05/02/2022
ce qui me paraît très bon et très utile, c'est le projet que vous avez . Ne croyez pas qu'il faille être roi pour l'exécuter, il ne faut qu'être homme et donner l'exemple
... Dès que je pourrait dire cela en lisant le programme d'un homme* politique, alors je commencerai à savoir pour qui je donnerai ma voix , ni plus , ni moins .
* Il est évident qu'on peut remplacer "homme" par "femme" .
Questions-Réponses
« A Jacob Vernes ministre
à Séligny
près de Copet
A Ferney 4è novembre 1766 1
Je ne vous ai point dit, monsieur, que le livre que je vous ai prêté fût bon . Mais ce qui me paraît très bon et très utile, c'est le projet que vous avez . Ne croyez pas qu'il faille être roi pour l'exécuter, il ne faut qu'être homme et donner l'exemple .
Au reste, je ne sais si vous n'êtes pas un peu trop sévère en trouvant de la contradiction dans ces mots , des fanatiques prêchent une morale pure et sainte . Il y a , comme vous savez, plusieurs sortes de fanatisme . Celui de Poltrot 2, de Chatel 3, de Ravaillac 4, celui des juges qui firent brûler le conseiller Dubourg et le médecin Servet 5; celui de saint-François d'Assise qui se faisait une femme de neige 6 ; celui de saint Antoine de Padoue qui prêchait les poissons 7 ; celui des fakirs de l'Inde et des brahmanes qui ont assurément la morale la plus pure et la plus sainte, mais qui la déshonorent par leurs folies .
Voyez dans Josèphe qu'elle était la morale des judaïtes 8; ils vivaient en anachorètes, ils secouaient leur prochain, ils aimaient Dieu, mais ils étaient embrasés, dit Josèphe, d'un enthousiasme furieux qui les faisait ressembler à des bacchantes . La morale est la même, monsieur, d'un bout de l'univers à l'autre ; elle vient de Dieu, les simagrées viennent des hommes . Coupez si vous pouvez toutes les branches gourmandes, entées sur un arbre salutaire ; n'en laissez subsister que le tronc qui a été planté par Dieu même depuis que l'univers existe . Mais je vous avertis que vous ne parviendrez jamais à ce grand but dans ce pays-ci . Il vous faudra un autre théâtre et une protection éclairée, une protection sûre et invariable . Vous l'aurez quand vous voudrez si vous avez autant de courage que d'esprit, et vous vous ferez une réputation immortelle . Si vous voulez me venir voir je vous en dirai davantage . Et si vous remplissez votre projet, je vous aimerai de tout mon cœur .
V. »
1 Edition Édouard de La Grange : « Album de voyage . Autographes du docteur Coindet », Revue de Paris, 1837 .
2 Jean de Poltrot de Méré , assassin du duc François de Guise : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_de_Poltrot_de_M%C3%A9r...
3 Jean Chatel tenta d'assassiner Henri IV : https://fr.anecdotrip.com/1594-jean-chatel-tente-dassassiner-henri-iv-a-lhotel-du-bouchage-actuel-oratoire-du-louvre-par-vinaigrette
4 Ravaillac, assassin d'Henri IV : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Ravaillac
5 Voir : https://www.erudit.org/en/journals/man/1991-v10-man0303/1012628ar.pdf
et : https://fr.wikisource.org/wiki/Michel_Servet,_sa_doctrine_et_sa_vie/01
8 Le Littré (1880) : JUDAÏTE : Nom d'une secte juive qui eut pour chef un certain Juda, du temps de Ponce-Pilate.
• Ces judaïtes regardaient comme un grand péché d'obéir aux Romains : ils excitèrent une sédition furieuse contre ce Pilate (VOLT. Philos. Hérode, Sect. juiv. et samar.)
Voir : http://dictionnaire.sensagent.leparisien.fr/juda%C3%AFtes/fr-fr/
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04/02/2022
Vous sentez, monsieur, combien il est important de mettre un frein, si on peut, à ces iniquités
... La maltraitance dans les EHPAD , on le doit , on le peut . Je peux malheureusement dire qu'ORPEA n'en a pas le monopole, j'ai dû malheureusement constater qu'une structure Maisons de Famille d'Ile de France avait ( je crains d'avoir encore à dire "a" ) aussi de graves lacunes dans la surveillance médicale de ses pensionnaires . Orpea est indéfendable, que sa condamnation fasse un exemple et que toutes les maisons/hospices revoient leur mode de fonctionnement .
Le Covid tue, c'est bref ; l'EHPAD fait souffrir , c'est intolérable .
« A Antoine Maillet du Clairon 1
Au château de Ferney, 4 novembre 1766 par Genève 2
Lorsque j’eus l’honneur de vous écrire 3, monsieur, je n’avais point encore lu la page 166, où l’auteur des notes a l’insolence et la mauvaise foi de vous accuser d’avoir volé le manuscrit de la tragédie de « Cromwell »4 à M. Morand votre ami 5.
J’avais parcouru seulement quelques endroits de cet ouvrage punissable. J’avais surtout remarqué la page 16 des trois lettres ajoutées après coup à l’édition 6 ; on lit ces mots dans cette page 16 : Il est donc presque impossible, mon cher Philinte, qu’il y ait jamais un grand homme parmi nos rois, puisqu’ils sont abrutis et avilis dès le berceau par une foule de scélérats qui les environnent et les obsèdent jusqu’au tombeau.
J’étais indigné, avec non moins de raison, de voir une lettre, que j’avais écrite en 1761 à M. Deodati, défigurée d’une manière bien cruelle. On y déchire M. le prince de Soubise 7, à qui j’avais donné les plus justes éloges. On l’insulte avec la malignité la plus outrageante : c’est à la page 98.
Il y a vingt atrocités pareilles contre des ministres, contre des hommes en place ; j’ai été forcé de recourir au témoignage de ceux à qui j’avais écrit ces lettres, que le faussaire a falsifiées.
Vous sentez, monsieur, combien il est important de mettre un frein, si on peut, à ces iniquités qui déshonorent la librairie. Je ne vous dirai pas que votre intérêt vous y engage, ce serait peut-être une raison pour vous empêcher d’agir ; mais il importe de découvrir un scélérat qui a insulté les plus grands seigneurs du royaume.
Vous êtes à portée de le découvrir, soit en tirant ce secret de Marc-Michel Rey, imprimeur de Jean-Jacques Rousseau, soit en vous adressant à messieurs les bourgmestres d’Amsterdam. Je puis vous assurer, monsieur, que les ducs de Choiseul et de Praslin ne vous sauront pas mauvais gré des soins que vous aurez pris pour arrêter ces infamies. Ils sont trop grands, à la vérité, pour être sensibles aux satires d’un malheureux, qui ne mérite que le mépris ; mais ils sont trop justes et trop amis du bon ordre pour ne pas réprimer une audace trop longtemps soufferte.
Pour moi, monsieur, je vous avoue que ce petit événement, tout désagréable qu’il est, me laisse une grande consolation dans le cœur, puisqu’il a servi à renouer notre correspondance, et qu’il me donne une occasion de vous renouveler les sentiments de la véritable estime que vous m’avez inspirée, et de vous dire avec combien de vérité j’ai l’honneur d’être de tout mon cœur, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. »
1 Antoine Maillet du Clairon, né près de Mâcon le 16 novembre 1721, est mort à Paris le 16 novembre 1809. Il était, en 1766, commissaire de la marine à Amsterdam. Outre quelques écrits en prose, il a composé une tragédie de Cromwell, et traduit de l’anglais de Brooke une tragédie de Gustave Wasa, 1766, in-8°.
2 V* a noté sur la manuscrit « copie de la lettre de M. de Voltaire à M. du Clairon » et au verso « aux anges ».
3 Voir lettre du 6 octobre 1766 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/01/08/j...
4Cromwell, de du Clairon est représentée le 7 juin 1764 au Théâtre-Français et publié la même année .
5 En rapportant cette accusation page 166, Robinet ajoutait même que tous les amis de Moran y ajoutaient foi. L’accusation est portée de façon insidieuse et se termine par ces mots : »Malheureusement tout le monde, et surtout les amis de M. [Pierre de] Moran, ajoutent foi à cette accusation . » (Note p. 166 de Lettres à M. de Voltaire à ses amis du Parnasse )
6 Ces trois lettres ajoutées étalent données comme attribuées à Montesquieu ; voir : https://fr.m.wikisource.org/wiki/Appel_au_public/%C3%89dition_Garnier
Lettres de M. de Voltaire à ses amis du Parnasse, compilées par Robinet, qui a déjà publié de façon aussi peu honnête les Lettres secrètes .
7 Voir la lettre du 9 septembre 1766 à Déodati : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/12/10/vous-ne-refuserez-pas-sans-doute-de-rendre-gloire-a-la-verit-6354212.html
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03/02/2022
Je donnai, monsieur, ces jours passés, à ma nièce, un petit mémorandum , pour la faire souvenir de vous demander une petite grâce dont j'avais besoin
... "Fermez-la et cassez-vous !!!" dixit Marine ut Eric .
« Au chevalier Pierre de Taulès
A Ferney, 3 novembre [1766] 1
Je donnai, monsieur, ces jours passés, à ma nièce, un petit mémorandum 2, pour la faire souvenir de vous demander une petite grâce dont j'avais besoin . Il s'agissait de vérifier une date ; au lieu de vous prier de vouloir bien lui dire la date, qu'elle aurait pu oublier, elle vous laissa mon petit billet . Je ne voulais que savoir précisément la date des lettres de Venise que vous avez entre les mains . C'est vous qui aviez eu la bonté de m'en procurer une copie ; je l'ai prêtée et on ne me l’a pas encore rendue . Au moins Mme Denis vous a dit combien je vous suis attaché ; quoique vous ayez eu la cruauté de m'écrire que vous étiez avec respect, j'ai la justice moi d'être , avec respect et malgré cela avec sincérité, monsieur,
votre très humble et très obéissant serviteur
V.
Voulez-vous mieux, monsieur, avoir la bonté de me mettre aux pieds de Son Excellence ? M. Thomas ne sera-t-il pas de l'Académie ? »
1 Dans l'édition Taulès, cette lettre est imprimée par erreur après celle du 6 .
2 Sur ce mémorandum, voir lettre du 30 octobre 1766 à de Taulès : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/01/28/ce-bon-public-c-est-une-assemblee-de-fous-qui-devient-sage-a-6363000.html
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il y a en chemin quelque paquet de vous
...
Entente cordiale .
« A Jacques Lacombe
Je me flatte, monsieur, qu'il y a en chemin quelque paquet de vous, et que vous n’avez pas abandonné mon ami .
Je vous prie de me dire quel est l'auteur des plagiats de Jean-Jacques Rousseau 1. Ce livre se débite chez Durand, rue Saint-Jacques . Faites-moi le plaisir de vous en informer .
Savez-vous quels est l'imprimeur du procès de l'ingrat Jean-Jacques contre son bienfaiteur M. Hume ? On dit que les pièces de ce procès couvrent Jean-Jacques de ridicule et d'opprobre, et qu'enfin ce Diogène genevois est démasqué .
Adieu, monsieur, n'oubliez pas un homme qui vous aime véritablement .
V.
3è novembre 1766. »
1 D. J. C. B. = dom Joseph Cajot bénédictin : Les Plagiats de M. J.-J. R. de Genève sur l'éducation : https://books.google.fr/books?id=bNYpzgEACAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
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02/02/2022
La rage d’écrire et d’imprimer l’a saisi au point qu’il a cru que le public, enchanté de son style, lui pardonnerait sa noirceur
...Vingt quatre livres ( ce qui nous fait douze kilogrammes ) voilà pour le pensum à nous infligé par maître Zemmour Ier . Que d'arbres abattus pour tenter de faire connaître les diatribes de cet extrémiste ! De surcroît il se pavane et se réjouit de ralliements peu glorieux de mouches du coche, de ceux qui croient qu'il est venu le temps que les mouches changent d'âne ? Les mouches aiment bien ce qui pue , c'est tout . Un coup de queue les verra fuir illico .
« A Etienne-Noël Damilaville
3 novembre 1766 1
Je reçois votre lettre du 27, mon cher et vertueux ami. Vous ne me mandez point ce que pense le public de la folie et de l’ingratitude de Jean-Jacques. Il semble qu’on ait trouvé de l’éloquence dans son extravagante lettre à M. Hume. Les gens de lettres ont donc aujourd’hui le goût bien faux et bien égaré. Ne savent-ils pas que la première loi est de conformer son style à son sujet ? C’est le comble de l’impertinence d’affecter de grands mots quand il s’agit de petites choses. La lettre de Rousseau à M. Hume est aussi ridicule que le serait M. Chicaneau 2, s’il voulait s’exprimer comme Cinna et comme Auguste. On voit évidemment que ce charlatan, en écrivant sa lettre, songe à la rendre publique ; l’art y paraît à chaque ligne ; il est clair que c’est un ouvrage médité, et destiné au public. La rage d’écrire et d’imprimer l’a saisi au point qu’il a cru que le public, enchanté de son style, lui pardonnerait sa noirceur, et qu’il n’a pas hésité à calomnier son bienfaiteur dans l’espérance que sa fausse éloquence fera excuser son infâme procédé.
L’enragé qu’il est, m’a traité beaucoup plus mal encore que M. Hume ; il m’a accusé auprès de M. le prince de Conti et de Mme la duchesse de Luxembourg, de l’avoir fait condamner à Genève, et de l’avoir fait chasser de Suisse. Il le dit en Angleterre à quiconque veut l’entendre. Et pourquoi le dit-il ? C’est qu’il veut me rendre odieux. Et pourquoi veut-il me rendre odieux ? parce qu’il m’a outragé, parce qu’il m’écrivit, il y a plusieurs années, des lettres insolentes et absurdes, pour toute réponse à la bonté que j’avais eue de lui offrir une maison de campagne auprès de Genève.
C’est le plus méchant fou qui ait jamais existé, un singe qui mord ceux qui lui donnent à manger est plus raisonnable et plus humain que lui.
Comme je me trouve impliqué dans ses accusations contre M. Hume, j’ai été obligé d’écrire à cet estimable philosophe 3 un détail succinct de mes bontés pour Jean-Jacques, et de la singulière ingratitude dont il m’a payé. Je vous en enverrai une copie.
En attendant, je vous demande en grâce de faire voir à M. d’Alembert ce que je vous écris. M. d'Alembert s’est cru obligé de se justifier 4 de l’accusation intentée contre lui par Jean-Jacques d’avoir voulu se moquer de lui. L’accusation que j’essuie depuis près de deux ans est un peu plus ; sérieuse. Je serais un barbare si j’avais en effet persécuté Rousseau ; mais je serais un sot, si je ne prenais pas cette occasion de le confondre, et de faire voir sans réplique qu’il est le plus méchant fou qui ait jamais déshonoré la littérature.
Ce qui m’afflige, c’est que je n’ai aucune nouvelle de Meyrin. Je me porte toujours fort mal. Je vous embrasse tendrement et douloureusement. »
1 Texte de la copie contemporaine, avec l'emprunt du dernier paragraphe de l'edition Correspondance littéraire .
2 Personnage de la comédie des Plaideurs, de Racine .
4 La Déclaration de d’Alembert n’a pas été recueillie dans ses Œuvres : elle a été imprimée à la suite de l’Exposé succinct, etc.; voir une note 1 sur la lettre du 15 octobre 1766 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/01/13/m-6360082.html
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01/02/2022
Jouissez de vos passions, partagez-vous entre le travail et les plaisirs
... Voeux optimistes pour l'année du tigre !
« A Michel-Paul-Guy de Chabanon, de
l'Académie des sciences
rue du Doyenné
à Paris
3è novembre 1766 , à Ferney
Vous êtes donc, monsieur, tout à travers les ruines de l’empire romain, et vous faites pleurer votre Eudoxie sur les décombres de Rome. Quand aurai-je le plaisir de mêler mes larmes aux siennes ? Quand pourrai-je lire cet ouvrage, auquel je m’intéresse presque autant qu’à son auteur ? Quelque bon qu’il soit, il sera fort difficile qu’il soit aussi aimable que vous.
Vous prétendez donc que j’ai été amoureux dans mon temps tout comme un autre ? Vous pourriez ne vous pas tromper. Quiconque peint les passions les a ressenties, et il n’y a guère de barbouilleur qui n’ait exploité ses modèles. Voyez Jean-Jacques Rousseau : il traîne avec lui la belle Mlle Levasseur, sa blanchisseuse, âgée de cinquante ans, à laquelle il a fait trois enfants, qu’il a pourtant abandonnés pour s’attacher à l’éducation du seigneur Émile, et pour en faire un bon menuisier. C’est un grand charlatan et un grand misérable que ce Jean-Jacques Rousseau. J’aime mieux la charlatane Mlle Durancy, qui enchante le public, et à laquelle vous confierez probablement le rôle d’Eudoxie ou Eudocie.
Jouissez, monsieur, de tous vos talents, qui font votre gloire et votre bonheur. Jouissez de vos passions, partagez-vous entre le travail et les plaisirs, et n’oubliez pas un vieux solitaire si sensiblement pénétré de tout ce que vous valez.
Mme Denis vous fait mille tendres compliments.
V. »
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31/01/2022
Il faut de la force pour traiter le beau sujet, l’intéressant sujet, mais le difficile sujet que j’ai trouvé
... Chaque candidat dressé sur ses ergots se dope à l'autosatisfaction .
A vous de juger des programmes présidentiels . Panorama détaillé des excellentes [sic] informations : https://www.ifrap.org/comparateurs/presidentielle-2022
Qu'en dites-vous ?
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'ArgentaI
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
3è novembre 1766
Mes divins anges, pour peu que l’état où je suis continue ou empire, vous serez mal servis. Il faut de la force pour traiter le beau sujet, l’intéressant sujet, mais le difficile sujet que j’ai trouvé 1. J’ai besoin d’une santé que je n’ai pas ; j’ai besoin surtout du recueillement et de la tranquillité qu’on m’arrache. Le couvent que j’ai bâti pour vivre en solitaire ne désemplit point d’étrangers ; et vous savez quelles horreurs, soit de Paris, soit d’Abbeville, ont troublé mon repos et affligé mon âme.
Voilà encore ce malheureux charlatan Jean-Jacques Rousseau qui sème toujours la tracasserie et la discorde dans quelque lieu qu’il se réfugie. Ce malheureux a persuadé à quelques personnes du parti opposé à celui de M. Hume que je m’entendais contre lui avec ce même Hume qui l’a comblé de bienfaits. Ce n’est pas assez de le payer de la plus noire ingratitude, il prétend que je lui ai écrit à Londres une lettre insultante 2, moi qui ne lui ai pas écrit depuis environ neuf ans. Il m’accuse encore de l’avoir fait chasser de Genève et de Suisse ; il me calomnie auprès de M. le prince de Conti et de Mme la duchesse de Luxembourg 3; il me force ainsi de m’abaisser jusqu’à me justifier de ces ridicules et odieuses imputations. La vie d’un homme de lettres est un combat perpétuel, et on meurt les armes à la main.
Cela ne m’empêchera pas de traiter mon beau sujet, pourvu que la nature épuisée accorde encore cette consolation à ma vieillesse. Je serai soutenu par l’envie de faire quelque chose qui puisse vous plaire.
La troupe de Genève, qui n’est pas absolument mauvaise, se surpassa hier en jouant Olympie ; elle n’a jamais eu un si grand succès. La foule qui assistait à ce spectacle le redemanda pour le lendemain à grands cris. Je suis persuadé que Mlle Durancy ferait réussir bien davantage Olympie à Paris ; et, par tout ce que j’apprends d’elle, je juge qu’elle jouerait mieux le rôle d’Olympie que Mlle Clairon. Tâchez de vous donner ce double plaisir ; mais je vous avoue que je voudrais qu’on ne retranchât rien à la pièce. Toute mutilation énerve le corps et le défigure. Je n’ai point vu la représentation donnée à Genève ; je ne sors guère de mon lit depuis longtemps, mais je sais qu’on a joué la pièce d’après l’édition des Cramer, et je suis un peu déshonoré à Paris par l’édition de Duchesne.
Au reste, mes anges ne manqueront pas de pièces de théâtre. M. de Chabanon est bien avancé 4 ; La Harpe vient demain travailler chez moi. Si je vous suis inutile, mes élèves ne vous le seront pas.
J’espère enfin qu’Élie de Beaumont va faire jouer la tragédie des Sirven. Il est comme moi : il a été accablé de tracasseries et de chagrins, mais il travaille à sa pièce.
Vous m’assurez, mes divins anges, que M. le duc de Praslin trouve bon que j’emploie la protection dont il m’honore auprès de M. Du Clairon 5, commissaire de la marine à Amsterdam, au sujet de ces lettres défigurées que l’éditeur 6 de Rousseau a imprimées, et des notes infâmes dans lesquelles le seul Rousseau est loué, et presque toute la cour de France traitée d’une manière indigne et punissable. Ces notes ont été faites à Paris, et il ne serait pas mal de connaître le scélérat. Un mot d’un premier commis, au nom de M. le duc de Praslin, suffirait à M. Du Clairon.
Que mes anges agréent toujours ma tendresse inaltérable et respectueuse.
V. »
1 Les Scythes, dont il a déjà parlé dans la lettre du 26 septembre 1766 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2021/12/30/il-est-vrai-que-j-ai-ete-indigne-de-certaines-barbaries-velc-6357692.html
2 La Lettre au docteur Pansophe.
3 Voir la lettre du 9 janvier 1765 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/03/17/c-est-un-exercice-qui-apprend-a-la-fois-a-bien-parler-et-a-bien-prononcer-e.html
4 Dans sa tragédie d’Eudoxie, en cinq actes et en vers, imprimée en 1769, sans avoir été représentée. Voir : https://books.google.fr/books?id=I3fzA7GTmfwC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
5 Voyez la lettre du 6 octobre 1766 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/01/08/je-sais-que-tous-les-libelles-de-hollande-tombent-avec-le-te-6359255.html
6 Marc-Michel Rey, libraire de Rousseau à Amsterdam. Le volume de Lettres dont Voltaire se plaint ne porte pas le nom d’Amsterdam, mais celui de Genève. L’annotateur était J.-B. Robinet ; voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Appel_au_public/%C3%89dition_Garnier
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