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24/06/2022

Je sais que chaque province a ses embarras, et qu’il est bien difficile que le ministère remédie à tout

... Combien d'électeurs , sur-gonflés par des extrêmistes de l'acabit de Mélenchon, Marine Le Pen et Zemmour, ne sont plus capables d'avoir ce simple bon sens ?

Trop !

 

 

« A Louis-François-Armand du Plessis, duc de Richelieu

11è février 1767, à Ferney

Comme je dictais, monseigneur, les petites instructions nécessaires pour la représentation de la pièce dont je vous offrais les prémices pour Bordeaux, j’apprends une funeste nouvelle 1 qui suspend entièrement mon travail, et qui me fait partager votre douleur. J’ignore si cette perte ne vous obligera point de retourner à Paris . En tout cas, je serai toujours à vos ordres. Je voudrais que ma santé et mon âge pussent me permettre de vous faire ma cour dans quelque endroit que vous fussiez . Mais mon état douloureux me condamne à la retraite, et si j’avais été obligé de quitter Ferney, ce n’aurait été que pour une autre solitude, et je ne pourrais jamais quitter la solitude que pour vous. Mon petit pays, que vous avez trouvé si agréable et si riant, et qui est en effet le plus beau paysage qui soit au monde, est bien horrible cet hiver ; et il devient presque inhabitable, si les affaires de Genève restent dans la confusion où elles sont. Toute communication avec Lyon et avec les provinces voisines est absolument interrompue, et la plus extrême disette en tout genre a succédé à l’abondance. Nos laboureurs, déjà découragés, ne peuvent même préparer les socs de leurs charrues. Notre position est unique : car vous savez que nous sommes absolument séparés de la France par le lac, et qu’il est de toute impossibilité que le pays de Gex puisse se soutenir par lui-même.

Je sais que chaque province a ses embarras, et qu’il est bien difficile que le ministère remédie à tout. Les abus sont malheureusement nécessaires dans ce monde. Je sens bien qu’il n’est pas possible de punir les Genevois sans que nous en sentions les contre-coups.

Je vous demande pardon de vous parler de ces misères, dans un temps où la perte que vous avez faite vous occupe tout entier, mais je ne vous dis un mot de ma situation que pour vous marquer l’envie extrême que j’aurais de pouvoir servir à vous consoler, si je pouvais être assez heureux pour vous revoir encore, et pour vous renouveler mon tendre et profond respect.

V. »

23/06/2022

les préjugés sont si forts, la faiblesse si grande, l’ignorance si commune, le fanatisme si aveugle et si insolent, qu’on ne peut trop estimer ceux qui ont assez de courage pour secouer un joug si odieux et si déshonorant pour la nature humaine

... Mais sur combien de Voltaire peut-on compter aujourd'hui ?

 

 

« Au chevalier François-Jean de Chastellux 1

11è février 1767

Je vous devais déjà, monsieur, beaucoup de reconnaissance pour les efforts généreux que vous aviez faits auprès d’un homme respectable qui, cette fois, a été seul de son avis pour n’avoir pas été du vôtre. Je suis encore plus reconnaissant de la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, et des sentiments que vous y témoignez. Il y a si peu de personnes qui cherchent à s’instruire de ce qui mérite le plus l’attention de tous les hommes ; les préjugés sont si forts, la faiblesse si grande, l’ignorance si commune, le fanatisme si aveugle et si insolent, qu’on ne peut trop estimer ceux qui ont assez de courage pour secouer un joug si odieux et si déshonorant pour la nature humaine. Cette vraie philosophie, qu’on cherche à décrier, élève le courage, et rend le cœur compatissant. J’ai trouvé souvent l’humanité parmi les officiers, et la barbarie parmi les gens de robe. Je suis persuadé qu’un conseil de guerre aurait mis en prison pour un an le chevalier de La Barre, coupable d’une très grande indécence ; mais que ceux qui hasardent leur vie pour le service du roi et de l’État n’auraient point fait donner la question à un enfant, et ne l’auraient point condamné à un supplice horrible. La jurisprudence du fanatisme est quelque chose d’exécrable : c’est une fureur monstrueuse. Tandis que d’un côté la raison adoucit les mœurs, et que les lumières s’étendent, les ténèbres s’épaississent de l’autre, et la superstition endurcit les âmes.

Continuez, monsieur, à prendre le parti de l’humanité. L’exemple d’un homme de votre nom et de votre mérite pourra beaucoup. Mon âge et mes maladies ne me permettent pas d’espérer de longues années ; je mourrai consolé en laissant au monde des hommes tels que vous. Je vous supplie d’agréer mon sincère et respectueux attachement. »

1 François-Jean, chevalier, puis marquis de Chastellux, né en 1734, mort en 1788, auteur de plusieurs ouvrages, et entre autres d’un traité De la Félicité publique, sur la seconde édition duquel Voltaire fournit un extrait dans le Journal de politique et de littérature ;

voir : https://www.academie-francaise.fr/les-immortels/francois-jean-de-chastellux

voir : https://www.jstor.org/stable/20846674

et : https://dictionnaire-journaux.gazettes18e.fr/journal/0684-journal-de-politique-et-de-litterature

et : https://c18.net/vll/vll_pages.php

Ce qu’il y aurait de mieux à faire, à mon avis

... Autant d'avis que de partis . Les grenouilles se croyant boeufs du RN et de NUPES coassent à en perdre la voix , réclamant des postes prestigieux ( et rémunérateurs, bien entendu ) . Et dire qu'il va falloir les supporter cinq ans !

 

 

 

« A Charles Bordes

A Ferney, 11è février 1767

Vous m’aviez ordonné, monsieur, de vous renvoyer par le coche les deux mauvais ouvrages jésuitiques, dans lesquels il y a des anecdotes curieuses, et qui fournissent beaucoup à l’art de profiter des mauvais livres . Mais il n’y a plus de coche, plus de voitures de Genève à Lyon, plus de communication. Ce qu’il y aurait de mieux à faire, à mon avis, serait d’acheter le nouvel exemplaire qu’on vous propose pour le rendre à votre dévote, je le paierai très volontiers, à la faveur d’une lettre de change que j’ai sur M. Scherer 1 pour le payement des Rois.

L'anecdote qu'on vous a contée sur ce malheureux Jean-Jacques est très vraie . Le malheureux a laissé mourir ses enfants à l'hôpital, malgré la pitié d’une personne compatissante qui voulait les secourir . Comptez que Rousseau est un monstre d’orgueil, de bassesse, d'atrocité, et de contradictions 2.

Je crois que vous jugez très bien M. Thomas en lui accordant de grandes idées et de grandes expressions.

Les troubles de Genève, les mesures que le gouvernement à prises, l’interruption de tout commerce, la rigueur intolérable de l’hiver, la disette où notre petit pays est réduit, m’ont rendu Ferney moins agréable qu’il n’était. J’espère, si je suis encore en vie l’hiver prochain, le passer à Lyon auprès de vous, et ce sera pour moi une grande consolation. Je vous embrasse de tout mon cœur, mon cher confrère. 

V.»

1 Première référence au banquier lyonnais dont il sera beaucoup question par la suite .

22/06/2022

le grand art des silences ; si elle sait dire de ces non qui veulent dire oui ; si elle sait accompagner une cruauté d’un soupir, et démentir quelquefois ses paroles, je réponds du succès... nécessaire pour faire enrager les ennemis de la raison

... On ne trouvera pas ces paroles dans le discours d'Emmanuel Macron ce soir, mais il les pense, les souhaite même,  Mme Borne étant son élue, elle ne doit pas faillir . Après les hors-d'oeuvres électoraux, il est temps de passer  au plat de résistance : gouverner !

https://cdn-s-www.leprogres.fr/images/C34BFF0A-6468-40FB-AF95-5CD9B26CBE2D/NW_raw/title-1652761814.jpg

https://www.lemonde.fr/politique/live/2022/06/22/l-actual...

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'ArgentaI

11 février 1767, à 8 heures du matin

Les plus importantes affaires de ce monde, sans doute, sont des tragédies, car elles poursuivent l’âme le jour et la nuit. Ma première idée, quand on veut m’ôter un vers que j’aime, c’est de murmurer et de gronder ; la seconde, c’est de me rendre, J’aimais ce vers :

Elle n’a plus coûté que vous ne pouvez croire 1;

mais il était 6 heures du matin ; et, actuellement qu’il en est 8, j’aime mieux celui-ci :

Me dompter en tout temps est mon sort et ma gloire.

Ainsi donc, mes anges, n’en croyez point mes deux paquets qui sont partis ce matin ; croyez ce billet-ci qui court après. Je vous demande bien pardon, mes anges, de vous donner tant de peine pour si peu de chose 2.

Si Mlle Durancy entend, comme je le crois, le grand art des silences ; si elle sait dire de ces non qui veulent dire oui ; si elle sait accompagner une cruauté d’un soupir, et démentir quelquefois ses paroles, je réponds du succès ; sinon je réponds des sifflets. J’avoue qu’un grand succès serait nécessaire pour faire enrager les ennemis de la raison, sans parler des miens. La pièce dépend entièrement des acteurs 3. »

1 Je ne sais à quelle scène ce vers appartient. (Beuchot.)

2 Dans Beuchot on trouve ici des phrases qui appartiennent à la lettre précédente. : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/06/22/voici-le-temps-de-copier-les-roles-et-de-les-apprendre.html

3 « Cet alinéa est, sans aucun doute, un fragment d’une lettre postérieure » affirme , par erreur, Georges Avenel.)

Voici le temps de copier les rôles et de les apprendre

... Et nous irons sans doute plus souvent à la soupe à la grimace qu'à la franche entente : et c'est parti pour cinq ans !  Bla bla bla : https://www.20minutes.fr/politique/3313111-20220622-legis... 

Rétropédalage (inévitable avec un tel bonhomme prêt à tout ) : https://www.bfmtv.com/politique/elections/legislatives/proposition-de-groupe-unique-melenchon-concede-avoir-peut-etre-ete-un-peu-trop-rapide_AN-202206210462.html

https://cdn-s-www.leprogres.fr/images/339456AA-D7CC-4BFC-82C1-973D475618FB/MF_contenu/le-dessin-du-jour-1651250703.jpg

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

[10-11 février 1767] 1

Je reçus hier la lettre du 3 février de mon cher ange, après avoir fait partir ma réponse à la lettre du 2è. Je suppose toujours que les deux exemplaires adressés à M. le duc de Praslin lui sont parvenus.

Les dernières additions que j’ai envoyées à mon ange et à M. de Thibouville peuvent servir aisément à rendre les deux exemplaires complets et corrects . Mais, pour abondance de précautions, voici encore un exemplaire nouveau, bien exactement revu, lequel pourra servir de modèle pour les autres ; il part à l’adresse de M. le duc de Praslin.

Je ne saurais être de l’avis de mon ange sur ce vers d’Obéide, dans la scène avec son père, au cinquième acte :

Elle m’a plus coûté que vous ne pouvez croire.


Cela ne veut dire autre chose pour ce père, sinon qu’il en a coûté beaucoup d’efforts à une jeune personne, élevée à la cour, pour venir s’ensevelir dans des déserts ; mais, pour le spectateur, cela veut dire qu’elle aime Athamare. Si j’avais le malheur de céder à cette critique, j’ôterais tout le piquant et tout l’intérêt de cette scène. J’ai fait humainement ce que j’ai pu. Il ne faut pas demander à un artiste plus qu’il ne peut faire ; il y à un terme à tout ; personne ne peut travailler que suivant ses forces.

Voici le temps de copier les rôles et de les apprendre ; il n’y a plus ni à reculer ni à travailler. Je demande seulement qu’on joue La Jeune Indienne 2 avec Les Scythes. Je serai bien aise de donner cette marque d’attention à M. de Chamfort, qui est, dit-on, très aimable, et qui me témoigne beaucoup d’amitié. Si ces deux pièces sont bien jouées, elles vaudront de l’argent au tripot ; elles donneront du plaisir à mes anges, mais, pour moi, je suis incapable de plaisir : je ne le suis que de consolation, et ma plus grande est l’amitié dont mes anges m’honorent.

N. B. – Dans le tracas horrible qui m’a accablé pendant un mois, je ne me suis jamais aperçu d’une faute d’impression au cinquième acte, page 64 :

Sozame a-t-il appris que sa fille qu’il aime.


Il y avait dans le manuscrit :

Sozame a-t-il appris à sa fille qui m’aime.


Il y a encore quelques petits changements fort légers dans la copie ci-jointe.

N. B. Comment pouvez-vous m’outrager au point de me soutenir que ce vers :

Elle m’a plus coûté que vous ne pouvez croire,


signifie :

Mon père, j’adore Athamare, et je ne le tuerai point, puisque le moment d’après elle dit :

Après ce coup terrible et qu’il me faut porter ?


Ce mot
qu’il me faut porter ne rejette-t-il pas très-loin tous les soupçons que pourrait concevoir le père ? D’ailleurs, quels soupçons pourrait-il avoir après les serments de sa fille ? Vous tueriez ma pièce si vous ôtiez Elle m’a plus coûté que vous ne pouvez croire. Je sais bien qu’il y aura quelques mouvements au cinquième acte parmi les malintentionnés du parterre ; mais je vous réponds que le receveur de la Comédie sera très-content de la pièce. Laissons dire Fréron et l’avocat Coquelet 3, son approbateur, et les soldats de Corbulon[3] 4, s’il y en a encore, et qu’on sonne 5 le bouteselle.

Mille tendres respects. Je ne sais point la demeure de M. le chevalier de Chastellux . Je prends la liberté de vous adresser la lettre 6.

V."

1 L'édition de Kehl est limitée à quelques lignes amalgamées à la lettre du 11 ; Cayrol la date du 8 février 1767, ce qu'on corrige en voyant la lettre du 11 .

2 La Jeune Indienne , de Chamfort, ne fut jamais représentée avec Les Scythes malgré la parenté des sujets . Voir : http://theatre-classique.fr/pages/programmes/edition.php?t=../documents/CHAMFORT_LAJEUNEINDIENNE.xml

 

3 Ou plutôt Coqueley ; voir la lettre à Damilaville du 10 avril 1767: http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/05/correspondance-annee-1767-partie-26.html

L'approbateur de la pièce est bien Coqueley, et non Coquelet, comme l'écrit Wagnière .

4 On appelle ainsi les partisans de Crébillon ; par allusion aux vers de Rhadamiste et Zénobie, ac. III, sc. 2 :

De quels front osez-vous, soldats de Corbulon,

M’apporter dans ma cour les ordres de Néron ?

Voir la note 2 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome37.djvu/416

5 Et non qu'on some, comme le porte l'édition Besterman . Il s'agit d'une sonnerie de la cavalerie ordonnant la montée en selle .

il me fera un plaisir extrême de m’envoyer sur-le-champ un exemplaire complet

... de son curiculum vitae", telle est la demande du recteur  de l'université Paris-Panthéon-Assas à M. Blanquer , qui comme le disait le président Macron , a traversé la rue pour trouver son nouvel emploi . En cela, il semble bien avoir transformé le coup de pied au cul des électeurs en coup de piston indigne . Selon que vous serez puissant ou misérable ...

https://www.letelegramme.fr/france/jean-michel-blanquer-pressenti-pour-integrer-l-universite-paris-pantheon-assas-22-06-2022-13079379.phphttps://www.letelegramme.fr/france/jean-michel-blanquer-pressenti-pour-integrer-l-universite-paris-pantheon-assas-22-06-2022-13079379.php

 

 

« A Gabriel Cramer

[vers le 10 février 1767]

Je supplie instamment M. Cramer de vouloir bien lire la lettre de M. l'avoyer régnant de Berne, et il me fera un plaisir extrême de m’envoyer sur-le-champ un exemplaire complet pour M. d'Erlac 1. Je lui serait infiniment obligé . »

1 Et non d'Ehlac, comme le transcrit l'édition Besterman . Ce billet s'apparente manifestement à la lettre du 10 février à von Erlach, avoyer de Berne  : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2022/06/20/ces-libelles-sont-plus-dangereux-dans-ces-temps-de-fermentat-6387869.html

21/06/2022

On se plaît à analyser tout. Les Français se piquent à présent d’être profonds...Ce qu’ils pourraient faire de plus judicieux serait de céder aux conjonctures, et de s’accommoder... leur dernière ressource est l’asile

... communément dénommé Assemblée Nationale . La chasse au perchoir est ouverte, les unions sont périmées, les divorces sont évités pour de pures raisons financières, les adultères sont inévitables : qui restera fidèle cinq ans ?

 

 

« A Frédéric II, roi de Prusse

[10 février 1767]

[Recommande d'Etallonde à l'attention du roi .] 1

1 V* signale cette lettre du 10 février à Frédéric II dans sa lettre du même jour à d'Etallonde . Frédéric répondra le 28 février 1767 , ce qui nous donne une idée des sujets abordés par V* : «  Potsdam, 28 février.

Je félicite l’Europe des productions dont vous l’avez enrichie pendant plus de cinquante années, et je souhaite que vous en ajoutiez encore autant que les Fontenelle, les Fleury et les Nestor en ont vécu. Avec vous finit le siècle de Louis XIV. De cette époque si féconde en grands hommes, vous êtes le dernier qui nous reste. Le dégoût des lettres, la satiété des chefs-d’œuvre que l’esprit humain a produits, un esprit de calcul, voilà le goût du temps présent.

Parmi la foule de gens d’esprit dont la France abonde, je ne trouve pas de ces esprits créateurs, de ces vrais génies qui s’annoncent par de grandes beautés, des traits brillants, et des écarts même. On se plaît à analyser tout. Les Français se piquent à présent d’être profonds. Leurs livres semblent faits par de froids raisonneurs, et ces grâces qui leur étaient si naturelles, ils les négligent.

Un des meilleurs ouvrages que j’aie lus de longtemps est ce factum pour les Calas, fait par un avocat[1] dont le nom ne me revient pas. Ce factum est plein de traits de véritable éloquence, et je crois l’auteur digne de marcher sur les traces de Bossuet, etc., non comme théologien, mais comme orateur.

Vous êtes environné d’orateurs qui haranguent à coups de baïonnettes et de cartouches : c’est un voisinage désagréable pour un philosophe qui vit en retraite, plus encore pour les Genevois.

Cela me rappelle le conte du Suisse qui mangeait une omelette au lard un jour maigre, et qui, entendant tonner, s’écria : « Grand Dieu ! voilà bien du bruit pour une omelette au lard[2]. » Les Genevois pourraient faire cette exclamation en s’adressant à Louis XV. La fin de ce blocus ne tournera pas à l’avantage du peuple. Ce qu’ils pourraient faire de plus judicieux serait de céder aux conjonctures, et de s’accommoder. Si l’obstination et l’animosité les en empêchent, leur dernière ressource est l’asile que je leur prépare, et qui se trouve dans un lieu que vous jugez très-bien qui leur sera convenable [3].

Je ne sais quel est le jeune homme dont vous me parlez[4]. Je m’informerai s’il se trouve à Wesel quelqu’un de ce nom. En cas qu’il y soit, votre recommandation ne lui sera pas inutile.

Voici de suite trois jugements bien honteux pour les parlements de France. Les Calas, les Sirven et La Barre devraient ouvrir les yeux au gouvernement, et le porter à la réforme des procédures criminelles ; mais on ne corrige les abus que quand ils sont parvenus à leur comble. Quand ces cours de justice auront fait rouer quelque duc et pair par distraction, les grandes maisons crieront, les courtisans mèneront grand bruit, et les calamités publiques parviendront au trône.

Pendant la guerre, il y avait une contagion à Breslau : on enterrait cent vingt personnes par jour ; une comtesse dit : « Dieu merci, la grande noblesse est épargnée ; ce n’est que le peuple qui meurt. » Voilà l’image de ce que pensent les gens en place, qui se croient pétris de molécules plus précieuses que ce qui fait la composition du peuple qu’ils oppriment. Cela a été ainsi presque de tout temps. L’allure des grandes monarchies est la même. Il n’y a guère que ceux qui ont souffert l’oppression qui la connaissent et la détestent. Ces enfants de la fortune, qu’elle a engourdis dans la prospérité, pensent que les maux du peuple sont exagération, que des injustices sont des méprises ; et pourvu que le premier ressort aille, il importe peu du reste.

Je souhaite, puisque la destinée du monde est d’être mené ainsi, que la guerre s’écarte de votre habitation, et que vous jouissiez paisiblement dans votre retraite d’un repos qui vous est dû, sous les ombrages des lauriers d’Apollon : je souhaite encore que, dans cette douce retraite, vous ayez autant de plaisir que vos ouvrages en ont donné à vos lecteurs. À moins d’être au troisième ciel[5], vous ne sauriez être plus heureux.

Fédéric.

  • Le Mémoire de Sudre ou celui d’Elie de Beaumont, mentionnés dans la note, tome XXIV, page 365, sous les nos ii et iv.

  • Beaucoup d’auteurs, et Voltaire lui-même (voyez tome XXVI, page 498), attribuent ce mot à Desbarreaux.

  • La lettre où Voltaire parle, pour la première fois, à Frédéric du malheureux d’Étallonde de Morival paraît perdue. (B.) — Dominique de Morival, cadet au régiment d’infanterie du général d’Eichmann, n° 48, à Wesel, fut nommé officier le 27 avril 1767.

  • « Au premier ciel. » (Œuvres posthumes, édit. de Berlin.) »