12/04/2011
Le plaisir du secret, de l'incognito, de la surprise est quelque chose
http://doctorgurgul.deviantart.com/art/Droit-de-Seigneur-...
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
Aux Délices 12 avril 1760
Mon divin ange, je suis bien faible, je vieillis beaucoup ; mais il faut aimer le tripot i jusqu'au dernier moment . Voici une pièce de Jodelle ajustée par un petit Hurtaud ii que je vous envoie ; mais vous comprenez bien que je ne vous l'envoie pas, et que jamais on ne doit savoir que vous vous êtes mêlé de favoriser ce petit Hurtaud . Je pense que cela vaut mieux que de donner ces chevaliers iii qui malheureusement passent pour être de moi . Le plaisir du secret, de l'incognito, de la surprise est quelque chose . Vous savez ce que c'était que le droit du seigneur . Je ne l'ai pas dans mes terres, et il ne me servirait à rien . Il me parait que ce petit Hurtaud a traité la chose avec décence . J'ai seulement remarqué dans la pièce le mot sacrement . J'ignore si ce droit divin peut passer dans une comédie sans encourir l'excommunication majeure . Je ne suis pas assez hardi pour corriger les vers d'Hurtaud, mais on peut bien mettre votre engagement au lieu de votre sacrement iv; c'est, je crois, au premier acte autant qu'il peut m'en souvenir .
Mettrez-vous M. le duc de Ch. v dans la confidence ? Je le crois à présent plus occupé des Anglais que de ce qui se passait sous Henri second ?
Mon cher ange, nous parlerons une autre fois des chevaliers . Je crois que monsieur votre frère vi a raison de ne pas trop aimer Médime ou Fanime . Mais comment va la santé de Mme Scaliger vii? Voila le point essentiel .
Mon divin ange, vous êtes pour moi le démon de Socrate . Mais son démon se bornait à le retenir, et vous m'inspirez .
V. »
ii C'est Le Droit du seigneur, de V* ; ce droit est bien sûr le « droit de cuissage » ou « jus primae noctis ».
iv Ac. I, sc. 1 : sur les deux manuscrits qui portent l'Approbation officielle, « sacrement » est remplacé par « engagement » au dessus de la ligne, mais toutes les éditions portent « sacrement ».
LE BAILLIF.
Oui; mais Colette à votre sacrement(13),
Mons Mathurin, peut mettre empêchement...
Voir note 13 : http://www.voltaire-integral.com/Html/06/01LEDROI.htm
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11/04/2011
j'ai été occupé à éviter deux choses qui me poursuivaient dans Paris : les sifflets et la mort
A celui qui a "échappé à deux maladies mortelles " : L'Immortalita : http://www.deezer.com/listen-209290
« A Frédéric II, roi de Prusse
A Paris, le premier d'avril [1778]
Sire,
Le gentilhomme français qui rendra cette lettre à Votre Majesté, et qui passe pour être digne de paraître devant elle, pourra vous dire que si je n'ai pas eu l'honneur de vous écrire depuis longtemps, c'est que j'ai été occupé à éviter deux choses qui me poursuivaient dans Paris : les sifflets et la mort .
Il est plaisant qu'à quatre-vingt-quatre ans j'aie échappé à deux maladies mortelles . Voila ce que c'est que de vous être consacré : je me suis renommé de vous, et j'ai été sauvé .
J'ai vu avec surprise et avec une satisfaction bien douce , à la représentation d'une tragédie nouvelle i, que le public qui regardait, il y a trente ans, Constantin et Théodose comme les modèles des princes et même des saints, a applaudi avec des transports inouïs à des vers qui disent que Constantin et Théodose n'ont été que des tyrans superstitieux ii. J'ai vu vingt preuves pareilles du progrès que la philosophie a fait enfin dans toutes les conditions . Je ne désespérerais pas de faire prononcer dans un mois le panégyrique de l'empereur Julien ; et assurément si les Parisiens se souviennent qu'il a rendu chez eux la justice comme Caton, et qu'il a combattu pour eux comme César, ils lui doivent une éternelle reconnaissance .
Il est donc vrai, Sire, qu'à la fin les hommes s'éclairent, et que ceux qui se croient payés pour les aveugler ne sont pas toujours les maîtres de leur crever les yeux ! Grâces en soient rendues à Votre Majesté ! Vous avez vaincu les préjugés comme vos autres ennemis ; vous jouissez de vos établissements en tout genre . Vous êtes le vainqueur de la superstition, ainsi que le soutien de la liberté germanique .
Vivez plus longtemps que moi, pour affermir tous les empires que vous avez fondés . Puisse Fédéric le Grand être Fédéric immortel !
Daignez agréer le profond respect et l'inviolable attachement de
Voltaire . »
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10/04/2011
la langue et le goût, deux choses assez inconstantes dans ma volage patrie
http://www.deezer.com/listen-7159389
http://www.deezer.com/listen-6832214
http://www.deezer.com/listen-803850
http://www.deezer.com/listen-231579 : petite leçon de français par nos cousins canadiens . Avec cet accent que je supporte encore chez les hommes, mais qui, pour moi, est un remède à l'amour chez les femmes .
http://www.deezer.com/listen-209933 : suite de la leçon, la logique (?) de notre langue .
De Ferney 10 avril [1761]
Je vous assure , Monsieur, que vous me faites grand plaisir en m'apprenant que l'Académie va rendre à la France et à l'Europe le service de publier un recueil de nos auteurs classiques avec des notes qui fixeront la langue et le goût, deux choses assez inconstantes dans ma volage patrie . Il me semble que Mlle Corneille 2 aurait droit de me bouder si je ne retenais pas le grand Corneille pour ma part . Je demande donc à l'Académie la permission de prendre cette tâche en cas que personne ne s'en soit emparé .
Le dessein de l'Académie est-il d'imprimer tous les ouvrages de chaque auteur classique ? Faudra-t-il des notes sur Agésilas et sur Attila, comme sur Cinna et sur Rodogune ? Voulez-vous avoir la bonté de m'instruire des intentions de la compagnie ? Exige-t-elle une critique raisonnée ? Veut-elle qu'on fasse sentir le bon, le médiocre, et le mauvais, qu'on remarque ce qui était autrefois d'usage et ce qui ne l'est plus, qu'on distingue les licences des fautes ? Et ne propose -t-elle pas un petit modèle auquel il faudra se conformer ? L'ouvrage est-il pressé ? Combien de temps me donnez-vous ?
Puisqu'on veut bien placer ma maigre figure 3 sous le visage rebondi de M. le cardinal de Bernis, j'aurai l'honneur de vous envoyer incessamment ma petite tête en perruque naissante 4. L'original aurait bien voulu venir se présenter lui-même et renouveler à l'Académie son attachement et son respect, mais les laboureurs, les vignerons, et les jardiniers, me font la loi, e nitido fit rusticus 5. Comptez cependant que dans le fond de mon cœur, je sais très bien qu'il vaut mieux vous entendre que de planter des mûriers blancs 6. »
1Duclos, secrétaire perpétuel de l'Académie française : http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Pinot_Duclos
2 Qu'il a recueillie : voir lettre du 19 novembre 1760 à Thieriot : http://www.monsieurdevoltaire.com/ext/http://voltaireatho...
, 15 janvier 1761 à Dumolard-Bert : http://www.monsieurdevoltaire.com/ext/http://voltaireatho...
, 2 février aux d'Argental : http://www.monsieurdevoltaire.com/ext/http://voltaireatho...
, 18 février à Thieriot et Damilaville : http://www.monsieurdevoltaire.com/ext/http://voltaireatho...
3 Il a été question à plusieurs reprises de ce portrait ; V semble l'avoir fait faire par Jean-Etienne Liotard, peintre genevois, et envoyé à Paris ; voir lettre à d'Argental du 24 mai 1758 : http://www.monsieurdevoltaire.com/ext/http://voltaireatho...
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09/04/2011
Nous avons plus besoin de charrues que de montres
" tous nos cultivateurs seront bientôt des horlogers employés par Genève " : ou des fonctionnaires internationaux ! Le pays de Gex, que Volti ne pourrait reconnaitre, voit ses terres agricoles fondre comme neige au four, et depuis plus de cinquante ans est un vivier de travailleurs transfrontaliers . Nul arrêt ne peut être promulgué pour empècher cette évolution . Comme me l'a dit avec humour un jeune paysan (quarante ans !) : "vous verrez, dans quelques années il y aura des bus de touristes pour voir les derniers paysans, comme on va voir les Indiens dans leurs réserves aux USA !"
Nous n'en viendrons pas aux extrémités envisagées par Volti et Fabry .
Qui va nous nourrir ? Rolex, l'ONU, l'UBS ?
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« A Jean-François Dufour de Villeneuve 1
A Ferney 10 avril 1764
Monsieur,
Il y a longtemps qu'on m'avait remis ce mémoire 2 pour vous être présenté dans un voyage que je devais faire à Dijon . Les maladies dont je suis accablé ne m'ayant pas permis de vous faire ma cour , je remplis au moins les vœux de notre petite province en vous adressant ses supplications ; il n'est que trop vrai que l'abus dont on se plaint est très préjudiciable, et que tous nos cultivateurs seront bientôt des horlogers employés par Genève . Nous avons plus besoin de charrues que de montres ; et c'est ici le cas où le nécessaire doit l'emporter sur le superflu . Pour moi, Monsieur, je me borne uniquement à espérer votre protection pour notre pauvre petit pays . Je ne doute pas que si vous voulez bien représenter au Conseil l'état où nous sommes vous en fassiez rendre un arrêt qui défende aux paysans de quitter la culture des terres pour servir les horlogers de Genève . Nous attendons tout de votre sagesse et de votre bienveillance .
J'ai l'honneur d'être avec beaucoup de respect
Monsieur
votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire »
1 Lieutenant civil au Châtelet de Paris, maître des requêtes . Page 158 : http://books.google.fr/books?id=uG9BAAAAcAAJ&pg=PA158...
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08/04/2011
c'est quelque chose d'avoir fait cinq actes sans amour, quand on est français
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Volti dit dans cette lettre " Dans quel pays de singes et de tigres êtes-vous !", et ce n'est pas alors un compliment pour la France . Et il a raison . En 1761, oui, en 2011, oui encore, je crois .
La photo qui précède devrait inciter tous les humains à effacer la barrière de ce qu'on nomme races .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
Aux Délices 1er avril [1761]
A peine avais-je fait partir mes doléances 1 qu'une lettre de mes anges du 25 mars est venue me consoler et m'encourager . Sur le champ la rage du tripot m'a repris . J'ai déniché un vieil Oreste ; et presto, presto , j'ai fait des points d'aiguille à la reconnaissance d'Oreste et d'Electre, et à la mort de Clytemnestre ; puis étant de sang-froid j'ai écrit la pancarte du privilège, et la requête aux comédiens pour les rôles 2. Et j'envoie le tout à mes chers anges, félicitant mon respectable ami de la guérison de ses deux yeux qui vont mieux que mes deux oreilles . M. d'Argental voit ; et moi je n'entends guère . Surdité annonce décadence . Mais la main va et griffonne .
Vous saurez que M. de Lauraguais a fait aussi son Oreste 3, et qu'il est juste qu'il soit joué sur le théâtre qu'il a embelli 4, mais il permet que je passe avant, pour lui faire bientôt place . Sa folie d'être représenté n'est pas une folie nécessaire ; et la mienne l'est . On a eu l'injustice de me reprocher d'avoir traité le même sujet que Crébillon mon maître 5, comme si Euripide n'avait pas fait son Electre après celle de Sophocle . Euripide ne réussit pas comme Sophocle, mais il fut joué ; on ne lui fit pas un crime d'avoir travaillé sur le même sujet, on ne voulut pas le perdre auprès de madame de Pompadour . Mon Pammène ne vaut pas le Palamède de Crébillon . Mais peut-être ma Clytemnestre vaut mieux que la sienne, et c'est quelque chose d'avoir fait cinq actes sans amour, quand on est français . Si Mlle Dumesnil s'imagine que Clytemnestre n'est pas le premier rôle, elle se trompe . Mais il faut que Mlle Clairon soit persuadée que le premier est Electre . Je mets le tout à l'ombre de vos ailes . Signalez vos bontés et vos crédits . Je sais bien qu'on est tombé rudement sur Jean-Jacques 6. Mais ce petit valet de Diogène méritait encore pis . M. de Chimènes et moi nous sommes pire que Bertrand et Raton 7. Je suis le Bertrand . Raton tire mes marrons du feu . Il a amené d'ailleurs avec lui une espèce de secrétaire qui ayant transcrit l’Épître sur l'agriculture 8 se hâta de l'envoyer, avant que mes paquets fussent faits . J'en ai grondé Raton . Vous devez avoir les prémices .
Je vous demande en grâce de vouloir bien m'envoyer Tancrède et l'Appel sous l'enveloppe de M. de Courteilles .
M. le duc de La Vallière , tout grave auteur qu'il est, m'a donc trompé 9. Voila de la pâture pour les Fréron. Heureusement je connais des sermons tout aussi ridicules que le recueil des Facéties . Et j'en ferai usage pour l'édification du prochain . Pour l'amour de Dieu dites-moi ce que vous pensez de la paix . Pour moi je ne l'attends pas si tôt .
Est-il bien vrai que l'abbé Coyer soit exilé 10 et que son approbateur soit en prison ? et pourquoi ? qu'a-t-on donc vu ou voulu voir dans l'Histoire de Dobiesky qui puisse mériter cette sévérité ? S'agit-il de religion ? La fureur du fanatisme a-t-elle put être portée jusqu'à trouver partout des prétextes de persécution ? Que diront nos pauvres philosophes ! Dans quel pays de singes et de tigres êtes-vous ! Mes chers anges, que ne pouvez-vous être les anges exterminateurs des sots ! »
1 V* pense sans doute à sa lettre du 19 mars où il se plaint de ne pas avoir vu arriver Lekain, de ne pas avoir eu l'édition de Tancrède et de l'Appel aux nations que celui-ci devait lui apporter, où il se plaint de l'indiscrétion de Prault . Voir page 206 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k800358/f212.image.r=.langFR
et Appel à toutes les nations de l'Europe : http://www.voltaire-integral.com/Html/24/33_Appel_a_toutes.html
2 Cette « requête » datée du 30 mars demande « de vouloir bien se prêter aux arrangements des rôles que M. Lekain leur présentera de sa part ... »
3 En réalité la tragédie du comte de Lauraguais et de Clinchamps de Malfilâtre était en réalité intitulée Clitemnestre ; elle ne fut pas représentée ; elle était dédiée à V*. Louis-Léon de Brancas , duc de Lauraguais : http://fr.wikipedia.org/wiki/Louis-L%C3%A9on_de_Brancas
Jacques Clinchamps de Malfilâtre :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Clinchamps_de_Malfil%C3%A2tre
4 Le comte avait débarrassé la scène des spectateurs en offrant une grosse somme aux comédiens ; voir lettre du 6 avril : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/04/05/est-ce-l-infame-amour-propre-dont-on-ne-se-defait-jamais-bie.html
5 En 1708 a été jouée pour la première fois une Electre de Crébillon. « Crébillon mon maître » pourrait être une allusion à l'emploi de cette expression dans l’Épître dédicatoire de Tancrède .
6 Dans ses Lettres sur la Nouvelle Héloïse, de V*, mais signées par Ximènes .
Page 117 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80022x/f122.image.r...
9 La Vallière avait trouvé une anecdote obscène dans les Orationes seu sermones ou Sermones festivi (1515) de Codrus (pseudonyme de Antonio Urceo) et l'avait envoyé à V* comme appartenant aux « sermons du révérend père Codret » . V* utilisa l'information sans la vérifier dans l'Appel aux nations ..., comme exemple de l’obscénité des prédicateurs . Le duc reconnait dans une lettre du 9 avril 1761, dont il autorise la publication, que c'est lui qui a induit V* en erreur .
Antonio Urceo : http://xavier.hubaut.info/paillardes/gaudeamus.htm
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07/04/2011
Vous m'avez mis au désespoir sans pouvoir affaiblir mes sentiments
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« A Marie-Louise Denis
6è avril 1768
Je reçois, ma chère nièce, les deux procurations, et je réponds tout malade et tout faible que je suis à votre lettre du 1er avril . J'avais à cette date même envoyé à M. Damilaville un gros paquet concernant vos affaires . Il était adressé à M. d'Hornoy . Il y avait une lettre de huit pages pour vous et une autre pour M. de Laleu 1. Je lui ai adressé depuis un nouveau paquet pour le baron de Thun, ministre du duc de Virtemberg . Cette lettre était pour le convaincre et vous aussi que le bruit qu'il a fait courir que son maître m'a payé est très faux . Car quoique l'on ait pris des arrangements pour me payer à l'avenir en commençant au mois de juillet prochain, cependant on n'a pas seulement liquidé le compte de ce qui m'est dû jusqu'à présent . Cette lettre à M. de Thun devait vous faire voir qu'on vous trompe, et que je ne vous trompe jamais . J'ai aussi envoyé à M. d'Hornoy un mémoire qui regarde M. de Brosses 2, et je vous demandais un papier que ce P. de Brosses prétend vous avoir fait remettre il y a plusieurs années par M. Fargès . Ce papier est très important . De Brosses prétend qu'il contient un désistement formel d'une clause infâme qu'il avait glissée dans son contrat, clause par laquelle tous mes effets sans exception devaient lui appartenir, clause subreptice et punissable par les lois . On l'obligerait à se défaire de sa charge si cette infamie était publique . Je me plaignais que vous m'eussiez fait si longtemps un mystère du désistement qu'il prétend vous avoir donné ; et je m'en plains encore . Je priais dans toutes mes lettres M. d'Hornoy d'arranger mes revenus avec M. de Laleu, et de presser un procureur nommé Pinon du Coudray de vous faire payer une somme assez considérable qui doit rentrer au mois où nous sommes . Tous ces paquets ne contenaient que des arrangements pour vous faire toucher exactement votre pension de vingt mille livres indépendamment de M. de Richelieu et de la succession de la princesse de Guise . Vous auriez vu que je n'étais occupé que de vos intérêts et que je rendais à toute ma famille un compte très exact de ma situation .
La lettre de huit pages que je vous ai écrite vous marquait à la vérité ma juste douleur sur l'humeur cruelle que vous eûtes avec moi plusieurs jours de suite et à table 3. J'en étais ulcéré, et ma plaie saigne encore, mais le triste état où vous m'avez mis ne m'empêchera jamais de rendre ce que je dois à une si longue et si intime amitié . Il vous échappe quelquefois des traits qui percent le cœur et malheureusement vous me portez dans votre lettre du 25 mars un coup mortel qui n'est point un mouvement d'humeur, et qui n'est que trop réfléchi : je veux quand je verrai le duc de Choiseul pouvoir lui dire que je vous dois tout . Sentez-vous bien ce qu'un tel discours a d’outrageant pour un homme qui assurément ne va pas avec vous, et n'ira jamais au-delà de ses devoirs pour plaire à d'autres qu'à vous seule ? Vous ne doutez pas de l'effet qu'un tel sentiment de votre part a dû faire sur mon cœur profondément blessé . Il est à croire que nous ne nous reverrons jamais, et que je mourrai loin de vous dans ma retraite où je vais m'ensevelir . Mais assurément je ne justifierai pas les défiances outrageantes dont vous avez fait rougir mon amitié . Vous m'avez mis au désespoir sans pouvoir affaiblir mes sentiments .
La tracasserie entre Maton et Adam 4 doit vous paraître assez frivole et aussi méprisable qu'à moi . Maton est sensible : elle s'était imaginé très mal à propos qu’Adam insultait à son départ . Adam est un imbécile étourdi qui s'est cru accusé . Il n'a nulle mesure dans l'esprit mais il a le cœur très bon et il ne m'a jamais parlé de vous qu'avec attendrissement . Il faut oublier ces sujets chimériques de chagrin et même les sujets trop réels de ma douleur . Songez à mon âge, à ma faiblesse à mes maladies, pardonnons-nous l'un et l'autre . Les paquets de d'Hornoy vous seront renvoyés . Vous y verrez encore une fois combien j'ai été blessé, combien je vous aime et à quel point j'ai porté mes désirs de vous rendre heureuse . Il ne faut pas que l'humeur gâte ce que l'amitié fait sentir de consolation . »
1 Notaire à Paris . Voir lettre du 30 mars , page 86 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80039n/f91.image.r=.langFR
2 Le président de Brosses à qui il a acheté le comté de Tournay-Pregny-Chambésy, et avec qui il a été en procès ; voir lettres de 1761 .
3 Le 4 avril, il écrivait à ses neveux Florian , page 91 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80039n/f96.image.r=...
:
« Vous voyez les tristes effets de l'humeur . Vous savez combien Mme Denis en a montré quelquefois avec nous . Rappelez-vous la scène qu'essuya M. de Florian . Elle m'en a fait éprouver une non moins cruelle ... Je suis persuadé que la cause secrète de ces violences ... était son aversion naturelle pour la vie de la campagne ... »
et à Damilaville le 11 avril : « (La Harpe) avait persuadé Mme Denis de son innocence . Elle me sut très mauvais gré de lui faire perdre dans Mme de La Harpe une complaisante qui pouvait l'amuser pendant l'hiver . C'est à ce sujet que Mme Denis m'a traité bien cruellement ... »
Voir aussi la lettre à Mme Denis du 8 mars 1768 : http://www.monsieurdevoltaire.com/ext/http://voltaireathome.hautetfort.com/
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06/04/2011
Est-ce l'infâme amour-propre dont on ne se défait jamais bien ?
http://www.deezer.com/listen-2572722
http://www.deezer.com/listen-5867972
« A Charles-Augustin Ferriol , comte d'Argental
A Ferney par Genève 6 avril {1759]
Mon divin ange, je ne sais par où commencer pour vous répondre sur tous les articles de votre lettre et sur toutes vos bontés . Je cède d'abord aux mouvements du plus noble zèle en apprenant que les blancs-poudrés et les talons rouges ne se mêleront plus avec les Auguste et les Cléopâtre 1. Si cela est, le théâtre de Paris va changer de face . Les tragédies ne seront plus des conversations au bout desquelles on apprendra pour la bienséance tragique qu'il y a eu un peu de sang répandu . On voudra de la pompe, du spectacle, du fracas . J'ai toujours insisté sur ce point trop négligé parmi nous, et puisque enfin on met la réforme dans nos troupes je sens que je pourrai encore servir, non pour aucun ministre, mais pour mes anges ; et si M. le duc de Choiseul est un des anges, il prendra part de ma dernière campagne . Les Fanime sont un peu à l'eau de rose : vous aurez quelque chose de plus fort 2. Mais il faut du secret et du temps 3. Je vous avoue qu'il ne serait pas mal de consoler et d'encourager ma languissante vieillesse en faisant jouer Rome sauvée et Oreste . Est-ce l'infâme amour-propre dont on ne se défait jamais bien ? Est-ce confiance en quelques pédants étrangers, amateurs passionnés de ces deux drames, qui me fait désirer de les voir reparaitre ? Vous savez que votre inconstante ville de Paris m'a tantôt honni tantôt flatté, qu'il y a des temps malheureux, des temps heureux, et peut-être voici le bon temps .
A vous seul ce qui suit
Il y a deux mois que ce fripon de roi de Prusse m'écrit tous les huit jours . Il veut absolument que j'imprime cette ode pour sa sœur que j'aimais véritablement et qu'il fait semblant de regretter . A la bonne heure . Je l'imprimerai et même avec un peu de prose et remarquez que ni dans les vers ni dans la prose ce fripon de héros n'est point loué du tout . Remarquez encore que le tout sera daté du 18 février 4. Ce dix-huit février est très important . Et pourquoi ? Me direz-vous . C'est à cause du 22 mars . Et que fait ce 22 mars ? C'est que le 22 mars le résident de France était chez moi 5. Motus . Chut . Il arrive un gros paquet de Frédéric . Chacun est empressé, chacun ouvre les yeux . Il était très visible que le paquet avait été ouvert sur la route et recacheté, il venait de Breslau . Il contenait une lettre tendre par laquelle il m'offrait toujours cette clef qui n'ouvre rien, ce cordon qui sied si mal à un homme de lettres 6, vingt mille francs de pension dont je n'ai que faire, et son amitié dont je suis désabusé . Il aurait mieux fait de réparer à l'image de la margrave les indignes outrages faits à ma nièce 7 plus déshonorants pour lui que sensibles pour elle . Après cette lettre venait l'oraison funèbre d'un maître cordonnier 8 dans laquelle il se moque assez plaisamment de quelques rois ses confrères, puis une grande épître en vers dignes d'un bel esprit de café, puis une ode au prince Henri, et enfin une autre ode au prince Ferdinand de Brunswik, intitulée La Fuite des Français . Jusque là tout va bien . Il a raison de se moquer de nous . Mais il y a deux strophes contre le roi, et contre les siens, mais deux strophes terribles, qui respirent la plus violente haine, le plus cruel mépris, les plus sensibles outrages 9. Nous restons confondus ma nièce, le résident et moi . Malheureusement ces deux strophes sont ce qu'il a fait de moins mauvais en sa vie ; on sait que mon métier a été de corriger ses œuvres ; on craint qu'on ne m'impute d'avoir mis une virgule à cet écrit . Le roi de Prusse donne toujours trois ou quatre copies de ce qu'il fait . Le résident qui est sûr que le paquet a été décacheté n'hésite pas, il conclut avec ma nièce et avec moi qu'il faut l'envoyer à M. le duc de Choiseul avec la lettre de Frédéric le grand et le fou, et avec la réponse que je lui fais, réponse par laquelle je lui déclare que je n’accepte aucune de ses faveurs ; le résident envoie le tout .
Voila, mon très cher ange, à quel point nous en sommes . J'ai écrit de mon côté à M. le duc de Choiseul 10, car je mourais de peur d'avoir reçu le paquet . Comment donner dans ces circonstances l'éloge de la sœur quand je suis sûr qu'on déteste le frère et qu'on a raison de le détester ? Souvenez-vous donc des dates du 18 février, et du 22 mars afin que je ne sois pas pendu comme Pangloss . Les vers contre le roi, contre ce qu'il aime, contre la nation sont si offensants, si humiliants que M. le duc de Choiseul ne les aura pas montrés . Mais il aura sans doute averti le roi des sentiments du marquis de Brandebourg, et peut-être même de mes refus . Ce dernier point me plairait beaucoup et me pourrait même servir un jour, si je vais faire un tour à Paris à quatre-vingts ans. 11»
1 Les petits-maîtres ne seront plus admis sur la scène de la Comédie Française, ceci à partir du 13 avril 1759, le comte de Lauraguais ayant offer tune grosse somme pour dédommager les Comédiens . Le Comte, incité par ses amis Lekain, sociétaire actif de la Comédie Française, et Voltaire, loue les sièges et banquettes placés sur le plateau. Ensuite, il les fait démonter, ce qui permet les grands décors en perspective des tragédies et l’ameublement des comédies de plus en plus réalistes .
2 Tancrède . V* a pensé à utiliser l'espace libéré sur scène : « ... que je fus aise quand j'appris que le théâtre était purgé de blsncs-poudrés, coiffés au rhinocéros et à l'oiseau royal ! Je riais aux anges en tapissant la scène de boucliers et de gonfanons » écrira-t-il à la comtesse d'Argental le 18 juin : page 260 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80034x/f265.image.r=tome+37.langFR
et lettre du 19 mai : page 248 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80034x/f253.image.r=tome+37.langFR
3 Il dira que sa pièce, malgré ses 66 ans, a été écrite en trois semaines comme autrefois Zaïre ; voir lettre du 19 mai .
4 V* a envoyé son Ode sur la perte que l'Allemagne a faite de Son Altesse Royale Mme la margrave de Bareith au margrave avec un billet daté du 17 février 1759 ; voir page 218, lettre à Frédéric-Guillaume : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80034x/f223.image.r=.langFR
Frédéric lui avait demandé de la composer le 23 janvier .
Voir page 208 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80034x/f213.image.r=tome+37.langFR
5 Dans ses Mémoires, V* dira qu'il a appelé le résident , M. de Montpéroux . Sur le manuscrit, 22 semble ajouté après coup .
6 La clef de chambellan et le cordon de l'Ordre du mérite prussien . On ne trouve pas ces offres précises dans les lettres de Frédéric ; on y verrait peut-être une réponse à une demande de V*.
7 Allusion renouvelée aux avanies de Francfort, où elle avait été « trainée dans le ruisseau » jusqu'à la prison ... en 1753 ; voir lettres du 20 juin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/06/21/nous-avons-douze-soldats-aux-portes-de-nos-chambres.html
et 8 juillet 1753 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/07/08/b69f85f3f4bb3d0eb001b2c5347a626a.html
8 Deux lettres du roi sont amalgamées ici, celle à laquelle répond V* le 22 mars (voir lettre ci-dessus) et celle du 2 mars (de Breslau) à laquelle il répond le 27 et qui contient les fameux vers : page 223 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80034x/f228.image.r=.langFR
9 Extrait de ces strophes , citées dans ses Mémoires par V* : « Je vois leur vil assemblage / Aussi vaillant au pillage / Que lâche dans les combats / ... Quoi votre faible monarque , / Jouet de La Pomadour , / Flétri par plus d'une marque / Des opprobres de l'amour ... / Au hasard remêt les rênes / De son empire aux abois / ... ».
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