04/04/2012
ceux qui ont parlé de cette affaire ont été peu instruits; mais l'est-on jamais bien sur les grandes choses et sur les petites?
Grandes ?

Petites ?

http://www.bakchich.info/france/2010/10/21/les-petites-af...
Ou inversement, car chacun voit midi à sa fenêtre .
« A M. le maréchal duc de RICHELIEU.
Aux Délices, 27 septembre [1755]
Vous devez, monseigneur, avoir reçu mes magots, depuis la lettre dont vous m'avez honoré. J'avais adressé le premier exemplaire 1 sortant de la presse, à M. Pallu 2, sous l'enveloppe de M. Rouillé 3. Je ne crois pas qu'il y ait aucune négociation avec la Chine qui ait pu empêcher que le paquet vous ait été rendu. Tout a été fait un peu à la hâte, de ma part, et je vous demande très-sérieusement pardon de vous offrir une pièce que j'aurais pu rendre, avec le temps, moins indigne de vous; mais on ne fait pas toujours tout ce qu'on voudrait. Je ne vous parlerai plus de votre procès, puisque vous l'avez oublié mais vous ne m'empêcherez pas d'être surpris et affligé. Je voudrais que l'injustice opiniâtre des Anglais me donnât un sujet plus ample pour parler de vous selon mon cœur. Vous m'inspirez du goût pour l'historiographerie, depuis que je ne suis plus historiographe. L'Histoire de la guerre de 1741, où vous êtes tout du long, paraîtra un jour; mais c'est un fruit qu'il faut laisser mûrir. Mme Denis jure toujours qu'elle vous remit l'exemplaire que je lui avais envoyé pour vous mais voici ce qui est arrivé. Un libraire de Paris, nommé Prieur, acheta vingt-cinq louis, il y a quelque temps, une partie de ce manuscrit, qui n'allait que jusqu'à la bataille de Fontenoy; et, chose étrange, c'est que ce libraire dit l'avoir acheté de M. de Ximenès. Manger six cent mille francs, et vendre six cents francs un manuscrit dérobé, voilà un singulier exemple de ce que la ruine traîne après elle. M. de Malesherbes eut la faiblesse de permettre cette édition sans me consulter. J'en fus instruit; j'ignorais ce qu'on avait imprimé; je savais seulement qu'une partie de l'Histoire du roi allait paraître sous mon nom, sans mon aveu, sans qu'on m'eût rien communiqué. J'écrivis à Mme de Pompadour et à M. d'Argenson, et j'obtins sur-le-champ qu'on fît saisir l'ouvrage. Une des plus fortes raisons qui m'ont déterminé à prendre ce parti, c'est la crainte qu'on ne m'accusât de flatterie dans cette histoire. J'aurais passé pour l'avoir publiée moi-même, et pour avoir voulu m'attirer quelque grâce par des louanges. Ces louanges ne peuvent jamais être bien reçues que quand elles paraissent entièrement désintéressées. D'ailleurs je n'avais point revu cette histoire, et il y a toute apparence qu'on n'en avait publié que des fragments fort imparfaits.
Mme de Pompadour et M. d'Argenson ont pensé comme moi, et Mme de Pompadour m'a fait l'honneur de m'écrire, aussi bien que M. d'Argenson, qu'elle approuvait ma conduite. Je me flatte que vous daignez lui donner la même approbation. Vous voyez combien ceux qui ont parlé de cette affaire ont été peu instruits; mais l'est-on jamais bien sur les grandes choses et sur les petites?
A propos de petites, vous avez lu, sans doute, Mme de Staal 4. Je m'aperçois que mon bavardage n'est pas petit. Recevez mon tendre respect. »
1 Un premier exemplaire avait été envoyé à Bertrand le 12 septembre; voyez lettre à Bertrand : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/03/27/beaucoup-de-savoir-un-bon-esprit-et-un-bon-coeur-je-le-crois.html
et aussi à Richelieu : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/03/28/un-simple-compliment-n-est-guere-lu-s-il-n-est-soutenu-par-d.html
3 Antoine-Louis Rouillé, comte de Jouy : http://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine_Louis_Rouill%C3%A9
4 La première édition des Mémoires de Mme de Staal venait de paraitre en quatre volumes in-12. (Beuchot.) , soit cinq ans après sa mort : http://en.wikipedia.org/wiki/Marguerite_de_Launay,_baronne_de_Staal
Voir : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6209220x/f13.image.r=m%C3%A9moires+de+mme+de+staal.langFR
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03/04/2012
La vie n'est qu'un contre-temps perpétuel, heureuse encore, quand elle n'est qu'un contre-temps.
... comme la perte de mon téléphone et surtout de son répertoire qui ,lui, était plus fiable que ma mémoire d'homo sapiens sapiens . Saint Antoine de Padoue est, soit sourd, soit peut-être vénal, car il n'a toujours pas exaucé ma demande de retrouvaille !
Vai-je faire appel à Ste Rita, celle des causes désepérées ?
En musique : http://www.youtube.com/watch?v=nrmPwamS-PQ
Petit contretemps photo ...
... pour une espèce de matou vu !
« A M. DE BRENLES.
Aux Délices, 26 septembre [1755] 1
J'allais à Monrion, mon cher philosophe je venais vous embrasser, je jouissais par avance des consolations de votre commerce aussi sûr que délicieux, j'étais déjà en route, j'avais couché à Prangins, lorsque Mme de Giez m'apprend par un courrier le danger où est son mari. J'aime M. de Giez véritablement; je lui ai confié une partie de mes affaires, il m'a paru avoir toute la bonne foi de votre pays, je serais inconsolable de sa perte. Il est dans ma maison avec toute sa famille; je ne regrette point d'en être privé, s'il peut y retrouver sa santé, je ne voudrais y être que pour lui donner mes secours mais je suis retombé dans mes maux ordinaires, et me voici malade auprès de Genève,
tandis que tout mon petit bagage est auprès de Lausanne. La vie n'est qu'un contre-temps perpétuel, heureuse encore, quand elle n'est qu'un contre-temps.
Vous avez dû recevoir, mon cher ami, un exemplaire de l'Orphelin de la Chine par la voie de M. Galatin 2, directeur des postes de Genève, qui s'est chargé de vous le faire parvenir. Il est bien triste que cette maudite Pucelle paraisse, après trente ans, dans le monde, à côté d'ouvrages sérieux et pleins de morale c'est un contraste qui afflige ma vieillesse.
Vous savez que, sur le réquisitoire du conseil de Genève, Bousquet a été obligé de donner l'original de ce Mémoire scandaleux et calomnieux de Grasset, qu'il avait répandu dans Lausanne. Le conseil de Genève vient de donner un décret de prise de corps contre Grasset. C'est là une réfutation assez authentique mais il est triste d'en avoir eu besoin.
Je me flatte que Bousquet sera assez sage pour ne plus se servir d'un pareil homme.
Adieu, jusqu'au moment où je pourrai enfin jouir de Monrion et de votre société. Adieu, mon cher philosophe . Mme Denis et moi nous présentons nos obéissances à celle qui fait la douceur de votre vie, et à qui vous le rendez si bien. »
1 Cette lettre est, à peu de chose près, copie conforme de celle du même jour adressée à Elie Bertrand . Voir : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/04/03/il-n-y-a-de-consolation-que-dans-une-resignation-entiere-a-l.html
2 La famille Gallatin (et non Galatin) est fort connue à Genève. Un de ses membres, J.-L. Gallatin, mort en 1783, fut, comme médecin, l'un des disciples les plus distingués de Tronchin.
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il n'y a de consolation que dans une résignation entière à la volonté d'un Être suprême
... qui ne se nomme surtout pas Nicolas S. , Jean-Luc M., Marine L., François H., Nicolas D.-A., Jacques C.
A contrario, je trouve plutôt une formidable consolation dans une révolte sans trêve contre l'arbitraire de dirigeants déconnectés de la vie ordinaire de gens ordinaires comme moi .
Au fait, l'être suprême, je l'ai photographié ce matin !
« A M. Élie BERTRAND.
Aux Délices, 26 septembre [1755]
De nouveaux contre-temps très-tristes, mon cher monsieur, me privent, cette année, du plaisir que je me préparais de venir vous embrasser à Berne. Je partais pour Monrion, lorsqu'un courrier, dépêché par Mme de Giez, femme de mon banquier, vint m'apprendre que son mari était à la mort, dans ma maison que je lui ai prêtée, et où je venais d'envoyer tout mon petit bagage. Ce M. de Giez est non-seulement mon banquier, mais mon ami. Je n'ai senti que l'affliction que me cause son triste état. S'il en réchappe, sa convalescence sera longue, et je lui laisse de grand cœur ma maison, où il est avec toute sa famille. Si nous le perdons, ce seront encore de très-grands embarras joints à ma douleur. La vie est remplie de ces traverses, jusqu'au dernier moment. Ma santé est toujours très-languissante il n'y a de consolation que dans une résignation entière à la volonté d'un Être suprême. Quel cruel contraste entre ces réflexions et la gaieté un peu indécente de ces anciens fragments de la Pucelle,
qu'on assure être imprimés! Cette nouvelle achève de me désespérer. Je vous prie, monsieur, de vouloir bien présenter mes respects à M. le colonel Jenner, aussi bien qu'à M. le banneret de Freudenreich.
Vous ignorez peut-être que le conseil de Genève a fait un réquisitoire à celui de Lausanne, pour se faire représenter le Mémoire scandaleux et calomnieux du nommé Grasset. Le libraire Bousquet a été obligé de donner l'original de ce mémoire, sur la lecture duquel le conseil de Genève a décerné un décret de prise de corps contre Grasset. Je ne pouvais, ce me semble, avoir une meilleure réfutation mais enfin cette affaire est toujours désagréable. Oserais-je vous supplier de faire parvenir cette nouvelle à monsieur le secrétaire de votre consistoire, qui m'a paru être informé du Mémoire de Grasset, et de l'effet dangereux qu'il pouvait produire? Mme Denis vous fait mille compliments.
Je vous suis tendrement attaché, à la vie et à la mort. »
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02/04/2012
Soyez arbitre c'est un métier plus beau que celui de juge
... Surtout par la tenue !

Je vous laisse juges de deviner le sport ici arbitré !
« A M. Sébastien DUPONT,
Avocat au conseil souverain
à Colmar
Aux Délices 23 septembre [1758]
Mon cher ami, je vous regrette plus que le château de Horbourg 1. Comptez que je suis parti de Colmar avec douleur. J'ai été enchanté des bontés de monsieur le premier président, de Mme de Klinglin, et de toute sa respectable famille, je vous supplie de leur présenter à tous mes respects. Ne m'oubliez pas auprès de M. de Bruges 2 et de M. l'abbé de Munster, je vous en supplie.
Vous croyez bien que je n'oublie pas Mme Goll 3, à qui j'ai donné la préférence sur toutes les dames de Colmar, et dont j'ai apporté le portrait à Lausanne. Voulez-vous vous charger, sérieusement parlant, d'une bonne œuvre qui sera utile à cette belle? Il s'agirait de porter la tribu Goll à s'accommoder d'une somme certaine pour finir un procès très-incertain, et qui durera peut-être encore bien des années. Si vous portez ces plaideurs à se contenter d'une somme très- modique, ils vous auront encore bien de l'obligation. M. de Beaufremont vous en aura aussi, et les deux parties vous donneront des honoraires. Il faut saisir ce moment, qui probablement ne reviendra plus. Soyez arbitre c'est un métier plus beau que celui de juge. Je vous écris à la hâte la poste presse. Je vous embrasse tendrement, vous, et femme, et enfants.
Le Suisse VOLTAIRE. »
1 V* avait reçu le château de Horbourg en garantie d'un prêt qu'il avait fait au duc de Wurtemberg . Voir lettre du 2 septembre 1754 à la duchesse de Lutzelbourg, page 118 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411354g/f121.image.r=2642.langFR
3 Ancienne logeuse de V* à Colmar qui est veuve depuis décembre 1754 et connait des soucis familiaux de succession .
23:28 | Lien permanent | Commentaires (0)
Il faut que vous me parliez de vous davantage, si vous voulez que je sois mieux avec moi-même.
C'est ce que je demande à vous lecteurs assidus ou occasionnels, égarés ou à l'affut de nouvelles voltairiennes . Commentez, SVP !
« A M. le comte d'ARGENTAL.
20 septembre [1755]
Mon cher ange, tout malade que je suis, j'ai lu avec attention le grand Mémoire sur l'Orphelin. J'en fais les plus sincères remerciements au chœur des anges mais les forces et le temps me manquent pour donner à cet ouvrage la perfection que vous croyez qu'il mérite, et, du moins, les soins que je lui dois après ceux que vous en avez daigné prendre. Je crois que le mieux serait de ne pas reprendre la pièce après Fontainebleau, de gagner du temps, de me laisser celui de me reconnaître. Songez que je n'ai ni santé ni recueillement d'esprit. Cette cruelle aventure de l'Histoire de 1741, l'injustice de M. de Malesherbes, ses discours offensants et si peu mérités, six mille copies répandues dans Paris d'un ouvrage tout falsifié et qui me fait grand tort, tant de tribulations jointes aux souffrances du corps , des ouvriers de toute espèce qu'il faut conduire, un voyage à mon autre ermitage 1, qu'il faut faire; tout m'arrache à présent à l’Orphelin, mais rien ne m'ôtera jamais à vous. Tâchez, je vous en prie, que les comédiens oublient l'Orphelin cet hiver; mais ne m'oubliez pas.
Vous ne m'aimez que comme faiseur de tragédies, et je ne veux pas être aimé ainsi. Vous ne me parlez point de vous, de votre vie, de vos amusements vous ne me dites point si vous êtes aussi mécontent que moi de Cadix 2; si vous avez été à la campagne cet été. Vous ne savez pas que vos minuties sont pour moi essentielles. Il faut que vous me parliez de vous davantage, si vous voulez que je sois mieux avec moi-même. Adieu; je vous demande toujours en grâce de faire lire à M. de Thibouville ce que vous savez 3. »
1 Celui de Monrion, près de Lausanne .Voir : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/11/04/je-n-aurais-pas-celui-le-credit-d-obtenir-une-place-de-balay.html
Voir page 314 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411354g/f317.image.r=2843.langFR
2 Ce fut sans doute en 1755 que Voltaire fit la perte des 80,000 livres dont il est parlé dans la note 4 de la lettre du 12 mars 1754 : page 188 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411354g/f191.image.r=2713.langFR
16:08 | Lien permanent | Commentaires (0)
En approuvant une publication qui me fait honneur, et qui peut vous être utile,
... lecteur , je vous l'assure, vous ne perdez pas de temps en prenant celui de lire Voltaire , dont je me fais l'écho .
JJ R. aime encore Volti, le premier coup de canif est tout frais (réponse du 30 août ), la déchirure attendra l'an 1760 et n'en sera que plus brutale.
« DE J.-J. ROUSSEAU.
Paris, le 20 septembre [1755]
En arrivant, monsieur, de la campagne, où j'ai passé cinq ou six jours, je trouve votre billet, qui me tire d'une grande perplexité car, ayant communiqué à M. de Gauffecourt 1, notre ami commun, votre lettre 2 et ma réponse, j'apprends à l'instant qu'il les a lui-même communiquées à d'autres, et qu'elles sont tombées entre les mains de quelqu'un qui travaille à me réfuter, et qui se propose, dit-on, de les insérer à la fin de sa critique.
M. Bouchaud 3, agrégé en droit, qui vient de m'apprendre cela, n'a pas voulu m'en dire davantage; de sorte que je suis hors d'état de prévenir les suites d'une indiscrétion que, vu le contenu de votre lettre, je n'avais eue que pour une bonne fin.
Heureusement, monsieur, je vois par votre projet que le mal est moins grand que je n'avais craint. En approuvant une publication qui me fait honneur, et qui peut vous être utile, il me reste une excuse à vous faire sur ce qu'il peut y avoir eu de ma faute dans la promptitude avec laquelle ces lettres ont couru sans votre consentement ni le mien.
Je suis avec les sentiments du plus sincère de vos admirateurs, monsieur, etc.
Je suppose que vous avez reçu ma réponse du 10 de ce mois. »
1 Voir lettre de V* janvier 1755 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/11/14/il-faut-que-je-sois-desespere-si-je-crois-enfin-a-la-medecin.html
2 Lettre du 30 août : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/03/22/on-n-a-jamais-employe-tant-d-esprit-a-vouloir-nous-rendre-be.html
Rousseau répondit le 10 septembre : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/03/22/je-n-aspire-pas-a-nous-retablir-dans-notre-betise-quoique-je.html
3 Antoine Bouchaud, auteur d'un Commentaire sur la Loi des douze Tables; mort en 1804. Voir par exemple : http://books.google.fr/books?id=YwHO0qnf-8IC&pg=PA514&lpg=PA514&dq=Commentaire+sur+la+Loi+des+douze+Tables&source=bl&ots=uVaFXG9l10&sig=BvdLUa5JQ0gDmDZHxlo47_MbPvs&hl=fr&sa=X&ei=aZp5T8K2FM6o8QOUkaXVDQ&ved=0CEUQ6AEwBA#v=onepage&q=Commentaire%20sur%20la%20Loi%20des%20douze%20Tables&f=false
Bouchaud aimait beaucoup la musique, et ce fut sans doute ce qui le mit en relations avec l'auteur du Devin du village. (CL.)
14:46 | Lien permanent | Commentaires (0)
01/04/2012
Je me le dis aujourd'hui et peut-être demain je serai assez fou pour recommencer! Qui peut répondre de soi?
Pourquoi attendre à demain pour être fou ?
L'insensé était de mise ce jour au château, la preuve !
« A M. DE CIDEVILLE.
Aux Délices, 19 septembre [1755]
Oui, ma muse est trop libertine;
Elle a trop changé d'horizon;
Elle a voyagé sans raison
Du Pérou jusques à la Chine.
Je n'ai jamais pu limiter
L'essor de cette vagabonde;
J'ai plus mal fait de l'imiter;
J'ai, comme elle, couru le monde.
Les girouettes ne tournent plus
Lorsque la rouille les arrête;
Après cent travaux superflus,
Il en est ainsi de ma tête.
Je suis fixé, je suis lié,
Mais par la plus tendre amitié,
Mais dans l'heureuse indépendance,
Dans la tranquille jouissance
De la fortune et de la paix,
Ne pouvant regretter la France,
Et vous regrettant à jamais.
Voilà à peu près mon sort, mon cher et ancien ami, je ne lui pardonne pas de nous avoir presque toujours séparés, et je suis très-affligé si nous avons l'air d'être heureux si loin l'un de l'autre, vous sur les bords de la Seine, et moi sur ceux de mon lac. J'ai renoncé de grand cœur à toutes les illusions de la vie, mais non pas aux consolations solides, qu'on ne trouve qu'avec ses anciens amis. Mme Denis me fait bien sentir combien cette consolation est nécessaire. Elle s'est consacrée à me tenir compagnie dans ma retraite. Sans elle mon jardin serait pour moi un vilain désert, et l'aspect admirable de ma maison perdrait toute sa beauté. J'ai été absolument insensible à ce succès passa-
ger de la tragédie 1 dont vous me parlez. Peut-être cette insensibilité vient de l'éloignement des lieux. On n'est guère touché d'un applaudissement dont le bruit vient à peine jusqu'à nous et on voit seulement les défauts de son ouvrage, qu'on a sous les yeux. Je sens tout ce qui manque à la pièce, et je me dis
Solve senescentem (Horace., lib. I, ep. i, v. 8.) 2
Je me le dis aujourd'hui et peut-être demain je serai assez fou pour recommencer! Qui peut répondre de soi? Je ne réponds bien positivement que de la sincère et inviolable amitié qui m'attache à vous pour toute ma vie.
V. »
1 L'Orphelin de la Chine.
2 Horace (liv. I, épît. i, v. 8) donne ce conseil non seulement aux écrivains, mais encore à tous ceux qui l'âge avertit de songer à la retraite :
Solve senescentem mature sanus equum, ne
Peccet ad extremum ridendus et Ilia ducat.
«Réformez à temps votre cheval qui vieillit, si vous ne voulez que, poussif et exténué, il ne fasse rire à vos dépens.»
23:55 | Lien permanent | Commentaires (0)

