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10/05/2011

il serait trop ridicule que l’éternel architecte changeât et rechangeât continuellement les petits évènements de notre petit globule ; il ne s'occupe ni de nos souris, ni de nos chats, ni de nos jésuites

 

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« A Claude-Philippe Fyot de La Marche

 

Aux Délices 19è mai 1762

 

J'ai été sur le point, Monsieur, d'aller voir le Pierre que je commente i; car pour le Pierre aux filets et aux deux clefs, il n'y a pas d'apparence que je lui fasse jamais ma cour . J'aime bien mieux celui qui a si bien peint les Romains que celui au nom duquel un prêtre est le maitre de Rome .

 

Je suis encore très faible ; M. Tronchin prétend qu'il me tirera d'affaire ; je le veux croire, car je serais très embarrassé si je mourais avant d'avoir fini mon ouvrage .

 

J'ai reçu vos nouvelles bontés ; je n'ai que des remerciements à vous faire, à vous, Monsieur, et à vos artistes . Les Cramer ii ajoutent à mes remerciements une petite prière ; c'est que votre dessinateur iii et votre graveur aient la bonté de se conformer aux dimensions qu'on a dû leur faire parvenir par la voie d'un libraire de Dijon . Je trouve les dessins fort beaux,et surtout celui de Sophonisbe m'a beaucoup plu . Mais encore une fois, ne vous privez pas de vos plaisirs pour les miens . Je me contenterai bien d'être honoré de six estampes iv, que je devrai à votre complaisance et à votre amitié .

 

Je doute fort que Dieu se mêle des jésuites v, attendu qu'ils ne se sont jamais mêlés de lui, et que s'il se mêlait de pareilles affaires, il nous délivrerai de tous les moines vi; d'ailleurs, la providence bien particulière est, entre nous, une chimère absurde ; la chaîne des événements est immense , éternelle . Les acceptions de personnes, les faveurs , les disgrâces particulières ne sont pas faites de globes qui roulent les uns autour des autres par des lois générales , il serait trop ridicule que l’éternel architecte changeât et rechangeât continuellement les petits évènements de notre petit globule ; il ne s'occupe ni de nos souris, ni de nos chats, ni de nos jésuites, ni de nos flottes, ni même des tracasseries de votre parlement . Vous me feriez grand plaisir de me mander si vous espérez qu'elles finiront vii.

 

Je me flatte que M. Tronchin aura fini de rapetasser ma détestable machine quand il faudra venir vous faire ma cour au mois de juillet ; mais si les lois éternelles de ce monde dérangent toujours ma poitrine et mes entrailles, si je ne peux me transplanter, vous ne feriez pas mal de passer par Ferney en allant à Lyon . J'ai un des plus jolis théâtres, d'assez bons acteurs, et une mauvaise pièce nouvelle, qui forme, toute mauvaise qu'elle est, le spectacle le plus pittoresque, et le plus beau que vous ayez jamais vu viii. Bouchez-vous les oreilles, si vous voulez, mais ouvrez les yeux, et vous aurez beaucoup de plaisir ix. Il y a même par-ci, par-là des morceaux qui ne vous déplairont pas ; j'espère encore venir à La Marche, et de là vous conduire à Ferney ; laissez-moi me bercer de mes chimères ; qu'avons-nous autre chose de bon dans cette vie ?

 

Mon cher et illustre magistrat, je vous respecte et je vous aime bien tendrement.

 

V. »

 

i Pierre Corneille.

ii Éditeurs à Genève de ses Commentaires sur Pierre Corneille.

iii François de Vosges .

iv Il arrive à V* de dire qu'il ne tient pas particulièrement à ce que ses livres soient ornés d’estampes ; cf. lettre à Panckoucke du 12 janvier 1778 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/01/07/quand-il-s-agira-de-travailler-pour-vous-faire-plaisir-rien1.html

v Lettres du 31 mai 1761 à Damilaville et Thieriot : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/05/30/il-faut-defendre-les-vivants-et-les-morts-contre-les-gens-d.html

et 2 novembre 1761 à Bianchi : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/11/01/j-ai-commence-par-admirer-avant-de-travailler.html

Il y est fait rappel de la banqueroute du père La Valette, du procès perdu par la Compagnie de Jésus, la condamnation de certains livres des jésuites et l'arrêt du 6 août 1761 leur interdisant d'enseigner . On examina leurs Constitutions . On prononça la fermeture de leurs collèges, à Rouen, à Rennes, à Paris en février-mars 1762 ; le 6 août 1762, le parlement de Paris prononcera la dissolution de la Compagnie à Paris comme l'avait fait celui de Rouen dans son secteur . Un édit prononcera en novembre 1764 la dissolution de la Compagnie dans toute la France .

vi Il écrit à d'Argence : « quatre-vingt mille autres moines » « qui sont perdus pour l’État et qui en dévorent la substance » , et à La Chalotais qu'il félicite pour le réquisitoire contre les jésuites prononcé à Rennes.

vii Le parlement refuse de juger « pour faire dépit au roi » ; voir lettre du 25 mars : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/03/25/il-est-bon-d-egayer-les-affliges.html

viii Il a « fait venir Lekain à Ferney » pour « connaitre (s)on ouvrage, écrit-il à Collini le 23 avril ; il a « vu l'effet de la pièce . C'est un très beau coup d’œil ... Mais (il a) senti à la représentation qu'il manquait beaucoup de nuances à ce tableau ». Voir page 36 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80036m/f41.image.r=.langFR

Voir la lettre aux d'Argental du 8 mars 1762 sur le théâtre de Ferney et sur la mise en scène : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/03/08/1.html

et la signification de Cassandre-Olympie, dans la lettre du 22 février 1762 aux mêmes : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/02/22/voila-bien-du-bruit.html

ix A Thibouville, le 25 février 1762, il écrit que c'est une pièce « qui est toute d'appareil et de spectacle » «  et qui d'ailleurs n'est guère du ton ordinaire » ; voir page 8 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80036m/f13.image.r=.langFR

 

09/05/2011

Ce monde est une guerre , celui qui rit aux dépens des autres est le victorieux

 

http://www.wat.tv/video/barbara-perlimpinpin-live-wv38_2gh7d_.html

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 Amour victorieux !

 

 

« A Louise-Florence-Pétronille de Tardieu d'Esclavelles d'Epinay

 

19 mai [1760]

 

Ma belle philosophe, ces qui et ces quoi, qu'on m'envoie i m'ont amusé . Il faut rire de tout ii; il n'y a que ce parti là de bon . On parle des si, des mais, et des pourquoi iii. Il faut que quelque bonne âme fasse les comment .

 

La comédie contre les philosophes iv a donc réussi . Eh bien ! ils en seront plus philosophes . Qu'est-ce qu'une comédie intitulée Le Caffé v, et une Relation du voyage de frère Garassise vi?

 

Où est ma belle philosophe ? Où est le prophète vii?

 

Mille tendres respects . »


i   Les Qui et les Quoi sont de V* ; comme les Pour et les Que, les Oui et les Non, les Car et les Ah Ah, ils font suite aux Quand et sont toujours dirigés contre Lefranc de Pompignan .                                                                             Voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-36337238.html

Pour les Quand, voir lettre du 25 avril : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/04/25/les-sottises-de-paris-elles-me-paraissent-se-multiplier-tous.html#more

et les billets à Cramer des 25 mars : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/03/27/la-lettre-a-laquelle-je-reponds-est-d-un-cuistre-de-ministre.html#more

et 1er avril : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/04/02/i...

Voir : http://www.voltaire-integral.com/Html/24/19_Les_Quand.html

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80022x/f91.image

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80022x/f184.tableDesMatieres

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80022x/f186.tableDesMatieres

ii  Ce même jour, à Thieriot : « Je conseille à tous (les philosophes) ... de se moquer de leurs ennemis . Ce monde est une guerre , celui qui rit aux dépens des autres est le victorieux. »

iv   Les Philosophes, de Palissot, jouée le 2 mai ; voir lettre du 25 avril.

v  Le Caffé ou L'Ecossaise, de V*, dirigée contre Fréron ; voir billet à Cramer du 12 mars : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/03/10/1.html#more

vi  La Relation du voyage de frère Garassise, neveu de frère Garasse, successeur de frère Berthier, de V*. Page 31 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80022x/f36.tableDes...

vii  Melchior Grimm, auteur du Petit prophète de Boemischbroda, 1753.

 

 

 

08/05/2011

Donnons la pièce incognito . Jouissons une fois de ce plaisir ; il est très amusant

 

Commencer par un Te deum :

http://www.youtube.com/watch?v=i23i0IS8m6U&feature=related

 http://www.youtube.com/watch?v=3O5ov3ABAAI&feature=related

http://www.youtube.com/watch?v=Z9SrQbNnr9w&feature=related

http://www.youtube.com/watch?v=rUPHqkloOnY&feature=related

http://www.youtube.com/watch?v=qUsPlHNPoYA&feature=related

 

Tout comme le Tancrède de Volti, j'ai commencé mon errance en ce monde un 22 avril, jour de neige, et vous vous doutez bien que n'étant pas Highlander, ce ne fût pas en 1759 de l'ère chrétienne . Là s'arrête le point commun, mon père ne se nommant pas François-Marie, non plus que ma mère Marie-Louise .

Quoique, quoique !

Tout bien réfléchi, certains jours (rares !) le terme de « vieux fou » peut aussi me convenir ! Et je ne revendique que le "fou", le "vieux" n'étant pas d'actualité, pour autant que je puisse en juger .

 

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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

 

19 mai 1759

 

C'est aujourd'hui, mon cher ange, le 19 mai, et c'est le 22 avril qu'un vieux fou commença une tragédie, finie hier i. Vous sentez bien , mon divin ange, qu'elle est finie et qu'elle n'est pas faite, et que mes maçons, mes bœufs, mes moutons et les loups nommés fermiers-généraux contre lesquels je combats, et deux ou trois procès ii qui m'amusent, et des correspondants nécessaires ne me permettront pas de vous envoyer mon griffonnage l'ordinaire prochain iii. Mon cher ange, je vous avais bien dit que la liberté et l'honneur rendus à la scène française iv échauffaient ma vieille cervelle . Ce que vous verrez ne ressemble à rien et peut-être ne vaut rien . Mme Denis et moi-même nous avons pleuré . Mais nous sommes trop proches parents de la pièce, et il ne faut pas croire à nos larmes . Il faut faire pleurer mes anges, et leur faire battre des ailes . Vous aurez sur le théâtre des drapeaux portés en triomphe, des armes suspendues à des colonnes, des processions de guerriers, une pauvre fille excessivement tendre et résolue et encore plus malheureuse, le plus grand des hommes et le plus infortuné, un père au désespoir ; le 5è acte commence par un Te Deum et finit par un De Profundis . Il n'y a eu jamais sur aucun théâtre aucun personnage dans le goût de ceux que j'introduis, et cependant ils existent dans l’histoire, et leurs mœurs sont peintes avec vérité . Voila mon énigme ; n'en devinez pas le mot, et si vous le devinez , gardez moi le secret le plus inviolable . Conspirons, mais ne nous décelons pas . Donnons la pièce incognito . Jouissons une fois de ce plaisir ; il est très amusant, et d'ailleurs je crois le secret nécessaire . La mesure des vers v est aussi neuve au théâtre que le sujet . Mme Denis n'en a point été choquée ; au quatrième vers , elle s'y est accoutumée . Elle a trouvé ce genre plus naturel que l'ancien et quelquefois plus convenable au pathétique . Il met le comédien plus à son aise, j'entends le bon comédien . Avec tout cela nous pouvons être sifflés et il faut tâcher de ne l'être pas sous mon nom.

 

Gardez-vous bien d'être aussi empressé de faire voir mon monstre que je l'ai été à le former . Silence, anges, ou point de pièce .

 

Et ce n'est pas assez du silence, il faut jurer comme saint Pierre que vous ne me connaissez pas vi.

 

N b que dans notre petite drôlerie, nous n'avons ni rois, ni reines , ni princes, ni princesses, ni même gouverneur de toute la province, comme dit P. Corneille vii, et c'est encore un agrément .

 

Voyez, ô anges, quel pouvoir vous avez sur un Suisse .

 

V. »

 

 

ii Concernant ses terres .

iii Il l'enverra le 28 mai .

iv Désormais les spectateurs ne sont plus admis sur la scène ; voir lettre du 6 avril : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/04/05/est-ce-l-infame-amour-propre-dont-on-ne-se-defait-jamais-bie.html

v En réalité la disposition des rimes : il y a des rimes croisées . En leur envoyant la pièce V* dit qu'il « a changé la mesure afin que ce maudit public ne me reconnût pas à ce qu'on appelle mon style » . Il propose de « faire donner (la pièce) par Lekain ou par M. de Lauraguais comme l'ouvrage d'un jeune inconnu » ; page 252 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80034x/f257.image.r=.langFR

vii Polyeucte . http://www.dr-belair.com/Languages/French/Corneille/Polyeucte.htm

 

Dédicace aux tyrans : finir par un De profundis ; oui, mais pas n'importe lequel !

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07/05/2011

Vous avez gouverné environ vingt mois . Ces vingt mois seront une époque éternelle

 

Je ne sais à qui je pourrais dédier cette phrase ; pourtant il y a l'embarras du choix si l'on met  une connotation négative à "époque éternelle" . C'est vrai que les prises de pouvoir de certains ministres/présidents peuvent sembler n'avoir pas de terme assez rapproché tant elles déçoivent ( et ce n'est ici qu'un euphémisme ! ), et alors 20 mois sont plus longs que 20 siècles . 

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« A Anne-Robert-Jacques Turgot

 

Monseigneur,

 

Quand vous eûtes la plume de Rosny i, je vous dis que vous seriez toujours Monseigneur ; vous le serez toujours et aujourd'hui plus que jamais ii.

 

Je ne sais pas ce qui se passe ailleurs, mais M. de Trudaine est témoin qu'à Genève, en Suisse, en Franche-Comté, sur toute la route de Lyon chacun croit avoir perdu son père . On me mande qu'il en est ainsi dans toutes les provinces iii.

 

Vous avez gouverné environ vingt mois . Ces vingt mois seront une époque éternelle .

 

C'est tout ce que peut vous dire un vieillard de quatre-vingt-trois ans qui n'a plus qu'à mourir ...

 

V.

 

A Ferney 18 juin [1776] »

 

i C'est-à-dire : quand vous devîntes le successeur et continuateur de Sully, baron de Rosny ; dans le texte imprimé des Œuvres de Turgot on trouve : "la plume du Roi ".

ii Turgot a dû démissionner le 11 mai . V* lui enverra le 17 juin son Épître à un homme : « philosophe indulgent, ministre citoyen ... » ; voir Épîtres : http://www.voltaire-integral.com/Html/10/06EP93FI.htm

iii Par contre, Condorcet écrira le 5 juin : « Le spectacle de la gaieté du peuple me serre le cœur. »

06/05/2011

Madame, si on ne peut être le maître de sa destinée, rendez la vôtre heureuse ...réjouissez vous, et n'en convenez point

 

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« A Charlotte-Sophie von Altenbourg, comtesse Bentinck

 

A Gotha 17 mai 1753

 

Belle âme, j'ai porté à Gotha ma figure de trépassé et mon cadavre ambulant . Si j'avais compté faire un voyage de plaisir j'aurais sans douté été chez Mme la duchesse de Zerbst i où j'aurais parlé de vous . Mme la duchesse de Gotha sachant qu'il y avait dans sa ville un pauvre voyageur malade a fait comme vous , Madame, elle a eu pitié de moi . Elle m'a traité comme vous me traiteriez à Kniphausen ii. Je trouve partout des bontés auxquelles je ne m'attendais pas . Mgr l'électeur palatin m'a fait dire qu’il trouvait bon que je vinsse lui faire ma cour . Mme la margrave de Bareuth veut bien que j'aille à Bareuth . Je ne sais pas encore ce que ma mauvaise santé me permettra de faire . On m'avait prédit que le roi de Prusse me ferait mourir de chagrin comme Louis XIV en fit mourir Racine, mais si cela est je veux qu'on mette dans mon épitaphe que vous y avez contribué, et que le regret de vous avoir quittés m'a achevé .

 

Vous croyez que Maupertuis va à Lisbonne, plutôt qu'aux terres australes iii. Je voudrais qu'il eût été couronné roi du pôle antarctique le jour qu'il fit faire à La Beaumelle ces beaux commentaires sur Le Siècle de Louis XIV . Il a fait là vraiment une belle affaire, et tout cela a opéré de jolies tracasseries . Vous faisiez jeter au feu l'ouvrage de La Beaumelle par vos remontrances iv. Maupertuis le faisait recommencer par ses cruelles calomnies . Vous étiez le bon ange de ce malheureux, et Maupertuis le mauvais ange . Voila La Beaumelle à la Bastille v, Maupertuis couvert de ridicule et d'opprobre à la face de toute l'Europe littéraire, moi disgracié je ne sais comment auprès d'un monarque dont j'attendais tout le bonheur de ma vie, et à qui j'avais immolé patrie, emplois, famille et tout ce que j'avais de plus cher au monde . Qui croirait qu'un polisson chassé de Dannemark a fait toute cette besogne ? Voilà comme vont les choses de ce monde . Nous sommes des boules qui roulons au hasard selon qu'une autre boule vient nous frapper . C'est la grande chaine des évènements . Un Genevois vi a fait changer la Russie de face . Un Genevois vii me fait changer de face aussi . Le grand et le petit sont soumis à peu de chose. Madame, Madame, si on ne peut être le maître de sa destinée, rendez la vôtre heureuse afin que la mienne soit un peu moins disgraciée . Trottez de reine en reine, réjouissez vous, et n'en convenez point . Arrangez vos affaires, amusez-vous, dormez , digérez, conservez-moi vos bontés . Je suis à vous partout et toujours, sain ou malade, vif ou mort. »

 

i La princesse d'Anhalt-Zerbst .

ii En juillet, il écrira à la duchesse de Saxe-Gotha qu'on « trouve autant de distraction que de plaisir » dans sa cour, qu'il a commencé à sa demande dans sa belle bibliothèque les Annales de l'Empire, et il semble que « Jeanne » ait « servi d'intermède aux scènes tragiques des Empereurs et des Électeurs ».

iii Référence aux plaisanteries que fait V* aux dépens des théories de Maupertuis . A Koenig, le 17 novembre 1752 : « C'est un homme qui prétend que pour mieux connaitre la nature de l'âme il faut aller aux terres australes disséquer des cerveaux de géants hauts de douze pieds et des hommes velus portant une queue de singe . » ; voir page 21 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80033k/f25.image.r=.langFR

iv Le 30 avril, à Roques : « Je savais que Mme la comtesse de Bentinck avait obligé deux fois La Beaumelle de jeter dans le feu cet indigne ouvrage ... »

Page 60 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80033k/f64.image.r=.langFR

v La Beaumelle a été arrêté le 23 avril 1753 et embastillé ; il en sortira six mois plus tard .

vi François Le Fort, né à Genève et auteur de Mémoires que V* utilisera pour son Histoire de l'empire de Russie .

vii La Beaumelle, qui n'était pas né à Genève, mais y avait passé quelques années à la fin de ses études .

 

 

 

05/05/2011

Conservez vos bontés à ce pauvre malade qui ne respire que pour en sentir tout le prix

 http://www.youtube.com/watch?v=IEexx5BR5eY

 

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« A Louis-François-Armand du Plessis, duc de Richelieu

 

5è mai 1773, à Ferney

 

C'est toujours au premier Gentilhomme de la Chambre, au grand maître des Jeux et des Plaisirs que j'ai l'honneur de m'adresser . Je lui ai écrit en faveur de Patrat i que je crois très utile au théâtre que mon héros veut rétablir .

 

Je lui présente aujourd'hui requête pour La Borde dont on prétend que la Pandore est devenue un ouvrage très agréable . Je crois qu'il mourra de douleur si mon héros ne fait pas exécuter son spectacle aux fêtes de madame la comtesse d’Artois ii, et moi je reprendrais peut-être un peu de vie si cette aventure pouvait me fournir une occasion de vous faire ma cour pendant quelques jours .

 

Je crois que cette Pandore avec sa boite, a été en effet la source de bien des maux, puisqu'elle fit mourir de chagrin ce pauvre Royer iii, et qu'elle est capable de jouer un pareil tour à La Borde . Les musiciens me paraissent encore plus sensibles que les poètes . Il y a longtemps, Monseigneur, que je cherche le moyen de vous envoyer un recueil qui contient Les Lois de Minos et plusieurs petits ouvrages en prose et en vers assez curieux iv. Je vous demanderais une petite place pour ce livre dans votre bibliothèque ; il est assez rare jusqu'à présent . Ne puis-je pas vous l'envoyer sous l'enveloppe de M. le duc d'Aiguillon ? J'attends sur cela vos ordres .

 

On va jouer Les Lois de Minos à Lyon, le spectacle sera très beau, mais les acteurs sont bien médiocres . Je compte que la pièce sera mieux jouée dans votre capitale de la Guyenne . Je n'irai point voir le spectacle de Lyon . Les suites de ma maladie ne me le permettent pas . Mais quand il s'agira d'obéir à vos ordres, je trouverai des ailes, et je volerai . Je vois qu'un certain voyage est un peu différé v; tant mieux, car nous n'avons point encore de printemps, mais en récompense nous sommes entourés de neige .

 

Conservez vos bontés à ce pauvre malade qui ne respire que pour en sentir tout le prix .

 

V.

 

N.B.- On me mande que La Borde a beaucoup retravaillé sa Pandore vi, et qu'elle est très digne de votre protection . »

 

Le 26 avril, V* a écrit à Richelieu :  « Je vous demande en grâce de donner ordre au sieur Patrat de jouer Lusignan, et s'il n'arrache pas des larmes j'ai tort ... ; j'ai été infiniment content lorsqu'il a joué devant un auditoire qui lui était favorable »

ii  C'est-à-dire aux fêtes qui devaient être données en l'honneur du mariage du comte d'Artois avec Marie-Thérèse de Savoie, le 16 novembre 1773.

iii  Le 4 novembre 1765, V* écrit à La Borde que « Royer avait fait presque toute la musique de cette pièce bizarre lorsqu'il s'avisa de mourir » Voir page 290 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80037z/f295.image.r...

Le 23 janvier 1755 à Cideville : «La seule chose dont je puisse bénir dieu est la mort de Royer  », car V* a été très mécontent du remaniement du livret fait par Sireuil à la demande de Royer ; voir page 195 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80033k/f199.image.r...

et lettre du 6 octobre 1754 à Mme de Fontaine : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/10/05/o...

et du 23 janvier 1755 à Thieriot : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/01/inde...

iv  Sur le contenu du recueil, voir la lettre à d'Alembert du 27 mars 1773 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/03/27/m...

Peut-être la rencontre de V* et Richelieu prévue à Lyon et dont il avait été question .

vi  Voir ce qu'écrivait V* le même jour à La Borde .

04/05/2011

Je n'ai ni meuble ni cuisine , à cela près que je ne suis pas mal quand il fait beau

http://www.youtube.com/watch?v=B_l0X_El1qo

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«  A Charlotte-Sophie von Altenburg, comtesse Bentinck

 

Mon héroïne qui va voir des héros trouvera une tasse de mauvais café et si elle veut manger, quelque mauvais plat, chez son admirateur et chez son solitaire . Je n'ai ni meuble ni cuisine , à cela près que je ne suis pas mal quand il fait beau . J'irai à midi attendre au bord de l'eau dans ce Marquisat dégarni celle auprès de qui je voudrais passer ma vie dans quelque bon château bien étoffé, loin des empereurs et des rois de Danemark i. Je ne verrai probablement pas la revue ii, mais je verrai et j'entendrai celle qui mérite d'être vue, revue et entendue, et à qui j'ai voué un zèle, un respect, un attachement infini .

 

V.

 

Ce lundi [17 mai 1751] »

 

i Empereur et roi du Danemark soutenaient les revendications de l'ex-mari de la comtesse , un mari qui la força le 17 septembre 1739 à signer une convention de séparation grâce à laquelle il va la déposséder de ses biens et de ses terres.

ii Ce sont les dates des revues de ce printemps, des 19 et 19 mai, qui permettent la datation de cette lettre.