22/03/2020
Je suis fâché d'applaudir de si loin au bon parti que vous avez pris , je ne suis plus qu'une ombre, et pas même une ombre ambulante
... Confiné, con in fine !
A noter, ce matin, chez Intermarché, il n'y avait plus de beurre, ni argent du beurre, ni main de la crémière, ni autres matières grasses ! Why ? Dernier tango à Paris ?
« A Davis-Louis Constant de Rebecque, seigneur d'Hermenches
Major etc.
à Landrecy
Flandre
12è janvier 1765 à Ferney
Je vous écris de mon lit, mon cher colonel français 1. Vous devez être regretté à La Haye, et bien accueilli chez nous, vous nous défendez et vous plairez, voilà ce qu'il nous faut . Je suis fâché d'applaudir de si loin au bon parti que vous avez pris , je ne suis plus qu'une ombre, et pas même une ombre ambulante .
L’extrême faiblesse qui me fait languir, et la perte presque entière de mes yeux, ne me font pas espérer le bonheur de vous revoir . Il ne me reste que le tendre intérêt que je prendrai jusqu'à mon dernier moment à votre félicité et à vos succès . Je sens que je suis encore en vie par la vivacité de mes sentiments pour vous . Mme Denis se porte mieux que moi, mais elle ne vous aime pas davantage . Souffrez que M. de Besenval 2 trouve ici les assurances de mon respect .
V. »
1 Grâce aux efforts de V* , Constant a été admis colonel dans le régiment français d'Eptingen .
2 Sur Pieter Joseph Victor, baron de Besenval, inspecteur des troupes suisses dans l'armée française , voir lettre du 13 mars 1757 à Constant : « Auguste sultan , […] Nous nous prosternons aux pieds de votre trône, et nous prions le Dieu miséricordieux qu'il vous conserve les sublimes talents dont le bacha Buzanval fait un si bel éloge . » Et : https://gw.geneanet.org/pierfit?lang=fr&n=de+besenval&oc=0&p=pierre+joseph+victor
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21/03/2020
Il n'y a pas un moment à perdre si on veut lui sauver la vie
... Tristement d'actualité .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
12 janvier 1765 à Ferney 1
Mes divins anges, j'ai oublié dans la requête à M. le duc de Praslin, de spécifier que ce vieux de Moultou qui veut promener sa veille vessie à Montpellier, a un fils qu'on appelle prêtre, ministre du saint Évangile, pasteur d'ouailles calvinistes, et qui n'est rien de tout cela ; c'est un philosophe des plus décidés, et des plus aimables . J'ignore si sa qualité de ministre évangélique s'oppose aux bontés d'un ministre d’État . J’ignore s'il est nécessaire que M. le duc de Praslin ait la bonté de faire mettre dans le passeport, le sieur de Moultou et son fils prêtre . Je m'en rapporte uniquement à la protection et à la complaisance de M. le duc de Praslin ; les maux que souffre Moultou le père sont dignes de sa pitié . Il n'y a pas un moment à perdre si on veut lui sauver la vie . Tronchin inocule, mais il ne taille point de la pierre .
N.B. – Je suis fâché pour la philosophie que Jean-Jacques Rousseau ait commencé par être fou, et finisse par être un très malhonnête homme . Il veut mettre le trouble dans Genève par un assez mauvais livre contre le gouvernement de cette ville, et contre la médiation 2. Il a envoyé cet insolent ouvrage au président qui en aura sans doute instruit M. le duc de Praslin . Il a déchaîné la populace contre le magistrat, mais j'espère que ce petit désordre n’aura pas de suites, et que vous n’enverrez pas les troupes à Genève comme en Corse 3.
Mes anges, je baise toujours le bout de vos ailes .
V.
Puisque j'ai acquis un œil je vais donc me remettre à la conspiration des Roués, mais encore une fois trouvez-moi des acteurs, ou faites jouer les Roués à l'Opéra-Comique .
Je recommande à vos bontés la petite affaire de M. Moultou et je supplie M. le duc de Praslin de vouloir bien m’adresser le passeport . Pour moi je crois que j'en aurai un bientôt pour l'autre monde . Vivez heureux dans celui-ci, mes très adorables anges .
V.»
1 L'édition de Kehl est réduite au premier paragraphe, le reste ayant été biffé sur la copie Beaumarchais . Il n'est pas sûr, d'autre part, que le post-scriptum, qui semble avoir été ajouté après coup sur la copie, n'ait pas fait partie d'une autre lettre .
2 Sur cette médiation, voir lettre du 10 janvier 1765 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/03/18/j-emploie-mon-bon-oeil-mon-divin-ange.html
3 Une expédition française a été envoyée pour occuper la forteresse de Gênes ; la suite de cette affaire est la cession à la France , en mai 1768, de la Corse, qui dépendait alors de Gênes et s'était révoltée . Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_Corse
10:42 | Lien permanent | Commentaires (0)
Ne doutez pas que je ne fasse ce que vous m'ordonnez
... A regret, certes, mais je le fais, et je compte les jours comme avant la quille . Je vous assure que j'arroserai ça avec des copains/copines et non avec cette sempiternelle et tristounette modération rabat-joie .
« A Paul-Claude Moultou
à Genève
[11 ou 12 janvier 1765] 1
Les lettres du vendredi, mon cher ami, arrivent je crois le même jour que celles du samedi . Ne doutez pas que je ne fasse ce que vous m'ordonnez . Vous connaissez le voyageur Dampier 2, il dit qu'il a traversé l'Amérique d'un bout à l'autre sans jamais rencontrer un seul sauvage qui trouvât mauvais qu'il fut de la religion anglicane . J'écrirai donc une seconde lettre, quoique je pense fermement que vous n'en avez pas besoin . J'avouerai votre turpitude, puisque vous le voulez ; mais pour vous rassurer je vous dirai que lorsque M. Carbon s'en retourna avec sa famille, je demandai un passeport à M. le maréchal de Richelieu qui m'envoya faire faire 3 avec mon passeport , et qui me dit que pourvu que ce M. Carbon n'ameutât point le peuple et ne priât point Dieu la baïonnette au bout du fusil, il serait le très bien venu . Il est aujourd'hui très tranquille et très heureux dans sa patrie ; et cependant il était violemment soupçonné d’être apôtre . Enfin, puisque vous le voulez je vais avouer votre apostolat . Allez, vous étiez fait pour être ministre d’État et non ministre d’Église .
Je vous embrasse bien tendrement . »
1 Cette lettre est postérieure à celle que V* dut écrire à Choiseul-Praslin le 11 janvier afin de solliciter un passeport pour Moultou et pour son père obligé d'aller à Montpellier pour se soigner , antérieure à celle du 12 janvier 1765 à d'Argental ; voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/09/correspondance-annee-1765-partie-2.html
2 Sur le voyage de Dampier, voir https://data.bnf.fr/fr/12321686/william_dampier/
3 Euphémisme encore en usage pour faire foutre .
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20/03/2020
Cette requête en produira rien, mais elle fera voir au public que j'ai fait toutes les démarches convenables
... Ah oui !
Le Covid-19 "ennemi de l'humanité" ! Bravo Tedros Adhanom Ghebreyesus ! Bravo ! Tu en as dans le pantalon pour oser défier ce microbe depuis ton bureau climatisé et ton luxueux logement de fonction . Dans le domaine des conneries de fonctionnaires internationaux inutiles, je crois qu'on vient d'atteindre un niveau stratosphérique .
Ô oui, Covid-19, tremble, tu as maintenant contre toi le patron de l'OMS !
« A Henri Rieu
[10 janvier 1765 ?] 1
Je prends la liberté d'envoyer à mon cher corsaire un Warburton anglais complet, qu'il joindra à sa bibliothèque anglaise . Je le prie d'ouvrir le paquet, d'y prendre ce qui lui appartient et quatre ou cinq dictionnaires pour lui ou pour les personnes qu'il voudra en gratifier . On remettra le reste empaqueté entre les mains du porteur . La petite brochure qu'il m'a envoyée 2 n'est ni bien élégante ni bien fine, mais elle me paraît sage et forte, et elle doit, ce me semble, faire beaucoup d'effet sur l'esprit de la plupart ds citoyens . On dit qu'elle est de Vernes . S'il sait quelque chose de nouveau il me fera grand plaisir de m'en instruire . Je ne doute pas qu'il n'ait eu la bonté d'écrire fortement à M. Astier et qu'il ne l'ait engagé à détruire en Hollande l'infâme calomnie qui n'y est que trop accréditée .
Voici la copie de ce que j'écris à monsieur le grand pensionnaire 3. Monsieur Rieu est prié de vouloir bien envoyer cette copie à M. Astier , afin qu'il la fasse mettre dans toutes les gazettes de Hollande . Cette requête en produira rien, mais elle fera voir au public que j'ai fait toutes les démarches convenables . Cela est d'autant plus nécessaire que le roi lit le Gazette d'Amsterdam .
On fait mille tendres compliments à M. Rieu, tout le monde l'embrasse et le regrette . »
1 Lettre datée d'après la lettre du même jour à Cramer : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/03/19/il-faut-tout-servir-chaud-les-plats-refroidis-ne-tentent-personne.html
2 Le Sentiment des citoyens, souvent attribué à V*, et qui suivant Rivoire, a été publié le 27 décembre 1764 : https://fr.wikisource.org/wiki/Sentiment_des_citoyens/%C3%89dition_Garnier
3 On ne connait pas cette lettre . Tout ce qu'on en sait est contenu dans une lettre du 26 février 1765 écrite de Londres par Garcin à Moultou : « Voltaire a écrit au grand pensionnaire à La Haye pour se plaindre des libraires qui ont imprimé sous son nom diverses productions impies . Sa lettre n'est qu’un chiffon écrite d'un style cavalier qui a fort choqué le pensionnaire . Il ne sera pas question de réponse . Cette misère a fait pendant huit jours le sujet des conversations à La Haye . »
09:30 | Lien permanent | Commentaires (0)
19/03/2020
moi pauvre malade qui ne peut aller en robe de chambre dans votre jolie ville
... pas plus malade qu'en robe de chambre, à la vérité ! Confiné, par un si beau temps ! Je vais prendre un teint d'endive . Je rêve d'évasion .
Les Soufflaculs de St Claude détiennent le remède souverain contre tous les maux : le rire
https://www.saint-claude-haut-jura.com/les-soufflaculs-ca...
« A François Tronchin
Conseiller d’État
à Genève
Vous ferez comme vous voudrez, mon cher ami, mais il est d'une nécessité indispensable que je vous parle, soit pour l'arrangement des Délices, soit pour tout ce qui pourra vous amuser . Vous pouvez hardiment venir sur votre petit cheval, ou par le grand chemin, ou en prenant des détours tout comme il vous plaira . Il n'en est pas ainsi de moi pauvre malade qui ne peut aller en robe de chambre dans votre jolie ville . Vous sentez que j'aurais besoin d'escorte . Je vous embrasse ex toto corde meo .
10è j[anvier 1765] »
10:16 | Lien permanent | Commentaires (0)
Il faut tout servir chaud, les plats refroidis ne tentent personne
... C'est que semble bien appliquer l'Assemblée nationale , qui, réduite comme peau de chagrin, continue à assurer un semblant d'activité démocratique immédiate pour sauver ce qui peut l'être encore/ceux qui peuvent l'être encore .
Les bleus sont de sortie : Ausweis bitte !
« A Gabriel Cramer
[10 janvier 1765] 1
J'ai tant de choses à vous dire, mon cher Caro, que je ne vous dis mot . Il faut absolument que je vous voie, vous et monsieur votre frère . Soyons sûr que l’Histoire de la destruction entrera dans Paris sans aucune difficulté et sera bien reçue . Croyez-moi, pressez cette besogne . Il faut tout servir chaud, les plats refroidis ne tentent personne . Nos faisons tous nos tendre compliments à toute votre famille .
Permettez que je vous prie de faire parvenir ce petit billet à M. François Tronchin, et cet autre à M. Rieu votre voisin . »
1 L'édition Gagnebin date la lettre par rapport à celle du même jour à Tronchin nettement datée du 10, étant observé que c'est le 15 janvier 1765 que V* verra des épreuves du livre de d'Alembert ; voir lettre du 15 janvier 1765 : http://www.monsieurdevoltaire.com/2015/02/correspondance-avec-d-alembre-partie-35.html
09:13 | Lien permanent | Commentaires (0)
18/03/2020
J'emploie mon bon œil mon divin ange
... pour regarder ceci, entre autres :
https://www.lefigaro.fr/bd/le-confinement-vu-par-les-dess...
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
10è janvier [1765] 1
J'emploie mon bon œil mon divin ange
Pour vous dire un penser indigne, bas et lâche 2.
Je me surprends presque dans l'affliction que ma nouvelle ne soit pas vraie . Cependant un neveu doit être informé de la santé de son oncle, et c'était un neveu qui parlait 3.
Je suis encore affligé que le tyran 4 du tripot se brouille avec vous. Voilà un beau sujet de guerre 5 ; cela est bien ridicule, bien petit. Ah ! que de faiblesses chez nous autres humains ! Mais existe-t-il un tripot ? On dit qu’il n’y a plus que celui de l’Opéra-Comique 6, et que c’est là que tout l’honneur de la France s’est réfugié.
Autre sujet d’affliction, mais légère : la discorde est toujours à Genève. Rousseau a trouvé le secret d’allumer le flambeau du haut de sa montagne, sans qu’en vérité il y ait le moindre fondement à la querelle. Le peuple est insolent, et le Conseil faible . Voilà tout le sujet de la guerre. Le plaisant de l’affaire c’est, comme je l’ai déjà dit, que le peuple de Calvin prétend qu’un citoyen de Genève a le droit d’écrire tant qu’il veut contre le christianisme, sans que le Conseil soit en droit de le trouver mauvais ; et, pour rendre la farce complète, les ministres du saint Évangile sont du parti de Jean-Jacques, après qu’il s’est bien moqué d’eux. Cela paraît incompréhensible, mais cela est très vrai. Il faudrait cette fois recourir à la médiation de Spinoza 7.
Ce petit magot de Rousseau a écrit un gros livre contre le gouvernement, et son livre enchante la moitié de la ville. Il dit, en termes formels, qu’il faut avoir perdu le bon sens pour croire les miracles de Jésus-Christ 8.
Malheureusement il m’a fourré là très mal à propos. Il dit au Conseil que j’ai fait le Sermon des Cinquante. Ah ! Jean-Jacques, cela n’est pas d'un philosophe . Il est infâme d’être délateur, il est abominable de dénoncer son confrère, et de le calomnier aussi injustement. En un mot, mon cher ange, vous pouvez compter qu’on est aussi ridicule dans mon voisinage qu’on l’était à Paris du temps des billets de confession ; mais le ridicule est d’une espèce toute contraire.
Comment se porte Mme d'Argental ? Je me mets à ses pieds . Serez-vous assez bon pour présenter mes respects à M. le duc de Praslin ? 9»
1 L'édition de Kehl a lu 1764, année portée par d'Argental, corrigée par Beuchot . Le chiffre ressemble à un 6, mais la date du 10 est plus vraisemblable, par rapprochement avec la lettre du 9 janvier à d'Alembert .
2 Réminiscence de Corneille ; Polyeucte, III, 5 : vers 1049 : http://www.theatre-classique.fr/pages/programmes/edition.php?t=../documents/CORNEILLEP_POLYEUCTE.xml#A3.S35
3 Ce début, ainsi que le mot encore dans la phrase suivante a été biffé sur la copie Beaumarchais et manque dans les éditions ; voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/09/correspondance-annee-1765-partie-1.html
4Le duc de Richelieu .
5 Peut-être une réminiscence de La Fontaine : vers 18 de « Le chat, la belette et le petit lapin » : https://poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/Poemes/jean_de_la_fontaine/le_chat_la_belette_et_le_petit_lapin
6 Formé en 1763 par la réunion du Théâtre-Italien et de l'ancien Théâtre de la Foire ou des Boulevards,l'Opéra-Comique a alors ne excellente réputation, grâce à des auteurs tels que Favart, ou à des comédiens tels que Mme Favart .Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9%C3%A2tre_national_de_l%27Op%C3%A9ra-Comique
7 Sur un autre plan, il y a déjà eu en 1738 une médiation par Berne, Zurich et la France qui a abouti à un important document constitutionnel, le Règlement de l'illustre médiation : https://books.google.fr/books?id=zuxq45JNVG0C&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
8 Lettres écrites de la montagne, II, 3 : https://www.rousseauonline.ch/pdf/rousseauonline-0028.pdf
9 Paragraphe biffé sur la copie Beaumarchais et manquant dans les éditions .
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