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27/08/2010

j'ai quatre-vingt-deux ans, quatre-vingts maisons à finir, et quatre-vingts sottises à faire

 

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

 

 

27è auguste 1776

 

Que vous dirais-je, mon cher ange, sur votre lettre indulgente et aimable du 19 d'auguste ? Je vous dirai que si j'étais un peu ingambe, si je n'avais pas tout à fait quatre-vingt-deux ans, je ferais le voyage de Paris pour la reine et pour vous. Je vous avoue que j'ai une furieuse passion de l'avoir pour protectrice. J'avais presque espéré qu'Olympie paraitrait devant elle . Je regardais cette protection déclarée dont je me flattais comme une égide nécessaire qui me défendrait contre des ennemis acharnés, et à l'ombre de laquelle j'achèverais paisiblement ma carrière. Ce petit agrément de faire reparaitre Olympie m'a été refusé. Il faut avouer que Lekain n'aime pas les rôles dans lesquels il n'écrase pas tous les autres [i]. Il nous a donné d'un Chevalier Bayard [ii] à Ferney dans lequel il n'a eu d'autre succès que de paraître sur son lit un demi-quart d'heure. Je ne lui ai point vu jouer ce détestable ouvrage. Je ne puis supporter les mauvais vers, et les tragédies de collège, qui n'ont que la rareté, la curiosité pour tout mérite. Lekain, pour m'achever, jouera Scévole [iii] à Fontainebleau. Je suis persuadé qu'une jeune reine qui a du goût ne sera pas trop contente de ce Scévole qui n'est qu'une vieille déclamation digne du temps de Hardy.[iv]

 

Lekain ne m'a point rendu compte, comme vous le croyez, des raisons qui font donner la préférence à cette antiquaille. Il ne m'a rendu compte de rien ; aussi ne lui ai-je demandé aucun compte. Il avait fait son marché avec deux entrepreneurs pour venir gagner de l'argent [v] auprès de Genève [vi] et à Besançon [vii]. Il joue actuellement à Besançon ; je l'ai reçu de mon mieux quand il a été chez moi ; je n'en sais pas davantage.

 

Je ne sais pas comment mon petit procès avec le sieur Le Tourneur aura été jugé le jour de la Saint Louis [viii]. Je n'ai pas eu le temps d'envoyer mon factum tel que je l'ai fait en dernier lieu. Je vais en faire tirer quelques exemplaires pour vous le soumettre. On dit, à la honte de notre nation, qu'il y a un grand parti composé de faiseurs de drame et de tragédies en prose secondé par des Welches qui croient être du parlement d'Angleterre. Tous ces messieurs, dit-on, abjurent Racine et m'immolent à leur divinité étrangère. Il n'y a point d'exemple d'un pareil renversement d'esprit, et d'une pareille turpitude. Les Gilles et les Pierrots de la foire Saint-Germain il y a cinquante ans, étaient des Cinnas et des Polyeuctes en comparaison des personnages de cet ivrogne de Shakespear que M. Le Tourneur appelle le dieu du théâtre. Je suis si en colère de tout cela que je ne vous parle point de la décadence affreuse où va retomber mon petit pays. Nous payons bien cher le moment de triomphe que nous avons eu sous M. Turgot [ix]. Me voila complètement honni en vers et en prose. Il me faut abandonner toutes les parties que je jouais. Il faut savoir souffrir, c'est un métier que je fais depuis longtemps. J'ai aujourd'hui ma maitrise.

 

Je voudrais bien savoir comment M. de Thibouville prend la barbarie dans laquelle nous tombons. Il me paraît qu'il n'est pas assez fâché. Pour vous, mon cher ange, j'ai été fort édifié de votre noble colère contre M. Le Tourneur.

 

Je crois que vous aurez bientôt Mme Denis qui entreprend un voyage bien pénible pour aller consulter M. Tronchin, et ce qu'il y a de pis c'est qu'elle va le consulter pour une maladie qu'elle n'a pas [x]. Dieu veuille que ce voyage ne lui en donne pas une véritable ! Le gros abbé Mignot la conduira. Un gentilhomme notre voisin, qui est du voyage , la ramènera. Pourquoi ne vais-je point avec elle ? C'est que j'ai quatre-vingt-deux ans, quatre-vingts maisons à finir, et quatre-vingts sottises à faire, c'est qu'au fond je suis bien plus malade qu'elle, et même trop malade pour parler à des médecins.

 

Mon cher ange, tout enseveli que je suis sur la frontière suisse, cependant je sens encore que je vis pour vous.

 

V. »

i V* disait déjà la même chose le 19 juillet à D'Argental qui lui répondit le 24 que Lekain n'était pas responsable, et le 2 septembre : (Lekain) « pouvait vous dire avec vérité qu'il a fait tout ce qu'il a pu pour en procurer les représentations à Paris et à Fontainebleau, mais que l'arrangement pris pour les pièces nouvelles ... y (a) mis des obstacles invincibles. Je ne lui crois point l'ambition que vous lui supposez ... »

ii Gaston et Bayard, pièce de Belloy jouée pour la première fois à Versailles en février 1770 et à Paris en avril 1771.

iii De Pierre Du Ryer, 1644 ou 1646.

iv Alexandre Hardy 1570-1632.

v D'Argental lui répondra : « Je vous assure que son principal motif a été de répondre à la bonté que vous aviez de l'y désirer. » ; Lekain dans ses lettres qu'il écrit de Ferney montre une grande admiration pour V*.

vi A Châtelaine, république de Genève ; l'un des entrepreneurs de spectacle est Saint Géran (cf. lettre du 24 juin) qui, selon V*, possède le théâtre de Chatelaine. V* vient d'achever la construction de son nouveau théâtre à Ferney.

vii D'Argental informera V* que Lekain « a accordé trois représentation à Besançon, qui lui ont été demandées par Mme de Ségur avec les instances les plus vives. »

viii A savoir, comment a été accueillie sa Lettre ... à l'Académie française lue dans cette Académie à la solennité de la Saint Louis, le 25 août 1776, dirigée contre le panégyrique de Shakespeare fait par Le Tourneur.

Le même jour, d'Alembert se fait « un plaisir de rendre compte de son succès » : « Vos réflexions ont fait très grand plaisir et ont été fort applaudies ; les citations ... ont fort diverti l'assemblée. On m'en a fait répéter plusieurs endroits, et les gens de goût ont surtout écouté la fin avec beaucoup d'intérêt. Je n'ai pas besoin de vous dire que les Anglais qui étaient là sont sortis mécontents, et même quelques Français qui ne se contentent pas d'être battus par eux sur terre et sur mer, et qui voudraient encore que nous le fussions sur le théâtre ... » Cf. lettres des 19 et 30 juillet à d'Argental et 13 août à d'Alembert.

ix Pour les avantages demandés à Turgot et accordé pour le pays de Gex : rachat du monopole du sel aux fermiers généraux, suppression des corvées, ... Turgot a dû démissionner le 11 mai 1776 ; cf. lettre à Turgot du 18 mai et à Christin du 30 mai.

Voir aussi lettres du 29 août 1775 à Moultou, 31 août à de Vaines, 8 octobre et 8 décembre à Turgot, 14 décembre à Mme de Saint-Julien, 8 janvier 1776 à Chabanon, 27 janvier à Condorcet,...

x Une maladie « de poitrine » ; elle ne partit pas .

26/08/2010

comment voulez-vous que j'oublie la manière barbare dont j'ai été traité dans mon pays ?

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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

 

A Berlin ce 28 août [1750]

 

Jugez en partie, mes très chers anges, si je suis excusable. Jugez-en par la lettre [i] que le roi de Prusse m'a écrite de son appartement au mien, lettre qui répond aux très sages et très éloquentes et très fortes raisons que ma nièce alléguait sur un simple pressentiment. Je lui envoie cette lettre, qu'elle vous la montre, je vous en prie, et vous croirez lire une lettre de Trajan ou de Marc-Aurèle. Je n'en ai pas moins le cœur déchiré. Je me livre à ma destinée et je me jette la tête la première dans l'abîme de la fatalité qui nous conduit tous. Ah ! mes chers anges, ayez pitié des combats que j'éprouve et de la douleur mortelle avec laquelle je m'arrache à vous. J'en ai presque toujours vécu séparé, mais autrefois, c'était la persécution la plus injuste, la plus cruelle, la plus acharnée. Aujourd'hui , c'est le premier homme de l'univers, c'est un philosophe couronné qui m'enlève.

 

Comment voulez-vous que je résiste, comment voulez-vous que j'oublie la manière barbare dont j'ai été traité dans mon pays ? Songez qu'on a bien pris le prétexte du Mondain, c'est à dire du badinage le plus innocent (que je lirais à Rome au pape) ; que d'indignes ennemis et d'infâmes superstitieux ont pris, dis-je, ce prétexte pour me faire exiler ?[ii] Il y a quinze ans, direz-vous que cela s'est passé. Non, mes anges, il y a un jour, et ces injustices atroces sont toujours des blessures récentes. Je suis, je l'avoue, comblé des bienfaits de mon roi. Je lui demande, le cœur pénétré, la permission de le servir en servant le roi de Prusse son allié et son ami [iii]. Je serai toujours son sujet, mais puis-je regretter les cabales d'un pays où j'ai été si mal traité ? Tout cela ne m'empêcherait pas de songer à Zulime, à Adélaïde, à Aurélie [iv]. Mais je n'ai point ici les deux premières. Je comptais en partant n'être auprès du roi de Prusse que six semaines . Je vois bien que je mourrai à ses pieds. Sans vous que je serais heureux de passer dans le sein de la philosophie et de la liberté de penser auprès de mon Marc Aurèle le peu de jours qui me restent ! Mais on ne peut être heureux. Adieu, je ne vous parlerai ni de l'opéra de Phaéton,[v] ni du spectacle du combat de dix mille hommes, ni de tous les plaisirs qui ont succédé ici aux victoires. Je ne suis rempli que de la douleur de m'arracher à vous . Que madame d'Argental conserve sa santé, que M. de Choiseul, M. l'abbé de Chauvelin fassent à Neuilly des soupers délicieux, que M. de Pont de Veyle se souvienne de moi avec bonté. Adieu divins anges, adieu.

 

Il n'y a pas moyen de tenir au carrousel que je viens de voir. C'était à la fois le carrousel de Louis XIV et la fête des lanternes de la Chine. Quarante six mille petites lanternes de verre éclairaient la place, et formaient dans les carrières où l'on courait une illumination bien dessinée. Trois mille soldats sous les armes bordaient toutes les avenues, quatre échafauds immenses fermaient de tous [vi] côtés la place. Pas la moindre confusion, nul bruit, tout le monde assis à l'aise, et attentif en silence comme à Paris à une scène touchante de ces tragédies que je ne verrai plus, grâce à ... Quatre quadrilles, ou plutôt quatre petites armées, de Romains, de Carthaginois, de Persans et de Grecs, entrant dans la lice, et en faisant le tout au bruit de leur musique guerrière, la princesse Amélie [vii] entourée des juges du camp et donnant le prix . C'était Vénus qui donnait la pomme [viii]. Le prince royal a eu le premier prix. Il avait l'air d'un héros des Amadis. On ne peut pas se faire une juste idée de la beauté, de la singularité de ce spectacle, le tout terminé par un souper à dix tables et par un bal. C'est le pays des fées. Voilà ce que fait un seul homme . Ses cinq victoires et la paix de Dresde étaient un bel ornement à ce spectacle. Ajoutez à cela que nous allons avoir une compagnie des Indes [ix]. J'en suis bien aise pour nos bons amis les Hollandais . Je crois que M. de Pont-de-Veyle avouera sans peine que Frédéric le Grand est plus grand que Louis XIV. Il serait cent fois plus grand que je n'en aurais pas moins le cœur percé d'être loin de vous.

 

V. »

iLettre du 23 août 1750 à laquelle V* fera référence à plusieurs reprises lors des dissensions.

Frédéric écrit : « Comment pourrais-je vouloir l'infortune d'un homme que j'estime et qui me sacrifie sa patrie et tout ce que l'humanité a de plus cher ? », puis finit par : « Je suis fermement persuadé que vous serez fort heureux ici tant que je vivrai ... et que vous trouverez en moi toutes les consolations qu'un homme de votre mérite peut attendre de quelqu'un qui l'estime ... »

ii Allusion aux ennuis de la fin 1736 ; cf. lettre du 9 décembre 1736 à d'Argental : « qu'un ouvrage aussi innocent que Le Mondain avait servi de prétexte à quelques uns de mes ennemis, ... », à Damilaville le 8 décembre 1736 : « Faire à un homme un crime d'avoir dit qu'Adam avait les ongles longs, et traiter cela sérieusement d'hérésie ! »

NDLR : Jugez vous-même : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-epitre-le-monda...

 

iii Cf. lettre à d'Argental du 21 août.

iv Rome sauvée.

vCf. la lettre du 21 août et comparer avec celle censée être du 22 à Mme Denis.

vi Selon l'édition de Kehl ; sur le manuscrit original, deux mots sont illisibles ; le manuscrit est inaccessible.

vii Une des sœurs de Frédéric.

viii « Et Vénus qui donnait la pomme .» est le dernier vers du quatrain impromptu que V* composa à cette occasion et sera publié dans le Journal historique des fêtes que le Roi a données ... au mois d'août 1750, puis dans les gazettes.

ix Une « société marchande » doit s'établir à Emden sous la protection du roi de Prusse, avec un statut de « compagnie royale asiatique » officiellement déclarée le 22 septembre.

25/08/2010

On n'avait donné que quelques soufflets au genre humain dans ces archives de nos sottises, nous y ajoutons force coups de pied dans le derrière

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Un coup de pied dans la montagne : http://www.deezer.com/listen-2157193 , ça soulage aussi ! Volti n'a pas hésité à cogner sur ces montagnes d'injustice, d'intolérance, de fanatisme : Ecr[asons] l'Inf[âme] , encore et toujours ;

 

 

 

 

« A Jacob Vernes

ministre à Céligny.

 

 

Ferney 25è auguste 1761

 

Je suis très fâché, Monsieur, que vous soyez si éloigné de moi. Vous devriez bien venir coucher à Ferney, quand vous ne prêchez pas. Il ne faut pas être toujours avec son troupeau, on peut venir voir quelquefois les bergers du voisinage .

 

Je n'ai point lu L'Âme de M. Charles Bonnet [i]. Il faut qu'il y ait une furieuse tête sous ce bonnet-là, si l'ouvrage est aussi bon que vous le dîtes. Je serai fort aise qu'il ait trouvé quelques nouveaux mémoires sur l'âme. Le 3è chant de Lucrèce me paraissait avoir tout épuisé. Je n'ai pas trop actuellement le temps de lire des livres nouveaux.

 

A l'égard de messieurs les traducteurs anglais, ils se pressent trop. Ils voulaient commencer par l'Histoire générale, on leur a mandé de n'en rien faire, attendu que Gabriel Cramer et Philibert Cramer vont en donner une nouvelle édition un peu plus curieuse que la première [ii]. On n'avait donné que quelques soufflets au genre humain dans ces archives de nos sottises, nous y ajoutons force coups de pied dans le derrière. Il faut finir par dire la vérité dans toute son étendue. Si vous veniez chez nous, je vous ferais voir un petit manuscrit indien de trois mille ans [iii], qui vous rendrait très ébahi.

 

Venez voir mon église,[iv] elle n'est pas encore bénite, et on ne sait encore si elle est calviniste ou papiste. En attendant, j'ai mis sur le frontispice Deo soli, voyez si vos damnés de camarades ne devraient pas avoir plus de tendresse pour moi qu'ils n'en ont. Votre plaisant arabe m'a abandonné tout net depuis qu'il est de la barbare compagnie. Il suffit d'entrer là pour avoir l'âme coriace. Ne vous avisez jamais d'endurcir votre joli petit caractère quand vous serez de la vénérable [v]. Je vous embrasse en Deo solo.

 

Mes compliments à Mme Volmar et à son faux germe.[vi]

 

V. »

i Essai analytique sur les facultés de l'âme, 1760.

ii Cf. lettre au Journal encyclopédique du 3 mars 1761.

iii Allusion à l'Ezour -Veidam que V* croit très précieux ; cf. lettres au Journal encyclopédique du 3 mars 1761 et Deshauterayes du 21 décembre.

iv V* et les difficultés rencontrées pour cette construction : cf. lettre aux d'Argental du 21 juin.

v La Vénérable Compagnie des pasteurs de Genève ; Vernes deviendra pasteur à Genève en 1770.

vi Dans

La Nouvelle Héloïse : Mme de Wolmar = « Mme Volmar ».

24/08/2010

Le vieux malade des Alpes fait mille compliments

Une illustration d'un évènement majeur de notre histoire de France : le massacre de la Saint Barthélémy, qui rendit malade Volti chaque 24 août de sa vie

Massacre_saint_barthelemy.jpg

 

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 Scoop : Jean-Marie il est malade !

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« A Jacques Lacombe

 

24è auguste 1772, à Ferney

 

Le vieux malade des Alpes fait mille compliments à monsieur de Lacombe sur le succès de son Mercure,[1] et lui renouvelle tous les sentiments d'estime et d'amitié qu'il a depuis longtemps pour lui.

 

Il paraît à ce vieux malade qu'au lieu des petits romans et des petites pièces assez insipides, dont votre [2] Mercure est obligé de se charger quelquefois malgré lui, il ne serait pas mal de mettre l'extrait des procès qui sont des plus intéressants. On envoie à Monsieur de Lacombe ces deux Essais [3]. Il en fera ce qu'il pourra. Le vieux malade lui est sincèrement attaché. »

 

1Lacombe détient le privilège du Mercure depuis juillet 1768.

2« votre » ou « tout » : mot raturé illisible dans le manuscrit.

3Deux exemplaires de l'Essai sur les probabilités en fait de justice, écrit à la suite de l'affaire Morangiès.

23/08/2010

un confesseur, un martyr de la Constitution , que j'ai vu quelque temps fort amoureux, et dont sa maitresse était aussi mécontente que ses créanciers.

"Les saints sont d'étranges gens."

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Et je dirais même plus , ce monde est une terre de contrastes , sans doute comme le monde à venir :

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« A Marie-Ursule de Klinglin, comtesse de Lutzelbourg

 

Aux Délices, 23 août 1756

 

Dîtes-moi donc, vous qui êtes sur les bords du Rhin, si notre chère Marie-Thérèse,[i] impératrice reine, dont la tête me tourne, prépare des efforts réels pour reprendre la Silésie. Voila un beau moment ; et si elle le manque, elle n'y reviendra plus. Ne seriez-vous pas bien aise de voir deux femmes, deux impératrices,[ii] peloter un peu notre grand roi de Prusse, notre Salomon du Nord ? Pour moi, dans ma douce retraite, au bord de mon lac, je ne sais aucune nouvelle ; je n'apprends rien que par les gazettes . Elles me disent qu'on coupe des têtes en Suède [iii]; mais elles ne me disent rien de cette reine Ulrique que j'ai vue si belle, pour qui j'ai fait autrefois des vers, et qui, sans vanité, en a fait aussi pour moi [iv]. Je suis très fâché qu'elle se soit brouillée si sérieusement avec son parlement. Le nôtre fait, dit-on, des remontrances pour une taxe sur les cartes, et brûle des mandements d'évêque. On vous envoie dans votre Alsace un confesseur,[v] un martyr de la Constitution [vi], que j'ai vu quelque temps fort amoureux,[vii] et dont sa maitresse était aussi mécontente que ses créanciers. Les saints sont d'étranges gens. Portez-vous bien, Madame ; faites du feu dès le mois de septembre. Traitez le climat du Rhin comme je traite celui du lac. Vivez avec une amie charmante. Souvenez-vous quelquefois de moi. Mme Denis et moi nous vous présentons nos respects. Il est triste pour nous que ce soit de loin.

 

V. »

 

iA Thiriot, le 9 août : « L'impératrice-reine m'a fait dire des choses très obligeantes . Je suis pénétré d'une respectueuse reconnaissance. »

A d'Argental, le 13 septembre : « On dit que Marie-Thérèse est actuellement l'idole de Paris et que toute la jeunesse veut actuellement s'aller battre pour elle en Bohème. »

ii Le 25 mars 1756, les deux impératrices, Marie-Thérèse d'Autriche et Élisabeth, tsarine de Russie, ont conclu une alliance défensive et offensive contre Frédéric, elle deviendra effective le 2 février 1757.

iii Les États ayant réduit à rien l'autorité du roi, la reine Ulrique avait poussé à la révolte de jeunes nobles qui furent torturés et décapités le 13 juillet. Le 27 juin, à de Brenles : « Ceux qui aiment la liberté ne regrettent pas le petit exemple que la Suède vient de donner aux despotes. Je le regrette à cause de Sa Noble Majesté Ulrique ... »

iv La reine Louise-Ulrique était une des sœurs de Frédéric. V* fit des vers pour elle pendant et après son séjour de 1743 en Prusse, puis en mai 1745, en avril et août 1751, février 1752. Elle lui envoya le 11 octobre 1743 quinze vers se terminant par : «  Le hasard fait les Rois, la vertu fait les Dieux », et en 1749, sans doute, un sizain : « De l'esprit redoutons l'empire / D'un amant tel que vous le prestige est trop fort ... »

v Poncet de La Rivière, évêque de Troyes, exilé à l'abbaye de Morbach, un de ses mandements ayant été condamné le 12 avril à être brûlé.

vi A savoir la bulle Unigenitus.

vii A Lunéville.

Dans ses Mémoires , V* dit qu'il tomba amoureux de Mme de Boufflers, maîtresse du roi Stanislas.

22/08/2010

ma vie est consacrée au travail et à la vérité.

 

 

 

 

« A Frédéric II, roi de Prusse

 

A Colmar 22 août 1754

 

Sire,

 

Je prends encore la liberté de présenter à Votre majesté un ouvrage [i] qui, si vous daigniez l'honorer d'un de vos regards, vous ferait voir que ma vie est consacrée au travail et à la vérité. Cette vie toujours retirée et toujours occupée au milieu des maladies, et ma conduite jusqu'à ma mort vous prouveront que mon caractère n'est pas indigne des bontés dont vous m'avez honoré pendant quinze années.

 

J'attends encore de la générosité de votre âme que vous ne voudrez pas remplir mes derniers jours d'amertume.

 

Je vous conjure de vous souvenir que j'avais perdu mes emplois [ii] pour avoir l'honneur d'être auprès de vous, et que je ne les regrette pas, que je vous ai donné mon temps et mes soins pendant trois ans, que je renonçai à tout pour vous, et que je n'ai jamais manqué à votre personne.

 

Ma nièce qui n'a été malheureuse que par vous,[iii] et qui certainement ne mérite pas de l'être , qui console ma vieillesse et qui veut bien prendre soin de ma malheureuse santé et des biens que j'ai auprès de Colmar,[iv] doit au moins être un objet de votre bonté et de votre justice.

 

Elle est encore malade de l'aventure affreuse qu'elle essuya en votre nom. Je me flatte toujours que vous daignerez réparer par quelques mots de bonté des choses qui sont si contraires à votre humanité et à votre gloire [v]. Je vous en conjure par le véritable respect que j'ai pour vous. Daignez vous rendre à votre caractère encore plus qu'à la prière d'un homme qui n'a jamais aimé en vous que vous même, et qui n'est malheureux que parce qu'il vous a assez aimé pour vous sacrifier sa patrie. Je n'ai besoin de rien sur la terre que votre bonté, croyez que la postérité dont vous ambitionnez et dont vous méritez tant les suffrages ne vous saura pas mauvais gré d'une action d'humanité et de justice.

 

En vérité si vous voulez faire réflexion à la manière dont j'ai été si longtemps attaché à votre personne, vous verrez qu'il est bien étrange que ce soit vous qui fassiez mon malheur. Soyez très persuadé que celui que vous avez rendu si malheureux aura jusqu'à son dernier moment une conduite digne de vous attendrir.

 

V. »

 

i Troisième volume de l'Histoire universelle.

ii Il a gardé son titre de gentilhomme ordinaire de la Chambre du roi, mais perdu sa charge d'historiographe.

iii L'avanie de Franfort ; cf. lettre du 20 juin 1753 à la margravine et du 8 juillet 1753 au Conseil de Francfort.

iv Il a une hypothèque sur les terres du duc de Wurtemberg et il « supplie » le duc, le 7, de faire établir le contrat au nom de Mme Denis.

v Frédéric ne le fit pas .

les mauvais auteurs ne poursuivent point une femme, ils font pour elle de plats madrigaux

 

 

 

 

« A Marie-Louise Denis

 

A Berlin 22 août 1750

 

Je reçois votre lettre du huit, en sortant de Phaéton. C'est un peu Phaéton travesti [i]. Le roi a un poète italien nommé Villati à quatre cents écus de gage. Il lui donne des vers pour son argent, qui ne coûtent pas grand chose ni au poète ni au roi. Cet Orphée prend le matin un flacon d'eau de vie au lieu d'eau d'Hippocrène, et dès qu'il est un peu ivre les mauvais vers coulent de source. Je n'ai jamais rien vu de si plat dans une si belle salle. Cela ressemble à un temple de la Grèce et on y joue des ouvrages tartares . Pour la musique on dit qu'elle est bonne. Je ne m'y connais guère ; je n'ai jamais trop senti l'extrême mérite des doubles croches . Je sens seulement que la signora Astrua et i signori castrati ont de plus belles voix que vos actrices , et que les airs italiens ont plus de brillant que vos ponts-neufs [ii] que vous nommez ariettes. J'ai toujours comparé la musique française au jeu de dames et l'italienne au jeu des échecs. Le mérite de la difficulté surmontée est quelque chose. Votre dispute contre la musique italienne est comme la guerre de 1701. Vous êtes seuls contre toute l'Europe.

 

Mme la margrave de Bayreuth voudrait bien attirer Mme de Graffigny auprès d'elle, et je lui propose aussi le marquis d'Adhémar. Il n'y a point ici de place pour lui dans le militaire. Il faut de plus savoir bien l'allemand et c'est le moindre des obstacles. Je crois que pendant la paix il n'y a rien de mieux à faire qu'à se mettre à la cour de Bayreuth. La plupart des cours d'Allemagne sont actuellement comme celles des anciens paladins aux tournois près ; ce sont de vieux châteaux où l'on cherche l'amusement. Il y a là de belles filles d'honneur, de beaux bacheliers ; on y fait venir des jongleurs. Il y a dans Bayreuth opéra italien et comédie française avec une jolie bibliothèque dont la princesse fait un très bon usage. Je crois en vérité que ce sera un excellent marché dont ils me remercieront tous deux. Pour Mme la Péruvienne,[iii] elle est plus difficile à transplanter. La voilà établie à Paris avec une considération et des amis qu'on ne quitte guère à son âge. Je me fais là mon procès, mais, ma chère enfant, les mauvais auteurs ne poursuivent point une femme, ils font pour elle de plats madrigaux, mais ils feront éternellement la guerre à leur confrère l'auteur de La Henriade. Les inimitiés, les calomnies, les libelles de toute espèce, les persécutions sont la sûre récompense d'un pauvre homme assez malavisé pour faire des poèmes épiques et des tragédies. Je veux essayer si je trouverai plus de repos auprès d'un poète couronné qui a cent cinquante mille hommes, qu'avec les poètes des cafés de Paris. Je vais me coucher dans cette idée.[iv] »

 

iExemple de lettre réécrite en Alsace, à comparer par le ton à celle du 21 aux d'Argental ou à celui de la lettre du 28 où il parle aussi de Phaéton. C'est le ton de ses Mémoires où il parle aussi du poète italien et des opéras dont il fait les livrets.

ii Chansons populaires sur un air très connu.

iii Mme de Graffigny est auteur des Lettres d'une Péruvienne.

iv Ce qui n'est pas du tout le reflet des inquiétudes qu'on lit dans la lettre de la veille aux d'Argental. Il n'est pas question de l'établissement en Prusse de Mme Denis, alors que les d'Argental étaient invités à « la disposer ». Cette lettre ici devrait plutôt la décourager. Aucun rapport avec ces « tableaux admirables », ces « portraits flatteurs » que d'Argental reprocha à V* de faire à sa nièce dans les lettres authentiques de cette période. C'est sans conteste une lettre réécrite après l'avanie de Francfort.