28/10/2017
on vous aura l'obligation d'avoir fait rendre justice à l'innocence, et de réprimer le fanatisme
... Qui sera le Pierre Mariette du XXIè siècle ? ou qui seront-ils/elles ?
Oups ! pardon . Erreur de casting . Défaut de mise au poing !
« A Pierre Mariette
19è décembre 1762, au château de Ferney
J'espère, monsieur, que le procès des Calas va bientôt commencer, et qu'on vous aura l'obligation d'avoir fait rendre justice à l'innocence, et de réprimer le fanatisme . En attendant, je vous supplie de vouloir bien donner vos soins à faire expédier au conseil, l'approbation, et la permission qu'on dit nécessaires pour valider l'échange que nous venons de faire avec l’Église de la terre où nous demeurons . J'ai donné cette terre à ma nièce, c'est en son nom que l'on agit, et je crois qu'il n'est question ici que d'une affaire de forme . Mais s'il faut un peu de protection pour l'accélérer, je vous supplie de me mander à qui il faut que je m'adresse .
J'ai l'honneur d'être avec tous les sentiments que je vous dois, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire . »
14:54 | Lien permanent | Commentaires (0)
C’est une belle époque, monsieur, dans les courtes archives de la raison humaine, que votre empressement généreux et celui de vos confrères à protéger l’innocence opprimée par le fanatisme
... Mais à quel ministre, homme d'Etat, avocat ou homme de loi pourrais-je faire ce compliment ? Je ne sais . Dans un avenir que je souhaite proche, peut-être ?
Pour l'instant nous n'avons qu'une bien modeste défense .
« A Jean-Baptiste-Jacques-Elie de Beaumont
19è décembre 1762, au château de Ferney
C’est une belle époque, monsieur, dans les courtes archives de la raison humaine, que votre empressement généreux et celui de vos confrères à protéger l’innocence opprimée par le fanatisme. Personne ne s’est plus signalé que vous ; non seulement vous êtes le premier qui ayez écrit en faveur des Calas, mais votre mémoire étant signé de quatorze avocats, devient une espèce de jugement authentique dont l’arrêt du conseil ne pourra guère s’écarter. M. Mariette a travaillé judiciairement pour le conseil, et M. Loyseau, en s’exerçant sur la même matière, rend un nouveau témoignage à la bonté de la cause et à votre générosité. Tout ce que j’ai lu de vous me rend très précieux tout ce que vous voudrez bien m’envoyer. Vous joignez la philosophie à la jurisprudence, et vous ne plaiderez jamais que pour la raison.
Je suis enchanté que vous soyez lié avec M. de Cideville . Son ancienne amitié pour moi me donnera de nouveaux droits sur la vôtre. Je présente mes respects à madame de Beaumont, et je vous jure que je vous donne toujours la préférence sur les autres de Beaumont 1, fussent-ils papes.
Votre très humble et très obéissant serviteur.
V. »
1 On ne connait pas de pape Baumont ou Belmonte, donc V* doit penser à l'archevêque de Paris Christophe de Beaumont (voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Christophe_de_Beaumont )
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27/10/2017
je plante pour autrui , mais je n'ai jamais en ma vie travaillé que pour les autres, voilà ma jouissance
... Je n'aurai pas l'immodestie de m'attribuer cette attitude, même si je plante encore pour autrui, j'ai toujours travaillé pour mes proches et moi, et je n'en ai pas joui tous les jours, loin s'en faut, même si le plaisir du devoir accompli demeure . That's life !
J'aime à penser que ce cèdre au château de Voltaire est un descendant direct de ceux plantés par lui : ses "enfants"
« A David-Louis Constant de Rebecque, seigneur d'Hermenches
19è décembre 1762 ; au château de Ferney
Je ne savais où vous prendre, monsieur ; je vous croyais en Hollande quand vous étiez en Angleterre ; j'allais vous écrire à Londres quand on me dit que vous étiez à La Haye, et vous m'apprenez que vous êtes à Paris . Il y a très longtemps que je n'ai eu l'honneur de voir monsieur Constant ; il est prisonnier tous les soirs à quatre heures dans sa ville de guerre ; je crois qu'il en est sorti pour aller à Lausanne, et moi je m'amuse à faire un parc , dont je crois que vous serez assez content ; il est vrai que je plante pour autrui , mais je n'ai jamais en ma vie travaillé que pour les autres, voilà ma jouissance . Je ne suis point étonné que vous, qui êtes fait pour les plaisirs et pour la société, vous préfériez Londres et Paris au mont Jura ; mais quand vous aurez mon âge, vous trouverez qu'il n'y a rien de si doux que d’être chez soi, car tout aimable que vous êtes, je vous connais un fond de philosophie qui me fait croire que vous aimerez un jour la retraite .
Vous avez fait une action digne de vous, monsieur, en ménageant des protections en Hollande pour ceux que la fatale aventure des Calas pourrait forcer à changer de patrie . Heureusement cette cruelle affaire tourne mieux que l'on n'osait espérer ; les avocats de Pais se sont signalés, le cri public s'est élevé, et il dirigera la voix des juges .
J'espère même que cette horrible injustice produira quelque bien, elle ouvrira les yeux, et fera voir le danger du fanatisme ; quand la rigueur a fait des injustices dont on rougit, on penche vers la tolérance ; et la philosophie qui fait des progrès très rapides, rendra de jour en jour le gouvernement plus doux . Il est seulement à souhaiter que les cervelles de Toulouse soient un peu moins bouillantes .
Je crois que M. de Maurepas se contente de donner sa protection aux Calas, mais je ne pense pas qu'il leur prête sa plume . Je suis tout aussi incrédule sur la prétendue réforme des intendants ; on dit que le peuple ne les aime guère, mais ce n'est pas une raison pour qu'on les renvoie ; il semble même que ce serait changer entièrement la forme du gouvernement .
Je crois plus volontiers que vous me dites d'Eponime, il est plus aisé au parterre de faire tomber des pièces que des intendants ; je m'intéressais au succès de cette pièce sans connaître l'auteur ; le sujet est très intéressant, l'aventure d'ailleurs arriva en Bourgogne, province devenue la mienne ; car si je suis suisse à Lausanne, et genevois aux Délices, je suis bourguignon à Ferney .
J'irai bientôt voir le sombre Crébillon dont vous me parlez ; mais je n'aurai pas comme lui un beau tombeau dans une paroisse de Paris 1; j'ai renoncé aux vanités de ce monde, et à celles de l'autre monde .
Mlle Delon se moque de moi, elle me demande des lettres de recommandation, comme si elle en avait besoin, et comme si j'avais grand crédit dans une ville que j'ai quittée depuis douze ans 2, elle n'a qu'à se faire voir, et se faire entendre pour plaire, et je me mettrais sous sa protection si je voulais réussir . Mais Dieu merci, je ne prétends rien qu'à votre amitié, et à l'espérance de vous embrasser .
Je suis plus malingre que jamais, ainsi vous m'excuserez de ne pas vous écrire de ma main .
Votre très humble et très obéissant serviteur . »
1 Voir lettre du 16 décembre 1762 aux d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2017/10/25/je-n-ai-confie-a-personne-qu-a-vous-mes-propositions-politiques-tachez-de-f.html
2 Elle va à Cassel, où elle épousera Jean-Pierre-Louis de La Roche du Maine, marquis de Luchet , que l'on retrouvera dans la correspondance .Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Pierre-Louis,_marquis_de_Luchet
et : http://data.bnf.fr/12000743/jean-pierre-louis_de_la_roche_du_maine_luchet/
15:40 | Lien permanent | Commentaires (0)
j'ai affaire à des gens têtus, et me voilà, si parva licet componere magnis
... Ceci est un sous titre ou l'in petto du discours de notre président en Guyane . Drôle de département ! Le maximum d'embrouilles pour un minimum de densité de population !
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guyane
... et pas de raton laveur !
« A Claude-Philippe Fyot de La Marche
A Ferney 18 décembre 1762 1
Mon digne magistrat, mon philosophe humain, où êtes-vous ? Que faites-vous? est-ce le malin peuple de Dijon, ou le tranquille séjour de La Marche, ou le fracas de Paris qui vous possède ? Je suis bien malheureux que nous ne soyons si voisins que pour ne point nous voir . Faudra-t-il que je meure sans avoir encore la consolation de philosopher un peu avec vous ?
Il y a une terrible tracasserie à l'Académie de peinture de Paris au sujet de votre dessinateur . Je lui avais bien dit qu'il fallait que toutes les estampes fussent de la même dimension ; on ne veut point de cette bigarrure . On a soulevé des souscripteurs ; on prétend que les figures de M. de Vosges sont trop grandes ; qu'elles doivent être de la même proportion que celles de Paris . Enfin c'est un schisme ; vous sentez bien que je suis pour la tolérance . Je crois qu'il importe peu que les Attila, les Pertharite, les Pulchérie, les Suréna, les Agésilas, les Don Sanche d'Aragon, soient grands ou petits ; mais j'ai affaire à des gens têtus, et me voilà, si parva licet componere magnis 2, comme le roi entre les jansénistes et les molinistes .
Voilà une affaire plus importante que je confie à votre amitié et à vos bontés . Je suis sur le point de marier la nièce de ce Corneille dont je suis le commentateur, et je ne la marie pas avec la raison sans dot : outre ce que je lui ai déjà assuré, il faut lui donner vingt mille francs, et je n'ai presque point de bien libre . J'ai compté que ces vingt mille francs seraient hypothéqués sur la terre de La Marche . Vous deviendrez avec moi le bienfaiteur de Mlle Corneille ; vous me ferez donc un plaisir extrême, mon digne magistrat, de m'envoyer une procuration en blanc par laquelle vous donnerez commission et pouvoir de stipuler en votre nom la reconnaissance d'une somme de 20 mille livres à vous prêtée par moi, au pays de Gex, le 13 septembre 1761, portant intérêts de mille livres et hypothéquée sur la terre libre de La Marche .
C'est dommage qu'on ne puisse marier les filles sans passer par ces tristes formalités .
Hymen , qui marchait seul,
Mène à présent à sa suite un notaire .3
Rien ne s’éloigne plus de l'âge d'or que les contrats de mariage . Il me semble que si quelqu'un était fait pour ramener ce bel âge sur la terre, c'était vous . Je l'ai trouvé jusqu'à présent dans ma retraite, mais la mauvaise santé m'en ferait un siècle de fer sans un peu de philosophie . Votre amitié est un beaume plus souverain pour mes maux que tous les philosophes présents et passés . Quand pourrai-je vous dire chez vous combien je vous aime et à quel point je vous respecte ?
Voltaire. »
1 Manuscrit olographe passé à la vente Charaway, 21 janvier 1888 ; l'édition Moulin donne un fac-similé entre les pages 232et 233 limité à la date et à la fin depuis Je l'ai trouvée … Pour le mois, V* avait d'abord écrit nov.
2 S'il est permis de comparer les petites choses aux grandes ; Virgile, Géorgiques , IV, 176 .
3 L'Ermite, conte de La Fontaine, II, xv, 37-38 . Il semble que V* relise ces contes dont il va bientôt s'inspirer dans les Contes de Guillaume Vadé .
09:08 | Lien permanent | Commentaires (0)
26/10/2017
tout ce qu'il faut faire pour mettre en règle cette affaire
... est mis en oeuvre par le Bundestag, qui, dans un pays réputé sérieux, est capable comme au Moyen Age de discuter très sérieusement du sexe des anges ou à peu près, jugez-en :
http://www.lemonde.fr/m-moyen-format/article/2017/10/20/q...
Dans le même temps les députés européens allemands se sont abstenus de voter contre l'interdiction du glyphosate (le détestable et si commun Roundup*); le Bundestag calculera-t-il jamais un jour le prix des dégâts causés par leurs
atermoiements ?
Autant en emporte le vent !
« A Joseph-Marie Balleidier, Procureur
d'office de Ferney
à Gex
Je prie instamment monsieur Balleidier de s'informer de M. Gérantet de tout ce qui concerne le fond et la forme de l'affaire d'une Mme Janève de Lagrange 1, native de Genève, laquelle ayant abjuré prétend avoir obtenu le droit de rentrer dans ses biens situés au pays de Gex , à St Jean, à Thoiry, à Fagères et ailleurs . Sitôt qu'il sera au fait, et qu'il pourra me dire si les papiers sont entre les mains du sieur Gérantet, et tout ce qu'il faut faire pour mettre en règle cette affaire, il me fera plaisir de m'en instruire sur-le-champ, et d'en venir conférer avec nous . Nous l'attendons aussi pour régler le compte de tutelle de Mme Burdet . Je me chargerai volontiers des avances, me flattant qu'elles ne seront pas perdues .
Je fais bien des compliments à monsieur Balleidier .
Voltaire.
Ferney 18è décembre 1762 .2 »
1 Comme le montre le texte de l'aide-mémoire cité en note 2, , il faut lire Janne (Jeanne) et non Janève . Par un curieux lapsus , Wagnière a anticipé les deux dernières syllabes de Genève , mot qui vient immédiatement après .
2 La lettre comportait un post-scriptum , fortement biffé : La lettre de change de livres . En outre, la minute d'un aide-mémoire relatif aux mêmes problèmes se trouvait avec cette lettre dans les papiers Balleidier , dont voici le texte : « S'informer chez Gérantet des prétentions et droits de la veuve Jeanne de La Grange native de Genève, laquelle ayant abjuré redemande ses biens situés à Saint-Jean à Thoiry et à Fagères . Savoir si les biens que redemande la veuve Burdet peuvent être regardés comme sa dot et reprises matrimoniales, et si en ce cas elle n'est pas première créancière . »
Quelques mots de cette lettre ont été imprimés par Vézinet A.
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25/10/2017
il plaira beaucoup aux Genevois, car il est sérieux, et il raisonne
... Vrai au XVIIIè siècle, toujours vrai aujourd'hui, les Genevois en particulier et les Suisses en général restent de forts coupeurs de cheveux en quatre (excepté les Valaisans qui ont un petit côté gaulois sympathique ) .
caricature parue dans le Nouvelliste du 5 mai 2005
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
18 décembre [1762]
Autres considérations présentées à mes anges au sujet du futur. Nos dames sont aujourd’hui beaucoup plus contentes . Je l’avais bien prévu. Il avait fait un traité sur le mariage, que madame Denis prétendait ressembler au catéchisme d’Arnolphe dans l’École des Femmes 1. Il s’est bien donné de garde de me lire ce rabâchage ; mais s’il épouse notre petite, nous lui ferons abjurer son catéchisme par une clause expresse du contrat, et il le brûlera en notre présence. Je crois que de notre demi-philosophe on pourra faire un philosophe complet, en rabotant un peu.
Je persiste à croire qu’on peut en toute sûreté l’employer aux grandes négociations avec la république de Genève. Mes anges, mon idée est divine , mes anges, il plaira beaucoup aux Genevois, car il est sérieux, et il raisonne. Figurez-vous, encore une fois, combien cette place nous ajusterait. Allons, monsieur le duc de Praslin, faites quelque chose en faveur de Cinna, et des belles scènes d’Horace et de Pompée. Mes anges, regardez cette affaire comme la plus digne de vos soins angéliques.
Vous y réussirez, n’est-il pas vrai ? Mon Dieu, quel plaisir ! »
1 Acte III, sc. 2 , vers 693- .
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je n’ai confié à personne qu’à vous mes propositions politiques. Tâchez de faire notre affaire
... Confidence du président à son premier ministre ; à quel sujet ? je ne suis pas dans le secret, mais tant pis , c'est leur affaire . Disons qu'elle sera bonne pour tous , et qu'on arrête ces manifestations de rue stériles, et finalement couteuses pour la nation .
« a Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
16 décembre [1762] 1
O mes anges ! vous avez entrepris d’affubler mademoiselle Corneille du sacrement de mariage, seul sacrement que vous devez aimer. Mon demi-philosophe, que vous m’avez dépêché, n’est pas demi-pauvre, il l’est complètement. Son père n’est pas demi-dur, c’est une barre de fer. Il veut bien donner à son fils mille livres de pension ; mais, en récompense, il demande que je fasse de très grands avantages ; de sorte que je ne suis pas demi-embarrassé. Je n’ai presque à donner à mademoiselle Corneille que les vingt mille francs que j’ai prêtés à M. de La Marche, qui devraient être hypothéqués sur la terre de La Marche, et sur lesquels M. de La Marche devrait s’être mis en règle depuis un an ; au lieu que je n’ai pas même de lui un billet qui soit valable. Cela s’est fait amicalement, et les affaires doivent se traiter régulièrement.
Ces vingt mille francs donc, 1400 livres de rente déjà assurés, environ quarante mille livres de souscriptions, le marié et la mariée nourris, chauffés, désaltérés, portés 2 pendant notre vie, c’est là une raison qui n’est pas la raison sans dot 3; et si un père qui ne donne rien à son fils le philosophe trouve que je ne donne pas assez, vous sentez, mes anges, que ce père n’est pas un homme accommodant.
Cependant il faut tâcher de faire réussir une affaire que vous m’avez rendue chère en me la proposant.
Notre futur a fait noblement son métier de meurtrier, tout comme un autre : puis il me paraît trop philosophe pour aimer beaucoup l’emploi de tuer du monde pour de l’argent et pour une croix de Saint-Louis. Je le crois très propre aux importantes négociations que nous avons avec la petitissime et pédantissime république de Genève. Voici un temps favorable pour employer ailleurs M. de Montpéroux, résident à Genève. Il y a bien des places dont M. le duc de Praslin dispose. Il me semble que si vous vouliez placer à Genève notre futur, vous obtiendriez aisément cette grâce de M. le duc de Praslin . Rien ne serait plus convenable pour les Genevois et pour moi, et surtout pour madame Denis, qui commence à trouver les hivers rudes à la campagne au milieu des neiges. Mademoiselle Corneille vous devrait son établissement, madame Denis et moi nous vous devrions la santé, M. de Vaugrenant vous devrait tout. Voyez, anges bienfaisants, si vous pouvez faire tant de bien, si M. le duc de Praslin veut s’y prêter. Vous pouvez faire quatre heureux, et c’est la seule manière de célébrer ce beau sacrement de mariage sous vos auspices . Sans cela l’inflexible père ne donnera point son consentement, et voici comment il raisonne . L’argent des souscriptions est peut-être peu de chose, et l’on ne saura que dans dix-huit mois à quoi s’en tenir. On ne veut guère articuler dans un contrat de mariage l’espérance d’un produit de souscriptions pour un livre imprimé par des Genevois. Les 1400 livres de rente qui appartiendront à mademoiselle Corneille ne sont que viagères ; elle n’aura donc que mille livres de rente à stipuler réellement.
Il pourra même pousser plus loin ses scrupules, s’il sait que le premier président actuel de Dijon dispute à son père jusqu’à la propriété de la terre de La Marche. Notre sacrement est donc hérissé de difficultés, et toutes seraient aplanies par l’arrangement que j’imagine. Le sort de mademoiselle Corneille est donc entre les mains de mes anges.
Je baise le bout de leurs ailes avec plus de ferveur que jamais . Il est vrai que je ne leur envoie point de tragédie pour les séduire. Je suis occupé à présent à faire un parc d’une lieue de circuit, qui a pour point de vue, en vingt endroits, dix, quinze, vingt, trente lieues de paysage. Si je peux trouver d’aussi belles situations au théâtre, vous aurez des drames ; mais laissons passer les plus pressés, et faisons-nous un peu désirer. Je sais bien que M. de Marigny 4 ne m’élèvera point de mausolée ; mais mes anges diront : il avait quelque talent, il nous aimait.
Au reste, je n’ai confié à personne qu’à vous mes propositions politiques. Tâchez de faire notre affaire . Si vous voulez que M. de Vaugrenant et mademoiselle Corneille fassent des philosophes et des faiseurs de tragédies, donnez-nous la résidence de Genève.
Mes anges, faites comme vous voudrez, comme vous pourrez ; pour moi, je suis à vos ordres, à vos pieds, à vos ailes jusqu’au dernier moment de ma vie.
N.B. – Madame Denis et mademoiselle Corneille ne sont pas si contentes que moi du demi-philosophe ; elles le trouvent sombre, duriuscule 5, peu poli, peu complaisant, marchandant, et marchandant mal . Mais si la résidence genevoise était attachée à ce mariage, nos dames pourraient être plus contentes. Enfin ordonnez.
V. »
1 L’édition Supplément au recueil est très inexacte .
2 Allusion au Joueur de Regnard, III, 3 . Portés fait référence à l'équipage .
3 Réminiscence comique de L'Avare, I, 5 .
4 Marigny, frère de la marquise de Pompadour et intendant des bâtiments du roi, avait commencé à faire ériger un mausolée à la mémoire de Crébillon le tragique qu'avait protégé sa sœur .
5 Allusion comique au Malade imaginaire , II, 9 ; voir : https://www.littre.org/definition/duriuscule
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