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15/09/2015

Il faut aller à Versailles , il faut être au lever des patronnes et au coucher des patrons

... Et venir, selon l'heure , à scooter avec croissants, ou en voiture officielle avec champagne . Ciao Julie, ciao Fanfoué !

 

« A Théodore Tronchin

[vers septembre 1760]

Mon cher Esculape est toujours bienfaisant . C'est son essence . Je suis sensiblement touché de ce qu'il fait . Je lui représente seulement qu'il n'est point du tout décent qu'on sorte de chez moi sur une espérance qui après tout peut n'être pas remplie , et qu'on soit dans le cas de me reprocher d'avoir renvoyé une personne à qui on doit des égards, pour la laisser solliciter du pain à Paris .

Si monsieur Tronchin veut écrire pour Mme de Muy, et lui demander ses bons offices auprès de M. l'évêque d'Orléans pour en obtenir une pension sur les économats, qui vaque rarement et qu'on donne plus rarement encore à des catholiques, si monsieur Tronchin dis-je a la bonté de solliciter cette grâce, Mlle Bazincourt sera au nombre des personnes qu'il a favorisées et à qui il a fait du bien . Pour moi je ne peux absolument entrer dans cette affaire, ce n'est point à moi à l'engager à partir . Je ne veux pas encore une fois m'exposer au reproche de lui avoir fait quitter le certain pour l'incertain . Si elle va à Paris elle n'aura pas de quoi courir pour solliciter . Il faut aller à Versailles , il faut être au lever des patronnes et au coucher des patrons .

Elle n'est pas assez riche pour aller demander de l'argent à Paris . Six mois en fiacres seulement , mangeraient les pensions qu'elle espère . En un mot, j’admire la bonté de mon cher Esculape . Mais je me lave les mains du bien qu'on veut faire à Mlle Bazincourt, et je ne lui dirai même pas un mot de tout cela 1. Mais je dis à mon cher Tronch[in] qu'il est adorable .

V. »

1 Tronchin réussit dans son entreprise et Mlle Bazincourt retourna à Paris en novembre 1760, voir letttre du 12 novembre 1760 à Chennevières . On n'entendra plus parler d'elle en relation avec V* .

No body rais'd his voice higher than mine in favour of the rights of human-kind . Yet I have not exceeded even on that virtue

...

 

« A George Lyttelton, premier baron Lyttelton 1

I have read the ingenious Dialogues of the dead 2. I find page 134 that I am an exile 3, and guilty of some excesses in writing . I am oblig'd , (and perhaps for the honour of my country) to say I am not an exile, because I have not committed the excesses the author of the dialogues imputes to me .

No body rais'd his voice higher than mine in favour of the rights of human-kind . Yet I have not exceeded even on that virtue .

I am not settled in Switzerland, as he believes. I live in my own lands in France . Retreat is becoming to old age and more becoming in ones own possessions . If I enjjoy a little country-house near Geneva, my mannors and my castles are in Burgundy and if my King has been pleased to confirm the privileges of my lands which are free from all tributes, I am the more addicted to my King .

If I was an exile, I had no obtain'd from my court many a passeport for english noblemen . The service I renderd to them intitles me to the justice I expect from the noble author .

As to religion, I think, and I hope , he thinks with me, that God is, neither a presbiterian, nor a lutherian, nor of the low church, nor of the high church ; but god is the father of all mankind, the father of the noble author and mine .

I am with respect

his most humble serv

Voltaire

gentleman of the King's chamber .

At my castle of Ferney in Burgundy .[vers septembre 1760] 4»

1 Traduction de Kehl : « Du château de Ferney en Bourgogne .

J'ai lu les ingénieux Dialogues des morts, que vous venez de publier . J'y trouve que je suis exilé, et que je suis coupable de quelques excès dans mes écrits . Je suis obligé peut-être pour l'honneur de ma nation, de dire publiquement que je ne suis point exilé, parce que je n'ai pas commis les fautes que l'auteur des dialogues m'impute à son gré . Personne n'a plus élevé sa voix que moi en faveur des droits de l'humanité , et cependant je n'ai jamais excédé même les bornes de cette vertu . Je ne suis point établi en Suisse, comme cet auteur mal instruit le débite ; je vis dans mes terres en France . La retraite convient aux vieillards qui ont assez vécu dans les cours pour les abhorrer et pour les fuir, et qui goûtent une douceur nouvelle de vivre dans la retraite et dans leurs possessions , avec des amis éclairés et fidèles . Il est bien vrai que j'ai une petite maison de campagne auprès de Genève, mais ma demeure et mes châteaux sont en Bourgogne . La bonté que mon roi a eue de confirmer les privilèges de mes terres, qui sont exemptes de toute imposition, m'a encore attaché à sa personne . Si j'avais été exilé, je n'aurais pas obtenu des passeports de ma cour, pour plusieurs seigneurs anglais ; le service que je leur ai rendu, me donne droit à la justice que j'attends de l'auteur des Dialogues . Quant à la religion, je pense et je crois qu'il pense, comme moi, que Dieu n'est ni presbytérien, ni luthérien, ni de la basse ni de la haute Église ; Dieu est le père de tous les hommes, père de milord et le mien . »

2 Les Dialogues of the dead de Lyttelton avaient été publiés en 1760, et deux traductions venaient de paraître sous le même titre de Dialogues des Morts, l'une par Jean Des Champs, l'autre par le professeur de Joncourt .

3 V* fait référence à la version anglaise : «  Voltaire is, I hear, retired from Berlin to the Territory of Geneva . It does great honour to Switzerland, but not much to France, that the finest Wit she left to boast of should chuse a country-house at the foot of the Alps, rather than Paris, or any villa in the neighbouhood of that city, for the retreat of his age . » Plus loin l'auteur dit que V* n'a pas fait preuve de beaucoup de discrétion, et que l'exil ne lui a pas enseigné la sagesse .

Traduction : « Voltaire, à ce que j'entends dire, s'est retiré de Berlin dans le territoire de Genève . C'est un grand honneur pour la Suisse, mais ce n'en est pas un pour la France que le plus grand esprit dont elle puisse encore s'enorgueillir ait choisi une maison de campagne au pied des Alpes plutôt qu'à Paris ou dans une résidence proche de cette cité comme retraite pour ses vieux jours . »

4 Kehl place une traduction de cette lettre en décembre 1760, ce qui paraît un peu tard, mais possible quoique le Journal encyclopédique la cite dès le 15 janvier 1761 .

Défendez-moi du spadassin, je me charge de l'écorcheur

... L'un et l'autre vont sentir ce qu'est le pouvoir d'une plume .

 

« Etienne-François de Choiseul-Stainville, duc de Choiseul

[vers septembre 1760] 1

Monsieur le duc, je ne sais ce que mes oreilles ont fait à MM. de Pompignan, l'un mes les écorche depuis longtemps, l'autre veut me les couper . Défendez-moi du spadassin, je me charge de l'écorcheur ; j'ai besoin de mes oreilles pour entendre tout ce que la renommée dit de vous . »

1 Copie par Wyatt, secrétaire de Mme du Deffand, envoyée à Walpole ; c'est le texte suivi .

Il existe aussi trois éditions qui ont toutes un texte différend . La première est celle des Lettres curieuses, qui donne le texte suivant :

« Je ne sais , monsieur le duc, ce que j'ai fait à MM. Le Franc ; l'un m'écorche tous les jours les oreilles ; l'autre menace de me les couper , je me charge du rimailleur, je vous abandonne le spadassin ; car j'ai besoin de mes oreilles pour entendre tout ce que la renommée publie de vous . »

La seconde est celle de Kehl :

« J'ignore ce que mes oreilles ont pu faire aux Pompignan . L'un mes les fatigue par ses mandements, l'autre me les écorche par ses vers, et le troisième me menace de les couper . Je vous prie de me garantir du spadassin ; je me charge des deux écrivains . Si quelque chose, monseigneur , me faisait regretter la perte de mes deux oreilles, ce serait de ne pas entendre tout le bien que l'on dit de vous à Paris . »

La troisième est constituée par les Mémoires d'un voyageur qui se repose , 1806, de Louis Dutens, à qui la lettre de V* avait été montrée à Chanteloup par la duchesse de Choiseul :

« Je ne sais pas ce que j'ai fait aux frères de Pompignan ; l'un m'écorche les oreilles, et l'autre veut me les couper . Protégez moi, monseigneur, contre l'assassin, je me charge de l'écorcheur , car j'ai besoin de mes oreille pour entendre le bruit de votre renommée , etc. »

Les circonstances à propos desquelles V* écrivit cette lettre sont précisées par Mme du Deffand, dans une lettre à Walpole du 7 janvier 1767 : « Elle n'est pas nouvelle, mais elle l'a été pour moi, car ce n'est que d'avant-hier que j'en ai connaissance . Il l'écrivit sur ce qu'il apprit qu'un capitaine, frère de M. Pompignan, était à Genève, et disait qu'il lui donnerait des coups de bâtons et lui couperait les oreilles »

La première édition ne date pas cette lettre ; la seconde la place avec une autre à Choiseul ( en fait plus tardive) en avril 1763, suivie par les éditions modernes ; une lettre de Formey à Algarotti du 17 septembre 1760 relate l'incident d'où la date ici proposée .

Vous autres hérétiques, vous êtes rétifs, incommunicatifs . Dites à vos prêtres de Genève qu'ils se défassent de ce raide et de ce sec qu'on leur reproche

...

 

« A monsieur le ministre Jacob Vernes

à Genève

[septembre 1760]

Mon cher prêtre de Baal, moi israélite de Juda, je ne connais la Mayer que parce que son mari m'a bu 800 livres, et vous ne connaissez point la Mayer . Je donne une rente à votre hôpital, qui doit avoir soin de vos Mayer . Cependant mon cher prêtre, dès que vous parlez nous sommes tous deux de la même religion .

Vous n'avez pas voulu ou vous n'avez pu m'amener votre prêtre aryen 1. Vous autres hérétiques, vous êtes rétifs, incommunicatifs 2. Dites à vos prêtres de Genève qu'ils se défassent de ce raide et de ce sec qu'on leur reproche, et qu'ils prennent vos mœurs agréables .

V. »

1 Abauzit .

2 Ce mot est un anglicisme notable .

Il est clair comme le jour que le père est plus grand que le fils

... N'est-ce pas mon petit Nicolas ?

 

« A monsieur le ministre Jacob Vernes

[septembre 1760]

A demain donc les barons de Sémigalie 1 à deux heures – mais je voudrais vous voir à toutes les heures . Je ne connais point L’Écossaise, je ne suis point à présent dans le train comique . J'ai fait cette petite histoire, ce petit précis de ce que vous me demandiez . Cela n'est pas long, mais cela est plein . Je présume que vous m’aiderez . Il est clair comme le jour que le père est plus grand que le fils . Nous nous accorderons . »

1Allusion à une répétition de Tancrède ; Sémigalie = Semi Gallia ; « demi-Gaule » car les barons angevins dont il est question sont d'origine française .

le plan du petit château de Ferney que je viens de faire bâtir moi tout seul

... Et qui demande plus de temps à rénover et mettre aux normes qu'à bâtir du temps de Voltaire . Amoureux de Voltaire et de son château, prenons notre mal en patience jusqu'en 2018 .

 

« Au comte Francesco Algarotti

[septembre 1760]

No, no, no, caro cigno di Padua, non o ricevuto le lettere sopra la Russia 1, e me ne dolgo 2. Car si je les avais vues j'en aurais parlé dans une très facétieuse préface où je rends justice à tous ceux qui parlent bien de ce qu'ils ont vu, et où je me moque beaucoup de ceux qui parlent à tort et à travers de ce qu'ils n'ont point vu .

Basta . Ce sera pour l'antiphone 3 du second volume, car vous saurez que n'ayant point encore reçu les mémoires nécessaires pour le complément de l'ouvrage je n'ai pas encore été plus loin que Pultava .

Or su bisogna sapere che vi sono due valenti banchieri a Milano, chiamati Bianchi et Ballestrino 4, e quegli rinomati banchieri sono li correspondanti d'un valente mercante o mercatante di Genevra chiamato Le Fort di quella famiglia di Le Fort la quale ha dato alla Russia il gran' consigliere d'el' gran' Pietro .

Le lettere sopra la Russia non si smarisanno, quando saranno indirizzate d'al Bianchi a un Le Fort . Prenez donc cette voie caro cigno . Godete la vostra bella patria 5. Je vais adresser incessamment à Venise le premier volume russe, par le signor Bianchi . Je serais tenté d'y joindre le plan du petit château de Ferney que je viens de faire bâtir moi tout seul . Les Allobroges me disent que j'ai attrapé le vrai goût d'Italie . Sed non ego credulus illis 6. Mais j'ai bâti aussi une tragédie à l'italienne qu'on joue actuellement à Paris 7. La scène est en Sicile, c'est de la chevalerie, c'est du temps de l'arrivée des seigneurs normands à Naples ou plutôt à Capoue . Il y est question d'un pape 8 qui est nommé sur le théâtre . Cependant les Français n'ont point ri, et les Françaises ont beaucoup pleuré .

Je tiens toujours mes bons parisiens en haleine de façon ou d'autre . J'amuse ma vieillesse . Il n'y a guère de moments vides . Vous êtes , vous, dans la force de l'âge et du génie . Je ne marche plus qu'avec des béquilles et vous courez, et vous allez ferme . E la dame e le muse vi favoriscono a gara . Vive beatus . Have you read Tristram Shandy ? T'is a very unaccountable book ; an original one . They run mad about it in Engalnd .9

Les philosophes triomphent à Paris . Nous avons écrasé leurs ennemis en les rendant ridicules . Vivez beatus 10 vous dis-je .

V. »

 

1Voir lettre du 15 août 1760 au comte Algarotti ; http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/08/15/ridero-in-fino-alla-morte-c-est-un-bien-qui-m-est-du-car-apr-5754723.html

V* accusera réception de l'ouvrage le 28 novembre 1760 .

2 Non, non,non, cher cygne de padoue, je n'ai pas reçu les lettres sur la Russie, et je m'en afflige .

3 Le mot transpose l'italien antifona, en français antienne « hymne qu'on chante avant », c'est-à-dire préface ; voir , en français, le mot antiphonaire .

4V* a écrit en marge ici no-- ma Ballestrerio .

5Or, il faut savoir qu'il y a à Milan deux braves banquiers , nommés Bianchi et Ballestrino, les quels banquiers renommés sont les correspondants d'un franc marchand ou négociant de Genève appelé Le Fort de cette famille des Le Fort qui a donné à la Russie le grand conseiller du grand Pierre . Les lettres sur la Russie ne se perdront pas quand elles sont adressées par un Bianchi à un Le Fort . Prenez donc cette voie , cher cygne . Jouissez de votre belle patrie .

6Mais je ne les en crois pas trop ; Bucoliques, IX, 34, de Vurgile .

7Tancrède avait été créée le 3 septembre 1760 ; la treizième et dernière représentation eut lieu le 4 octobre . la pièce devait être reprise le 26 janvier 1761 et en mars de la même année . Mme du Deffand écrivait le 5 septembre à V* qu'elle y avait « pleuré à chaudes larmes . »

8 Ce pape est Léon IV ; voir Tancrède , a. I, sc. 1 ; on a ici un exemple des « audaces » par lesquelles V* pensait rénover la trégédie classique .

9Et la dame et les muses vous favorisent à l'envi . Vivez heureux . Avez-vous le Tristram Shandy ? C'est un livre impayable, un livre original . Ils en sont tous fous en Angleterre . [Il s'agit de Laurence Sterne , La Vie et les opinions de Tristram Shandy , traduites par M. Joseph-Pierre Frenais, 1760]

10 Heureux .

Non omnibus rideo

... Traduction libre SNCF (Société Nourrissant Certains Fainéants ) : Pas de rodéo dans l'omnibus !

 

« A Théodore Tronchin

[vers le 15 septembre 1760] 1

Je n'aurai pas le dernier . Croyez qu'il y a une très grande différence entre Paris et une petite ville, que la plaisanterie de Hume est fort bonne, et que celle des Dialogues chrétiens est fort triste . Je ris pour Paris , mais je ne ris point pour Genève . Non omnibus rideo 2. Je prends les choses très sérieusement, et je ne veux pas accoutumer des faquins de libraires à abuser de mon nom . Je dirai à Vernet qu'il est un fripon quand il me plaira, mais je ne veux pas qu'on me le fasse dire . Mon cher Esculape, croyez-moi, aimez la franchise de mon caractère . »

1 L'édition Cayrol cite cette lettre en note dans une autre de septembre 1764 .

2 Je ne ris pas de tout .