Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

14/01/2018

nous espérons justice, une grande partie de l'Europe la demande avec nous

... Suite aux propos imbéciles de Mr Trump, président par accident .

 

 

« Au cardinal François-Joachim de Pierre de Bernis

Au château de Ferney 15è février 1763

Une des raisons, monseigneur, qui font que je n'ai eu depuis longtemps l'honneur d'écrire à Votre Éminence, n'est pas que je sois fier ou négligent avec les cardinaux, et les plus beaux esprits de l’Europe ; mais le fait est que je deviens aveugle , au milieu de quarante lieues de neige, pays admirable pendant l'été, et séjour des trembleurs d'Isis pendant l'hiver 1. On dit que la même chose arrive aux lièvres de nos montagnes . Je me suis mêlé ces jours-ci des affaires d'un autre aveugle, petit garçon fort aimable, inconnu sans doute, aux princes de l’Église romaine, mais avec lequel on ne laisse pas de jouer avant qu'on ne soit prince : j'ai marié Mlle Corneille à un jeune gentilhomme, dont les terres touchent les miennes . Il se nomme Dupuits, il est officier de dragons, estimé, et aimé dans son corps, très attaché au service, et voulant absolument faire de petits militaires qui ne se feront pas tuer par des Anglais ou des Allemands . Je regarde comme un devoir de vous donner part de ce mariage, comme à un des protecteurs du nom de Corneille, et au meilleur connaisseur de ses beautés et de ses fatras .

Je cherchais un descendant de Racine , pour ressusciter le théâtre, mais n'en ayant point trouvé, j'ai pris un officier de dragons . J’écris à l'Académie française, à laquelle je dédie l'édition, qui fera une partie de la dot, et je demande que tous ceux qui assisteront à la séance, à la réception de ma lettre, me permettent de signer pour eux au contrat .

Je commence par demander la même grâce à Votre Éminence, l'ombre de Pierre vous en sera très obligée, et moi, autre ombre, je regarderai cette permission comme une très grande faveur . Nous n’avons point clos le contrat, et nous vous laissons, comme de raison, la première place parmi les signataires, si vous daignez l'accepter .

Je suppose que vous vous faites apporter les nouveaux ouvrages qui en valent la peine, et que vous avez vu les factums pour les Calas . L'affaire a été rapportée au conseil avec beaucoup d’équité, c'est-à-dire, de la manière la plus favorable ; nous espérons justice, une grande partie de l'Europe la demande avec nous . Cette affaire pourra faire rentrer bien des gens en eux-mêmes, inspirer quelque indulgence, et apprendre à ne pas rouer son prochain, uniquement parce qu'il est d'une autre religion que nous .

Voulez-vous, monseigneur, vous amuser avec l'Héraclius de Calderon, et la conspiration contre César de Shakespear ? J'ai traduit ces deux pièces, et elles sont imprimées, l'une après Cinna, l'autre après l'Héraclius de Caldéron 2, comme objets de comparaison . Cela rendra cette édition assez piquante . J'aurai l'honneur de vous adresser ces deux morceaux, si vous me le commandez . Je n'ai point encore reçu le discours de notre nouveau confrère l'abbé de Voisenon ; on en dit beaucoup de bien .

Agréez, monseigneur, les tendres respects du vieil aveugle de soixante et dix ans, car il est né en 1693 3. Il est bien faible, mais il est fort gai , il prend toutes les choses de ce monde pour des bouteilles de savon 4, et franchement, elles ne sont que cela . »

1Allusion à l'opéra de Quinault et Lulli, Isis, 1677 . Acte IV , scène 1, la scène représente « l'endroit le plus glacé de la Scythie », un chœur des peuples des climats glacés » paraissent « transis de froid » chante sur des notes répétées à effet saisissant de tremblement : « L'hiver qui nous tourment / S'obstine à nous geler ; / Nous ne saurions parler / Qu'avec une voix tremblante ./ La neige et les glaçons / Nous donnent de mortels frissons / Les frimas se répandent / Sur nos corps languissants, / Le froid transit nos sens / Les plus durs rochers se fendent ./ La neige et les glaçons / Nous donnent de mortels frissons . ». Ecouter : https://open.spotify.com/album/3OQkSKJ7VX9ApIGW9aSfs7

2 Lapsus pour Corneille .

3 On sait qu'en réalité V* est né en 1694, le 21 novembre .

4 Sur ce mot bouteille, « bulle », voir lettre du 22 juillet 1761 à Mme du Deffand : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/06/24/qu-on-me-montre-un-homme-qui-soutienne-la-gloire-de-la-natio-5819043.html

13/01/2018

se défier de tous les saints

... et davantage encore de ceux qui les ont créés, créateurs diablement intéressés qui en attendent diverses prébendes et miracles (fumeux !) à usage personnel .

 Résultat de recherche d'images pour "des saints humour"

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

15 février 1763 1

En réponse à la lettre du 8 janvier qui était probablement

du 9 février puisqu'elle a été reçue le 14 février .

Mes anges, maman Denis est toujours malade, moi aveugle, et le tuteur de M. Dupuits sourd . Tout cela a dérangé notre petite fête à la Pompignan. Nous n’avons point tiré de canon, maman n’a point soupé, et on s’est marié sans cérémonie.

Je réponds à la lettre dont madame d’Argental honore ma nièce. Elle me l’a montrée, et j’ai été très affligé qu’elle ait pu s’attirer quelques reproches en vous donnant, sans me consulter, des paroles qu’elle ne pouvait pas donner, et qui ne dépendent point du tout d’elle. Elle m’a répondu que, dans sa lettre du 6 de janvier, elle avait eu l’honneur de vous écrire nos intentions ; mais des intentions ne sont pas un contrat. Nous avons eu beaucoup de peine à faire regarder, par ce tuteur de M. Dupuits, l’espérance de la vente d’un livre comme une dot. Ce sourdaud est un vieux marin à peu près de mon âge, et plus difficile que moi en affaires. Son neveu a un très joli bien, précisément à ma porte ; il était parfaitement informé de la condition du père et de la mère, qui ne descendent point de Pierre Corneille, et qui ne participent en rien aux prérogatives de la branche éteinte. C’est, par parenthèse, une obligation que nous avons à Fréron, qui eut, il y a plus d’un an, l’insolence impunie d’imprimer dans ses feuilles que le père de mademoiselle Corneille était un facteur de la petite poste, à cinquante francs par mois 2; et cette injure personnelle nous fit manquer alors un mariage. Celui-ci est beaucoup plus avantageux que celui qui fut manqué ; mais nous n’aurions jamais pu parvenir à le faire si nous avions insisté sur le partage du produit des souscriptions, que le tuteur a regardé et regarde encore comme un objet fort mince.

Le Cramer que vous voyez à Paris avait offert de donner quarante mille francs du produit des souscriptions et de la vente de l’édition, et ensuite il avait laissé tomber cette offre. On savait très bien dans Genève que nos seigneurs de France avaient donné leurs noms, et rien de plus, et qu’un d’eux ayant souscrit pour vingt louis d’or, en avait payé un. Les Cramer avaient fait retentir que M. le contrôleur-général avait demandé deux cents exemplaires payables en papiers royaux, à huit francs l’exemplaire au-dessous de la valeur ; et ce n’est qu’après les fiançailles que nous avons appris les nouvelles offres de M. Bertin.

Les Anglais qui sont à Genève se moquaient un peu de notre générosité française. On nous disait encore que les libraires de Paris, ayant dans leurs magasins deux éditions de Corneille qui pourrissent, se plaignaient continuellement de la nôtre, et empêchaient plusieurs personnes de souscrire. Le sieur Philibert Cramer était trop occupé des plaisirs de Paris pour me rendre le moindre compte, pendant que je travaillais nuit et jour à des commentaires très fatigants qui me font enfin perdre les yeux.

Si dans de pareilles circonstances j’avais voulu couper en deux la partie de la dot fondée sur les souscriptions, soyez très sûrs, mes anges, qu’on m’aurait remercié sur-le-champ, en se moquant de moi. Le père et la mère de madame Dupuits n’y perdront rien ; leur fille les a nourris du bout de ses dix doigts, avant qu’ils eussent été présentés à M. de Fontenelle . Elle ne manquera jamais à son devoir, et j’y mettrai bon ordre. Le contrat est fait dans la meilleure forme possible. Ne troublons point les plaisirs de deux amants, et jouissons tranquillement du fruit de nos peines, et de la consolation que me donne madame Dupuits dans ma vieillesse.

Au reste je dois vous dire mes anges, et je crois vous avoir déjà dit, que j'avais assigné mille livres par année sur la terre de M. de La Marche . Cela est d'autant plus convenable , que M. Dupuits étant établi en Bourgogne sera plus à portés de recevoir cette partie de la dot de sa femme . Ainsi je compte que M. de La Marche voudra bien avoir la bonté de m'envoyer l'acte qu'il m'a promis ; je n'ai actuellement aucun titre, lui ayant envoyé ses billets ; et si nous mourions actuellement lui et moi, comme cela est très possible, ce fonds de vingt mille livres serait entièrement perdu . J'ose vous supplier de vouloir bien dans l'occasion en rafraichir la mémoire de M. de La Marche avec votre bonté et votre prudence ordinaires .

Permettez-moi de vous supplier encore d’empêcher Philibert Cramer de faire présenter aux spectacles et aux promenades des billets de souscription, comme des billets d’huîtres vertes . L’ami Fréron ne manquerait pas d’en faire de mauvaises plaisanteries dans ses belles feuilles.

On m’a mandé que l’affaire des Calas avait été rapportée par M. de Crosne, et qu’il a très bien parlé. Je vous assure que toute l’Europe a les yeux sur cet évènement.

J’ai lu le Second Appel à la Raison 3 ; je ne sais rien de si insolent et de si maladroit. Les jésuites ont des amis dans le parlement de Bourgogne, mais certainement ils n’en auront plus quand on connaîtra ce libelle. Ils étaient des tyrans du temps du père Le Tellier ; ils ne sont aujourd’hui que des fous . J’ai un jésuite pour aumônier, mais je donnerais volontiers ma voix pour abolir l’ordre. Je n’ai vu qu’une seule bonne chose dans tout ce qu’ils ont écrit, c’est qu’ils ont prouvé invinciblement ce que j’avais déjà dit dans quelques petites réflexions sur Pascal, que les jacobins avaient écrit plus de sottises qu’eux 4. J’ai eu le plaisir de vérifier, dans saint Thomas, le docteur angélique, toute la doctrine du régicide 5 ; que conclure de là ? qu’il serait très expédient de se défaire de tous les moines, et de se défier de tous les saints.

Je me mets au bout de vos ailes . Mme Denis a été bien malade et l'est encore ; nous sommes tous bien fâchés .

V.»

1 La copie Beaumarcahis et l'édtion de Kehl omettent le sixième paragraphe et le dernier, rayés sur le manuscrit ; voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/06/correspondance-annee-1763-partie-7.html

2 Voir lettres de janvier 1761 ; on observe que les dires de Fréron sont souvent confirmés par V* lui-même .

3 Ce nouvel Appel est de l'abbé Caveyrac . Voir lettre du 28 janvier 1763 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2017/12/23/nous-sommes-dans-un-etrange-temps-ou-il-faut-craindre-qu-un-6010865.html

4 On ne trouve pas cette réflexion dans les différentes Remarques sur Pascal : https://fr.wikisource.org/wiki/Remarques_sur_les_Pens%C3%A9es_de_Pascal/%C3%89dition_Garnier

5 V* écrit une longue note sur ce point dans le Traité sur la tolérance, chapitre XI : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/07/traite-sur-la-tolerance-chapitre-xi.html

12/01/2018

Je goûte le seul bonheur convenable à mon âge, celui de voir des heureux. Il y a de la destinée dans tout ceci, et où n’y en a-t-il point ?

...

 

« A Bernard-Louis Chauvelin

Ferney 14è février 1763

Je deviens à peu près aveugle, monsieur, un petit garçon qui passe pour être plus aveugle que moi, et qui vous a servi comme s’il était clairvoyant, s’est un peu mêlé des affaires de Ferney. Ce fut hier que le mariage fut consommé . Je comptais avoir l’honneur d’en écrire à Votre Excellence. Deux époux qui s’aiment sont les vassaux naturels de madame l’ambassadrice et de vous. Je goûte le seul bonheur convenable à mon âge, celui de voir des heureux. Il y a de la destinée dans tout ceci, et où n’y en a-t-il point ?

J’arrive au pied des Alpes, je m’y établis . Dieu m’envoie mademoiselle Corneille, je la marie à un jeune gentilhomme qui se trouve tout juste mon plus proche voisin ; je me fais deux enfants que la nature ne m’avait point donnés ; ma famille, loin d’en murmurer, en est charmée ; tout cela tient un peu du roman.

Pour rendre le roman plus plaisant, c’est un jésuite qui a marié mes deux petits. Joignez à tout cela la naïveté de mademoiselle Corneille, à présent madame Dupuits, naïveté aussi singulière que l’était la sublimité de son grand-père.

Je jouis d’un autre plaisir, c’est celui du succès de l’affaire des Calas . Elle a déjà été rapportée au conseil de la manière la plus favorable, c’est-à-dire la plus juste. Ceci est bien une autre preuve de la destinée ; la veuve Calas était mourante auprès de Toulouse ; elle était bien loin de venir demander justice à Paris, elle disait : Si le fanatisme a roué mon mari dans la province, on me brûlera dans la capitale . Son fils vient me trouver au milieu de mes neiges. Quel rapport, je vous prie, d’un roué de Toulouse à ma retraite ? Enfin nous venons à bout de forcer cette femme infortunée à faire le voyage, et, malgré tous les obstacles imaginables, nous sommes sur le point de réussir : et contre qui ! contre un parlement entier ; et dans quel temps ! Repassez, je vous prie, dans votre esprit, tout ce que vous avez fait et tout ce que vous avez vu ; examinez si ce qui n’était pas vraisemblable n’est pas toujours précisément ce qui est arrivé, et jugez s’il ne faut pas croire au destin, comme les Turcs. Qui aurait dit, il y a cinq ans, que le roi de Prusse résisterait aux trois quarts de l’Europe, et que vous seriez trop heureux de céder le Canada aux Anglais ?

Vous n’aurez rien de moi, monsieur, pour le mois de février ; mais, à la fin de mars, je vous demanderai votre attention sur quelque chose de fort sérieux.

Je me mets aux pieds de vos deux très aimables Excellences ; madame Denis et mes deux petits (1), qui demeurent toujours avec moi, joignent leurs sentiments aux miens, et notre petit château espère toujours avoir l’honneur de vous héberger quand vous prendrez le chemin de la France.

V... l’aveugle. »

11/01/2018

le bel art de la déclamation, c’est-à-dire dans l’art de se rendre maître des cœurs

... et souvent des esprits !

Nombreux  sont  les embrigadés à l'écoute  de discours charmeurs ou flamboyants, irrationnels ou non, moutons de Panurge tout juste bons à tondre , religieux et politiques confondus .

 Résultat de recherche d'images pour "déclamation"

Yo ! Comment se faire pigeonner !

 

 

«  Au marquis Francesco Albergati Capacelli, Senatore

à Bologna

A Ferney 14è février 1763 1

Que vous êtes heureux, monsieur, et que je suis malheureux ! Vous et vos amis vous faites de beaux vers ; vous avez votre beau théâtre parmi de jeunes seigneurs et de jeunes dames qui se perfectionnent dans le bel art de la déclamation, c’est-à-dire dans l’art de se rendre maître des cœurs. Pour moi, je deviens sourd et aveugle de plus en plus. La ville de Genève ne me fournit presque plus d’acteurs ni d’actrices ; j’avais fait venir Lekain, qui est le meilleur comédien de Paris ; mais il a fallu bientôt le rendre à la capitale : en un mot, je crois que je ferai bientôt une grange de mon théâtre, et que j’y mettrai des gerbes de blé au lieu de lauriers.

J’avais un peu de honte de me donner du plaisir à l’âge de soixante et dix ans, mais j’ai été un peu rassuré par un vieux fou qui en a soixante et dix huit, et qui joue la comédie, étant paralytique . Il s’appelle Mauricius , c'est ne vous déplaise, un Hollandais, député des États généraux de Hambourg ; il m’a mandé qu’il jouait Lusignan dans Zaïre avec beaucoup de succès ; qu’il se faisait porter sur un brancard, et qu’en un mot on n’avait pas besoin de jambes pour jouer la comédie ; il a raison, mais on a besoin d’yeux et d’oreilles.

Je crois qu’on aura incessamment à Paris une pièce du peintre de la nature, notre cher Goldoni. Je souhaite que tous les Français soient en état de sentir tout son mérite. Vous recevrez immanquablement de moi un petit hommage avant le printemps .

Un homme qui entend parfaitement l’italien 2 me mande qu’il est extrêmement content de la pièce dont notre cher Goldoni a honoré notre théâtre.

Ah ! monsieur, si je n’avais pas bientôt soixante et dix ans, je serais bientôt à Bologna la grassa.

La riverisco di cuore 3

V.»

 

 

 

1 Le manuscrit original porte la mention « f[ran]co Milano » ; Albergati avait écrit le 9 janvier 1763 . Suite à la copie Beaumarchais-Kehl, les éditions ont des parties manquantes ou modifiées , voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/06/correspondance-annee-1763-partie-7.html

2 Voir lettre du 9 janvier 1763 à Cideville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2017/11/22/v... ; la pièce étant jouée en italien .

3 Bologne l'opulente . Je vous révère de tout mon cœur .

je demande pour elle et pour moi la plus grande diligence

... pourrait dire le modeste Donald Trump lors de ses déplacements en couple au Far West !

 Image associée

L'un des deux est nocif pour la planète !

 

 

« A Joseph-Marie Balleidier, Procureur

à Gex

Je prie monsieur Balleidier de me mander ce qu'il a fait, ou ce qu'il fera, touchant le chemin de Prégny à Genève qui devient impraticable .

Je le prie aussi très instamment de chercher dans les minutes qui sont entre les mains de M. Perronet, tous les papiers qui concernent Ferney, et d'engager M. Perronet à me les confier . Je lui serai très obligé .

Mme Burdet insiste fort sur la subhastation 1; je demande pour elle et pour moi la plus grande diligence .

Voltaire

A Ferney 14è février 1763.2 »

2 D'après l'original signé, avec pour la date 13 corrigé en 14.

être heureux par la possession de sa femme

... et non pas celle d'un autre !

Même si le terme "possession", à sens unique, choque certaines âmes féministes, le mariage (sacré ? ) et son contrat sont bien là pour l'entériner, bon gré mal gré, depuis des siècles, toutes croyances religieuses confondues . Pour tous les réfractaires au mariage, la "possession" est parfaitement réciproque et librement consentie , vers infini et au-delà , sauf accident .

 Résultat de recherche d'images pour "possession de sa femme"

"... le marié, rentré en possession de sa femme, ..." selon les termes consacrés

 

 

« A Jean-Baptiste-François de La Michodière 1

A Ferney , le 13 février 1763

Si j'avais des yeux, monsieur, j'aurais l'honneur de vous remercier de ma main, de la lettre dont vous avez bien voulu m'honorer . Recevez mes très humbles compliments pour vous et M. Thiroux de Crosne sur le mariage de madame votre fille 2. Celui de Mlle Corneille n'est pas si brillant ; je l'ai donnée à un jeune gentilhomme nommé Dupuits dont les terres sont voisines des miennes . Il n'est guère que cornette de dragons, mais il a un avantage commun avec M. de Crosne, celui d'être heureux par la possession de sa femme .

L'affaire que M. de Crosne rapporte est un peu éloignée des agréments dont il jouit ; elle est bien funeste, et je n'en connais guère de plus honteuse pour l'esprit humain . J'ai pris la liberté d'écrire à M. de Crosne sur cette affaire 3. Je dois me regarder en quelque façon comme un témoin ; il y a plusieurs mois que Pierre Calas, accusé d'avoir aidé son père et sa mère dans un parricide, est dans mon voisinage avec un autre de ses frères . J'ai balancé longtemps sur l'innocence de cette famille ; je ne pouvais croire que les juges eussent fait périr, par un supplice affreux, un père de famille innocent . Il n'y a rien que je n'aie fait pour m'éclaircir de la vérité . J'ai envoyé plusieurs personnes auprès des Calas, pour m'instruire de leurs mœurs et de leur conduite . Je les ai interrogés moi-même très souvent . J'ose être sûr de l'innocence de cette famille comme de mon existence . Ainsi j'espère que M. de Crosne aura reçu avec bonté la lettre que j'ai eu l'honneur de lui écrire . Ce n'est point une sollicitation que j'ai prétendu faire, ce n'est qu'un hommage que j'ai cru devoir à la vérité . Il me semble que les sollicitations ne doivent avoir lieu dans aucun procès, encor moins dans une affaire qui intéresse le genre humain . C'est pourquoi, monsieur, je n'ose même vous supplier d'accorder vos bons offices . On ne doit implorer que l'équité et les lumières de M . de Crosne . Vous avez lu les factums, et je regarde l'affaire comme déjà décidée dans votre cœur et dans celui de monsieur votre gendre .

J'ai l'honneur d'être avec bien du respect etc. »

2 Sa fille aînée Anne-Adélaïde-Angélique de la Michodière (1745- 1812 ) épouse le 24 janvier 1763 ,à Paris, Louis Thiroux de Crosne conseiller au parlement de Paris .

10/01/2018

Il est assez plaisant qu'on puisse imprimer la calomnie, et qu'on ne puisse pas imprimer la justification

... Affirmation du XVIIIè siècle, à actualiser aujourd'hui, ou non ?

 

« A Etienne-Noël Damilaville

13 février [1763]

Mon cher frère, si vous n'avez pas des Éclaircissements historiques, en voici . Il est assez plaisant qu'on puisse imprimer la calomnie, et qu'on ne puisse pas imprimer la justification i. Je joins à ces deux exemplaires la véritable feuille de l'Essai sur les Mœurs ii de laquelle assurément Messieurs doivent être contents, à moins qu'ils ne soient extrêmement difficiles . Comme il n'y a rien dans cette feuille qui ne se trouve dans le procès de Damiens que le parlement lui-même a fait imprimer, je ne vois pas que Messieurs aient le moindre prétexte de me traiter comme les jésuites ; d'ailleurs, j'aime la vérité, et je ne crains point Messieurs. Je suis à l'abri de leur greffier . Au reste, il me semble qu'il y a , à la page 325, une chose bien flatteuse pour un de ces Messieurs iii.

Quant à la roture de Messieurs, il faudrait être aussi ignorant qu'un jeune conseiller au parlement pour ne pas savoir que jamais de simples conseillers ne furent nobles . Voyez le chapitre de la noblesse . C'est bien pis. Les chanceliers n'étaient pas nobles par leur charge ; ils avaient besoin de lettres d'anoblissement . Quand on écrit l'histoire il faut dire la vérité et ne point craindre ceux qui se croient intéressés à l'opprimer.

Le traité sur l'éducation iv me parait un très bon ouvrage, et pour tout dire, digne de l'honneur que frère Platon-Diderot lui a fait d'en être l'éditeur.

Si frère Thieriot ne sait pas l'air de Béchamel, je vais vous l'envoyer noté, car il faut avoir le plaisir de chanter : Vive le roi et Simon Lefranc !v

Avez-vous entendu parler de la pièce dont M. Goldoni a régalé le Théâtre-Italien vi? a-t-elle du succès ? joue-t-on encore le vieux Dupuis et M. Desronais vii? J'avais prié mon cher frère de m'envoyer ce Dupuis ; j'attendais le discours de mon confrère l'évêque de Montrouge viii, il m'avait écrit qu'il me l'envoyait, mais point de nouvelles . Monsieur l'évêque est occupé auprès de quelques filles de l'Opéra-Comique . Mais c'est à frère Thieriot que j'en veux : il est bien cruel qu'il n'ait pas encore cherché les Dialogues de Grégoire-le-Grand . Je les avais autrefois . C'est un livre admirable en son espèce : la bêtise ne peut aller plus loin.

J'embrasse tendrement mon cher frère, et je le prie de faire passer cette lettre à Pindare-Le Brun dont je suis censé ignorer les sottises ix.

Je reçois Tout le monde a tort x. Ce Tout le monde a tort ne serait-il point de Mme Belot ? Il me parait qu'une ironie de soixante pages en faveur des jésuites pourrait être dégoutante . »

i « petite addition » à l'Histoire générale : Éclaircissements historiques à l'occasion d'un libelle calomnieux sur l'Essai de l'histoire générale, qui répond aux Erreurs de M. de Voltaire, de Nonnotte . Damilaville a également écrit une réponse que V* joignit à la sienne sous le titre de Additions aux susdits éclaircissements .

http://www.archive.org/details/erreursdevoltair01nonn

http://www.voltaire-integral.com/Html/24/64_Eclaircisseme...

Cf. lettres à d'Alembert du 28 novembre 1762, à Damilaville du 9 septembre et du 13 décembre 1762 :http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/11/27/a...

http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/09/08/c...

http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/12/13/l...

La « calomnie » désigne les écrits de Nonnotte . Les Éclaircissements sont signalés à Malesherbes comme imprimés du 29 janvier 1763.

ii A ce propos, voir lettre à Mme d'Argental du 9 février : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/02/09/j...

iii Dans le chapitre sur l'attentat de Damiens «  ... l'un (des membres du parlement exilé) ... célèbre pour son patriotisme et pour son éloquence, fonda une messe à perpétuité pour remercier Dieu d'avoir conservé la vie du roi qui l'exilait », avec cette note de V* : « L'abbé de Chauvelin »

iv De l'Éducation publique, 1762 . Thieriot disait qu'on ne connaissait pas l'auteur de cet ouvrage édité par Diderot ; on a cité Jean-Baptiste-Louis Crevier ou même Diderot lui-même. http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Baptiste-Louis_Crevier

http://books.google.be/books?id=d-wNAAAAYAAJ&printsec...

v C'est l'Hymne chanté au village de Pompignan ; http://books.google.be/books?id=2sJCAAAAYAAJ&pg=PA140...

cf. lettre à Mme d'Argental du 9 février .

vi L'Amour paternel ou La Suivante reconnaissante, représentée le 4 février au Théâtre Italien . http://fr.wikipedia.org/wiki/Carlo_Goldoni

vii Dupuis et Desronais, comédie de Charles Collé ; cf. lettre à Damilavile du 24 janvier . Représentée pour la première fois à la Comédie-Française le 17 janvier . http://books.google.be/books?id=FSU_AAAAcAAJ&printsec...

viii C'est le discours de réception à l'Académie Française, prononcé le 22 janvier par l'abbé Voisenon ; il signait « évêque de Montrouge » car il fréquentait la maison du duc de La Vallière à Montrouge. http://www.academie-francaise.fr/immortels/discours_recep...

http://fr.wikipedia.org/wiki/Claude-Henri_de_Fus%C3%A9e_d...

ix Sur ce Le Brun, surnommé Pindare à cause de son ode sur Corneille, et sur ses rapports avec V*, voir lettres à d'Alembert du 18 janvier et Damilavile du 24 janvier : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/01/16/j...

http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/01/25/l...

x Tout le monde a tort ou Jugement impartial d'une dame philosophique, sur l'affaire présente des jésuites, 1762, attribué à Claude-Cyprien-Louis Abrassevin, jésuite .

Voir note  page 325 : http://books.google.be/books?id=ozgLAAAAQAAJ&pg=PA325...