dans l'arène entourés de vociférants .

raton.jpg

 

 

« A Jean Le Rond d'Alembert

 

A Ferney 25è fév[rier] 1774

 

Mon très cher philosophe, la nature donne furieusement sur les doigts à la fin de chaque hiver aux vieilles pattes de Raton i. Il a reçu ces jours-ci un avertissement très sérieux ii, c'est une des raisons péremptoires qui l'ont empêché de vous écrire ; et si après cette raison il pouvait en exister encore une, la voici . M. le marquis de Condorcet m'avait averti qu'il ne voulait plus recevoir de lettres par les bons offices d'un homme qui était soupçonné de les ouvrir, soupçonné d'être un espion, soupçonné d'être, d'être etc.iii On s'est trop aperçu enfin que cette défiance de M. de Condorcet était très fondée ; il n'était pas étonnant que Raton eût les pattes un peu brûlées puisqu'il marchait depuis si longtemps sur des charbons ardents . Quel homme je vous avais recommandé iv! quel présent je vous aurais fait ! j'en tremble encore ... Mes lettres fort inutiles ont été lues par des personnes qui ... Voilà autant de points que Beaumarchais en reproche à Mme Goesmann v. Toute cette algèbre vous développera l'inconnue . Et cette inconnue est que nous sommes trop connus . Je n'en suis pas moins occupé de vous plaire ; Kai meta ton mou tanaton, aliquid de tuo amico videbis quod ejus memoriam menti tuae revocabit vi.

 

Où diable ce jeune homme qui porte le nom de l'instrument d'un roi juif vii, a-t-il pêché que j'étais fort gracieusement traité par Mylord grand trésorier viii? Tutto'l contrario, l'historia converti, Amice, je ne compte ni sur aucun satrape ni sur aucun monarque de l'Orient, non plus que vous ne comptez sur les puissances du Nord.

 

Si vous voyez M. de Rochefort, je vous demande en grâce de lui dire les raisons qui me forcent à ne lui point écrire . Je ne lui en suis pas moins attaché, et je lui demande en grâce, à lui et à madame sa femme, de passer par chez nous quand ils iront voir leur mère .

 

Ma consolation serait de vous revoir encore dans ma chaumière auprès de Lyon, vous et M. de Condorcet ; mais ni vous ni lui n'avez de mère dans le Gévaudan ix.

 

La mort de ce pauvre La Condamine qui croyait avoir exactement mesuré un arc du méridien x m'avertit qu'il faut que je fasse mon paquet . Je suis un peu sourd comme lui, et de plus aveugle . Les cinq sens dénichent l'un après l'autre ; et puis reste zéro .

 

De tous les ouvrages dont on régale le public le seul qui m'ait plu est le quaterne de ce Beaumarchais xi. Quel homme ! il réunit tout : la bouffonnerie xii, le sérieux, la raison, la gaieté, la force, le touchant, tous les genres d'éloquence ; et il n'en recherche aucun ; et il confond tous ses adversaires, et il donne des leçons à ses juges ; sa naïveté m'enchante . Je lui pardonne ses imprudences, et ses pétulances .

 

Je ne vous dis rien de votre Childebrant xiii. J'espère que vous me pardonnerez d'avoir respecté un ancien attachement . Je m'enveloppe, autant que je le puis, du manteau de la philosophie . Mais ce manteau est si étriqué, si percé de trous que la bise y entre de tous les côtés . Adieu mon très cher philosophe dont le manteau est d'un meilleur drap que le mien .

 

Vivant ou mourant tuus sum .

 

Raton »

 

ii Petite attaque d'apoplexie .

iii Marin , qui ouvrait le courrier de V* et lui vola Les Lois de Minos ;

cf. lettre à d'Argental du 30 décembre 1773 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/12/29/j...

iv V* avait proposé Marin comme candidat à l'Académie française pour contrer De Brosses ; cf. lettre à d'Alembert du 10 décembre 1773 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/12/09/s...

v Procès de Beaumarchais contre Götzman : voir lettres à d'Argental du 30 décembre 1773 et 17 janvier 1774 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/01/17/p...

V* a relevé des ressemblances entre le comportement de Marin à son égard et celui que décrit Beaumarchais dans son Quatrième Mémoire .

vi En grec puis en latin : Et après ma mort, tu verras quelque chose de ton ami qui te rappellera son souvenir à ton esprit .

vii La Harpe .

viii Comprendre : que j'étais en bonnes relations avec le contrôleur général Terray ; cf. lettre du 17 janvier à d'Argental .

ix Comme les Rochefort d'Ally.

x Le Condamine est mort le 4 février 1774 à la suite d'une opération à laquelle, écrit Condorcet le 6 mars, il se serait « soumis par zèle pour l'humanité . Elle était nouvelle et il a voulu qu'on en fit l'épreuve sur lui » ; c'était une opération nouvelle de la hernie .Il avait fait partie de l'expédition au Pérou de 1736 à 1740 pour mesurer un arc de méridien .

Cf. lettre 18 page 26 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58105584/f229.image...

xi Le 9 février à Bacon : « J'attends que M. de Beaumarchais me réjouisse par son Quatrième mémoire qu'on attend avec plus d'impatience qu'une comédie nouvelle » C'était le Quatrième mémoire à consulter , pour Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais ... contre M. Goëtzmann ... Marin ... Darnaud Baculard, et consorts paru le 12 février , à la suite de l'expulsion, de la salle du jugement, de Beaumarchais par le président de Nicolaï.

Page 1 , recherche « quatrième mémoire » : http://books.google.fr/books?id=7m0GAAAAQAAJ&pg=PA138...

xii Dans l'édition de Kehl de Beaumarchais, celui-ci s'est permis de remplacer « bouffonnerie » par « plaisanterie ».

xiii Le duc de Richelieu, ainsi nommé par d'Alembert .

 

24/02/2011

Le Dieu d'Israël est irrité contre les enfants de Jacob qui assassinent dans les rues des vieillards de quatre-vingts ans, des innocents destitués d'armes, blessent des femmes grosses, et se préparent à pendre ceux qu'ils n'ont pu assassiner

 

 

 

 

« A Etienne-François de Choiseul-Stainville, duc de Choiseul i


18è février 1770, à Ferney

 

A Mécenas Atticus ii duc de Choiseul, etc., etc.

Le voix de Jean criant dans le désert iii vous dit ces choses .

Ce n'est pas assez que vous ayez fait des pactes de famille iv, donné un royaume à l'ainé de la famille v, fait un pape vi madré ou non madré et mis les soldats d'Israël sur un meilleur pied qu'ils n'ont jamais été. Tout cela n'est rien sans la charité vii. Le Dieu d'Israël est irrité contre les enfants de Jacob qui assassinent dans les rues des vieillards de quatre-vingts ans, des innocents destitués d'armes, blessent des femmes grosses, et se préparent à pendre ceux qu'ils n'ont pu assassiner viii.

 

C'est une des suites de l'insolence avec laquelle ils en ont usé envers l'ambassadeur de l'oint du Seigneur ix et envers Messala Atticus, premier ministre de cet oint . Le sanhédrin n'est pas moins coupable d'avoir fomenté, préparé, autorisé les abominations des enfants de Belial x.

 

Voici ce que dit le Seigneur . Si vous aviez seulement fait bâtir à Versoix une cinquantaine de maisons de boue vous auriez actuellement dans Versoix quatre cents habitants qui ne savent où coucher qui vous seraient attachés pour jamais, et qui probablement iront habiter l'Angleterre que mon cœur réprouve, ou la Hollande que je vomis de la bouche parce qu'elle est tiède xi.

 

J'ai ordonné à mon serviteur François V. capucin digne d'avoir soin de ces malheureux en attendant que votre rosée puisse les consoler .

 

Je sais que mon serviteur chargé de la bourse commune loge le diable dans sa bourse, c'est-à-dire rien, et qu'il ne pourra donner cent mille sicles xii pour bâtir des maisons .

 

Mon serviteur François V. est encore plus pauvre pour le moment présent xiii, mais vous pourriez trouver quelque bon ami, non pas de cœur, mais de finance qui prêtât des sicles pour bâtir des maisons . Il n'est pas encore besoin d'édit pour donner à qui voudra de quoi reposer sa tête .

 

Vous avez une galère xiv dans un port qui n'est pas fait, mais des familles ne peuvent coucher dans une galère à moins que ce ne soit la famille de Fréron .

 

L'esprit de charité pourrait vous porter encore à empêcher qu'on ne pende plusieurs de vos serviteurs qui se sont engagés à vous, dont vous avez la signature xv, qui se sont soumis à coucher dans les maisons que vous n'avez pas bâties, qui se sont déclarés Français, et qui pour cette raison sont présumés avoir incessamment la hart au col .

 

Je vous dis donc de la part du Seigneur : faites comme vous voudrez, car vous avez l'œil de l'aigle, et la prudence du serpent xvi.

 

Signé Jean, prédicateur du désert

et plus bas François V. capucin indigne,

admis à la dignité de capucin par frère

Amatus de Lamballa, général des capucins

résident à Rome;et de plus déclaré père

temporel des capucins de Gex .xvii


Lequel François prie Dieu pour vous et pour votre digne épouse . »

 

ii A Hennin, V* désigne cette lettre comme une « élégie en prose » où l'on trouve Atticus et Mécène amis respectifs de Cicéron et Virgile, Horace , ...

 

iii Vox clamens in deserto : évangile de Jean , et Isaïe dans la bible .

 

iv Traité d'alliance en août 1761 notamment, entre les rois de France et d'Espagne,tous deux Bourbons .

 

v La Corse est cédée au roi de France par Gènes en mai 1768 .

 

vi Clément XIV, né Ganganelli ; le cardinal de Bernis participa activement à l'élection .

 

vii Première épitre aux Corinthiens.

 

viii Rappel des violences qui ont eu lieu à Genève les 15-16 janvier . Le 19 janvier, V* décrit à la duchesse de Choiseul les violences contre les « natifs » : « Une femme grosse assassinée et blessée grièvement ; trois hommes tués ; un vieillard de quatre-vingts ans massacré en sortant de chez lui en robe de chambre ; tous ceux qui voulaient se retirer à Versoix menacés de la corde ... » Le 15, les Natifs avaient manifesté en faveur de deux des leurs condamnés . Le 16, à la demande des chefs des Représentants (encore plus acharnés que les patriciens contre les natifs) une prise d'armes fut décrétée ; trois natifs furent tués, des arrestations de masse opérées .

 

ix Beauteville, ambassadeur du roi, désigné comme médiateur au début 1766 pour mettre fin aux dissensions de Genève : voir lettres de 1765-1767 . Les Genevois refusèrent les conclusions des médiateurs en décembre 1766, et Beauteville quitta Genève .

 

x = Satan dans la littérature juive .

 

xi Apocalypse, de Jean .

 

xii Monnaie d'argent émise en Palestine au 1er siècle après J.-C.

 

xiii Allusion à l'argent placé chez La Borde que la politique de l'abbé Terray lui a fait perdre .

 

xiv La France avait fait bâtir un bateau sur le Léman et V* le rachètera pour qu'il ne tombe pas aux mains des Genevois .

 

xv Il s'agit des dix-huit familles dont V* parle au résident Henin le 16 février : « Lorsqu'on parla de bâtir Versoix, dix-huit Natifs vinrent m'apporter leurs signatures, et s'engagèrent à y bâtir des maisons . J'envoyai leurs propositions au duc de Choiseul ... » page 13 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80040v/f18.image.r=...

Parmi eux se trouvait Georges Auzière, un des meneurs, qui fut avec sept autres banni de Genève sans jugement le 22 .

http://www.imprimeriedesarts.ch/spip/spip.php?article20

 

xvi Évangile de Matthieu .

 

xvii Ce qu'il dit à ses correspondants ,- y compris au cardinal de Bernis-, depuis le 9 février . Page 10 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80040v/f15.image.r=...

Le curé de Ferney, Pierre Hugonet, écrit le 21 mars : « Le voila maintenant déclaré enfant spirituel, bienfaiteur et père temporel de l'ordre de St François . Le général des capucins lui envoya dernièrement des lettres de filiation ... » Cependant, le général des capucins interrogé par le comte de Saint-Florentin répondit qu'il n'avait « jamais envoyé de lettre d'affiliation à M. de Voltaire » et qu'il « désavouait celle qu'il pourrait avoir, ne l'ayant point signée... » V* avait mérité la reconnaissance des capucins en transmettant au duc de Choiseul le 20 novembre 1769, par l'intermédiaire de la duchesse, « un petit placet de douze capucins de Gex » et leur faisant ainsi obtenir 600 livres, ce dont il remercia la duchesse le 8 décembre 1769 . Il fut donc effectivement père temporel des capucins de Gex, ce qui n'implique qu'une assistance laïque .

Pierre Hugonet vient de succèder à Pierre Gros, mort « d'ivrognerie » selon V*.

23/02/2011

je ne voudrais pour rien au monde mener la vie d'Abraham, qui s'en allait comme un grand nigaud

 

Charles-Joseph_de_Ligne_(1735-1814).jpg

 

Prince Wallon remarquable, Charles-Joseph serait peut-être surpris par l'évolution, si tant est qu'on puisse parler d'évolution dans le cas de la Belgique . Ce n'est pas une révolution , ni une involution, alors où est la solution ?

Je suis heureux de constater que les Belges prouvent au monde politique qu'un pays peut très bien vivre sans gouvernement pondeur de lois nouvelles . Les anciennes suffisent largement , et le peuple, divisé pour de sottes raisons clochemerlesques, se débrouille fort bien pour faire des affaires et prospérer . Leur taux de croissance fait envie, et je préconiserais volontiers la suppression en France  des quelques centaines de coupeurs de cheveux en quatre que sont les élus privilégiés pour relancer le commerce et réduire le chomage . On peut rêver !

 

sarah abraham.jpg

 

Après avoir ri en lisant la tirade sur Abraham et sa "jeune" épouse, je réécoute Devos :

http://www.deezer.com/listen-2161747

Et s'il en est besoin, pour confirmer les écrits de Volti , en chanson :

http://www.deezer.com/listen-2750368

Et comme jazz et humour vont bien ensemble :

http://www.deezer.com/listen-201279

 

 

 

« A Charles-Joseph, prince de Ligne i

 

18è février 1764, à Ferney

 

Monsieur,

Il n'y a que le bel état où mes yeux sont réduits qui m'ait pu priver du plaisir et de l'honneur de vous répondre . Je suis devenu à peu près aveugle ; et je suis dans l'âge où l'on commence à perdre tout pièce à pièce ; il faut savoir se soumettre aux ordres de la nature, nous ne sommes pas nés à d'autres conditions . Cela fait un peu de tort à notre théâtre . Il n'y a point de rôle pour un vieux malade qui n'y voit goutte, à moins que je ne joue celui de Tirésie ii. Je n'ai d'autre spectacle que celui des sottises et des folies de ma chère patrie ; je lui ai bien de l'obligation, car sans cela la vie serait assez insipide . Après avoir tâté un peu de tout, j'ai cru que la vie de patriarche était la meilleure . J'ai soin de mes troupeaux comme ces bonnes gens, mais Dieu merci, je ne suis point errant comme eux, et je ne voudrais pour rien au monde mener la vie d'Abraham, qui s'en allait comme un grand nigaud, de Mésopotamie en Palestine, de Palestine en Égypte, de l'Égypte dans l'Arabie Pétrée, ou à pied, ou sur son âne, avec sa jeune et jolie petite femme, noire comme une taupe, âgée de quatre-vingts ans, ou environ, et dont tous les rois ne manquaient pas de tomber amoureux . J'aime mieux rester dans mon petit ermitage avec ma nièce et la petite famille iii que je me suis faite .

 

Mme Denis a dû vous dire, Monsieur, combien votre apparition nous a charmés dans notre retraite ; nous y avons vu des gens de toutes nations, mais personne qui nous ait inspiré tant d'attachement, et donné tant de regrets . Daignez encore recevoir les miens, et agréez le respect avec lequel j'ai l'honneur d'être,

Monsieur,

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire »

 

i Charles Joseph, prince de Ligne : http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles-Joseph_de_Ligne

Il rendit visite à Voltaire en juin 1763, et en fera la relation dans Mes conversations avec M. de Voltaire : pages 257-268 : http://www.chjdeligne-integral-34melanges.be/images/10/re...

ii Tirésias, devin aveugle de Thèbes, personnage du cycle d'Oedipe .

http://fr.wikipedia.org/wiki/Tir%C3%A9sias

iii Marie-Françoise Corneille et son mari Dupuits, et la sœur de celui-ci .

22/02/2011

Cela redouble mon mépris pour les bourgeois qui font le gros dos parce qu'ils ont un office

NDLR : Cette note est sous forme provisoire à cette heure matinale ; un complément de  suivra dans la matinée ...

Inachevée, cette mise en ligne ... comme était dite cette symphonie que j'aime, de Schubert que je vous invite à écouter :

http://www.deezer.com/listen-1002668

Elle évoque pour moi des souvenirs d'un Teppaz installé dans le couloir de l'appartement, afin que toute la famille puisse entendre la musique . Belle musique ! Tonique et tendue, sombre avec éclats ...

 NDLR 2 : au moment du repas, en hors d'oeuvre, voici la note complète .

 

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Gros minet, excuse-moi de te mettre dans la peau d'un bourgeois nanti ...

 http://www.youtube.com/watch?v=_BFOyn8K7pg  : Brel, mon ami, remets les pendules à l'heure !

 

 

« A Etienne-Noël Damilavile

et à

Nicolas-Claude Thieriot

 

18 février 1761

 

Je salue tendrement les frères, j'élève mon cœur à eux, et je prie Dieu pour le succès du Père de famille i.

 

J'envoie aux frères une petite cargaison, contenant un chant de La Pucelle et les Lettres sur La Nouvelle Héloïse, ou Aloïsia de Jean-Jacques auxquelles M. le marquis de Ximénès n'a fait aucune difficulté de mettre son nom, attendu qu'il ne craint pas plus Jean-Jacques que Jean-Jacques ne semble craindre ses lecteurs . La Nouvelle Héloïse et Daïra ii m'ont fait relire Zaïde iii. Qu'on fasse quelque nouvelle tragédie, je relirai Racine .

 

J'ai demandé à Monsieur Thieriot les recueils I, K, L, M, N iv. Il faut bien que j'aie tout l'alphabet . Je suis très fâché qu'il y ait une ville en France, nommée Paris, où il soit permis à un Fréron d'insulter l'héritière du nom de Corneille v; on ne m'écrit sur cela que des lanternes . Si Fréron en avait dit autant de la petite fille d'un laquais dont le père fût conseiller du parlement ou de la cour des aides, on mettrait Fréron au cachot . Il est digne de ceux qui laissaient mourir de faim la cousine de Cinna, de ne la pas venger . Cela redouble mon mépris pour les bourgeois qui font le gros dos parce qu'ils ont un office.

 

Je prie instamment Monsieur Thieriot de mettre au cabinet l'épître d'Abraham Chaumeix à Mlle Clairon vi; ce n'est pas qu'on craigne le petit singe à face de Thersite, au sourcil noir, et au cœur noir ; on a pour lui autant d'horreur que pour Fréron . C'est dommage qu'un aussi insolent et aussi absurde persécuteur ne soit puni que par des vers et par l'exécration publique ; il est bien heureux d'avoir affaire à des philosophes qui ne peuvent se venger que par le mépris . Je voudrais bien voir un de ces faquins, si fiers de leurs petites charges, voyager dans les pays étrangers : il ferait une plaisante figure à coté d'un homme de mérite . »

 

i Pièce de Diderot jouée le 18 février et qui n'eut que sept représentations .

http://books.google.be/books?id=yMw5AAAAcAAJ&printsec...

ii Roman de Alexandre-Joseph Le Riche de La Popelinière : Daïra, 1760 : http://books.google.be/books?id=kloGAAAAQAAJ&printsec...

http://www.memo.fr/Dossier.asp?ID=431

iii Roman de Mme de La Fayette , Zaïde présente quelques ressemblances avec la Zulime-Fanime et La Princesse de Babylone de V* ;

http://fr.wikipedia.org/wiki/Za%C3%AFde

http://fr.wikipedia.org/wiki/Madame_de_La_Fayette

Zaïde : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k575947/f2.image

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58119m/f2.image...

iv Tomes du Recueil A. B. C..., 1745-1762 en 24 fascicules, de Louis Calabre Pérau et autres .

http://fr.wikipedia.org/wiki/Gabriel-Louis_P%C3%A9rau

v Voir lettres du 15 janvier à Du Molard Bert et 2 février 1761 aux d'Argental :

http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/01/17/t...

http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/02/02/o...

vi Voir lettre du 2 février 1761 aux d'Argental, où V* explique pourquoi Thieriot doit garder l'Épitre dans son secrétaire(signée A*** C***) ; il concentre se forces contre Fréron . Pour le « singe » (= Omer Joly de Fleury) et le pseudonyme, voir même lettre .

 

 

21/02/2011

L'industrie de la nation répare les balourdises du ministère

Rien de neuf sous le soleil, qui doit tenir bon et éclairer ministres et travailleurs -des vrais, eux !- ; les uns pérorent et les autres ont la tête dans le guidon ; vous savez qui !

Ceux qui ne sont pas ministres se reconnaissent , ils ne parlent pas de leurs vacances avec jets privés et frais de séjour payés par les contribuables/corvéables autochtones .

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Un peu de musique discordante pour arroser tout ça :http://www.deezer.com/listen-5469020

 

 

« A Marie de Vichy de Chamrond, marquise du Deffand

 

18 février [1760]

 

L'éloquent Cicéron, Madame, sans lequel aucun Français ne peut penser, commence toujours ses lettres par ces mots : si vous vous portez bien, j'en suis bien aise, pour moi, je me porte bien . J'ai le malheur d'être tout le contraire de Cicéron . Si vous vous portez mal, j'en suis fâché, pour moi , je me porte mal ; heureusement je me suis fait une niche dans laquelle on peut vivre et mourir à sa fantaisie ; c'est une consolation que je n'aurais pas eue à Craon, auprès du révérend père Stanislas, et de Frère Jean des Entommeures de Menoux i. C'est encore une grande consolation de s'être formé une société de gens qui ont une âme ferme et un bon cœur ; la chose est rare , même dans Paris . Cependant, j'imagine que c'est à peu près ce que vous avez trouvé . J'ai l'honneur de vous envoyer quelques rogatons, assez plats ; votre imagination les embellira ; un ouvrage, tel qu'il soit, est toujours assez passable quand il donne l'occasion de penser. Puisque vous avez, Madame, les poésies de ce roi ii qui a pillé tant de vers et tant de villes, lisez donc son Épître au maréchal de Keit sur la mortalité de l'âme ; il n'y a qu'un roi, chez nous autres chrétiens, qui puisse faire une telle épître. Me Joly de Fleury assemblerait les chambres contre tout autre, et on lacérerait l'écrit scandaleux. Mais apparemment qu'on craint encore les aventures de Rosbac, et qu'on ne veut pas fâcher un homme qui a fait tant de peur à nos âmes immortelles . Le singulier de tout ceci, c'est que cet homme qui a perdu la moitié de ses États, et qui défend l'autre par les manœuvres du plus habile général, fait tous les jours encore plus de vers que l'abbé Pellegrin iii; il ferait bien mieux de faire la paix iv; dont il a , je crois, autant besoin que nous . J'aime encore mieux avoir des rentes sur la France que sur la Prusse . Notre destinée est de faire toujours des sottises, et de nous en relever ; nous ne manquons presque jamais une occasion de nous ruiner et de nous faire battre, mais au bout de quelques années, il n'y parait pas . L'industrie de la nation répare les balourdises du ministère . Nous n'avons pas aujourd'hui de grand génie dans les beaux-arts, à moins que ce ne soit M. Lefranc de Pompignan ou M. l'évêque son frère v, mais nous aurons toujours des commerçants et des agriculteurs . Il n'y a qu'à vivre, et tout ira bien.

 

Je conçois que la vie est prodigieusement ennuyeuse quand elle est uniforme . Vous avez à Paris la consolation de l'histoire du jour, et surtout la société de vos amis. Moi, j'ai ma charrue, et des livres anglais, car j'aime autant les livres de cette nation que j'aime peu leurs personnes . Ces gens-là n'ont pour la plupart du mérite que pour eux-mêmes . Il y en a bien peu qui ressemblent à Bolingbroke ; celui-là valait mieux que ses livres, mais pour les autres Anglais leurs livres valent mieux qu'eux .

 

J'ai l'honneur de vous écrire rarement, Madame, ce n'est pas seulement ma mauvaise santé et ma charrue qui sont en cause. Je suis absorbé dans un compte que je me rends à moi-même par ordre alphabétique, de tout ce que je dois penser sur ce monde-ci et sur l'autre, le tout, pour mon usage, et peut-être après ma mort, pour l'usage des honnêtes gens vi. Je vas dans ma besogne aussi franchement que Montaigne va dans la sienne, et si je m'égare, c'est en marchant d'un pas un peu plus ferme . Si nous étions à Craon, je me flatte que quelques-uns des articles de ce dictionnaire d'idées ne vous déplairaient pas ; car je m'imagine que je pense comme vous sur tous les points que j'examine ; si j'étais homme à venir faire un tour à Paris, ce serait pour venir vous y faire ma cour ; mais je déteste Paris sincèrement, et autant que je vous suis attaché . Songez à votre santé, Madame, elle sera toujours précieuse à ceux qui ont le bonheur de vous voir, et à ceux qui s'en souviennent avec le plus grand regret .

 

V. »

 

i Le jésuite Menoux, confesseur du roi Stanislas, assimilé ici au personnage de Rabelais .

Père Menoux : Page 153 : http://books.google.fr/books?id=evNRAAAAMAAJ&pg=PA153...

 

ii Sur ces poésies de Frédéric, voir lettre du 26 janvier à Louise-Dorothéa von Meiningen, duchesse de Saxe-Gotha : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/01/26/j...

 

iii Simon-Joseph Pellegrin a composé entre autres une Apologie de M. de Voltaire adressée à lui-même,critique de La Henriade, (mais que certains, dont V*, attribuèrent à l'abbé Desfontaines ).

http://fr.wikipedia.org/wiki/Simon-Joseph_Pellegrin

 

iv V* fut un des négociateurs, voir lettres du 30 novembre 1759 à d'Argental et 26 janvier 1760 à la duchesse de Saxe-Gotha (ci-dessus note ii) : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/11/30/o...

 

v Que V* cite souvent comme étant le collaborateur de Caveirac qui a rédigé une Apologie de la révocation de l' Edit de Nantes.

 

vi Première allusion, dans sa correspondance, au Dictionnaire philosophique depuis le dernier séjour en Prusse où avaient été rédigés les articles : « Abraham », « Baptème », « (population de) l'Amérique » ; cf. lettres à Frédéric des 5 septembre et fin septembre-début octobre 1752 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/09/05/v...

et page 4 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80033k/f8.image.r=....