10/01/2018
Les libraires sont comme les prêtres, ils se ressemblent tous, il n'y en a aucun qui ne sacrifiât son père et sa mère à un petit intérêt typographique
... Notons bien qu'il ne s'agit pas ici des libraires qui vendent les livres, -gens honorables et que j'aime,- mais au sens ancien, ceux qui éditaient les livres et se fichaient complètement des auteurs . De nos jours, ceux qui se rapprochent le plus de cette définition tranchante de Voltaire, sont les éditeurs de la presse people, et à scandales, chacals modernes incontestablement .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
13 février 1763 1
Mme Denis étant malade, le jeune Dupuits et Marie Corneille étant très occupés de leur premier devoir , qui n'est pas tout à fait d'écrire, moi, l'aveugle V. entouré de quatre pieds de neige, je dicte la réponse à la lettre de Mme d'Argental, du 7 de février : et voici comme je m'y prends .
Cujas 2, Charles Dumoulin 3, Tiraqueau 4, n'auraient jamais parlé plus doctement et plus solidement de la validité d'un contrat 5 et nous tombons d'accord de tout ce qu'y disent nos anges . Je n’ai point vu le modèle de consentement paternel que Mme Denis avait envoyé à Mme d'Argental ; elle écrit quelquefois sans daigner me consulter . Je ne sais quel est l'âne qui lui avait donné ce beau modèle de consentement . Le contrat est dressé dans toutes les règles, et le mariage fait dans toutes les formes, les deux amants très heureux, les parents enchantés, et à nos neiges près, tout va le mieux du monde . Ce qu'il y a de bon, c'est que quand même les souscriptions ne rendraient pas ce qu'on a espéré, le conjoint et la conjointe jouiraient encore d'un sort très agréable . Il ne nous reste donc qu'à nous mettre aux pieds de nos anges, et à les remercier du fond de notre cœur .
S'ils veulent s'amuser de cette horrible feuille qui devait tant déplaire à Messieurs, la voici . Elle est un peu contre ma conscience . Je veux bien que le coadjuteur sache qu'on trouve à la feuille suivante, qu'un des messieurs qui avait été traité avec plus de sévérité que les autres, fonda dans son abbaye à perpétuité, une messe pour la conservation du roi 6. J'ai cru ce trait digne d'être remarqué, j'ai cru qu'il peignait nos mœurs, et il y a environ douze batailles dont je n'ai point parlé, Dieu merci, parce que j'écris l'histoire de l'esprit humain, et non pas une gazette .
Je ne doute pas que vous n'ayez la petite addition à l'Histoire générale, sous le nom d’Éclaircissements historiques 7 ; il ne m'importe guère qu'il y en ait un peu ou beaucoup d'exemplaires répandus ; cela n'est bon d'ailleurs que pour un certain nombre de personnes qui sont au fait de l'histoire, le reste de Paris n'étant qu'au fait des romans .
Passons de l'histoire au tripot . Mon avis est que ce carême on donne Zulime suivant la petite leçon que j'ai envoyée ; pendant ce temps-là j'achèverai une belle lettre scientifique sur l'amour, j'entends l'amour du théâtre, dédiée à Mlle Clairon .
Au reste , le débit de Zulime est un très mince objet, et je doute qu’il se trouve un libraire qui en donne cinq cents livres ; encore voudra-t-il un abandon de privilège, comme a fait ce petit misérable Prault, ce qui gêne extrêmement l'impression du théâtre de V. Les libraires sont comme les prêtres, ils se ressemblent tous, il n'y en a aucun qui ne sacrifiât son père et sa mère à un petit intérêt typographique .
Je pense qu'il ne serait pas mal de faire un petit volume de Zulime, Mariamne, Olympie, Le Droit du seigneur 8, et d'exiger du libraire qu'il donnât une somme honnête à Mlle Clairon et à Lekain, soit que ce libraire fût Cramer, soit un autre .
Mais mes anges ne me parlent jamais de ce qui se passe dans le royaume du tripot ; ils ne me disent point si Mlle Dupuis et M. Desronais enchantent tout Paris ; si Goldoni est venu apporter en France la véritable comédie ; si l'opéra-comique est toujours le spectacle des nations ; s'il est vrai qu'il y a deux jésuites qui vendent de l'orviétan sur le Pont-Neuf . Jamais mes anges ne me disent rien ni des livres nouveaux, ni des nouvelles sottises, ni de tout ce qui peut amuser les honnêtes gens ; rien sur l'abbé de Voisenon, rien même sur les Calas, objet très important, dont je n'ai aucune notion depuis huit jours . Cela n'empêche pas que je ne baise avec transport le bout des ailes de mes anges .
Nous demandons pardon à mes anges des ratures de mon épître, mais je suis accablé d'affaires .
V. »
1 L'édition de Kehl donne par mégarde Damilaville pour correspondant, et omet le dernier paragraphe, ainsi que les éditions suivantes .
2 Jacques Cujas, savant éditeur du Corpus juris civilis, et autres recueils de lois . Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Cujas
3 Dumoulin est un fameux historien du droit français, souvent cité à côté de Barthole ; voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Dumoulin
4 André Tiraqueau est l'auteur de traités de jurisprudence ; voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_Tiraqueau
6 Ce passage fut ultérieurement transféré au chapitre XXXVII du Précis du siècle de Louis XV ; voir : https://fr.wikisource.org/wiki/Pr%C3%A9cis_du_si%C3%A8cle_de_Louis_XV/Chapitre_37
7 Ceux-ci sont signalés comme imprimés par une lettre d'un des inspecteurs de la librairie, Picquet, à Malesherbes, le 29 janvier 1763 .
8 V* reprit l'idée dans la lettre du 21 février 1763 à d'Argental [http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/06/correspondance-annee-1763-partie-8.html ] et il y revint , et il semble ( voir lettre du 13 juin 1763 au même ) que le volume parut finalement, ne comprenant qu'Olympie, Zulime et Le Droit du seigneur . C'est peut-être le Supplément aux œuvres dramatiques de Voltaire, in-8°, mentionné par Quérard dans sa Bibliographie voltairienne , 1842 , voir : https://books.google.ru/books?id=Zu8-AAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
16:05 | Lien permanent | Commentaires (0)
On m’envoie ces rogatons de Paris
... Ah ! l'art contemporain ! grand pourvoyeur de merdouilles rogatonesques ( ou comment faire n'importe quoi avec des fonds de poubelles )
Pas étonnant, après n'avoir fait que des colliers de nouilles pour la fête des mères
« A Gabriel Cramer
[vers le 12 février 1763]
On m’envoie ces rogatons 1 de Paris . Je vous prie caro d’en faire tirer une quarantaine d'exemplaires petits caractères . Cela vous amusera pendant que je corrigerai la première feuille de la Tolérance, laquelle feuille j'attends depuis huit jours . »
1Peut-être s'agit-il de l'Hymne chanté au village de Pompignan : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/06/poesie-hymne-chante-au-village-de-pompignan.html
00:51 | Lien permanent | Commentaires (0)
Je suis entièrement à vos ordres et je n'ambitionne que de vous consoler et de vous servir
... Plus haut !
https://www.youtube.com/watch?v=AQW3d_H_IcM
« A Catherine-Josèphe de Loras du Saix, baronne de Monthoux 1
Du courage, madame, cette vie est pleine de malheurs 2, c'est le partage de l'humanité .
Mme Denis est malade, je deviens aveugle et c'est ce qui fait que je ne peux avoir l'honneur de vous écrire de ma main . Si je perds la vue je ne perdrai jamais les sentiments qui m'attachent à vous . Je suis entièrement à vos ordres et je n'ambitionne que de vous consoler et de vous servir . Mme Denis vous en dit autant .
J'ai l'honneur d'être, avec beaucoup de respect, madame, votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire
gentilhomme de la chambre du roi.
12 février 1763, à Ferney . »
2 Le baron de Monthoux est mort le 25 janvier 1763 .
00:10 | Lien permanent | Commentaires (0)
09/01/2018
Gli occhi, e i coglioni sono una gran materia / Les yeux et les couilles sont une grande affaire
... Lu et approuvé .
Je ne dirai pas le contraire !
Il ne lui reste plus que les yeux .... pour pleurer !
« A Gabriel Cramer
[vers le 10 février 1763]
Bravo ! Fort bien ! À merveille !
L'aveugle n'a pas le temps d'examiner les feuilles par la raison que bornibus et coclès non possunt cernere luces 1.
Gli occhi, e i coglioni sono una gran materia 2 . Mme Denis a la fièvre encore, on se mariera sans cérémonie, comme lorsqu'on vient vous dire, on a servi . »
1 Par la raison que le borgne (bornibus) et l'aveugle [Horarius Coclès) ne peuvent apercevoir les lumières . Il pourrait s'agir d'un dicton de collège .
2 Les yeux et les couilles sont une grande affaire .
00:35 | Lien permanent | Commentaires (0)
absolument guérie ? j'en suis au comble de la joie
...
« A Gabriel Cramer
[vers le 10 février 1763]
Ah ! cet Œdipe est encore plus mauvais que Pertharite . Du moins Pertharite n'avait pas été fait par Sophocle , et Corneille n'avait pas sous le nez son modèle et sa condamnation . Que j'aime Racine ! que j'aime Racine ! mais que je me plains de monsieur Gabriel ! Il ne m'envoie point les feuilles sur la tolérance, il me fait une peine mortelle . Comment se porte-t-il ? Comment se portent madame sa mère et madame sa femme ? M. Philibert ne vous mande-t-il pas que Mme la maréchale de Villars est entièrement hors d’affaire, absolument guérie ? j'en suis au comble de la joie . Bonsoir, ces dernières pièces de Corneille me feront perdre la vue, elles m'ont déjà fait perdre patience . »
00:33 | Lien permanent | Commentaires (0)
08/01/2018
Je dois aussi dire hardiment la vérité . Cela est délicat et demande du temps
... Du temps pour la dire ou du temps avant de la dire ? ou les deux ?
« A Gabriel Cramer
[vers le 10 février 1763]
Vous m'avez envoyé une fille qu'il faut élever 1, et à qui il faut donner un amant qui porte un nom plus honnête que celui que les belles dames n'osent prononcer .
Je donne aussi quelques nouveaux présents de noce à cette demoiselle, et je fais aussi raccommoder mes vieux habits que votre gros Suisse avait mis fort mal en ordre .
Je crois que le septième volume est celui qu'il vous faut pour le Corneille . Ce septième volume commence par Œdipe . Je vais revoir ce que j'ai écrit sur cette pièce . C'est une des plus mauvaises que nous ayons au théâtre, et même une des plus ridicules , quoique le sujet soit le plus terrible . Mais puisque j'ai fait aussi un Œdipe je ne dois parler de l'ancien qu'avec un peu de circonspection . Je dois aussi dire hardiment la vérité . Cela est délicat et demande du temps . Ma santé en demande aussi .
Je vous prie de m'envoyer le catalogue des livres de M. de Tournes 2. Il me semble que j'y ai vu des titres d'ouvrages sur les théâtres des anciens .
Adieu mon cher voisin, tout malade que je suis je ne vous ferai pas longtemps attendre . »
1 L'Education d'une fille, 1763 . Voir et écouter : http://short-edition.com/fr/classique/voltaire/l-education-d-une-fille
2 Gabriel Tournes (1658-1727), père de Jeanne -Louise de Tournes (1703-1778) qui est l'épouse de Guillaume-Philibert Cramer, et mère de Philibert et Gabriel Cramer . Voir : http://data.bnf.fr/12364591/guillaume_philibert_cramer/
10:50 | Lien permanent | Commentaires (0)
faire tout ce qui sera nécessaire
... et même superflu, c'est ce que m'inspire la décision de passer de 90km/h à 80km/h sur les routes à double sens de circulation non séparées par terre-plain (je cite) ; je me vois mal, très mal, l'oeil rivé en permanence sur le compteur pour ne pas dépasser la vitesse fatidique (je n'ai pas de régulateur ! ) , où sera alors la nécessaire attention à une bonne conduite qui doit tenir compte des autres usagers ?
Les fabricants de panneaux se frottent les mains , merci Edouard !
P.S.-Je conseille au ministre de vendre les panneaux 90 par Ebay et Le Bon Coin , pour commencer, et si pas preneurs, les envoyer en Corse pour le plaisir des chasseurs .
« A Joseph-Marie Balleidier, Procureur
à Gex
Sitôt la présente reçue, monsieur Balleidier voudra bien se transporter à Prégny, et sommer les syndics de Prégny et Chambésy, de faire travailler sans délai à leur chemin tendant de Prégny au territoire de Genève, d'y porter du gravier, et y faire tout ce qui sera nécessaire, ce qu'ils ont refusé de faire sur la sommation verbale de Curial .
Monsieur Balleidier est prié de faire sans délai toute la diligence possible, mettre à l'amende les deux villages et y envoyer la maréchaussée ; je paierai tout .
Voltaire .
A Ferney 10è février 1763.1»
1 Balleidier a endossé la date sur le manuscrit et noté « Reçus le 12 dud[it] »
00:13 | Lien permanent | Commentaires (0)