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12/01/2016

d'autant plus dangereux qu'il cite toujours avec une fidélité scrupuleuse , et qu'il détruit l'ancien par le nouveau , et le nouveau par l'ancien

... Ce qui fait que bon nombre de nos chefaillons de partis n'ont pas de dangerosité réelle tant ils sont approximatifs dans leurs critiques des bords opposés . L'à-peu-près règne au pays des politiciens  à l'égal de propos de comptoir chez Dudule .

 

 

« A Anne-Robert-Jacques Turgot

Au château de Ferney pays de Gex

12 janvier 1761

Je n'ai rien de plus pressé monsieur que de vous parler de vous . Soyez très sûr que quand j'ai fait votre sauce 1 à M. D.. , ce n'était qu'en réponse à l'éloge très discret qu'il m'avait fait de vous . Que votre pudeur ne soit point alarmée . Nous chérissons vos faveurs, mais nous ne nous en vantons pas .

L’aventure de saint Grizel 2 intéresse beaucoup un de nos frères . Il y avait un digne homme qui nichait ce Grizel avec le bienheureux Fantin 3, saint Gauchat, saint Chaumé 4, le docteur Guyon, e tutti quanti . J'ai vu cet ouvrage instructif . Mais j'ai trouvé erreur dans les notes . Elles disent que les 50 mille livres avaient été volées pour l'amour de Dieu à Mme d'Egmont et suivant votre leçon c'est un intendant qui les a fournies . Je ne croyais pas que les intendants fussent si sots . Mais l'aventure d'Origène me fait tomber des nues . Un intendant châtré !5 Cela est incroyable . Comment le maréchal de Richelieu souffre-t-il cela dans son gouvernement ? C'est Dieu qui tolère Baal . Je n'ose vous supplier monsieur de daigner me donner des instructions sur ces divines aventures . Mais vous pouvez communiquer vos lumières à M. Da … et j'aurai par là le double esprit d’Élisée .

J'ai lu un livre abominable intitulé Lettre à l'auteur de l'Oracle . Ce livre est d'autant plus dangereux qu'il cite toujours avec une fidélité scrupuleuse , et qu'il détruit l'ancien par le nouveau , et le nouveau par l'ancien avec des armes si terribles qu'on ne peut lui répondre que par un autodafé . Je voudrais bien connaître un si méchant homme pour avoir de lui l'opinion qu'il mérite, et pour le fuir, si jamais je le rencontre .

Je vous demande pardon monsieur de ne vous avoir point parlé de la petite fille du grand Corneille . Je n'étais pas encore sûr qu'on me laissât ce dépôt et je devais craindre que quelque grande dame ne fît ce qu'on m'a laissé faire, mais pour vous montrer que je ne suis point du tout modeste, je me vante à vous, d'avoir chassé les jésuites d'un domaine qu'ils avaient usurpé à ma porte sur six gentilshommes qui ont à peine de quoi servir le roi, et d'avoir fait rendre à des orphelins le bien que les saints leur ravissaient . Je me vante de faire envoyer incessamment aux galères un Grizel de nos cantons . Pardonnez à mon excès d'amour-propre .

Je vous supplie monsieur de me conserver vos bontés auprès de M. de Montigny-Trudaine . Il y a du malentendu dans cette affaire comme dans bien d'autres . Le conseil renvoie aux intendants, et les intendants au conseil, et cependant une province est pillée . Mais conservez-moi surtout vos bontés auprès de celui qui a fait le voyage du Suisse 6. C'est assurément un homme supérieur, et jamais la raison ne fut plus aimable . Je suis homme à le lui dire en face, s'il se fâche .

Mme Denis se souviendra de vous toute sa vie et moi je serai toute la mienne rempli pour vous du respect le plus vrai, et le plus tendre .

V.

On a donné certainement vos livres à Tournes .»

 

1 Faire sa sauce à quelqu'un est une expression chère aux burlesques, qui signifie réprimander ; on en trouve un exemple dans L’Iliade travestie de Marivaux, 1716 .

2 Joseph Grisel .

3 Un des personnages préféré comme cible par V* ; voir lettre du 12 juillet 1760 à Palissot :

et la Lettre sur les panégyriques écrite sous le nom de d'Irénée Aléthés :

4 Chaumeix .

5 Qui passe pour s'être châtré lui-même .

6 Tourny .

 

nos curés assassinent, et donnent des billets de garantie pour l'autre monde à leurs complices

... Doux Jésus ! qu'apprends-je ? Heureusement ils ne font pas couler le sang directement, mais c'est limite chez certains fanatiques intégristes qui excitent des gogos béats contre tout ce qui sort de leurs ridicules certitudes .

 

« A David-Louis-Constant de Rebecque, seigneur d'Hermenches

A Ferney 12 janvier [1761]

Voici monsieur les tragédies que nous jouons dans le pays de Gex 1. Les cagots de Genève nient la divinité de Jésus-Christ, mais nos curés assassinent, et donnent des billets de garantie pour l'autre monde à leurs complices , ce qui est prouvé depuis l'impression du mémoire ci-joint . Apparemment que notre curé ne croit pas les peines éternelles . Je prends à cœur cette petite affaire qui s'est passée aux confins de mes petits ermitages . La justice de Dieu est lente, celle de Gex est pis . Je n'ai pas un moment à moi . Mme Denis vous renouvelle son tendre attachement , j'y joins mes respects pour votre famille et pour vos amis .

Vraiment Tancrède n'est pas prêt . »

1 La « petite affaire » est celle de Croze bastonné par le curé Ancian et complices .

 

11/01/2016

Il faut exciter le cri du public et que ce cri réveille les juges .

... Auparavant "Il faut reconnaître les méchants ."

 

 

« A Gabriel Cramer

[11 janvier 1761 ?] 1

Je vous prie mon cher Gabriel de m'envoyer quatre douzaines d'exemplaires de ce mémoire . Il est d'une importance extrême . Il faut exciter le cri du public et que ce cri réveille les juges . On se plaint beaucoup du procureur du roi . Le mémoire le fera rougir et la crainte lui fera faire son devoir . On sait assez à qui le curé de Moens donna de l'argent quand il se fit résigner cette cure par son prédécesseur mourant . Le mémoire est nécessaire pour l'évêque et pour le public, s'il ne l'est pour les juges . Opportes malos cognosci 2. D'ailleurs , remarquez que Croze père ne fait que rapporter ce qu'on lui a dit, et que son mémoire est entièrement conforme à ma déposition et à celle de la veuve . Je vous conjure de presser .

Quand vous pourrez m'envoyer les épreuves de Tancrède et compagnie vous me ferez plaisir .

Ayez la bonté de me renvoyer la minute signée de Croze . »

1 Datée d'après le billet du 3 janvier 1761 au même .

2 Il faut reconnaître les méchants .

 

je me moque de tout le reste , et même assez violemment . J'ai souffert trop longtemps

...

 

 

« A Nicolas-Claude Thieriot 1

Reçu le Monde 2 et la lettre du primat des Gaules 3; il y a plus de deux mois, mon cher ami que j'ai chez moi cette lettre in-4° marginée ; sachez qu'en poursuivant frère Berthier je suis fort bien auprès de mon primat, très bien avec mon évêque ; incessamment je serai le favori de l'archevêque de Paris, et si vous me fâchez, je le serai du pape . Vous verrez bientôt une très singulière épître à Clairon 4; je la loue comme elle le mérite ; je fais l'éloge du roi, et c'est mon cœur qui le fait, je me moque de tout le reste , et même assez violemment . J'ai souffert trop longtemps ; je deviens Minos dans ma vieillesse, je punis les méchants . Envoyez-moi s'il vous plait le livre des impôts 5, et écrivez à votre ami .

V.

17è janvier 1761, au château de Ferney par Genève.

N.B. – Je suis bien content de l'acquisition de Mlle Corneille ; elle fait jusqu'à présent l’agrément de notre maison ; il est honteux pour la France, que quelque grande dame ne l'ait pas prise auprès d'elle . »

1 L'édition de Kehl et suivantes, fondent dans cette lettre une partie de celle du 13 janvier 1761 à Thieriot et Damilaville :

2 Voir lettre d'été 1760 à Jean-François de Bastide ; Bastide avait publié huit volumes du i. 1758-1760, que suivirent deux volumes du Monde comme il est , 1760 et deux volumes du Monde, 1761

3 Voir lettre du 15 décembre 1760 à JR Tronchin :

4 Publiée sous le titre d’Épître à Mlle Clairon .

5 Voir lettre du 22 décembre 1760 à Damilaville ; l'ouvrage, un de ceux qui fondent la physiocratie, attaque violemment les fermiers généraux, et valut à son auteur, Victor Riquetti, marquis de Mirabeau , une semaine d'emprisonnement à Vincennes, suivie d'un exil dans sa maison de campagne de Bignon où se constitua l’école des physiocrates .

 

il s'agit de vér... Ce n'est pas pour moi, Dieu merci ; mais ce n'est pas non plus pour ma nièce

... Vérité ? que nenni !

Vérole ? Oui da ! Comme le chantait si bien le grand Georges "Madame la marquise m'a filé des morpions " et plus si affinité . Dr Fleming vous fûtes le bienvenu , alleluhia !

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

11 janvier 1761 1

Je vous envoie toujours, monsieur, mes lettres ouvertes : tout doit être commun entre amis . Celle que je prends la liberté de vous envoyer pour M. Bagieu est pourtant cachetée ; mais c'est qu'il s'agit de vér... Ce n'est pas pour moi, Dieu merci ; mais ce n'est pas non plus pour ma nièce, ce n'est pas pour Mlle Corneille que je tiens plus pucelle que la Pucelle d'Orléans, et qui est beaucoup plus aimable ; c'est pour un officier de mes parents dont je prends soin, et que j'ai laissé aux Délices, injustement soupçonné et mourant . Pardonnez donc la liberté que je prends, et continuez moi vos bontés . »

1 L'édition de Kehl fond une bonne partie de cette lettre dans celle du 16 janvier 1761 au même .

 

Mme Denis et moi, monsieur, nous sommes des cœurs sensibles

... Oui madame ! Oups !...

 

« A Jacques Bagieu

Au château de Ferney pays de Gex

par Genève 11 janvier 1761

Mme Denis et moi, monsieur, nous sommes des cœurs sensibles . Vous savez combien votre souvenir nous touche . Nous avons encore avec nous un cœur de 17 ans qui se forme, c'est l'héritière du nom du grand Corneille . C'est avec les ouvrages de son aïeul que nous oublions l'Année littéraire et son digne auteur . Si M. Morand veut aimer les gens de lettres, il ne faut pas qu'il choisisse les pirates des lettres 1.

Permettrez-vous , monsieur, que je vous consulte sur une affaire plus importante ? J'ai auprès de moi un jeune homme de mes parents 2. Il fut attaqué il y a dix huit mois d'un rhumatisme qui ressemblait à une sciatique . Nous l'envoyâmes aux bains d'Aix . Les douleurs augmentèrent . M. Tronchin lui ordonna encore les eaux il y a six mois ; il en revint avec une tumeur sur le fascia lata 3, et toujours souffrant des douleurs d'élancement, se sentant comme déchiré . Il se ressouvint alors, ou crut se souvenir qu'il était tombé à la chasse il y avait deux ans . On lui appliqua les mouches cantharides 4 avant cet aveu, et après cet aveu on en fut fâché . Les douleurs devinrent plus vives, la tumeur plus forte . On jugea que le coup qu'il prétendait s'être donné à la cuisse en tombant de cheval avait pu causer une carie dans le fémur . On lui fit une ouverture de six grands doigts de long, et très profonde . On sonda, on ne put pénétrer plus avant, le pus coula, d’abord assez blanc, ensuite plus foncé, enfin d'une espèce fétide et purulente . Les douleurs furent toujours les mêmes depuis la tête du fémur jusqu'au genou . Ces élancements se sont fait sentir dans l'autre cuisse, celle à laquelle on avait fait l'opération s'est très enflée , l'autre s'est absolument desséchée . Le pus de la plaie est devenu de jour en jour plus fétide, tantôt en grande abondance, tantôt en petite quantité, très souvent la fièvre, des insomnies ; mais toujours un peu d'appétit . On a jugé la tête du fémur cariée et déplacée . Tronchin l'a jugé à mort, le chirurgien qui est assez habile a pensé de même . Il se fit une nouvelle tumeur au dessous de sa plaie il y a quelques jours . Il en coula une grande quantité de sanie purulente, et son appétit augmenta . Ce n'est point au fascia lata que cette tumeur nouvelle a percé , c'est près des muscles intérieurs . Le chirurgien alors s'est avisé de lui demander si quelque temps avant de tomber malade, il n'avait pas mérité la vérole . Il a répondu 5 qu'il avait eu affaire dans Genève à quelques créatures qui pouvaient la donner, mais nul symptôme avant-coureur de cette maladie . Tout se réduit à cette espèce de sciatique ; aucune dartre, aucun bubon, aucune tache, nulle enflure aux aines, sinon l'enflure présente qui va de l'os des iles 6 au pied . La chair de ces parties n'a plus de ressort ; le doigt y laisse un creux . Le pus coule par la nouvelle ouverture, et cependant l’appétit augmente . Il faut quatre personnes pour le porter d'un lit à l'autre . L'atrophie n'est point sur le visage . La parole est libre et quelquefois assez ferme . Voilà son état depuis quatre mois entiers que l'opération fut faite . J'ajoute encore que le coccyx est écorché mais que le peu de sanie qui en sort n'est point de la qualité du pus fétide de la cuisse . On ne sait si on hasardera le grand remède . Pardonnez monsieur ce long exposé . Daignez me communiquer vos lumières . Que pensez vous des dragées de Keizer ? et croyez-vous que Colomb nous ait rendu un grand service par la découverte de l'Amérique 7? Je suis avec toute l'estime qu'on vous doit et j'ose dire avec amitié,

monsieur,

votre très humble et très obéissant serviteur

V. »

 

1 Morand était intime ami de Fréron .

2 Daumart, petit cousin maternel de V*, avait eu un accident de cheval qui devait le laisser infirme cloué au lit jusqu'à sa mort .

3 Le fascia lata est situé dans la cuisse ; fascia= faisceau, paquet et désigne en médecine un tissu fibreux recouvrant un muscle, un organe, etc.

4 Voir lettre du 22 octobre 1760 à Mme de Fontaine :

5 V* avait d'abord écrit répondit .

6 Os iliaque .

7 On pensait que la syphilis était originaire de l'Amérique, et V* reviendra souvent souvent sur ce point, par exemple dans L'Homme aux quarante écus ou Candide . Les dernières découvertes archéologiques (2015) montrent que des cas de cette maladie ont été identifiés sur des squelettes datés de 1320, à Sankt Pölten en Autriche . Le berceau de toutes les maladies dues à une bactérie tréponème semble être en Afrique [cf article de Johanna Gaul, Université de Vienne, Autriche, citée dans Sciences et Vie n° 827 de janvier 2016].

 

10/01/2016

je n'ai jamais trop été du goût de mettre des vers au bas d'un portrait

... Pas plus que des vers au pied d'un cercueil !

 

 

« A Ivan Ivanovitch Schouvalov

Au château de Ferney par Genève

10 janvier 1761 1

Monsieur, je n'ai jamais trop été du goût de mettre des vers au bas d'un portrait ; cependant puisque vous voulez en avoir pour l'estampe de Pierre le Grand, en voici quatre que vous me demandez :

Ses lois et ses travaux ont instruit les mortels ;

Il fit tout pour son peuple, et sa fille l'imite .

Zoroastre, Osiris, vous eûtes des autels :

Et c'est lui qui les mérite .2

Le seul nom de Pierre le Grand, monsieur, vaut assurément mieux que ces quatre vers ; mais puisqu'il y est question de son auguste fille, je demande grâce pour eux .

M. de Soltikoff m'a dit qu'il n'avait aucune nouvelle de M. Puskin, que personne n'en avait eu depuis son départ de Vienne , il est à craindre que dans un voyage il n'ait été pris par les Prussiens ; quoi qu'il en soit, je n'ai encore aucuns matériaux pour le second volume . J'ai déjà eu l'honneur de mander plusieurs fois à Votre Excellence qu'il est impossible de faire une histoire tolérable sans un précis des négociations et des guerres ; mon âge avance, ma santé est faible, j'ai bien peur de mourir sans avoir achevé votre édifice . Ce qui achèverait de me faire mourir avec amertume, ce serait d'ignorer si la digne fille de Pierre le Grand , a daigné agréer le monument que j'ai élevé à l'honneur de son père . L'amour qu'elle a pour sa mémoire me fait espérer qu'elle voudra bien descendre un moment du haut rang où le ciel l'a placée, pour me faire assurer par Votre Excellence qu'elle n'est pas mécontente de mon travail ; c'est ainsi que nos rois ont la bonté d'en user, même avec leurs propres sujets . Les lettres du roi Stanislas que vous avez eu la bonté de m'envoyer, monsieur, sont une preuve de l'état déplorable où il était alors ; je crois que les réponses de l'empereur Pierre le Grand seraient encore plus curieuses . C'est sur de pareilles pièces qu'il est agréable d'écrire l'histoire ; mais n'ayant presque rien depuis la paix de Pruth, il faut que je reste les bras croisés . Quand il plaira à Votre Excellence de me mettre la plume à ma main, je suis tout prêt .

Je présume, monsieur, que vous avez daigné écrire au secrétaire d'ambassade en Hollande, pour faire venir le ballot, que j'ai eu l'honneur d'adresser pour vous, à feu M. le comte de Gollofskin ; je me flatte aussi que vous avez reçu les petits paquets que j'ai adressés en droiture à Votre Excellence par M. le duc de Choiseul, ministre d’État en France, et par M. le comte de Choiseul, ambassadeur de France à Vienne .

Je finis par vous assurer de tous les vœux que je fais pour votre bonheur particulier, et pour la prospérité de vos armes . J'ai l'honneur d'être avec un attachement sincère et respectueux,

monsieur

de Votre Excellence

le très humble et très obéissant serviteur

Voltaire . »

 

1 Les éditions à la suite et comme celle de Kehl omettent toutes l'avant-dernier paragraphe : Je présumme … Vienne .

2 Ces vers reviennent, sous une forme légèrement améliorée, dans la lettre du 30 mars 1761 à Schouvalov : « Ses lois et ses travaux ont instruit les mortels ; / Il les rendit heureux ; et sa fille l'imite ./ Jupiter, Osiris, vous eûtes des auteles / Et c'est lui seul qui les mérite . »