05/03/2016
J'ai l'Histoire universelle et une demi lieue de pays à défricher, et des marais à dessécher, et un curé à mettre aux galères . Tout cela prend quelques heures d'un pauvre malade
... On n'est riche que de ses amis : https://www.youtube.com/watch?v=jLg6uTT5izo&ebc=ANyPx...
C'est dit !
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
19 mars [1761] à Ferney 1
C'est pourtant aujourd'hui le jeudi de l'absoute mes chers anges, et Lekain n'est point arrivé . J'ai ouï dire des choses qui percent le cœur . Est-il donc bien vrai que Lekain ait été en prison 2 pour n'avoir eu un congé que de M. le duc d'Aumont et pour n'en avoir pris deux ? Mlle Corneille avait appris trois rôles, notre théâtre était tout arrangé, et surtout nous nous attendions à voir Lekain muni de vos lettres et de vos ordres . Toutes ces belles espérances ont été détruites par la noble sévérité du premier gentilhomme de la chambre .
J’espérais encore que Lekain m'apporterait une édition de ce Tancrède qui doit tant à vos bontés, et de cette petite vengeance que j'ai tirée de l'outrecuidance anglaise . Le Prault petit-fils est un petit drôle, il va criant que cette justification de Corneille, que ce plaidoyer contre Shakespeare, que cette préférence donnée à la politesse française sur la barbarie anglaise 3 est un ouvrage de votre créature des Alpes . Ce Prault est peu discret d'avoir dit mon secret 4 . Ce Prault a joué d'un tour à Cramer . Il y a un nouveau tome tout garni de facéties, c'est Candide, Socrate , L’Écossaise, et choses hardies 5. Envoyez-moi ce tome par la poste, écrit Prault à Cramer, afin que je juge de son mérite, et que je voie si je peux me charge[r] de 1500 de vos exemplaires . Cramer envoie son tome comme un sot . Prault l'imprime en deux jours 6, et probablement y met mon nom pour me faire brûler par Omer . Ah mes chers anges que ce coquin ôte mon nom ! Il ne faut pas être brûlé tous les six mois .
Mes chers anges il est vrai que j'ai un beau sujet 7, que je pense pouvoir donner un peu de force à la tragédie française, que j'imagine qu'il y a encore une route, que je ressemble à l'ingénieur du roi de Parsingue 8 qui s'avisait de toutes sortes de sottises . Mais attendons le moment de l'inspiration pour travailler . Je suis à présent dans les horreurs de L'Histoire générale qu'on réimprime . Mais que de changements! le tableau n’était qu'en miniature ; il est en grand . Mes anges verront le genre humain dans toute sa turpitude, dans toute sa démence . Omer frémira . Je m'en moque . Omer n'aura jamais un aussi joli château que moi, ni de si agréables jardins . Des vignes en festons à perte de vue : quatre jardins champêtres aux quatre points cardinaux, la maison au milieu presque rien de régulier Dieu merci . Ma tragédie sera plus régulière, mais aussi neuve .
Laissez-moi faire . Plus je vieillis plus je suis hardi . Mes chers anges soyez aussi hardis, faites jouer Oreste ; faites une brigue je vous en prie, qu'on entende les cris de Clytemnestre, que Clairon et Mesnil joutent, que Lekain fasse frissonner . Les comédiens me doivent cette complaisance ; vous m'allez dire Fanime, Fanime . Eh bien il est vrai que Fanime, Énide, et le père, sont d'assez beaux rôles ; mais l'amant est un benêt, soyez-en sûrs . Il faut que je donne une meilleure éducation à ce fat . Il faut du temps . J'ai l'Histoire universelle et une demi lieue de pays à défricher, et des marais à dessécher, et un curé à mettre aux galères . Tout cela prend quelques heures d'un pauvre malade .
Voici une Épître sur l’agriculture dont vous ne vous soucierez point . Vous n'aimez pas la chose rustique, et j'en suis fou . J'aime mes bœufs, je les caresse, ils me font des mines . Je me suis fait faire une paire de sabots, mais si vous faites jouer Oreste, je les troquerai contre deux cothurnes sous l'ombrage de vos ailes .
V.
Et vos yeux ? Parlez-moi de vos yeux .9
J'ajoute vraiment une requête bien importante à ma très longue lettre ; même deux requêtes, la première, comment puis-je obtenir quelque recommandation auprès de mon nouvel intendant M. de Villeneuve, et qui est ce M. de Villeneuve ? Je suis bien auprès de mon curé, de mon évêque, de mon gouverneur . Il me manque l'intendance . La seconde requête est que Prault petit-fils ne s'avise pas de mettre mon nom ni même un fatal V à un volume que les Cramer lui envoient . Ces Cramer mettent des V très hardiment, ils sont genevois, ils ne craignent rien . Prault petit-fils n'est que français ; il doit être humble, et surtout adroit . Il ne doit point demander de permission, il ne doit point paraître .
Ce volume contient L’Écossaise, Socrate, mais Socrate hardi ; Candide, mais Candide renforcé 10, un chapitre sur la tolérance, un sur les bacheliers et sur les sauvages, un sur les allégories, un sur la pluralité des dieux ; et l'Ecclésiaste, et le Cantique des cantiques avec une préface foudroyante . Je veux bien qu'Omer fasse brûler tout cela, mais je ne veux pas qu'on brûle V . On encagerait le petit-fils Prault, pauvre enfant de Paris qui ne doute de rien et on fermerait sa boutique .
Je supplie instamment mes divins anges d'envoyer chercher le petit-fils et de vouloir bien lui recommander sur les yeux de sa tête de ne point mettre le dangereux V en évidence .
Le titre doit être Nouveau volume pour être joint aux autres . Ce titre est plus piquant, et personne n'est compromis, on ne voit point de V dans les arrêts de parlement . Tout cela est misérable .
Précis de mes humbles requêtes .
À quand Tancrède ?
Protection de M. le duc de Choiseul auprès de M. de Villeneuve .
Remontrances à Prault petit-fils .
Lettre à Pierre Corneille .
Assurance à M. l'abbé de La Tour du Pin 11 que sa nièce ou cousine 12 entend la messe régulièrement comme dans son couvent . »
1 Pour le quantième, V* avait d'abord écrit 18 .
2 Fausse nouvelle .
3 V* a d'abord écrit française rayé .
4 Vers de Quinault dans Alceste , I, 4 : voir page 13 : Céphise : « Lychas est peu discret ... » : https://books.google.fr/books?id=ejxuGzV5Fa4C&pg=PA51...
5 La Seconde suite ; voir lettre du 19 mars 1761 à d’Alembert : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/03/19/ce-qu-il-y-a-de-desesperant-pour-la-nature-humaine.html
6 V* devait avoir reçu des nouvelles inexactes de la Troisième Suite ; voir lettre du 15 mars 1761 à Prault : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/03/02/je-n-avoue-aucune-des-pieces-que-ce-livre-contient-et-que-je-5768313.html
7 Dom Pèdre ; voir page 93 : https://books.google.fr/books?id=hQVBAAAAcAAJ&pg=PA144&lpg=PA144&dq=dom+p%C3%A8dre+voltaire&source=bl&ots=OzLzzxrNks&sig=v1Sojca078mE76QKpDX1ebt2-SI&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwj7hOuXoqjLAhXBApoKHa_FCv0Q6AEIJDAB#v=onepage&q=dom%20p%C3%A8dre%20voltaire&f=false
8 Du roi de Prusse ; on retrouve la même dénomination (imprimée Narsingue) dans le Rescrit de l'empereur de Chine à l'occasion de la paix perpétuelle, que V* écrivait alors à la suite de la publication de l'Extrait du projet de paix perpétuelle de M. l'abbé de Saint-Pierre par P. Rousseau . La référence du Rescrit …. montre que V* désigne Maupertuis « ingénieur » du roi de Prusse .
9 Ici s'arrête la quatrième page, et, conséquemment le texte des éditions antérieures .
10 Précision importante pour l'histoire de Candide .
11 Voir lettre du 16 décembre 1760 aux d'Argental : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance-annee-1760-partie-48-121093171.html
12 Ou cousine est ajouté au-dessus de la ligne .
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04/03/2016
quand on a reçu un sot, il faut avoir un homme d'esprit pour faire le contrepoids
... Si je m'en tiens à cette déclaration, dois-je en conclure que le dernier académicien admis -Andreï Makine- est de l'une ou l'autre sorte, méritant ou usurpateur , je ne sais . Je peux juste, ne l'ayant pas lu, avoir une pensée favorable envers cet auteur qui a usé d'un subterfuge voltairien en 1990 pour se faire -enfin- éditer . Voir : http://www.lemonde.fr/culture/article/2016/03/03/andrei-m...
Et si le sot , ce n'est pas lui , qui est-ce ? je vous laisse le soin de le trouver vous mêmes sous la coupole , selon vos goûts dont je ne discute pas .
« A Claude-Adrien Helvétius
[mars 1761] 1
Mademoiselle 2 protégeait l'abbé Cotin, la reine protège l'abbé Trublet 3. C'est le sort des grands génies .
Principibus placuisse viris non ultima laus est .4
On m'assure cependant que M. Saurin entrera cette fois-ci 5. Cela est juste ; quand on a reçu un sot, il faut avoir un homme d'esprit pour faire le contrepoids . Vous allez sans doute à Vauran 6. Mes respects à Midas Omer 7 avant votre départ , mais mille amitiés réelles à M. Saurin .
Ô philosophes, philosophes, soyez unis contre les ennemis de la raison humaine . Écrasez l'infâme tout doucement . »
1 Manuscrit olographe daté par l'éditeur de mai, puis d'avril 1761, suivi par les éditions ; l'édition Helvétius est non datée et incomplète ; avril est trop tardif puisque saurin n'est pas encore élu .
2 La Grande Demoiselle, duchesse de Montpensier : http://www.chateauversailles.fr/l-histoire/personnages-de-cour/epoque-louis-xiv/la-grande-mademoiselle
et : https://fr.wikipedia.org/wiki/Anne-Marie-Louise_d'Orl%C3%A9ans
3 Trublet venait d'être élu à l'Académie française, où il devait être reçu le 15 avril 1761 .D'Alembert écrivait à V* le 9 mars 1761 : « Je ne voudrais pas jurer qu'à la réception de l'archidiacre de Saint Malo, le public ne nous accueillit avec des sifflets ; il ne ferait que son devoir . En attendant je proteste pour ma part contre cette honteuse acquisition, et je déclare à qui veut l'entendre que l'abbé Trublet n'a point eu ma voix […] . Remerciez , je vous prie, de la belle acquisition que nous venions de faire, votre ami d'Olivet, le petit duc de Nivernois […] l'importune guêpe La Condamine, Mairan le protecteur-né de tous les plats sujets , […] et probablement le bas et insolent Duclos […].
4 Le mérite suprême ne consiste pas à avoir plu aux puissants ; Horace, Épîtres, I, XVII, 35 .
5 Il fut élu le 28mars , puis reçu le 13 avril 1761, c'est ce qui permet en particulier de dater cette lettre .
6 Ou plutôt Voré ; voir : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6514089p.r=
7 A cause de ses oreilles d'âne, bien sûr .
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03/03/2016
je n'avoue aucune des pièces que ce livre contient, et que je les désavoue presque toutes
... Et pour ma part, je reconnais toutes mes notes en liens plus ou moins distendus avec la correspondance de ce maître qu'est Voltaire . De nos jours, la censure, toute bureaucratique qu'elle soit, envoie rarement les auteurs dans des culs de basses fosses . Mais bien sûr je n'en mérite pas tant.
http://lemusclereferencement.com/2015/06/30/comment-trier...
« A Louis-François Prault
[vers le 15 mars 1761] 1
Monsieur Prault doit savoir que le volume à lui envoyé par les frères Cramer 2 est une chose très délicate, qu'il ne faut ni demander une permission ni mettre mon nom à la tête du livre ni la première lettre de mon nom, que le libraire risquerait beaucoup, que je n'avoue aucune des pièces que ce livre contient, et que je les désavoue presque toutes .
En un mot je le prie très instamment d'ôter par M. de V. qu'on a mis très imprudemment . Monsieur Prault y a un intérêt sensible .
Il n'y a qu'à substituer au titre
nouveau volume pour
joindre aux autres
et rien de plus .
J'attends la tragédie de Tancrède . Comment a-t-il pu s'imaginer que je donne Tancrède à d'autres en même temps qu'à lui ?3 »
1 L'édition Cayrol invente la date « 4 janvier » et place la lettre en 1763 . Moland la replace en 1761 . Le livre dont V* a en main un exemplaire fut publié vers le milieu ou la seconde moitié du mois de mars, et cette lettre précède de peu celle du 19 mars 1761 à d'Argental .
2 Il ne peut s'agir que du manuscrit de la Troisième suite des mélanges de poésie, de littérature, d'histoire et de philosophie, 1761, de la Collection complète des œuvres de M. de Voltaire ; première édition . Ce volume qui imite le style typographique des Cramer, n'a rien à voir avec la Seconde suite publiée à [ Genève ]. Voir : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k71878s
3 Prault écrivait le 4 mars : « Si vous n'avez pas reçu plus tôt un exemplaire de votre tragédie permettez-moi de vous rappeler […] que dans le temps je vous demandai la quantité d'exemplaires que vous en désiriez et que vous ne m'avez honoré d'aucune réponse à ce sujet . M. d'Argental […] m'a fait de votre part des reproches […] . Vous en trouverez donc ci-inclus deux exemplaires avec l'imprimé du manuscrit […] . Je ne sais quel termes employer pour vous prier d'accepter mes remerciements et ma reconnaissance . »
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02/03/2016
madame, nous ne manquerons pas de venir vous marquer l'intérêt que nous prenons à votre santé et à l’accroissement de votre famille
.... https://www.youtube.com/watch?v=6sWpLXaMooE&list=RDC0...
Pourquoi elle , pourquoi cette chanson ? parce que j'aime France Gall, et que c'est une des plus belles chansons qui soient .
Pourquoi ici ? parce qu'elle le vaut bien !
« A Catherine-Josèphe de Loras du Saix, baronne de Monthoux
en son château
à Annemasse
Madame, si ma santé me le permettait, j'aurais l’honneur de venir vous présenter mes remerciements, et de recevoir vos ordres ; et Mme Denis partagerait avec moi ces devoirs . Dès que nous pourrons disposer d'un moment, madame, nous ne manquerons pas de venir vous marquer l'intérêt que nous prenons à votre santé et à l’accroissement de votre famille 1; nous viendrons vous dire nous-même que mon nom de baptême est François, et celui de Mme Denis Marie-Louise . Nous faisons bien des vœux pour la prospérité du père et de la mère, et des enfants nés et à naître 2.
J'ai l'honneur d'être avec bien du respect,
madame,
votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire.
Au château de Ferney 12 mars 1761.
Monsieur de Monthoux me fera plaisir de m'envoyer le plus d'avoine qu'il pourra . »
1 Du fait de la naissance de Marie-Louise, le 24 mars 1761 ; voir : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb100378867
2 En effet un enfant naitra encore : Othon-Laurent-François, le 2 juin 1762 : http://gw.geneanet.org/gdelagorce?lang=fr&pz=paul+marie&nz=de+la+gorce&ocz=0&p=othon+laurent+francois&n=de+pougny+de+guillet+de+monthoux
00:41 | Lien permanent | Commentaires (1)
01/03/2016
la Nouvelle Héloïse . On la regarde comme un mélange monstrueux de débauche et de lieux communs de morale, sans intrigue, sans évènements, sans génie, sans intérêts
... Ce foutu Jean-Jacques manque cruellement du sens du rythme et de la mesure, ce qui est un comble pour un musicien (moyen), et ne pardonne pas en littérature ; il serait parfaitement incapable d'écrire le moindre tweet, 140 signes seulement : horreur ! pensez-donc ! lui qui dilue à outrance, et en Suisse bon teint coupe les cheveux en quatre et s'écoute parler .
https://fr.pinterest.com/pin/382031980868809891/
« A Pierre Rousseau
Au château de Ferney, pays de Gex
10è mars 1761
La personne en question a reçu le paquet du 4è mars . Il faut qu'on ait envoyé à Bouillon une copie défigurée . Voici ce que porte l'original que nous avons sous les yeux :
Au camp du roi ses prêtres le portèrent,
Et de leurs pleurs les chemins arrosèrent.
Paul Tirconel, homme en tout violent,
Prenait toujours son parti promptement.
Il détesta depuis cette aventure,
Et femme , et fille, et toute la nature .
Il monte un barbe, et courant sans valets,
L’œil morne et sombre, et ne parlant jamais,
Le cœur rongé, va dans son humeur noire,
Droit à Paris loin des rives de la Loire ;
En peu de jours il arrive à Calais.
etc 1 .
Le manuscrit que nous avons est de l'année 1740, et nous le croyons écrit de la propre main de l'auteur, quel qu'il soit .
On a vu une ode sur la guerre dans le recueil M, cette ode est quatre fois trop longue et pleine de fautes contre la langue ; elle est d'un étranger qui a beaucoup d'esprit .
On est ici entièrement de l'avis de l'auteur du Journal encyclopédique, sur la Nouvelle Héloïse . On la regarde comme un mélange monstrueux de débauche et de lieux communs de morale, sans intrigue, sans évènements, sans génie, sans intérêts ; apparemment que l'auteur du journal n'a parlé dans son extrait contre sa propre pensée, que pour mieux se donner le droit de faire sentir toute l'impertinence de ce roman .
On fait mille compliments à monsieur R[ousseau] et on lui est très dévoué . On le remercie du petit imprimé ; il n'était pas fait assurément pour souiller le Journal encyclopédique, cela n'est bon que pour Fréron . »
1 La Pucelle, XIX, 252-262 : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-la-pucelle-d-orleans-chant-dix-neuvieme-86509140.html
ce livre de La Pucelle qui était alors le dix-huitième, venait de paraître dasn le Journal encyclopédique, Bouillon, 1er avril 1761, III, 1, 102-117 .
01:36 | Lien permanent | Commentaires (0)