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Rechercher : Tâchez de vous procurer cet écrit; il n'est pas orthodoxe, mais il est très bien raisonné

ayant sous son nez 80 mille autrichiens et 100 mille Russes à son cul

... A vue de nez bien entendu .

 

 

« A Nicolas-Claude Thieriot

A Tournay 7 juillet [1760]1

Vous m'avez comblé de joie, mon ancien ami, par votre lettre du 28 2. Souvenez-vous je vous prie de l’interprétation de la nature et des deux derniers tomes de Mose's Legation . Je vous renvoie Le Pauvre Diable du cousin Vadé . Quel est l'animal qui l'a imprimé ? Il y manquait un vers . J'ai pris la liberté de le suppléer . J'espère que Catherine le trouvera bon .

Quel est aussi le butor qui a imprimé les notes du Russe, et qui dit qu'Henri IV fut assassiné le 10 mai ? C'est le 14 . J'ai encore pris la liberté de corriger cette faute . M. d'Alembert a sans doute un Russe ; je ne crois pas qu'il se fasse Prussien si aisément ; le Salomon du Nord doit être un peu embarrassé après la perte de ses vingt mille hommes à Landshut, ayant sous son nez 80 mille autrichiens et 100 mille Russes à son cul 3, lesquels Russes sont de rudes postdamites .4 Je ne sais si je me trompe, mais j'ai une grande idée de l'année 1760 . On me mande qu'on vient d'envoyer prisonnier à Stade le landgrave de Hesse . Je n'en suis pas surpris ; il y a trois ans qu'il était prisonnier ; et en dernier lieu il l'était encore dans ses États .

On dit que le duc de Broglie, Sage en projets et vif dans les combats 5, a pris Marbourg et son château avec 1200 hommes . Le Salomon du Nord m'écrit toujours . Il me mande que le 19 juin, il a voulu donner bataille à M. de Daun, qu'il n'a pu en venir à bout, mais que ce qui est différé n'est pas perdu 6 ; il aime toujours à écrire en prose et en vers quelque situation qu’il se trouve ; mais je n'ai jamais pu obtenir de lui qu'il réparât par la moindre galanterie l'indigne traitement fait à ma nièce dans Francfort . Tant pis pour lui, n'en parlons plus .

Je vous ai mandé ce que je pensais d'un voyage en Russie ; j'aime fort Le Russe à Paris, mais je n'aime point que le premier baron chrétien 7 soit russe . Songez que ces Russes ne sont chrétiens que depuis 600 ans,8 ou environ , et qu'il y avait déjà plusieurs siècles que les Montmorency étaient baptisés . Je ne veux ni premier baron chrétien à Archangel, ni premier philosophe en Brandebourg 9.

Maître Aliboron dit Fréron, me paraît furieusement bête ; il conte qu'un jour la nouvelle se répandit qu'il était aux Galères 10, et il est assez aveugle pour ne pas voir que c'est une nouvelle toute simple .

Ramponeau 11 n'est point si plaisant que Le Pauvre Diable, mais Ramponeau peut tenir son coin dans le Recueil, 12 quand ce ne serait qu'en faveur de la cabaretière Raab, aïeule de qui vous savez 13.

Dites à l'abbé Trublet qu'il faut qu'il se réconcilie avec les vers, comme Pompignan le prêtre avec l'Esprit .14

Dites à Protagoras qu'il se trompe grossièrement pour la première fois de sa vie, s'il pense que M. le duc de Ch[oiseul] protège les Polissots et les Frelons au point de prendre leur parti contre les hommes qu'il estime ; il les a protégés en grand seigneur tel qu'il est, il leur a donné du pain, mais il est si loin de prendre leur parti, qu'il trouvera fort bon qu'on les assomme de coups de canne ; on aurait beaucoup mieux fait de prendre ce parti, que d'aller fourrer mal à propos, la fille de M. le duc de Luxembourg 15 dans des querelles de comédie .

Je savait déjà que Robin mouton devait retourner à sa bergerie 16. Je ne sais si l'abbé de Morlaix ne restera pas encore quelques jours dans son château 17; c'est dommage qu'un aussi bon officier ait été fait prisonnier à l'entrée de la campagne .

Vous devriez bien conjointement avec Protagoras, m'envoyer une liste des ennemis et de leurs ridicules . Cela sera un peu long, mais il faut travailler pour le bien de la patrie . Je voudrais un peu de faits ; je voudrais jusqu'aux noms de baptême, si cela se pouvait ; les noms de saints font toujours un très bon effet en vers ; je ne sais si l'abbé Trublet est de cet avis .

Nous avons ici une espèce de plaisant 18 qui serait très capable de faire une façon de Secchia rapita,19 et de peindre les ennemis de la raison, dans tout l'excès de leur impertinence . Peut-être mon plaisant fera-t-il un poème gai et amusant, sur un sujet qui ne le paraît guère . La Dunciade de Pope me paraît un sujet manqué .

Il est important encore de savoir le nom du libraire qui imprime le Journal de Trévoux, le Journal chrétien ou tels autres rogatons . Si ce libraire a femme ou fille, ou petit garçon, car il faut de l'amour et de l'intérêt dans le poème sans quoi point de salut ; en un mot , mon plaisant veut rire, et faire rire, et mon plaisant a raison, car on commence à se lasser des injures sérieuses, mais gardez le secret à mon plaisant . Interim I am with all my heart

Yr V. 20»

1 Date complétée par Thieriot . Le passage du début Souvenez-vous […] a sans doute un Russe ; est omis dans l'édition de Kehl et les suivantes .

2 Elle ne nous est pas parvenue .

3 Ces chiffres sont exagérés .

4 Néologisme voltairien datant de l'époque berlinoise par allusion aux mœurs de Frédéric II, en alliant Potsdam et sodomite .

5 Vers 17 du Pauvre Diable .

6 Lettre du 21 juin 1760 :

7 Le comte de Montmorency .

8 Les frères Cyril et Methodius ont évangélisé les Slaves au Ixè siècle .

9 D'Alembert ; qu'on trouve aussi désigné comme Protagoras .

10 Cependant, dans un compte rendu courageux de l’Écossaise, dans L’année littéraire, 1760, IV, 115, Fréron y soutient la thèse que L’Écossaise est une trop mauvaise pièce pour être de V* .

11 Sur Ramponeau, voir lettre du 29 mai 1760 à Thieriot : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/05/28/o...

12 Le Recueil des facéties parisiennes, 1760, qui parut en un volume au début de septembre 1760 .

13 Aïeule de Jésus ; voir Évangile de Matthieu , I, 5 .

14 Allusion à La Dévotion réconciliée avec l'esprit, de Le Franc de Pompignan, Montauban, etc., 1755 .

15 Mme de Rebecq .

16 Voir lettre du 9 juin 1760 à Thieriot : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/06/09/m...

17 L'abbé Morellet devait en sortir bientôt, après y avoir été bien traité ; voir ses mémoires, 1812, I, 89-95 ; Morellet que V* nomme volontiers Mords-les ; voir lettre du 22 juillet 1760 à Thieriot : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/07/22/i...

18 Ce visiteur n'est autre que Casanova, qui dit, inexactement, qu'il arriva à Genève le 10 août 1760 (Histoire de ma vie, VI, 9 ) . Casanova rapporte d'ailleurs qu'il vit La Sec chia rapita sur une table de chevet dans la chambre à coucher de V* aux Délices .

 

19 Poème héroïco-comique d'Alessandro Tassoni (1622) ; voir sur l'opinion qu'en avait V*, sa lettre à Panckoucke du 28 février 1767 :

20 En attendant je suis de tout mon cœur votre V .

 

 

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06/07/2015 | Lien permanent

avec de l'ordre et de l'économie je ferai face à tout . Il n'y a que le désordre qui ruine

... D'où mon recours au 49-3" dit Mme Borne, première ministre qui s'en prend plein la figure et n'en démord pas .

 

 

« A Alexandre-Marie-François de Paule de Dompierre d'Hornoy

28è mars 1768

Mon cher parlementaire , suspendez un moment vos disputes avec l'ange bouffi du Grand Conseil pour écouter mon plaidoyer, comme si vous étiez sur les fleurs de lys 1 ; réunissez-vous tous les deux ; n'en croyez point les discours vagues et extrajudiciaires du public . Vous savez que ce public a autant d'oreilles et de bouches que la renommée mais qu'il n'a point d'yeux . Voici le fait clair et net .

M. le maréchal de Richelieu me doit vingt-sept mille livres, la succession de Guise vingt mille, Lézeau vingt mille, ce qui joint à d'autres non-valeurs sur mes rentes, monte à près de quatre-vingt mille .

M. le duc de Virtemberg en doit aussi environ quatre-vingt mille . Il a fait des billets à ordre qui ne sont payables que dans deux années (c'est-à-dire probablement après ma mort ) et sur lesquels on ne peut emprunter un denier . Voilà un vide de cent soixante mille livres sur un revenu qui était ma ressource .

Le seul château de Ferney, avec les embellissements et les améliorations de la terre, a coûté cinq cent mille livres, et rapporte très peu . J'ai dépensé plus de deux millions dans le pays barbare que j’habite depuis quatorze ans . Telle est ma situation . Je ne vous dis pas tout . Je vous enverrai bientôt un mémoire sur la terre de Tournay qui vous surprendra .

Nous avons pendant l'année dernière donné des fêtes à trois régiments . Nous avons eu chez nous pendant deux mois un colonel et presque tous ses officiers . Ce colonel est si occupé du service du roi, qu’étant de retour à Paris il ne nous a pas seulement écrit un mot de remerciement .

Ainsi en ont usé trois ou quatre cents Anglais que nous avons très bien reçus, et qui sont si attachés à leur patrie qu'ils ne se sont jamais souvenus de nous . Nous avons été pendant quatorze ans les aubergistes de l’Europe, aux Délices, à Lausanne, à Ferney.

Joignez à tout cela l'agrément d'acheter tout à Genève le double plus cher qu'en France, et de payer toute la main-d’œuvre le double ; vous verrez que le chapeau de Fortunatus et les trésors d'Aboulcassem n'y suffiraient pas .

Je ne veux pas mourir ruiné ; et je ne veux pas que Mme Denis en souffre . Elle ne peut vivre dans le pays barbare de Gex sans quelques amusements qui la consolent ; et ces amusements ne se trouveront plus . J'ai soixante et quatorze ans . Je me couche à dix heures du soir , je me lève à six du matin . Cette vie ne peut lui convenir ; sa santé s'altère , elle a besoin de tous les secours de Paris . Ce séjour n'est pas moins nécessaire à Mme Dupuits . C'est forcer la nature que de transporter des Parisiennes dans les glaces éternelles des Alpes et du mont Jura ; je dirais plus, c'est abréger leurs jours . Je n'ai plus qu'à mourir, mais il faut qu'elle vive, et quelle vive agréablement .

Il ne me reste actuellement que mes rentes sur M. de Laleu ; tout le reste est épuisé pour deux années . Ces rentes dans lesquelles il y a tant de non-valeurs suffiront à peine pour entretenir Mme Denis à Paris et moi à Ferney . Vous n'avez pas assez sur ces rentes , et il faut pour être juste égaler le Parlement au Grand Conseil . Ainsi , je vous supplie dès à présent, à commencer du premier avril où nous sommes, d'accepter la somme modique de dix-huit cents livres en attendant mieux .

J'avais compté que pour compléter la part que je fais à Mme Denis, M. le maréchal de Richelieu lui donnerait au moins trois ou quatre cents louis d'or . Je l'en ai conjuré par ma dernière lettre . S'il ne veut pas faire cet effort, si la succession de Guise ne fournit rien encore, vous avez mon cher ami votre recours sur Lézeau, qui doit donner au mois d'avril neuf ou dix mille francs au procureur boiteux . Ces neuf ou dix mille francs joints à ce que Mme Denis peut avoir encore, ne suffira pas pour lui faire avoir des meubles d'une maison commode . Il faut donc qu'elle vende la terre de Ferney qui baissera toujours de prix, par l'aversion naturelle qu'ont tous les Genevois à posséder des biens-fonds dans ce pays, et surtout parce qu'ils n'achètent jamais que de l'utile et non de l'agréable . Je me retirerais alors dans la terre de Tournay . Elle toucherait une grosse somme d’argent comptant ; elle augmenterait ses rentes, elle serait très riche .

Cet arrangement si convenable, et même si nécessaire, a manqué pour ne m'avoir pas envoyé à temps son consentement, et pour avoir écouté des personnes qui ne pouvaient être au fait de ses affaires, ni de ma position . Le marché qu'on lui proposait était des plus avantageux, mais il ne se retrouvera plus 2. L'acquéreur s'est dédit, et a donné l'alarme aux autres .

Mme Denis m'a laissé pour environ quinze mille livres de dettes criantes à payer 3 ; j'en ai environ pour cinq mille de ma part . Il ne me reste pour subvenir à toute cette année et le suivante que mes rentes . J'arrangerai tout de manière qu'elles suffiront .

J'ai encore vingt-sept personnes à nourrir dans le le château . Mais avec de l'ordre et de l'économie je ferai face à tout . Il n'y a que le désordre qui ruine .

Je me flatte qu'après cette lettre je serai reçu dans l'académie de lésine de Boulogne ; mais ma famille ne m'exclura pas du temple de l'amitié .

Je reçois une petite lettre de M. Dupuits toute pleine d’amitié . Je l’embrasse tendrement lui et sa femme . Il trouvera ici son avocat quand il viendra, il a un maudit bien dans le maudit pays de Gex .

Mme Denis n'a point répondu à mes trois dernières lettres . Serait-elle malade ? M. Dupuits ne me le mande point, ni vous non plus .

V. »

1 C'est-à-dire en séance au tribunal .

2Voir lettre 7213 de Hennin du 19 mars 1768 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k411361p/texteBrut

3Curieux détail qu'on ne soupçonnerait guère .

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20/11/2023 | Lien permanent

Il ne m’appartient pas d’être conciliateur ; je me borne seulement à prendre la liberté d’offrir un repas où l’on pourra

... L'intention est louable , n'est-ce pas ? Difficile à mettre en oeuvre, de nos jours en France, si plus de six convives , mais sympa quand même . Il faut juste une table surdimensionnée et une voix qui porte . Bon appétit !

 

 

« À Jacob Tronchin 1

[13 novembre 1765].

Immédiatement après avoir lu, monsieur, le nouveau livre en faveur des représentants 2, la première chose que je fais est de vous en parler. Vous savez que M. Keat, gentilhomme anglais plein de mérite, me fit l’honneur de me dédier il y a quelques années, son ouvrage sur Genève 3. Celui qu’on me dédie aujourd’hui est d’une espèce différente, c’est un recueil de plaintes amères. L’auteur n’ignore pas combien je suis tolérant, impartial, et ami de la paix ; mais il doit savoir aussi combien je vous suis attaché à vous, à vos parents, à vos amis, et à la constitution du gouvernement.

Genève, d’ailleurs, n’a point de plus proche voisin que moi. L’auteur a senti peut-être que cet honneur d’être votre voisin, et mes sentiments, qui sont assez publics, pourraient me mettre en état de marquer mon zèle pour l’union et pour la félicité d’une ville que j’honore, que j’aime, et que je respecte. S’il a cru que je me déclarerais pour le parti mécontent, et que j’envenimerais les plaies, il ne m’a pas connu.

Vous savez, monsieur, combien votre ancien citoyen Rousseau se trompa quand il crut que j’avais sollicité le conseil d’État contre lui. On ne se tromperait pas moins, si l’on pensait que je veux animer les citoyens contre le Conseil.

J’ai eu l’honneur de recevoir chez moi quelques magistrats et quelques principaux citoyens qu’on dit du parti opposé. Je leur ai toujours tenu à tous le même langage ; je leur ai parlé comme j’ai écrit à Paris ; je leur ai dit que je regardais Genève comme une grande famille dont les magistrats sont les pères, et qu’après quelques dissensions cette famille doit se réunir.

Je n’ai point caché aux principaux citoyens que, s’ils étaient regardés en France comme les organes et les partisans d’un homme dont le ministère n’a pas une opinion avantageuse, ils indisposeraient certainement nos illustres médiateurs, et ils pourraient rendre leur cause odieuse. Je puis vous protester qu’ils m’ont tous assuré qu’ils avaient pris leur parti sans lui, et qu’il était plutôt de leur avis qu’ils ne s’étaient rangés du sien. Je vous dirai plus, ils n’ont vu les Lettres de la montagne qu’après qu’elles ont été imprimées . Cela peut vous surprendre, mais cela est vrai.

J’ai dit les mêmes choses à M. Lullin, le secrétaire d’État, quand il m’a fait l’honneur de venir à ma campagne. Je vois avec douleur les jalousies, les divisions, les inquiétudes s’accroître ; non que je craigne que ces petites émotions aillent jusqu’au trouble et au tumulte ; mais il est triste de voir une ville remplie d’hommes vertueux et instruits, et qui a tout ce qu’il faut pour être heureuse, ne pas jouir de sa prospérité.

Je suis bien loin de croire que je puisse être utile ; mais j’entrevois (en me trompant peut-être) qu’il n’est pas impossible de rapprocher les esprits. Il est venu chez moi des citoyens qui m’ont paru joindre de la modération et des lumières. Je ne vois pas que, dans les circonstances présentes, il fût mal à propos que deux de vos magistrats des plus conciliants me fissent l’honneur de venir dîner à Ferney, et qu’ils trouvassent bon que deux des plus sages citoyens s’y rencontrassent. On pourrait, sous votre bon plaisir, inviter un avocat en qui les deux partis auraient confiance.

Quand cette entrevue ne servirait qu’à adoucir les aigreurs, et à faire souhaiter une conciliation nécessaire, ce serait beaucoup, et il n’en pourrait résulter que du bien. Il ne m’appartient pas d’être conciliateur ; je me borne seulement à prendre la liberté d’offrir un repas où l’on pourrait s’entendre 4 . Ce dîner n’aurait point l’air prémédité, personne ne serait compromis, et j’aurais l’avantage de vous prouver mes tendres et respectueux sentiments pour vous, monsieur, pour toute votre famille, et pour les magistrats qui m’honorent de leurs bontés.

Voltaire . 

Si ma proposition ne peut avoir lieu, ayez la bonté de venir quelque jour avec M. Turretin.»

2 De Jean-Antoine Comparet : « La Vérité, ode à M. de Voltaire, suivie d'une dissertation historique et critique sur le gouvernement de Genève et ses révolutions » . En même temps qu'il répond à V*, le Conseil de Genève condamne cet ouvrage au feu (voir note suivante ) , non sans avoir reçu de Lullin l'assurance donnée par Mme Denis « que son oncle ne prenait aucun intérêt à cette brochure » (12 novembre 1765, archives de Genève, CCLXV) . Voir : https://books.google.fr/books?id=IX9YAAAAcAAJ&pg=PR1&lpg=PR1&dq=La+V%C3%A9rit%C3%A9,+ode+%C3%A0+M.+de+Voltaire,+suivie+d%27une+dissertation+historique+et+critique+sur+le+gouvernement+de+Gen%C3%A8ve+et+ses+r%C3%A9volutions&source=bl&ots=82vOV9oAzH&sig=ACfU3U2uaexLalpknGVrRonMRAN_i9PXYg&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjYv8eJnprvAhVEgRoKHXMkB8EQ6AEwAnoECAYQAw#v=onepage&q=La%20V%C3%A9rit%C3%A9%2C%20ode%20%C3%A0%20M.%20de%20Voltaire%2C%20suivie%20d'une%20dissertation%20historique%20et%20critique%20sur%20le%20gouvernement%20de%20Gen%C3%A8ve%20et%20ses%20r%C3%A9volutions&f=false

et : https://data.bnf.fr/fr/11923211/jean-antoine_comparet/

 

4 Les registres du Conseil de Genève rapportent à la date du 18 novembre 1765 que Jacob Tronchin a fait part aux conseillers de la lettre de V* . Après délibération , « l'avis a été que ledit noble Tronchin doit aller le plus tôt qu'il lui sera possible à Ferney, pour dire de bouche au sieur de Voltaire que le Conseil est sensible aux expressions de sa lettre mais que n'ayant pas le droit de transiger sur la constitution du gouvernement l'entrevue qu'il propose ne peut aboutir à rien, et qu'il tâche de l'en persuader le plus civilement qu'il lui sera possible . » Le 20 Jacob Tronchin rapporte au Conseil « qu'il s'[est ] acquitté auprès de Voltaire de la commission dont il fut chargé hier. »

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06/03/2021 | Lien permanent

Me voilà lavé, mais non absous

... Petit Etat riche en monnaie, en grandes gueules et hypocrites, la Suisse se fait enfin condamner comme pollueur inactif dans la lutte contre le réchauffement climatique : https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/04/10/condamnat...

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https://www.chappatte.com/fr/dessins-de-presse-recherche

 

 

« A Charles-Jean-François Hénault

28 septembre 1768 à Ferney 1

Mon cher et illustre confrère, j’ai reçu vos deux lettres, dont l’une rectifie l’autre. Vivez et portez-vous bien. Le cardinal de Fleury avait, à votre âge, une tête capable d’affaires ; Huet, Fontenelle, ont écrit à quatre-vingts ans. Il y a de très beaux soleils couchants ; mais couchez-vous très tard.

Laissons là l’éloquent Bossuet et son histoire prétendue universelle, où il rapporte tout aux Juifs, où les Perses, les Égyptiens, les Grecs, et les Romains, sont subordonnés aux Juifs, où ils n’agissent que pour les Juifs ; on en rit aujourd’hui ; mais ce n’est pas des Juifs dont il est question ici, c’est de vous. J’avais déjà prévenu plusieurs de mes amis, qui m’ont pressé de leur faire parvenir cet Examen de l’Histoire d’Henri IV, duquel il y a déjà trois éditions. Je l’ai envoyé chargé de mes notes 2, dans lesquelles je fais voir qu’il y a presque autant d’erreurs dans l’examen que dans le livre examiné. L’erreur que j’ai le plus relevée est celle où il tombe à votre égard. Vous connaissez mon amitié et mon estime également constantes. Vous pensez bien que je n’ai pas vu de sang-froid une telle injustice. J’avais même préparé une dissertation pour être envoyée à tous les journaux ; mais j’ai été arrêté par l’assurance qu’on m’a donnée que c’est un marquis de Belloste 3 qui est l’auteur de l’ouvrage. On dit qu’en effet il y a un homme de ce nom en Languedoc. Je ne connaissais que les pilules de Belloste 4, et point de marquis si profond et en même temps si fautif dans l’histoire de France . Si c’est lui qui est le coupable, il ne convient pas de le traiter comme un La Beaumelle ; il faut le faire rougir poliment de son tort. J’avoue que j’ai cru reconnaître le style, les phrases de ce La Beaumelle, son ton décisif, son audace à citer à tort et à travers, son tour d’esprit, ses termes favoris. Il se peut qu’il ait travaillé avec M. de Belloste. Je fais ce que je puis pour m’en éclaircir.

Il y a une chose très curieuse et très importante sur laquelle vous pourriez m’instruire avant que j’ose être votre champion ; c’est à vous de me fournir des armes.

Le marquis vrai ou prétendu assure qu’aux premiers états de Blois, les députés des trois ordres déclarèrent, avec l’approbation du roi, de Catherine, et du duc d’Alençon, que les parlements sont des états généraux au petit pied. Il ajoute qu’il est étrange qu’aucun historien n’ait parlé d’un fait si public. Il vous serait aisé de faire chercher dans la Bibliothèque du roi s’il reste quelque trace de cette anecdote, qui semblerait donner quelque atteinte à l’autorité royale 5. C’est une matière très-délicate, sur laquelle il ne serait pas permis de s’expliquer sans avoir des cautions sûres.

Parmi les fautes qui règnent dans cet examen, il faut avouer qu’on trouve des recherches profondes. Il est vrai qu’il suffit d’avoir lu des anecdotes pour les copier ; mais enfin cela tient lieu de mérite auprès de la plupart des lecteurs, séduits d’ailleurs par la licence et par la satire. La plupart des gens lisent sans attention ; très peu sont en état de juger. C’est ce qui donne une assez grande vogue à ce petit ouvrage. Il me paraît nécessaire de le réfuter. J’attendrai vos instructions et vos ordres ; et si vous chargez un autre que moi de combattre sous vos drapeaux, je n’aurai point de jalousie, et je n’en aurai pas moins de zèle.

Ce qui affaiblit beaucoup mes soupçons sur La Beaumelle c’est qu’il ne dit point de mal de moi 6. Quel que soit l’auteur, je persiste à croire qu’une réfutation est nécessaire.

Je pense qu’en fait d’ouvrage de génie 7 il ne faut jamais répondre aux critiques, attendu qu’on ne peut disputer des goûts . Mais en fait d’histoire il faut répondre, parce que lorsqu’on m’accuse d’avoir menti, il faut que je me lave. Le révérend père Nonotte m’a accusé auprès du pape d’avoir menti, en soutenant que Charlemagne n’avait jamais donné Ravenne au pape. Mon bon ange a découvert une lettre par laquelle Charlemagne institue un gouverneur dans Ravenne. Me voilà lavé, mais non absous. J’espère que le révérend père Nonotte n’empêchera pas qu’on ne nomme bientôt un gouverneur dans Castro.

À propos de Castro, j’ai envoyé à Mme Du Deffand des anecdotes très curieuses, touchant les droits de Sa Sainteté 8. C’est à un Vénitien que nous en sommes redevables. Cela n’est peut-être pas trop amusant pour une dame de Paris ; il n’y a point là d’esprit, point de traits saillants ; mais vous y trouverez des particularités aussi vraies qu’intéressantes. Les yeux s’ouvrent dans toute l’Europe. Il s’est fait une révolution dans l’esprit humain qui aura de grandes suites. Puissions-nous, vous et moi, en être témoins ! Comptez que rien ne peut diminuer l’estime infinie et le tendre attachement que je vous ai voués pour le reste de ma vie.

V. »

1 Original ; minute olographe ; édition de Kehl , incomplète des trois derniers paragraphes ( qui manquent en effet dans la minute) et datée du 7 ; éd. Renouard .

2 Ces notes sont partiellement reproduites dans l'Evangile du jour, 1769, d'après un volume de L'Examen […] contenant en marge les notes de V*, actuellement conservé à la B.N. De Paris .

« J’ai vu cet exemplaire. Les notes sont de la main de Wagnière. Presque toutes sont imprimées dans le tome II de l’Évangile du jour. » (Beuchot .)

3 C’était Hennin qui avait donné ce nom ( lettre du 25 septembre 1768 : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire... ), au lieu de Belestat ; voir lettre du 17 octobre 1768 à Hénault : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1768/Lettre_7360

, et aussi la lettre du 5 janvier 1769 adressée à Belestat, qui avait été le prête-nom de La Beaumelle : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1769/Lettre_7447

4 Augustin Belloste est notamment l'auteur d'une Dissertation […] sur les pilules mercuriales (vers 1725).

Voir : https://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_2001_num_89_331_5248

5 Par une curieuse coïncidence, les Nouvelles de divers endroits , du 23 mars 1768 avaient imprimé la nouvelle suivante : « M. de La Lourée, un des meilleurs avocats vient de mourir ; il a été trouvé chez lui une pièce très rare, qu'on est étonné de ne pas être à la bibliothèque du Roi ; sans doute elle y sera remise. C'est l'original du procès-verbal des états tenus à Blois en 1588. »

6 V* semble avoir enfin vérifié les allégations hasardeuses de d'Alembert : voir lettre du 2 septembre 1768 à d'Alembert : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/03/20/je-ne-vois-partout-que-des-extravagances-des-systemes-de-cyr-6490529.html

7 On dé »signe ainsi à l'époque les ouvrages de création, par rapport aux ouvrages d'érudition .

8 Les Droits des hommes et les Usurpations des papes, pages 193 et 204 : https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Voltaire_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_Garnier_tome27.djvu/201

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11/04/2024 | Lien permanent

L'industrie de la nation répare les balourdises du ministère

Rien de neuf sous le soleil, qui doit tenir bon et éclairer ministres et travailleurs -des vrais, eux !- ; les uns pérorent et les autres ont la tête dans le guidon ; vous savez qui !

Ceux qui ne sont pas ministres se reconnaissent , ils ne parlent pas de leurs vacances avec jets privés et frais de séjour payés par les contribuables/corvéables autochtones .

msg_industrie_divertissement_de_masse.jpg

 

Un peu de musique discordante pour arroser tout ça :http://www.deezer.com/listen-5469020

 

 

« A Marie de Vichy de Chamrond, marquise du Deffand

 

18 février [1760]

 

L'éloquent Cicéron, Madame, sans lequel aucun Français ne peut penser, commence toujours ses lettres par ces mots : si vous vous portez bien, j'en suis bien aise, pour moi, je me porte bien . J'ai le malheur d'être tout le contraire de Cicéron . Si vous vous portez mal, j'en suis fâché, pour moi , je me porte mal ; heureusement je me suis fait une niche dans laquelle on peut vivre et mourir à sa fantaisie ; c'est une consolation que je n'aurais pas eue à Craon, auprès du révérend père Stanislas, et de Frère Jean des Entommeures de Menoux i. C'est encore une grande consolation de s'être formé une société de gens qui ont une âme ferme et un bon cœur ; la chose est rare , même dans Paris . Cependant, j'imagine que c'est à peu près ce que vous avez trouvé . J'ai l'honneur de vous envoyer quelques rogatons, assez plats ; votre imagination les embellira ; un ouvrage, tel qu'il soit, est toujours assez passable quand il donne l'occasion de penser. Puisque vous avez, Madame, les poésies de ce roi ii qui a pillé tant de vers et tant de villes, lisez donc son Épître au maréchal de Keit sur la mortalité de l'âme ; il n'y a qu'un roi, chez nous autres chrétiens, qui puisse faire une telle épître. Me Joly de Fleury assemblerait les chambres contre tout autre, et on lacérerait l'écrit scandaleux. Mais apparemment qu'on craint encore les aventures de Rosbac, et qu'on ne veut pas fâcher un homme qui a fait tant de peur à nos âmes immortelles . Le singulier de tout ceci, c'est que cet homme qui a perdu la moitié de ses États, et qui défend l'autre par les manœuvres du plus habile général, fait tous les jours encore plus de vers que l'abbé Pellegrin iii; il ferait bien mieux de faire la paix iv; dont il a , je crois, autant besoin que nous . J'aime encore mieux avoir des rentes sur la France que sur la Prusse . Notre destinée est de faire toujours des sottises, et de nous en relever ; nous ne manquons presque jamais une occasion de nous ruiner et de nous faire battre, mais au bout de quelques années, il n'y parait pas . L'industrie de la nation répare les balourdises du ministère . Nous n'avons pas aujourd'hui de grand génie dans les beaux-arts, à moins que ce ne soit M. Lefranc de Pompignan ou M. l'évêque son frère v, mais nous aurons toujours des commerçants et des agriculteurs . Il n'y a qu'à vivre, et tout ira bien.

 

Je conçois que la vie est prodigieusement ennuyeuse quand elle est uniforme . Vous avez à Paris la consolation de l'histoire du jour, et surtout la société de vos amis. Moi, j'ai ma charrue, et des livres anglais, car j'aime autant les livres de cette nation que j'aime peu leurs personnes . Ces gens-là n'ont pour la plupart du mérite que pour eux-mêmes . Il y en a bien peu qui ressemblent à Bolingbroke ; celui-là valait mieux que ses livres, mais pour les autres Anglais leurs livres valent mieux qu'eux .

 

J'ai l'honneur de vous écrire rarement, Madame, ce n'est pas seulement ma mauvaise santé et ma charrue qui sont en cause. Je suis absorbé dans un compte que je me rends à moi-même par ordre alphabétique, de tout ce que je dois penser sur ce monde-ci et sur l'autre, le tout, pour mon usage, et peut-être après ma mort, pour l'usage des honnêtes gens vi. Je vas dans ma besogne aussi franchement que Montaigne va dans la sienne, et si je m'égare, c'est en marchant d'un pas un peu plus ferme . Si nous étions à Craon, je me flatte que quelques-uns des articles de ce dictionnaire d'idées ne vous déplairaient pas ; car je m'imagine que je pense comme vous sur tous les points que j'examine ; si j'étais homme à venir faire un tour à Paris, ce serait pour venir vous y faire ma cour ; mais je déteste Paris sincèrement, et autant que je vous suis attaché . Songez à votre santé, Madame, elle sera toujours précieuse à ceux qui ont le bonheur de vous voir, et à ceux qui s'en souviennent avec le plus grand regret .

 

V. »

 

i Le jésuite Menoux, confesseur du roi Stanislas, assimilé ici au personnage de Rabelais .

Père Menoux : Page 153 : http://books.google.fr/books?id=evNRAAAAMAAJ&pg=PA153...

 

ii Sur ces poésies de Frédéric, voir lettre du 26 janvier à Louise-Dorothéa von Meiningen, duchesse de Saxe-Gotha : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/01/26/j...

 

iii Simon-Joseph Pellegrin a composé entre autres une Apologie de M. de Voltaire adressée à lui-même,critique de La Henriade, (mais que certains, dont V*, attribuèrent à l'abbé Desfontaines ).

http://fr.wikipedia.org/wiki/Simon-Joseph_Pellegrin

 

iv V* fut un des négociateurs, voir lettres du 30 novembre 1759 à d'Argental et 26 janvier 1760 à la duchesse de Saxe-Gotha (ci-dessus note ii) : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/11/30/o...

 

v Que V* cite souvent comme étant le collaborateur de Caveirac qui a rédigé une Apologie de la révocation de l' Edit de Nantes.

 

vi Première allusion, dans sa correspondance, au Dictionnaire philosophique depuis le dernier séjour en Prusse où avaient été rédigés les articles : « Abraham », « Baptème », « (population de) l'Amérique » ; cf. lettres à Frédéric des 5 septembre et fin septembre-début octobre 1752 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/09/05/v...

et page 4 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k80033k/f8.image.r=....

 

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21/02/2011 | Lien permanent

la crainte d'une excommunication injuste ne doit empêcher personne de faire son devoir

... Qu'on se le dise !

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« A Étienne-Noël Damilaville

[5è août 1762] 1

Est-il bien vrai que l'archevêque de Paris ait puni le curé de Saint-Jean-de Latran d'avoir prié Dieu pour les trépassés ? Il ne se contente donc pas d'avoir persécuté les mourants, il en veut encore aux morts ! Mais il paraît qu'il se brouille toujours avec les vivants 2.

On ne voit pas en quoi a péché ce pauvre curé quand il a fait un service pour l'âme poétique de M. de Crébillon . En effet, quoique cet auteur ait traité le sujet d'Atrée, il était chrétien, et son Rhadamiste durera peut-être aussi longtemps que les mandements de monsieur l'archevêque ; si le curé a été suspendu pour avoir fait ce service aux dépens des comédiens du roi, le service n'est-il pas toujours fort bon, et l'argent des comédiens n'a-t-il pas de cours ?

Il faudrait donc excommunier monsieur l'archevêque pour recevoir tous les ans environ cent mille écus que lui fournissent les spectacles de Paris et qui sont le plus fort revenu de l'Hôtel-Dieu . L'abbé Grizel, qui sait ce que vaut l'argent, et à quoi il faut l'employer , vous dira que le prélat risque beaucoup ; car si les comédiens fermaient leurs spectacles ; l’Église serait privée d'un secours considérable .

Il est vrai qu'on peut persuader aux comédiens de continuer toujours à jouer, malgré la persécution, parce que la crainte d'une excommunication injuste ne doit empêcher personne de faire son devoir 3. Mais cette proposition ayant été condamnée par les frères jésuites, et par le pape, il se pourrait bien faire qu'on manquât de spectacles à Paris, dans la crainte d'être excommunié par l'archevêque .

Si un Turc vient dans cette ville, comme en effet un fils circoncis 4 de M. le bacha de Bonneval y viendra dans quelque temps, s'il fait célébrer un service pour l'âme de 5 quelque chrétien de sa maison, son argent sera reçu sans difficulté ; et tandis qu'il criera Allah Allah, on chantera des De profundis .

Pourquoi traiter les comédiens plus mal que les Turcs 6? ils sont baptisés, ils n’ont point renoncé à leur baptême . Leur sort est bien à plaindre, ils sont gagés par le roi et excommuniés par les curés ; le roi leur ordonne de jouer tous les jours, et le rituel de Paris le leur défend ; s'ils ne jouent pas, on les met en prison ; s'ils font leur devoir, on les jette à la voirie . Ils sont défendus dans l'ordre des lois, dans l’ordre des mœurs, dans l'ordre des raisonnements par Huern de l’ordre des avocats, et ils sont condamnés par l'avocat Dains . On les traite chrétiennement 7 pendant leur vie, et à leur mort, en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne, tandis qu'à Paris où ils réussissent le mieux, on cherchera à les couvrir d'opprobre, tout le monde veut entrer pour rien chez eux, et on leur ferme la porte du paradis . On se fait un plaisir de vivre avec eux, et on ne veut pas y être enterré ; nous les admettons à nos tables, et nous leur fermons nos cimetières . Il faut avouer que nous sommes des gens bien raisonnables et bien conséquents !8

Mon cher frère 9, vous nous faites espérer qu'on pourra enfin demander justice pour les Calas . Il est plaisant qu'il faille s'adresser à l'abbé Chauvelin pour imprimer en sureté une lettre de Donat Calas . Votre zèle et votre prudence n'ont rien négligé . Nous vous avons, mon cher frère, plus d'obligation qu'à personne .

Est-il possible qu'il soit si aisé d'être roué et si difficile d'obtenir la permission de s'en plaindre ! »

1 Le texte de cette lettre se présente différemment selon qu'on se réfère à un original (ou copie) de la main de Wagnière, suivi en gros par l'édition de Kehl, ou à la copie Beaumarchais-Kehl ou à une autre copie ancienne proche de celle-ci qui semble avoir servi à l'établissement non de l'édition de Kehl , mais de la Correspondance littéraire . C'est le premier qu'on trouvera ci-après . Les variantes du second seront désignées par le sigle BK (copie Beaumarchais-Kehl) . La date est portée sur le manuscrit 1 par d'Argental . On peut penser que les éditeurs de Kehl, après avoir établi leur copie, peut-être d'après un brouillon, auront trouvé la lettre réellement envoyée .

2 Ce membre de phrase, depuis mais il paraît, est remplacé dans BK par : Il me paraît bien injuste de refuser des De profundis à Crébillon, tandis que toutes ses pièces en méritent, hors Rhadamiste.

3 Ceci est une des thèses jansénistes condamnées par la bulle Unigenitus.

4 Le fils de Bonneval aurait été comte de Latour s'il n'était devenu Soliman Aga .

5 l'âme manque dans BK .

6 Dans le Pot pourri, chapitre V, on réclame au contraire des mosquées pour les Turcs .

7 BK ajoute même .

8 BK ajoute ces mots qui paraissent nécessaires : Qu'on ait mis ou non le curé de Saint-Jean-de-Latran au séminaire, en tout cas voici ce qu'un tolérant écrit sur cette matière . C'est ici la fin du manuscrit 1, manuscrit 3 et Correspondance littéraire .

9 Ces trois mots sont supprimés dans BK, qui remplace enfin par au moins à la ligne suivante .

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01/07/2017 | Lien permanent

vous rendriez un grand service à elle et à ses amants de nous envoyer la joyeuse recette de la demoiselle Quinault.

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d’Argental

 

                            Voici encore , mon cher et respectable ami, un gros paquet de Babylone [Les « amples corrections qu’il leur envoie pour Sémiramis »]. Mais à présent le point essentiel est d’empêcher la parodie à la ville comme à la cour [La parodie de Sémiramis par Bidault de Montigny ne fut effectivement pas représentée, mais imprimée à Amsterdam en 1749]. J’ai eu lieu de penser que M. de Montmartel m’ayant écrit de la part de Mme de Pompadour, et m’ayant redit ses propre paroles, que le roi était bien éloigné  de vouloir me faire la moindre peine, et que  la parodie  ne serait certainement point jouée, j’ai lieu , dis-je, de me flatter que cette proscription d’un abus aussi pernicieux est pour Paris comme pour Versailles.

 

Je vais écrire dans cet esprit à M. Berryer et l’ordre du roi à Fontainebleau sera pour lui un nouveau motif de me marquer sa bienveillance, et une nouvelle facilité de faire entendre raison aux personnes qui pourraient  favoriser encore la cabale qui s’est élevée contre moi ; je suis fâché que M. le duc d’Aumont soit le seul qui ne réponde point à mes lettres [le 10 V* informait d’Argental qu’il écrivait à la reine – par l’intermédiaire et avec l’appui de Stanislas- , à Mme de Pompadour, à Mme d’Aiguillon, à la duchesse de Villars, à Mme de Luynes, au président Hénault, au duc de Fleury, au duc de Gesvres…], mais je n’en compte pas moins sur la fermeté et la chaleur de ses bons offices animés par votre amitié . Je vous demande en grâce de m’instruire de tout ce qui se passe sur cette affaire qui m’est devenue très essentielle.

 

                            La reine m’a fait écrire par Mme de Luynes que les parodies étaient d’usage, et qu’on avait travesti Virgile. Je réponds que ce n’est pas un compatriote de Virgile qui a fait l’Énéide travestie [Les parodies de Virgile les plus connues sont celles de Scarron, Perrault, Furetière]; que les Romains en étaient incapables ; que si on avait récité une Énéide burlesque à Auguste, et à Octave, Virgile en aurait été indigné ; que cette sottise était réservée à notre nation longtemps grossière, et toujours frivole ; qu’on a trompé la reine  quand on lui a dit que les parodies étaient encore d’usage, qu’il y a cinq ans qu’elles sont défendues ; que le théâtre français entre dans l’éducation de tous les princes de l’Europe et que Gilles et Pierrot ne sont pas faits pour former l’esprit des descendants de Saint Louis . Au reste si j’ai écrit une capucinade, c’est à une capucine [ V* avait entrepris la pièce pour les relevailles de la dauphine qui mourut avant qu’il eut fini].

 

                            Voici, mon divin ange, une autre grâce que je vous demande . C’est de savoir au juste et au plus vite de Mlle Quinault de quel remède elle s’est servie pour faire passer un énorme goitre dont elle s’est défaite. Il y a ici une femme beaucoup plus jolie qu’elle, qui a un cou extrêmement affligé de cette maladie, et vous rendriez un grand service à elle et à ses amants de nous envoyer la joyeuse recette de la demoiselle Quinault. Ajoutez cette grâce à tant d’autres bontés .

 

                            Tout ce que je vous dis est pour Mme d’Argental . Vous savez comme je vous adore tous les deux par indivis.

 

                            Et mes moyeux ? Ah ! Monsieur de Pont de Veyle, mes moyeux !

 

 

                            V.

                            A Lunéville ce 23 octobre 1748.

                                                                                     Ce 24.

 

                            Je reçois votre lettre , et je vous fais de nouveaux remerciements des ordres que vous avez donnés à Slodtz . Ils ont bien à réparer, et ils ont grand besoin d’être conduits par quelque homme qui entende l’effet des décorations. La grossièreté et l’ineptie de leur exécution a servi beaucoup à révolter le public qui s’attendait à du merveilleux.

 

                           Le roi de Pologne qui avait envoyé ma lettre à la reine, et qui en était très content a été fort piqué que nos adversaires aient prévalu auprès de la reine et que ce ne soit pas à elle à qui j’aie l’obligation de la suppression de l’Infamie. Les mêmes gens qui avaient fait la calomnie sur Zadig ont continué sous main leurs bons offices, et le roi de Pologne en est très instruit . Dites cela  à l’abbé de Bernis, et qu’il écrive à Mme de Pompadour pour la suppression de l’Infamie à la ville comme à la cour.

 

                            Je tâcherai, mes anges, de revenir à la fin de novembre, car j’ai besoin de vous dire combien je suis pénétré de tant de bontés. Mon dernier mémoire pour les comédiens ne doit être assurément présenté qu’à la dernière extrémité. C’est ce que j’ai dit expressément, et ce n’est qu’une ressource pour attendre l’année de M. de Richelieu, mais la meilleure de toutes les ressources, c’est vous .

 

                            Je suppose que les comédiens tout négligents qu’ils sont ont fait usage des premiers mémoires.

 

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Les lois de la société sont austères

... Et c'est heureux quand il s'agit de lutter contre des mouvements quasi  sectaires, appelant à la violence, comme Civitas ; ses membres ne sont catholiques que de nom, ils puent la haine , il est juste qu'on dissolve leur association et ce n'est pas trop tôt : https://www.francetvinfo.fr/societe/le-conseil-des-minist...

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Débiles dangereux

 

 

« A Jean Le Rond d'Alembert

22è février 1768 à Ferney 1

J'ai balancé longtemps, mon cher philosophe, si je vous écrirais touchant M. de La Harpe, et je crois enfin qu'il faut que je vous écrive parce que vous l’aimez, et que je l'aime .

Il vous a donné le second chant de La guerre de Genève, et il l'a donné à d'autres . Il n'en devait pas disposer ; je ne le lui avais point confié, il n'était point achevé ; je ne l'avais donné à personne ; je l'avais refusé à des princes ; j'avais mille raison pour qu’il ne parût point . Il était enfermé dans un portefeuille sur une table dans ma bibliothèque, et M. de La Harpe était parfaitement informé que je ne voulais pas qu'il parût .

Lorsqu'à son retour à Ferney j'appris que ce manuscrit était public, il dit qu'il ne l'avait répandu que parce qu’il y en avait dans Paris des copies trop fautives . Il m'a même assuré qu'il ne vous l'avait donné qu'attendu que la copie que vous aviez depuis longtemps était très infidèle . Quelques jours après il m'a dit qu'il tenait ce manuscrit d'un jeune homme nommé Antoine, son voisin, sculpteur, demeurant dans la rue Hautefeuille .

Enfin pendant les trois mois de son séjour à Paris, quoiqu’il me mandât toutes les nouvelles de la littérature, il ne m'avait jamais écrit celle-là qui était pour moi très intéressante . Il m'envoyait son épigramme contre Dorat et celle contre Fréron qui couraient sous mon nom, mais pas un mot de La Guerre de Genève ; je lui pardonne de tout mon cœur cette petite légèreté dont il ne pouvait sentir comme moi les conséquences . L'amitié ne doit point être difficile et sévère . Je lui ai rendu et je lui rendrai tous les services qui seront en mon pouvoir . Je suis même occupé actuellement du soin de lui assurer une petite fortune, et j'espère y réussir dans quelques mois, comme j'ai réussi à lui obtenir une pension de M. le duc de Choiseul.

Je vous prie de le gronder paternellement . Il faut qu'il soit de l'Académie française, et pour y parvenir il est nécessaire qu'il n’ait, ni avec M. Dorat ni avec personne des démêles qui pourraient lui faire tort . Il a plus besoin de continuer à faire de bons ouvrages que d'avoir des querelles qui ôtent toute considération . Les lois de la société sont austères, qu'il se garde bien de semer d'épines le chemin de sa fortune . Parlez-lui, mon cher ami, comme vous savez parler, et aimez-moi . Tout ceci demeurera entre vous et lui . Vous pouvez lui montrer ma lettre .

P. S. Je cherche tout ce que vous demandez . Vous ne sauriez croire combien ces bagatelles sont rares. »

1 Copie Beaumarchais-Kehl ; mais cette lettre ne paraît pas dans l’édition de Kehl ; ni les suivantes .

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05/10/2023 | Lien permanent

je crois fermement que le public d'aujourd'hui ne vaut pas la peine qu'on travaille pour lui, en quelque genre que ce pu

 ... Public de l'audiovisuel, et public de la chose écrite ou sculptée ou peinte, public désespérant quand on voit ce qu'il adule . Les créateurs peuvent alors être de minable à médiocre en toute impunité et trop souvent même être bien payés parce qu'ils font de l'audimat ou ont de bons agents .

 Je n'irai pas porter de fleurs sur leurs tombes, fut-ce des pains de pourceau.

 

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« A Mme Marie-Elisabeth de DOMPIERRE de FONTAINE,
à Paris.
Lausanne, 26 janvier [1758].
Je reçois votre lettre du 19, ma chère nièce, et je me flatte que vous aurez la bonté de m'accuser la réception de celles que je vous ai envoyées par 1 M. d'Alembert. Il faut d'abord que je justifie M. Constant 2, que vous appelez gros Suisse. Il n'est ni Suisse, ni gros. Nous autres Lausannais, qui jouons la comédie, nous sommes du pays roman, et point Suisses. Il envoya, avant de partir, chercher la boîte chez Mme de Fontaine 3. On alla chez la fermière générale, qui envoya promener le courrier, et qui dit qu'elle n'envoyait jamais rien à Lausanne.
On peint, il est vrai, la charpente de mon visage; mais c'est à condition que vous le copierez. Votre sœur attend l'habit d'Idamé avec plus d'impatience que je n'attends ceux 4 de Narbas et de Zamti. Si elle avait bien fait, elle se serait habillée à sa fantaisie, sans suivre la fantaisie des autres, et sans vous donner tant de peines. Pour moi, avec sept ou huit aunes d'étoffe de Lyon, j'aurais très-bien arrangé mes guenilles de vieux bonhomme. Je n'aime à imiter ni le jeu, ni le style, ni la manière de se mettre . Chacun a son goût, bon ou mauvais. Mme Denis a cru qu'on ne pouvait avoir une jarretière bien faite sans la faire venir de Paris à grands frais; elle voulait que je fisse faire mon jardin des Délices à Paris; mais comme ce jardin est pour moi, j'ai été mon jardinier, et je m'en trouve très-bien. Vous en jugerez, s'il vous plaît. J'aurais tout aussi bien été mon tailleur, et je voudrais que vous pussiez en juger. Toutes ces dépenses réitérées ruinent quand on a acheté, réparé, raccommodé, meublé une maison spacieuse, et qu'on l'embellit; mais il ne faut pas y prendre garde il ne faut songer qu'à la bonté que vous avez d'entrer dans ces misères.
Je ne crois pas que l'abbé de Prades soit à Breslau, et je crois encore moins qu'on le fouette avec un écriteau au dos 5: car, s'il avait au dos cette belle devise, ce serait sur l'écriteau qu'on frapperait. Peut-être le fouette-t-on sur le cul; mais cela est sujet à des inconvénients. Les théologiens disent que cette façon peut occasionner ce qu'ils appellent des pollutions.6

Je crois encore moins qu'on ait exigé à Paris des cartons pour l'article Genève ; la cour se soucie peu de nos hérétiques, et d'ailleurs il n'est pas possible d'aller proposer un carton à tous les souscripteurs qui ont reçu le livre. Il n'y a pas quatre lecteurs qui l'achètent sans avoir souscrit.
Je ne crois pas non plus que M. le maréchal de Richelieu soit disgracié il n'a point perdu la bataille de Rosbach, il a passé l'Aller, il a fait reculer les Hanovriens, il a fait de son mieux. On ne doit punir que la mauvaise volonté, et le roi est toujours juste. Je ne crois point encore qu'il faille vingt ans pour détromper le public sur une très-mauvaise pièce 7; mais je crois fermement que le public d'aujourd'hui ne vaut pas la peine qu'on travaille pour lui, en quelque genre que ce puisse être.
Voilà, ma chère nièce, tout ce que je crois, et tout ce que je ne crois pas. Je vous ai ouvert le fond de mon cœur. Si vous avez quelque chose à croire dans ce monde, croyez que ce cœur est à vous. Vous ne me dites point si vous continuez à vous frotter circulairement avec de l'arthanite 8; si vous mangez, si vous digérez, si vous êtes agréablement logée. Il faut, s'il vous plaît, que vous m'instruisiez de votre manière d'exister, car mon être s'intéresse tendrement au vôtre.
Savez-vous si c'est à Paris qu'on élève le prince de Parme 9, ou si l'abbé de Condillac 10 va à Parme lui apprendre à raisonner? Savez-vous quand il part? Seriez-vous femme à lui persuader de prendre sa route par Genève et par Turin? S'il fait ce voyage cet hiver, nous le recevrions à Lausanne, nous le mènerions aux Délices, et de là nous le guinderions 11 par le mont Cenis à Turin, de Turin dans le Milanais, et du Milanais dans le Parmesan.
Portez-vous bien, et aimez-nous. »

1 Possible erreur pour « pour » , de même qu'on peut lire aussi village pour visage au paragraphe suivant .

2 Sans doute Samuel Constant de Rebecque; voir une note de la lettre du 15 juin 1756 à Brenles : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/07/12/ce-fantome-de-la-vie-on-s-en-plaint-on-la-maudit-on-la-prodi.html

3 La femme du fermier général Fontaine de Cramayel .

4 Voltaire avait chargé Lekain de cette commission.

7 Allusion sévère à l'Iphigénie en Tauride.

8 L'arthanite est le nom ancien du cyclamen europœum, L., que les Français appellent vulgairement pain de pourceau. (Note de M. de Cayrol.) On l'utilisait dans les clystères .

9 Ferdinand, né en 1751, duc de Parme en 1765, dépossédé par la Révolution, mort en 1802, père de Louis, roi d'Étrurie, mort en 1803.

10 Condillac alla à Parme pour diriger l'éducation du futur duc de Parme, Ferdinand , petit fils de Louis XV par sa fille Louise épouse du duc Philippe .

11 Guinder est enregistré au sens de hisser ; V* l'utilise dans cette lettre à une période voisine de celle où fut écrit de chapitre xviii de Candide dans lequel Candide et Cacambo sont sortis de l'Eldorado : « Il donna l'ordre sur le champ à ses ingénieurs de faire une machine pour guinder ces deux hommes extraordinaires hors du royaume . »

 

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30/03/2013 | Lien permanent

Il fera de grandes choses si on lui laisse ses coudées franches ; mais je ne les verrai pas, car je ne digère plus ; et,

... M. Barnier, hâtez le pas, qui que vous choisissiez vous vous tromperez et serez trompé dans les mêmes proportions que vos prédécesseurs, les canards boiteux étant légions et les cygnes immaculés en voie de disparition . La basse-cour ministérielle sera immanquablement bouffée par le renard financier .

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https://perrico.over-blog.com/2024/09/michel-barnier-mission-impossible-ou-pas.html

 

 

 

« A Marie de Vichy de Chamrond, marquise Du Deffand

15è mars 1769

Vous me marquâtes, madame, par votre dernière lettre, que vous aviez besoin quelquefois de consolation 1. Vous m’avez donné la charge de votre pourvoyeur en fait d’amusements ; c’est un emploi dont le titulaire s’acquitte souvent fort mal. Il envoie des choses gaies et frivoles quand on ne veut que des choses sérieuses ; et il envoie du sérieux quand on voudrait de la gaieté : c’est le malheur de l’absence. On se met sans peine au ton de ceux à qui on parle ; il n’en est pas de même quand on écrit : c’est un hasard si l’on rencontre juste.

J’ai pris le parti de vous envoyer des choses où il y eût à la fois du léger et du grave, afin du moins que tout ne fût pas perdu.

Voici un petit ouvrage contre l’athéisme 2, dont une partie est édifiante et l’autre un peu badine ; et voici en outre mon testament 3, que j’adresse à Boileau. J’ai fait ce testament étant malade, mais je l’ai égayé selon ma coutume ; on meurt comme on a vécu.

Si votre grand-maman est chez vous quand vous recevrez ce paquet, je voudrais que vous pussiez vous le faire lire ensemble ; c’est une de mes dernières volontés. J’ai beaucoup de foi à son goût pour tout ce que vous m’avez dit d’elle, et je n’en ai pas moins à son esprit, par quelques-unes de ses lettres que j’ai vues, soit entre les mains de mon gendre Dupuits, soit dans celles de Guillemet 4, typographe en la ville de Lyon.

Il m’est revenu de toutes parts qu’elle a un cœur charmant. Tout cela, joint ensemble, fait une grand-maman fort rare. Malgré le penchant qu’ont les gens de mon âge à préférer toujours le passé au présent, j’avoue que de mon temps il n’y avait point de grand-maman de cette trempe. Je me souviens que son mari me mandait, il y a huit ans, qu’il avait une très aimable femme, et que cela contribuait beaucoup à son bonheur 5. Ce sont de petites confidences dont je ne me vanterais pas à d’autres qu’à vous. Jugez si je ne dois pas prier Dieu pour son mari dans mes codicilles. Il fera de grandes choses si on lui laisse ses coudées franches ; mais je ne les verrai pas, car je ne digère plus ; et, quand on manque par là, il faut dire adieu.

On me mande que le président Hénault baisse beaucoup 6; J’en suis très fâché, mais il faut subir sa destinée…

Je voudrais qu’à cet âge
On sortît de la vie ainsi que d’un banquet,
Remerciant son hôte, et qu’on fît son paquet.7

Le mien est fait il y a longtemps. Tout gai que je suis, il y a des choses qui me choquent si horriblement que je prendrai congé sans regret. Vivez, madame, avec des amis qui adoucissent le fardeau de la vie, qui occupent l’âme, et qui l’empêchent de tomber en langueur. Je vous ai déjà dit 8 que j’avais trouvé un admirable secret, c’est de me faire lire et relire tous les bons livres à table, et d’en dire mon avis. Cette méthode rafraîchit la mémoire, et empêche le goût de se rouiller ; mais on ne peut user de cette recette à Paris : on y est forcé de parler à souper de l’histoire du jour, et quand on a donné des ridicules à son prochain, on va se coucher. Dieu me préserve de passer ainsi le peu qui me reste à vivre !

Adieu, madame ; je vivrai plus heureux si vous pouvez être heureuse. Comptez que mon cœur est à vous comme si je n’avais que cinquante ou soixante ans. »

1 Voir la lettre du 1er mars 1769 de la marquise : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1769/Lettre_7492

4 Voltaire a signé de ce nom la lettre du 2 février 1769 et quelques autres à Mme de Choiseul. Voir : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2024/08/08/j-ai-pense-que-cela-vous-amuserait-plus-que-les-assemblees-d-6509875.html

5 Dans une lettre du 22 avril 1760 .

Ce passage de la lettre de Voltaire fit grand plaisir à la duchesse de Choiseul, qui écrit à Mme Du Deffand  : « Ce qui m’en a fait le plus de plaisir, c’est l’endroit de sa lettre où il dit que le grand-papa (le duc de Choiseul) lui a mandé qu’il avait une femme qui contribuait à son bonheur. Ô vanité des vanités ! tout n’est que vanité ! Ne le voyez-vous pas bien, ma chère petite-fille, à ma sensibilité pour ce petit bout de phrase. » (Correspondance complète de Mme du Deffant avec la duchesse de Choiseul, etc., tome Ier, page 194 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2063902/f329.item )

6 Il mourra le 24 novembre 1770 .

8 Cette lettre manque.

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