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18/06/2014

je ne sais pas trop par quelle route il pourra se tirer des coquins qu'il a engagés pour servir l’État . Ce sont des gens très belliqueux, car ils jettent des pierres à tous les passants , comme faisait mon singe Luc

... On croirait que Voltaire décrit le gouvernement nommé par François Hollande et Manuel Vals , sans oublier celui de Fillon et Sarko et leurs comparses de l'UMP, Copé et quelques autres du même acabit . 

Servir l'Etat , il y a beaucoup de marge de progression pour tous .

Vous êtes priés d'arrêter vos singeries !

 

singe qui jette une pierre.jpg

 

 

« A Marie-Elisabeth de Dompierre de Fontaine

Aux Délices 5 mai [1759]

Que j'écrive de la main de notre ami Jean-Louis 1 ou de la mienne, cela est égal, ma chère nièce, pourvu que j'écrive . Votre sœur n'a pas une santé bien brillante et n'est pas à beaucoup près si ingambe que moi . Je suis devenu plus grand cultivateur et plus grand architecte que jamais . J'élève des colonnades et j'ai des charrues vernies : il ne me manque que de tremper mon blé dans de l'eau de lavande . Vous irez sans doute bientôt à Hornoy . Vous m'y préparerez, s'il-vous-plait, les logis, car soyez très sure que j'y viendrai radoter avant qu'il soit deux ans .

Vous me conseillez en attendant de faire une tragédie parce que le théâtre est purgé de petits -maîtres . Moi , faire une tragédie après que le grand Jean-Jacques a écrit contre les spectacles ! Gardez-vous sur les yeux de votre tête de dire que je suis jamais homme à faire une tragédie . Non, je ne fais point de tragédie . Vous voudriez, n'est-il pas vrai, une tragédie d'un goût nouveau, pleine de fracas, d'action, de spectacle , bien neuve, bien intéressante, bien singulière, féconde en sentiments, en situations, des mœurs vraies,et cependant nouvelles sur la scène ? vous n'aurez rien de tout cela . Gardez vous de croire que je fasse une tragédie 2. Assez d'autres en feront et suppléeront par l'action théâtrale que je leur ai tant recommandée, au génie que je leur recommande encore plus .

Monsieur le conseiller du grand conseil 3, je vous suis très obligé d'avoir rompu avec moi votre silence pythagorique 4. Vous n'êtes pas l'écrivain le plus fécond de nos jours , mais quand vous vous y mettez, vous écrivez très joliment ; et vous avez par dessus Mme de Fontaine le mérite de l'orthographe . J'espère que dans l'année 1760 nous recevrons encore de vous un petit mot qui nous fera grand plaisir .

Monsieur le Vitruve d'Hornoy 5, je ne vous conseille pas de faire à votre château un aussi maudit escalier que vous en avez fait à celui de Tournay . Nous verrons comment vous aurez ajusté les appartements de votre aile . Je n'oublierai point les offres que vous me faites d'être quelquefois à Paris mon ambassadeur auprès des puissances nommées banquiers, notaires ou procureurs du parlement . Il faut que votre mousquetaire Daumart ait été blessé dans quelque bataille ; c'est le plus déterminé boiteux que nous ayons dans la province ; cependant il ne laisse pas de tuer en clopinant tous les renards et tous les cormorans 6 qu'il rencontre .

Monsieur le capitaine de cavalerie 7, vous avez fait un cornette qui est le plus malheureux cornette du pays : non seulement il n'a point de route, mais je ne sais pas trop par quelle route il pourra se tirer des coquins qu'il a engagés pour servir l’État . Ce sont des gens très belliqueux, car ils jettent des pierres à tous les passants , comme faisait mon singe Luc . On a beau les mettre en prison, ils finiront par assassiner leur cher cornette sur le grand chemin .

Luc m'écrit, du 13è avril 8, que cette campagne-ci sera plus meurtrière que les autres . Dieu veuille qu'il se trompe ! Je crois que nous ne nous trompons pas en nous flattant que M. de Silhouette fera dans son ministère des choses plus utiles aux hommes que Luc n'en fera de dangereuses .

Adieu, ma chère nièce ; les deux ermites vous embrassent de tout leur cœur .

Je me suis arrangé avec la république de Genève pour avoir une belle terrasse de trente toises de long . Cela n'est pas bien intéressant, mais c'est un grand embellissement à nos Délices où je voudrais bien vous revoir . »

1Wagnière , secrétaire de V* .

2 En réalité V* travaillait bien à Tancrède . Voir la lettre de Mme Denis à Cideville du 8 juin 1759 , note dans la lettre du 27 mars 1759 à de Ruffey : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/05/15/sa-petulance-augmente-avec-l-age-il-n-a-rien-gagne-sur-ses-d-5369822.html

4 Le silence passe traditionnellement pour avoir été une des règles de la communauté des pythagoriciens . Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_pythagoricienne

5 Fils de Mme de Fontaine , il aurait accompagné sa mère au début de 1759 chez V*, il était dans sa dix-septième année, et c'était son premier voyage aux Délices, Tournay et Ferney .

6 Les cormorans ont été si bien chassés qu'il n'en survit plus que dans les environs de Versoix, ce sont des nuisibles aux yeux des pècheurs .

7 Le marquis de Florian .

8 Sur la copie Beaumarchais-Kehl, l'éditeur a corrigé la date du 13 en 11 qui est exacte .

 

17/06/2014

J'ai deux curés dont je suis assez content . Je ruine l'un, je fais l'aumône à l'autre , il prie Dieu pour moi et tout va bien

...  Selon le sacro-saint principe des vases/calices communicants .

 vases_communicants.jpg

 

 

 

 

« A Jean Le Rond d'Alembert

des Académies de Paris

rue Michel-le-comte

à Paris

Je reçus hier la faveur de vos quatre volumes 1, mon cher philosophe . Je dévorai d'abord votre laubrussellerie 2. Cela est excellent . On n'aurait jamais brûlé un Laubrussel, on vous incendiera quelque jour . Macte animo 3. Vous serez des nôtres . Luc (vous connaissez Luc) me mande du 11 avril, entre autres choses, je me félicite et je tire ma gloire que la guerre que me fait la France soit l'époque de la guerre qu'on fait à Paris au bon sens 4.

Mais s'il vous plait de quoi vous avisez-vous de dire dans vos éléments de philosophie que les sciences sont plus redevables aux Français qu'à aucune nation ?5 Est-ce que vous êtes devenu flatteur ? Est-ce aux Français qu'on doit la machine paralactique 6, la pompe à feu 7, la gravitation 8, la connaissance de la lumière 9, l'inoculation 10, le semoir 11, les condons ou condoms 12?

Parbleu vous vous moquez, nous n'avons pas seulement inventé une brouette 13 .

Vous avez donc fait réimprimer votre article de Genève ?14 Vous avez très bien fait . Mais vous faites trop d'honneur aux prédicants sociniens . Vous ne les connaissez pas vous dis-je . Ils sont aussi malins que les autres . Et les sociniens de Genève et les calvinistes de Lausanne, et les fakirs et les bonzes sont tous de la même espèce . Je laisse faire ceux de Paris, mais pour mes Suisses et mes Allobroges je les range . Et je n'ai fait la plaisanterie d'avoir un château à créneaux et à ponts-levis que pour y pendre un prêtre de Baal à la première occasion . J'ai deux curés dont je suis assez content . Je ruine l'un, je fais l'aumône à l'autre , il prie Dieu pour moi et tout va bien .

Vous avez fort mal fait quand vous êtes venu à Genève de fréquenter la prêtraille . Quand vous y reviendrez ne voyez que vos amis, vous serez fêté et honoré .

L'aventure de l'Encyclopédie 15 est le comble de l'insolence et de la bêtise . Ce n'était pas en France qu'il fallait faire cet ouvrage .

Quoi vous répondez sérieusement à ce fou de Rousseau 16, à ce bâtard du chien de Diogène ? Vous m’enhardissez . Je réponds moi à frère Berthier 17 et à tutti quanti, et vous verrez avec quelle impudence . Mais non vous ne le verrez point car on ne laissera pas passer ma besogne . Pour vos quatre volumes philosophiques , ils passeront, car tout brûlable que vous êtes vous êtes plus sage que moi . Mme Denis vous fait mille compliments, vous lit et vous regrette . Ainsi fais-je .

Aux château de Tournay 4 mai [1759]18 , venez nous y voir . »

2 L'essai sur [Ignace] de Laubrussel, Traité des abus de la critique en matière de religion, 1710-1711 se trouve dans les Mélanges , 1759, t. iv, page 321-380 . Voir aussi : http://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=mdp.39015063562568;view=2up;seq=6

3 Courage ! Réminiscence de Virgile dans l'Enéide.

4 V* reprend en l'améliorant la phrase de Frédéric GIF dans sa lettre du 11 avril 1759 : voir lettre du 2 mai 1759 à Frédéric II : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/06/14/vos-rimes-familieres-immortalisent-les-beaux-cus-de-ceux-que-vous-avez-vain.html

5 Référence possible à un passage des Mélanges, t. iv, p. 281-282 : https://archive.org/stream/mlangesdelitt04alemuoft#page/280/mode/2up

6 Ou l'équatorial, en parlant de télescope, dont l'invention est sujette à controverse ; V* l'attribua à Zacharias Jansen, Jacob Metius et Galilée ; voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Monture_%C3%A9quatoriale

7 Aux yeux de V*, il était difficile de savoir qui était l'inventeur de la pompe à feu . Cet appareil fut mentionné, semble-t-il pour la première fois par Néron d'Alexandrie . Le mot de pompier, fabricant de pompe, est attesté en 1750 .http://fr.wikipedia.org/wiki/Pompe_%C3%A0_feu

9 Encore Newton .

10 Elle fut apportée de Turquie en Angleterre peu après 1700 par lady Mary Wortley Montagu .http://fr.wikipedia.org/wiki/Mary_Wortley_Montagu

11 V* pense-t-il à la première semeuse inventée par Locatelli en 1662, ou au semoir à blé de Jethro Tull de 1730 ? Voir : http://www.jstor.org/discover/10.2307/3739626?uid=3738016&uid=2129&uid=2&uid=70&uid=4&sid=21104327662023

12 Inventé vers 1665 par un colonel de ce nom ; voir A dictionnary of slang and inconventional English, 1937, p 197 .http://fr.wikipedia.org/wiki/Pr%C3%A9servatif

13 V* mentionne la brouette peut-être justement parce que cette invention est attribuée à Pascal . :http://fr.wikipedia.org/wiki/Brouette#La_question_des_origines

L'objet est ancien, au moins sous certaines formes mal connues, et le nom apparaît dès le XIIIè siècle au moins , dérivant d'un mot latin signifiant « véhicule à deux roues » . sur tout ce passage des inventions, voir French inventions of the eighteenth century, de Shelby T. McCoy, 1952 .

14 Article « Genève » de l'Encyclopédie, 1759 .

16 Lettre de d'Alembert à M. J.-J. Rousseau sur l'article « Genève », 1759, également publiée dans l'article Genève cité .http://books.google.fr/books?id=Bj4HAAAAQAAJ&printsec=titlepage#v=onepage&q&f=false

17 On a toujours considéré que cette réponse devait être la longue « Note » de l'Ode sur la mort de […] la margrave de Bareith . En réalité il semble que V* pense déjà à la Relation de la maladie, de la confession, de la mort et de l'apparition du jésuite Berthier, 1759, qui fut publiée à la fin de l'année et dont on place généralement la composition en novembre . Mais plusieurs allusions de la correspondance laissent penser qu'elle a été mise en chantier avent le départ de Mme d'Epinay de Genève le 5 octobre 1759 . http://www.baillement.com/lettres/voltaire.html

18 Le même jour Haller écrivait à Bonnet : « Je crois comme vous que M. de V., que Diderot, que La Mettrie et même M. de M[aupertui]s auraient fait de grands persécuteurs, s'ils avaient été à la place des juges romains sous Domitien, ou sous Dioclétien » D'Alembert répondit à Voltaire le 13 mai ; voir page 63 : http://fr.wikisource.org/wiki/Page:D%E2%80%99Alembert_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes,_%C3%A9d._Belin,_V.djvu/71

 

16/06/2014

Je ne sais pas encore si les ciseaux de M. de Silhouette rogneront d’assez près les ongles des fermiers généraux pour qu'il en revienne quelque chose au peuple

... Ce doute est actuel mais notre ministre des finances et des comptes publics, M. Sapin (ça sent le ...) ne se pose peut-être pas tant de questions quant à ce qui restera dans la poche des plus humbles contribuables .

Arnaud Montebourg-Monte-au-créneau sans économies, redresse la tête improductivement et reste dans le virtuel numérique .

 

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Et pendant ce temps, des gugusses font grève , les uns en montrant leurs culs nus, les autres en ne roulant plus, les uns en défendant leur bout de gras, les autres en s'accrochant mordicus à leurs avantages que d'aucuns aimeraient bien partager .

SNCF, déjà tout petit je savais que cela signifiait Société Nourrissant Certains Fainéants, ça se confirme , les fainéants se doublant de fieffés emmerdeurs . 

 

 

« A Jean-Robert Tronchin

Il y a bien longtemps, mon cher monsieur, que je n'ai eu le plaisir de m'entretenir avec vous ; j'ai respecté vos occupations, et de mon côté je n'ai pas été oisif . Je ne sais pas encore si les ciseaux de M. de Silhouette rogneront d’assez près les ongles des fermiers généraux pour qu'il en revienne quelque chose au peuple ; si le première impression que tout changement fait dans le public pouvait donner quelque faveur à nos billets de loterie, et à nos annuités, je crois qu'il faudrait prendre ce moment pour s'en défaire en cas qu'il n'y eût que peu de chose à perdre sur ces effets, et je vous avoue que j'aime mieux des prés que des billets sur la place ; je vous ai beaucoup dégarni . Vous devez payer à la Saint Jean des sommes assez fortes . Pour moi, j'ai acheté encore deux domaines à ma bienséance dont l'un joint la terre de Ferney à celle de Tournay et j'ai payé la moitié de ces deux acquisitions comptant . Mais bientôt il faudra que vous m'aidiez ; j'attendrai vos avis pour me défaire de ces billets de loterie et de ces annuités dont j'ai l'honneur de vous parler . Permettez qu'à présent je vous fasse une autre prière ; on m'a parlé d'une bonne manufacture de drap établie dans votre voisinage, à Vienne ; ne pourrais-je pas avoir une quarantaine d'aunes de bon gros drap vert avec des doublures jaunes , et une vingtaine de gros drap jaune ? Je souhaiterais le vert très foncé et approchant du gris de fer et que le jaune fût aussi très foncé, pour être moins tachant . Il me faudrait aussi du galon d'argent à bon marché pour une douzaine de chapeaux de domestiques . À l'égard des boutons pour habits 1 je ne sais si on n'en fait pas de cuivre à Saint Étienne qui soient bon marché et durables .

C'est toujours avec un peu de honte que je vous fatigue de ces misères et quoique vous m'ayez très enhardi il me reste toujours un petit fond de timidité .

Je ne suis pas si timide pour la casse et quand il s'agit d’obéir aux ordres du Docteur je ne suis plus honteux 2. Il me nourrit de bonne casse, comme vous savez . Une vingtaine de livres me viendraient très à propos, car les vivres me manquent . Voici encore une autre supplication, si jamais deux jeunes et bonnes juments de trait et à bon marché vous passent sous la main, envoyez-les moi au plus vite avec brides, mors et harnais simples . J'aimerais mieux qu'elles vous conduisent aux Délices .

Entre nous il m'a passé par les mains des choses bien extraordinaires depuis peu . Je vous réponds de la plus implacable animosité contre le roi de France et le roi de Prusse . On fera plutôt la paix avec les Anglais (à quelque prix que ce soit ) qu'avec lui . Il faut ou que ce prince soit écrasé ou qu'il écrase . Il me mande qu'il croit que cette campagne sera plus meurtrière que l'autre . Il a jeté le fourreau dans la rivière 3 , à moins d'un miracle, nous voilà ruinés .

Je vous embrasse tendrement, ainsi fait ma nièce.

V.

Aux Délices 2 mai [1759] »

1 Pour habits est ajouté par V* au dessus de la ligne .

2 V* a d'abord écrit si timide, puis rayé et remplacé par honteux .

3 Dans la bible , il est question de déposer l'épée et le bouclier au bord de la rivière .

 

15/06/2014

je suis un républicain qui ne peut se résoudre à habiter, tout au plus, que la frontière d'un royaume . Encore s'en repend-il quelquefois en voyant la petite rapacité des petits officiers de justice et de finance

...

rapacité.jpg

 

 http://antibanque.blogspot.fr/2011_07_01_archive.html

 

 

« A Germain-Gilles-Richard de Ruffey

Aux Délices 2 mai [1759]

C’est abuser de vos bontés , monsieur, que d'avoir passé tant de temps sans en profiter . J'ai toujours attendu que Mgr le comte de La Marche , mon seigneur suzerain eût réglé ce qu'il veut avoir de la pauvre petite terre de ma nièce pour son droit de mouvance . Cette affaire n'est point encore terminée, et je ne sais même si on peut reprendre le fief et rendre foi et hommage avant d'avoir payé son seigneur pour lequel on doit marcher armé de pied en cape toutes les fois qu'il l'ordonne . Je vous envoie à tout hasard à l'adresse indiquée la grosse en parchemin du contrat d'acquisition et la procuration de Mme Denis qu'elle n'a pu faire par-devant notaire . Mais s'il est nécessaire qu'un notaire y passe, nous irons à Ferney faire cette cérémonie quoiqu’on ne puisse pas encore y loger . J'ai fait à Gex des contrats avec des procurations sous seing privé . Je ne sais si on est plus difficile à Dijon que dans le pays de Gex. En bonne justice l’oncle et la nièce auraient dû aller à Dijon vous rendre, à vous monsieur, et à Mme de Ruffey , leur foi et hommage, mais vous savez que je suis un républicain qui ne peut se résoudre à habiter, tout au plus, que la frontière d'un royaume . Encore s'en repend-il quelquefois en voyant la petite rapacité des petits officiers de justice et de finance, et les vexations exercées sur de pauvres cultivateurs, à qui on fait payer pour la taille le tiers au moins de ce que produisent leurs sueurs et leurs larmes 1. Je gémis en voyant le plus joli paysage de la nature défiguré par la voracité de tant de harpies . Il y a dans ce petit canton à la lettre plus de commis que de laboureurs . Je suis obligé de faire venir à grands frais des familles suisses pour cultiver des terres qui sans elles resteraient incultes . Si je pouvais labourer moi-même je le ferais, mais je suis trop faible . Je peux à peine tenir le nouveau semoir fort joliment verni, et vrai amusement d'une autre femme que Mme Denis ; mes Suisses sont tout ébahis de ne pouvoir semer le jour de la fête d'un saint qu'ils ne connaissent pas . Nous avons imaginé nous autres papistes qu'il fallait manquer de pain pour honorer saint Roch et saint Fiacre . Cela est fort sensé . On croit dans une cour être au pays de Sejan, et dans les campagnes au pays des Caffres . Nous verrons si des actions sur les fermes générales ramèneront l'abondance, et si le traducteur de Pope 2 remplacera Colbert . Je le souhaite . Quelques personnes l'espèrent . On dit que vous avez un bulletin passable de Paris . Adieu, le roi de Prusse est en Bohème , je le crois au dessus de ses affaires, car il m'écrit toujours des vers et trop de vers . Mille remerciements .

V. »

1 On voit ici apparaître un thème qui reviendra fort souvent chez V*, notamment dans le Pot pourri : www.bouquineux.com/pdf/Voltaire-Pot-pourri.pdf

et dans l'Homme aux quarante écus . Voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-conte-l-homme-aux-quarante-ecus-partie-1-69199895.htm

2 Silhouette .

 

14/06/2014

vos rimes familières Immortalisent les beaux cus De ceux que vous avez vaincus, Ce sont des faveurs singulières.

...  - Parle à mon cul, j'ai la tête lourde !

DSCF4752 parle à mon cul.png

- Arrête de ruminer des idées noires ou c'est encore une histoire qui va finir par une boucherie !

 

« A FRÉDÉRIC II, roi de Prusse.
2 mai [1759.]

 


Héros du Nord, je savais bien
Que vous avez vu les derrières
Des guerriers du roi très-chrétien,
A qui vous taillez des croupières;
Mais que vos rimes familières
Immortalisent les beaux cus
De ceux que vous avez vaincus,
Ce sont des faveurs singulières.

Nos blancs-poudrés sont convaincus
De tout ce que vous savez faire;
Mais les ons, les its, et les us,
A présent ne vous touchent guère.

Mars, votre autre dieu tutélaire,
Brise la lyre de Phébus;
Horace, Lucrèce, et Pétrone,
Dans l'hiver sont vos courtisans;
Vos beaux printemps sont pour Bellone :
Vous vous amusez en tout temps.



Il n'y a rien de si plaisant, sire, que le congé 1 que vous avez donné, daté du 6 novembre 1757. Cependant il me semble que dans ce mois de novembre vous couriez à bride abattue à Breslau, et que c'est en courant que vous chantâtes nos derrières.
Le bel arrêt 2 du parlement de Paris sur le bon sens philosophique de d'Argens, et sur la Loi naturelle, pourrait bien aussi avoir sa part dans l'histoire des culs; mais c'est dans le divin chapitre des torche-culs de Gargantua 3. La besogne de ces Messieurs ne mérite guère qu'on en fasse un autre usage. On a traité à peu près ainsi, à la cour, les impertinentes remontrances que cette compagnie a faites, on ne pourra jamais leur reprocher la Philosophie du bon sens. On dit que Paris est plus fou que jamais, non pas de cette folie que le génie peut quelquefois permettre, mais de cette folie qui ressemble à la sottise. Je ne veux pas, sire, avoir celle d'abuser plus longtemps des moments de Votre Majesté; je volerais les Autrichiens, à qui vous les consacrez. Je prie Dieu toujours qu'il vous donne la paix, et que son règne nous advienne 4.
Car, en vérité, au milieu de tant de massacres, c'est le règne du diable; et les philosophes qui disent que tout est bien ne connaissent guère leur monde. Tout sera bien quand vous serez à Sans-Souci, et que vous direz :
Alors, cher Cinéas, victorieux, contents,
Nous pouvons rire à l'aise, et prendre du bon temps
5»


 

1 Il s'agit d'une pièce de vers du roi de Prusse intitulée Congé de l'armée des cercles et des tonneliers , « plaisanterie grivoise » envoyée par Frédéric à V* avec sa lettre du 11 avril à laquelle répond ici v* . Imprimée dans les Œuvres de Frédéric, cette pièce date de 1757 , on a reconnu dans les terminaisons citées dans ce vers des rimes scabreuses . Ce sont les Français que désigne « tonneliers », et le nom de tonneliers leur était donné, parce qu'ils avaient avec eux les troupes des cercles d'Allemagne. Le Congé est daté de Freybourg. (Beuchot.)Voir page 256 : http://books.google.fr/books?id=DnwHAAAAQAAJ&pg=PA256&lpg=PA256&dq=Cong%C3%A9+de+l%27arm%C3%A9e+des+cercles+et+des+tonneliers&source=bl&ots=emD848pQYS&sig=aRgKjH5VOno_yE3PcW0Tb0adEpA&hl=fr&sa=X&ei=16ScU_OsKKGW0AXfvIGIBw&ved=0CC8Q6AEwAw#v=onepage&q=Cong%C3%A9%20de%20l%27arm%C3%A9e%20des%20cercles%20et%20des%20tonneliers&f=false

 

2 Du 6 février 1759.

 

3Gargantua, XIII, Rabelais : http://mapage.noos.fr/crosin000v/Rabelais/Extraits_fr_Rab...

Voltaire commente le post scriptum de la Lettre du 11 avril 1759 de Frédéric II à V* : « DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Bolkenhayn, 11 avril 1759
Distinguez, je vous prie, les temps où les ouvrages ont été faits. Les Tristes d'Ovide et l'Art d'aimer ne sont pas contemporains. Mes élégies ont leur temps marqué par l'affreuse catastrophe qui laissera un trait enfoncé dans mon cœur, autant que mes yeux seront ouverts. Les autres pièces ont été faites dans des intervalles qui se trouvent toujours, quelque vive que soit la guerre. Je me sers de toutes mes armes contre mes ennemis; je suis comme le porc-épic qui, se hérissant, se défend de toutes ses pointes. Je n'assure pas que les miennes soient bonnes ; mais il faut faire usage de toutes ses facultés telles qu'elles sont, et porter des coups à ses adversaires les mieux assénés que l'on peut.
Il semble qu'on ait oublié dans cette guerre-ci ce que c'est que les bons procédés et la bienséance. Les nations les plus policées font la guerre en bêtes féroces. J'ai honte de l'humanité; j'en rougis pour le siècle. Avouons la vérité; les arts et la philosophie ne se répandent que sur le petit nombre; la grosse masse, le peuple, et le vulgaire de la noblesse, restent ce que la nature les a faits, c'est-à-dire de méchants animaux.
Quelque réputation que vous ayez, mon cher Voltaire, ne pensez pas que les housards autrichiens connaissent votre écriture. Je puis vous assurer qu'ils se connaissent mieux en eau-de-vie qu'en beaux vers et en célèbres auteurs.
Nous allons commencer dans peu une campagne qui sera pour le moins aussi rude que la précédente. Le prince Ferdinand épaule bien ma droite;Dieu sait quelle en sera l'issue. Mais de quoi je puis vous assurer positivement, c'est qu'on ne m'aura pas à bon marché, et que, si je succombe, il faudra que l'ennemi se fraye par un carnage affreux le chemin à ma destruction.
Adieu ; je vous souhaite tout ce qui me manque.
FÉDÉRIC.
N. B. On dit qu'on a brûlé à Paris votre poème de la Loi naturelle, la Philosophie du bon sens , et l'Esprit, ouvrage d'Helvétius. Admirez comme l'amour-propre se flatte; je tire une espèce de gloire que la même époque de la guerre que la France me fait devienne celle qu'on fait à Paris au bon sens. »

 

 

 

 

13/06/2014

République de Genève je vous aime

...

delices_1.jpg

 Les Délices, quartier St Jean , République de Genève

 

« A François Tronchin

[avril/ mai 1759]

République de Genève je vous aime et j'entends que votre chemin soit très embelli sans qu'il vous en coute rien, et à moi pas grand chose .

Au lieu de continuer notre muraille de trente toises je recule ma haie en ceintre, je prie M. Dunan d'en faire autant, je recule encore en ceintre la haie de mes vignes . Je vous fais une pièce immense, ronde , régulière, ornée d'arbres en boule . Grille à ma vigne, grille au bas de ma terrasse, grille à la haie ceintrée de M. Dunan, jolies vues de tous les côtés, entrée charmante à Genève, qu'en dites-vous, mon cher ami ? qui avez du goût et vous aussi messieurs Mallet 1 et Jacquier, dites si cela ne sera pas délicieux.

V. »

1 Jean-Jacques Mallet, Ami de Chapeaurouge, et François Tronchin avaient été nommés comme commissaires pour surveiller les travaux de la nouvelle route . Tronchin se déroba et fut remplacé par Pierre Jacquet .Voir aussi : http://www.ville-ge.ch/bge/imv/gazette/15/pdf_15/15_clin.pdf

et page 341 : http://books.google.fr/books?id=LQ4QVb1NWDsC&pg=PA340&lpg=PA340&dq=Ami+de+Chapeaurouge&source=bl&ots=Kk1Cv-eJN5&sig=TFh7E60aN1NEFN5qkXvUKdESiWA&hl=fr&sa=X&ei=hXGbU8PlEZKe0wW4oYDACg&ved=0CGUQ6AEwCQ#v=onepage&q=Ami%20de%20Chapeaurouge&f=false

Il faut que je connaisse mes devoirs pour les remplir

...

 

 

 

« A François Tronchin

Je vous prie mon cher ami de m'envoyer l'original ou du moins copie entière de mon accord avec la sérénissime république 1. Je vous serai très obligé . Il faut que je connaisse mes devoirs pour les remplir et quoique j'aie des ponts-levis et des créneaux je veux vous être très soumis . Il y a bien longtemps que l'oncle et la nièce n'ont eu l'honneur de vous voir .

Mercredi au soir [avril/mai 1759] »

1 De Genève, au sujet du mur à restaurer . Voir lettre précédente : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/06/13/voyez-si-la-republique-veut-payer-5390756.html