12/07/2018
Je ne suis point rétif, point opiniâtre, point amoureux de ma statue. Quand je ne corrige pas, c’est que je ne trouve pas . La bonne volonté ne me manque point, mais bien l’imagination
... Ainsi aimerais-je faire aussi !
Brain storming ?
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
27è juillet [1763] 1
Mes divins anges, Dieu soit loué, et Lekain .2 Je suis fort aise que votre nation soit assez ferme pour soutenir une tragédie sans femme . Cette aventure est fort à l’honneur des acteurs. Lekain m’a écrit une jolie lettre sur cette affaire . S’il se met à avoir de l’esprit, il ne lui manquera rien.
Vraiment je serai fort aise que M. de Praslin s’amuse de mes coupe-jarrets . Mais il y a un rôle de Fulvie dont je ne suis pas content aux premiers actes . La vérité historique m’avait induit en erreur. Il est vrai que la femme d’Antoine avait eu une passade avec Octave ; mais ce trait historique n’est point du tout tragique. Je ne crois pas qu’une femme répudiée par son mari, et abandonnée par son amant, puisse jamais jouer un beau rôle. Je me complaisais à peindre toute la licence de ces temps de cruauté et de débauche. J’ai été trop loin, et j’ai avili Fulvie en peignant les triumvirs tels qu’ils étaient. En un mot, il faut retoucher le rôle de Fulvie. La pièce, à cela près, vous paraît-elle aller un peu ? S’il y a quelque chose de mauvais, dites-le-moi ; s’il y a du bon, dites-le moi aussi. Je ne suis point rétif, point opiniâtre, point amoureux de ma statue. Quand je ne corrige pas, c’est que je ne trouve pas . La bonne volonté ne me manque point, mais bien l’imagination . On n’a pas toujours des idées à commandement . C’est un coup de la grâce ; elle vient quand il lui plaît ; elle est, comme l’amour, très volontaire.
J'écrirai à M. de Chauvelin ; mais je vous ai déjà dit que j'ai peu de temps et puis quand on n'a rien de nouveau à dire à quoi sert d'importuner les gens ? Il faut que les lettres aient un objet .
Je vous promets le secret . Il n’y aura point de Thieriot dans cette affaire. La nymphe Clairon n’aura pas, je crois, de rôle dans mes coupe-jarrets . Julie est trop jeune, Fulvie trop peu de chose. Ce ne sera jamais qu’une femme qui veut se venger, et ce n’est pas assez pour un premier rôle . Il faudrait des passions plus tragiques. Fulvie réussirait à Londres . On y aime les caractères de toute espèce dès qu’ils sont dans la nature . Nous sommes plus délicats et plus dégoûtés.
Mes anges, dès que vous aurez passé légèrement sur le rôle de Fulvie avec M. le duc de Praslin, et que vous aurez daigné examiner le reste, renvoyez-moi ma drogue.
Mais est-il vrai que le feu couve sous la cendre en Russie ? qu’il y a un grand parti en faveur de l’empereur Ivan 3 , que ma chère impératrice sera détrônée, et que nous aurons un nouveau sujet de tragédie ?
Respect et tendresse .»
1 L'édition de Kehl donne une lettre sans le 3è paragraphe rayé sur la copie Beaumarchais, mais grossie d'extraits de la lettre du 26 juillet 1763 ; voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/06/correspondance-annee-1763-partie-24.html
2 La Mort de César, reprise le 18 juillet 1763 avec Lekain dans le rôle de Brutus aura cinq représentations .
3 Ivan fut assassiné l’année suivante.
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11/07/2018
Vous rendez l'horreur agréable
... Seul un poète peut dire cela ! ou un fan de Scream et Alien : https://www.sudouest.fr/2017/05/11/pourquoi-prend-on-du-p...
Supporter des Diables rouges après la demi-finale contre la France hier soir ! 1-0 !! l'horreur ...
« A George Keate, Esq.
Nandos Coffee-house
London
Au château de Ferney
par Genève 26è juillet 1763 1
Monsieur,
Un de vos compatriotes s'était chargé pour vous de ma lettre de remerciements ; il devait repasser en Angleterre, mais au lieu de prendre ce chemin il est allé en Italie ; il vous rendra probablement ma lettre dans deux ans . Je prends donc le parti de vous dire en droiture combien votre poème 2 m'a charmé . J'en aime bien mieux mes montagnes depuis que vous les avez embellies . Vous rendez l'horreur agréable, il semble que l'âme de Milton soit passée dans votre corps . Mes cheveux sont actuellement de la couleur des neiges et des glaces que vous avez si bien peintes . Mais la lecture de vos ouvrages échauffe ces glaces, et ce sera avec la même chaleur que je serai jusqu'à la fin de ma vie
Yr true servant and friend 3
Voltaire. »
1 Formule et signature autographes, mention « f[ran]co Engen », et cachet « s » [ ?] sur 8 dans un cercle .
2 The Alps : https://books.google.fr/books?id=5OhKAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
3 Votre véritable serviteur et ami .
07:19 | Lien permanent | Commentaires (0)
10/07/2018
Vous ne pouvez vous venger qu’en rendant odieuses et méprisables les armes dont on s’est servi contre vous
... Vengeance : mode d'emploi de base selon Voltaire , le meilleur .
« A Claude-Adrien Helvétius
26è juillet 1763
Une bonne âme envoie cette traduction du grec 1 à une bonne âme.
On fait ce qu’on peut de son côté, pour la culture de la vigne du Seigneur, et on a lieu de bénir la Providence qui a fait dans nos cantons un nombre prodigieux de conversions. On ne parle plus de l’infâme qu'avec le dernier mépris, et souvent avec horreur .
Nous vous exhortons, mes très chers frères, à combattre pour notre foi jusqu’au dernier soupir 2. Ah ! si vous nous aviez consultés quand vous donnâtes votre saint ouvrage !... Mais enfin le passé est passé , on vous trompait , on se trompait , on vous ensorcelait ; on avait la démence de demander un privilège ; on vous faisait louer, à tour de bras, de très mauvais vers, des petits génies, et de mauvais cœurs . N’en parlons plus. Songez seulement que l'infâme a fait votre malheur, qu'elle a toujours persécuté les lettres, et qu'il faut l'anéantir . Vous ne pouvez vous venger qu’en rendant odieuses et méprisables les armes dont on s’est servi contre vous.
Vous devriez faire un voyage, et passer chez votre frère, qui vous embrasse. Par quelle horrible fatalité les frères sont-ils dispersés, et les méchants réunis ? Il y a un Omer qui mérite qu'on lui arrache la langue dont il se sert pour prononcer tant de bêtises, mais les philosophes sont cléments . »
1 C'est le Catéchisme de l’Honnête homme, ou Dialogue entre un Caloyer et un homme de bien, traduit du grec ; voir lettre de juin-juillet à Cramer : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2018/06/21/il-ne-faut-dans-le-temps-present-donner-aucun-pretexte-a-des-6061252.html
2 Sur les sentiments exprimés ici et dans toute la lettre, voir aussi la lettre du 15 mai 1763 à Helvétius : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2018/05/11/quelle-plus-belle-vengeance-a-prendre-de-la-sottise-et-de-la-6050586.html
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09/07/2018
les justes mesures qu'il a prises, ne vous laisseront pas d'ailleurs manquer de bons matériaux
... J'ose l'espérer, chers députés réunis en congrès à Versailles, ce qui vous a permis, entre autres, de rabrouer le président . [A noter l'insignifiant boycott des Insoumis de Mélenchon, aussi important qu'une chiure de mouche sur un tas de fumier .]
https://www.lci.fr/politique/en-direct-suivez-le-discours...
« A monsieur l'abbé François Arnaud
de l'Académie des inscriptions
et
belles-lettres etc. 1
rue Neuve-Saint-Roch
à Paris
Au château de Ferney
par Genève 26è juillet 1763
Monsieur,
Personne ne s’intéresse plus que moi à votre journal 2, et j’ose dire à votre personne. Je sais que vous aimez les lettres autant que vous leur faites honneur. Une aussi grande entreprise que la vôtre demandait la protection d’un homme comme M. le duc de Praslin , vous rendrez un véritable service à la littérature, tandis que d’autres ne cherchent qu’à l’avilir, et à la rendre aussi ridicule qu’ils le sont eux-mêmes. Permettez que je ne vous sépare point de M. Suart, et que je vous présente tous deux les sentiments d'estime et de reconnaissance que je vous dois .
J'ai épuisé toute la Suisse pour vous faire parvenir par M. le duc de Praslin tout ce que je connaissais de ce pays-là . Je continuerai tant que ma pauvre santé me le permettra ; les justes mesures qu'il a prises, ne vous laisseront pas d'ailleurs manquer de bons matériaux . Je vous prie de me mettre au nombre de vos souscripteurs .
J'ai l'honneur d'être avec tous les sentiments que je vous dois, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire gentilhomme ordinaire du roi. »
2 La Gazette littéraire de l'Europe . Voir lettre du 13 juin 1763 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2018/06/10/considerez-encore-que-tous-les-personnages-mourraient-et-qu-il-faut-bien-au.html
18:19 | Lien permanent | Commentaires (0)
cela ne vaudra-t-il pas à mes anges quelques fromages de parmesan ?
... Ces "anges" qui rêvent d'une culture légale de cannabis thérapeutique en France seront-ils récompensés par leur poids en fromage ?
https://www.20minutes.fr/sante/2304095-20180708-elus-mede...
Idéal pour le pesto qui fait rire
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
26è juillet [1763] 1
Mes anges sauront qu’indépendamment des vers raboteux dont la tragédie des coupe-jarrets 2 fourmille, il y en a aussi d’assez incorrects qui ont échappé à la rapidité du mauvais style, comme par exemple au troisième acte, à la première scène, il y a : « Ces fers qui ont approché du grand Pompée 3, » et autres sottises pareilles qu’on corrigera à la main avec les autres, quand mes divins anges me renverront mon horreur.
J'ai reçu enfin le prospectus de messiers de La Gazette littéraire . Je souhaite qu'on y répande un peu de sel, afin de faire tomber le gros poivre de l'ami Fréron ; mais il sera bien difficile qu'un ouvrage sérieux dont le ministère répond soit si salé .
Je supplie mes anges de vouloir bien permettre que j’adresse ce paquet sous leurs ailes à frère Damilaville. Je leur demande bien pardon d’une lettre si courte ; mais je n’ai pas autant de loisir qu’on croirait.
N'ai-je pas un compliment à faire à monsieur d'Argental sur le traité 4 qui assure Plaisance au duc de Parme ? et cela ne vaudra-t-il pas à mes anges quelques fromages de parmesan ? »
1 L'édition de Kehl suite à la copie Beaumarchais joint les 2è et 4è paragraphes de cette lettre à la fin de la lettre du 27 juillet 1763 ; l'édition Cayrol donne seulement le 1er et le 3è § .
2 Octave ; voir aussi la lettre du 27 juillet 1763 .
3 Ce fragment de vers a disparu d'Octave, III, 1 .
4 Par le traité d'Aix-la-Chapelle, 1748, don Philippe a obtenu Parme et Plaisance ; les conventions signées à Paris le 10 juin 1763 lui restituent les revenus de Plaisance . Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Trait%C3%A9_d%27Aix-la-Chap...)
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08/07/2018
Il y a longtemps que je n'ai eu de nouvelles de mon frère
... et encore davantage des nouvelles de Mam'zelle Wagnière . Où êtes-vous, que faites-vous fidèle amie de Voltaire ? Je suis triste et MonsieurdeVoltaire ne peut finir ainsi .
« A Etienne-Noël Damilaville
26è juillet 1763
Il y a longtemps que je n'ai eu de nouvelles de mon frère . Pour Thieriot, je ne sais ce qu'il est devenu . Tâchez mon cher frère, de faire parvenir ce paquet au fidèle Helvétius 1. Ne pourrait-on pas trouver quelque Merlin, ou quelque bon diable dans ce goût, qui gagnerait quelque argent à distribuer le pain aux fidèles ? Et comme il faut que les bonnes œuvres soient ignorées, on pourrait lui envoyer les paquets, sans qu'il sût quelle main charitable les lui donne . J'avais fait prier Merlin de m'envoyer des livres dont j'avais besoin, et il m'en a tenu compte .
Comment se porte mon frère ? »
1 Voir lettre du même jour à Helvétius : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/06/correspondance-annee-1763-partie-23.html
08:49 | Lien permanent | Commentaires (0)
07/07/2018
je souffrirai avec vous et je ne souffrirai plus si vous guérissez
... Pour vous distraire, dans les bouchons que vous formez sans rechigner puisque c'est pour la sainte cause des vacances, lisez la vie d'un grand guérisseur s'il en fut : https://fr.wikisource.org/wiki/La_Vie_de_J%C3%A9sus_(Taxi...
..
Jésus guérit à distance le fils d’un officier de Capharnaüm (chap. xxv.)
« Au comte Francesco Algarotti
Toute l'ambassade vénitienne qui venait de complimenter le roi d’Angleterre, est venue fondre dans mon petit château . M. Querini qui me paraît avoir plus d'esprit que le cardinal Querini, m'a fort affligé en me disant que mon cygne de Padoue ne battait que d'une aile, et était assez malade . Croyez-moi, profitez des beaux jours, venez vous mettre entre les bras de Tronchin ; la vie est préférable à tout . Mme Denis aura soin de vous à Ferney et aux Délices , je souffrirai avec vous et je ne souffrirai plus si vous guérissez . Si j'avais santé et jeunesse je viendrais vous chercher moi-même . Je vous embrasse tendrement .
V.
À Ferney 26è juillet 1763.1»
1 Initiale autographe , et mention « f[ran]co Milano » .
08:49 | Lien permanent | Commentaires (0)