23/07/2010
... se venger, ou du moins de quitter un pays où se commettent tous les jours tant d'horreurs
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« A Jean Le Rond d'Alembert
Aux eaux de Rolle en Suisse par Genève 23 de juillet [1766]
Oui, vraiment, je le connais ce mufle de bœuf et ce cœur de tigre [#¶], qui mérite par ses fureurs ce qu'il a fait éprouver à l'extravagance [#¶¶]; et vous voulez prendre le parti de rire, mon cher Platon [#¶¶¶! Il faudrait prendre celui de se venger, ou du moins de quitter un pays où se commettent tous les jours tant d'horreurs. N'auriez-vous pas déjà lu la relation ci-jointe [#¶¶¶¶]? Je vous prie de l'envoyer à frère Frédéric, quoiqu'elle ne soit pas tout à fait exacte, il est de la plus grande importance qu'il l'ait de cette façon, afin qu'il soit plus irrité, et qu'il accorde une protection plus marquée et plus durable à cinq ou six hommes de mérite qui veument se retirer dans une province méridionale de ses Etats, et y cultiver en paix la raison, loin du plus absurde fanatisme qui ait jamais avili le genre humain, et loin des scélérats qui se jouent ainsi du sang des hommes [#¶¶¶¶¶]. L'extrait de la première relation est d'une vérité reconnue ; je ne suis pas sûr de tous les faits contenus dans la seconde, mais je sais bien qu'en effet il y a une Consultation d'avocats [cf. lettres du 14 juillet à Damilaville et 28 juillet à Florian], et si je puis par votre moyen parvenir à l'avoir, vous ferez une oeuvre méritoire. Je sais que vous n'êtes pas trop lié avec le barreau, mais voilà de ces occasions où il faut sortir de sa sphère. L'abbé Morellet, M. Turgot pourraient vous procurer cette pièce, vous pourriez me la faire tenir par Damilla, qui cherche de son côté. Pourquoi faut-il n'avoir que de telles armes contre des monstres qu'il faudrait assommer ? C'est bien dommage encore une fois, que Jean-Jacques soit un fou et un méchant fou, sa conduite a fait plus de tort aux belles-lettres et à la philosophie que Le Vicaire savoyard ne leur fera jamais de bien. Non, encore une fois, je ne puis souffrir que vous finissiez votre lettre en disant : je rirai [Dans sa lettre, d'Alembert parlait de la « brouillerie » de Rousseau et Hume et concluait : « Pour moi je rirai comme je fais de tout, et je tâcherai que rien ne trouble mon repos et mon bonheur. »]. Ah ! Mon cher ami, est-ce là le temps de rire ? Riait-on en voyant chauffer le taureau de Phalaris [Tyran d'Agrigente qui brûlait ses victimes dans un taureau d'airain, comme on brûla le chevalier de La Barre]? Je vous embrasse avec rage. »
#¶ Lettre du 16 juillet de d'Alembert : « Avez-vous connu un certain M. Pasquier, conseiller de la cour …? On a dit de lui que sa tête ressemblait à une tête de veau, dont la langue était si bonne à griller. Jamais cela n'a été plus vrai qu'aujourd'hui ; car c'est lui qui par ses déclamations a fait condamner à la mort des jeunes gens qu'il ne fallait mettre qu'à St Lazare. »
#¶¶ Le chevalier de La Barre avait été exécuté le 1er juillet 1766, cf. lettre du 14 juillet à Damilaville et 28 juillet à Florian.
#¶¶¶ Conclusion réelle de d'Alembert : « Je ne veux plus parler de tout cet auto-dafé …. car cela me donne de l'humeur, et je ne veux que me moquer de tout. »
#¶¶¶¶ Sans doute la prétendue lettre d'Abbeville sur l'affaire de La Barre que V* envoyait le 14 juillet à Damilaville [cf. lettre du 14]
#¶¶¶¶¶ Le 25, à Damilaville : « Le roi de Prusse vient d'envoyer 500 livres à Sirven … il ne l'a fait qu'à ma prière … Je ne doute pas … que, si vous vouliez vous établir à Clèves avec Platon (Diderot) et quelques amis, on ne vous fit des conditions très avantageuses ; on y établirait une imprimerie …, on y établirait une autre manufacture plus importante, ce serait celle de la vérité. »
16:37 | Lien permanent | Commentaires (0)
22/07/2010
et je conclus que si j'avais un fils qui dût éprouver les mêmes traverses je lui tordrais le cou par tendresse paternelle.
http://www.dailymotion.com/video/x6icl5_beaumarchais-lins...
Voici un extrait de ce film d'Edouard Molinaro que j'ai eu le plaisir de voir hier soir dans un cadre qui me tient à coeur, le parc du chateau de Voltaire .
Je peux vous assurer qu'Edouard Molinaro, à 82 ans, garde une clarté d'esprit égale à sa simplicité, simplicité et complicité également partagée par son épouse.
Donc grands plaisirs, avec une visite nocturne, très chiche en lumignons (le CMN n'aurait-il pas de budget pour quelques bouts de chandelles qu'il sait parfois brûler par les deux bouts ) , ce qui est un comble pour illustrer la vie d'un homme des Lumières, mais talent des acteurs qui campaient (avec plus ou moins d'exactitude) des proches de Voltaire.
Accompagnement par de jeunes guides qui n'ont eu qu'une journée pour mettre au point leur intervention, pour ceci bravo, grand bravo ! mais pour certains détails de la vie voltairienne, à corriger impérativement.
C'est à l'image de la vie, du bon et du moins bon ! A reconnaitre ! Progresser et s'améliorer .
Régalez-vous :
http://www.allomovies.com/viewf.php?id=YOF8XFVDEOTJMEEG&a...
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
A Postsdam 22 juillet [1752]
Mon cher ange, on m'a mandé que vos volontés célestes étaient que l'on représentât incessamment cette Amélie [représentée le 17 août] que vous aimez, et qu'on m'exposât encore aux bêtes dans le cirque de Paris. Votre volonté soit faite au parterre comme au ciel. J'ai envoyé sur-le-champ à M. de Thibouville [le 15 juillet], l'un des juges de votre comité, à qui Madame Denis a remis la pièce, quelques petits vers à coudre au reste de l'étoffe. Il ne faut pas en demander beaucoup à un homme tout absorbé dans la prose de Louis XIV et entouré d'éditions comme vos grands-chambriers le sont de sacs. Je ne sais pas encore quel parti prend ma nièce sur sa Coquette [dans le Journal de la Librairie, le 4 mai, d'Hémery dit qu'elle ne parvenait pas à faire recevoir sa pièce par les Comédiens]. Apparemment qu'elle veut attendre ; vous ne doutez pas que je n'eusse la politesse de lui céder le pas.
J'attends demain de ses nouvelles, je tremble toujours pour elle et pour moi. Un oncle et une nièce qui donnent à la fois des pièces de théâtre donnent l'idée d'une étrange famille. Dancourt n'a-t-il pas fait La Famille extravagante [comédie en un acte de Le Grand, représentée la première fois en 1709]? On la donnera probablement pour petite pièce. Heureusement vos prêtres sont plus fous que nous, et leur folie n'est pas si agréable. Mais vos gredins du Parnasse sont de grands malheureux. On ôte à Fréron le droit qu'il s'était arrogé de vendre les poisons de la boutique de l'abbé Desfontaines [#]. Je demande sa grâce à M. de Malesherbes [en effet, le 13 juin ; d'Hémery note dans le Journal de la Librairie du 4 août 1752 : « … M. de Malesherbes a permis a Fréron de dire partout que les feuilles étaient rendues avant qu'il eut reçu la lettre de Voltaire ; ce qui est vrai. » Les Lettres … ne parurent pas entre fin avril et début octobre.] et le scélérat pour récompense fait contre moi des vers scandaleux qui ne valent rien . Mes anges, si Amélie réussissait après le petit succès de Rome sauvée, moi présent, les gens de lettres me lapideraient ou bien ils me donneraient à brûler aux dévots et allumeraient le bûcher avec les sifflets qu'ils n'auraient pu employer. Il faut vivre à Paris riche et obscur, avec mes amis, mais être à Paris en butte au public ! j'aimerais mieux être une lanterne des rues exposées au vent et à la grêle. Pardon, mes anges, mais quelquefois je songe à tout ce que j'ai essuyé, et je conclus que si j'avais un fils qui dût éprouver les mêmes traverses je lui tordrais le cou par tendresse paternelle.
Je vous ai parlé encore plus à cœur ouvert dans ma dernière lettre, mon cher et respectable ami. Je ne vous ai jamais donné une plus grande preuve d'une confiance sans bornes [##]. Je mérite que vous en ayez en moi.
Je serais bien affligé si la Coquette [La Coquette punie, de Mme Denis] recevait un affront. Je me consolerais plus aisément de la disgrâce d'Amélie et du Duc de Foix. Il y a d'autres évènements sur lesquels il faudra prendre son parti. Voulez-vous voir toute ma situation, et tous mes sentiments ? J'aime passionnément mes amis, je crains Paris, et le repos est nécessaire à ma santé et à mon âge. Je voudrais vous embrasser et je suis retenu par mille chaines jusqu'au mois d'octobre. On m'assure positivement que Le Siècle sera fini dans ce temps-là [la deuxième édition reconnue par V*, faite à Dresde par Walther ; le 8 juillet, à Walther : « Je crains d'être obligé de faire un voyage vers la fin de septembre, et je prévois que votre édition ne sera pas prête pour ce temps-là. »], et que je pourrai faire un petit voyage pour vous aller trouver. Cette idée me console. L'amitié seule remplit le cœur. Mon cher ange, conservez-moi cette amitié précieuse qui fait le charme de la vie. Quelque chose qu'on puisse penser de moi à la cour et à la ville, que les uns me blâment, que les autres regrettent leur victime échappée, que les gredins m'envient, que les fanatiques m'excommunient, aimez-moi et je suis heureux. Je vous embrasse tendrement.
V. »
#A la demande de Mme Denis, la publication des Lettres sur quelques écrits de ce temps a été interdite car Fréron avait donné le 25 mars un portrait satirique de V* et l'avait ensuite accusé le 5 avril d'avoir volé à La Motte le madrigal à la princesse Ulrique.
Desfontaines est mort le 16 décembre 1745 et Fréron a repris les Jugements sur les écrits modernes (jusqu'en 1746) ; avant la mort de Desfontaines, il le remplaçait déjà aux Observations sur les écrits modernes (jusqu'en 1743). Par ailleurs il lança les Lettres à la comtesse de *** sur quelques écrits modernes (1745-1746), puis en février 1749, Les lettres sur quelques écrits de ce temps.
##A d'Argental, le 11 juillet : « Elle [Mme Denis]me paraît entièrement décidée à livrer bataille( c'est à dire faire jouer sa pièce), elle a une confiance entière en M. d'Alembert. C'est un homme de beaucoup d'esprit, mais connait-il assez le théâtre ? Cette extrême confiance en M. d'Alembert pourrait bien d'ailleurs justifier un peu mon absence. Vous voyez si je vous ouvre mon cœur. »
On pourrait en déduire que V* soupçonnait une liaison entre sa nièce et d'Alembert.
Petite note sur Gudin, dont il est question dans Beaumarchais l'insolent : http://books.google.fr/books?id=MwHgAAAAMAAJ&pg=PA433...
02:08 | Lien permanent | Commentaires (0)
21/07/2010
j'ai pris mon pli. Eh ! vieux fou, prends en un autre
http://www.youtube.com/watch?v=nMxKMIC__jo
http://www.youtube.com/watch?v=3lE0Y1xz9C0&feature=re...
http://www.youtube.com/watch?v=g2MH6Pc-emI&feature=re... : j'ignorais tout de ce dernier titre !
http://www.youtube.com/watch?v=Ki_K-gcnH4k&feature=re... : relatif au XXème siècle !
Et dédicace spéciale à Johnny (quoique réfugié politique en Suisse !) et consorts, comme quelques sportifs qui gagnent ce que la décence ne me permet pas d'imprimer ici :
http://www.youtube.com/watch?v=03r3S2Rz16w&feature=re...
« Au cardinal François-Joachim de Pierre de Bernis
21 juillet [1762] aux Délices
Lisez cela, Monseigneur ,[les Pièces originales ? ; cf. lettre du 5 juillet à d'Argental] je vous en conjure, et voyez s'il est possible que les Calas soient coupables . L'affaire commence à étonner et a attendrir Paris, et peut-être s'en tiendra-t-on là. Il y a d'horribles malheurs qu'on plaint un moment, et qu'on oublie ensuite. Cette aventure s'est passée dans votre province [Bernis, né dans le Vivarais deviendra archevêque d'Albi]. Votre Éminence s'y intéressera plus qu'un autre . Je peux vous répondre que tous les faits sont vrais. Leur singularité mérite d'être mise sous vos yeux.
Cette tragédie ne m'empêche pas de faire à Cassandre toutes les corrections que vous m'avez bien voulu indiquer. Malheur à qui ne se corrige pas, soi, et ses œuvres. En relisant une tragédie de Mariamne que j'avais faite il y a quelque quarante ans [Mariamne créée le 6 mars 1724, sera donnée sous le nom d'Hérode et Mariamne le 10 avril 1725 ; elle est issue d'Artémire créée le 15 février 1720, ébauche de la future Mariamne], je l'ai trouvée plate et le sujet beau. Je l'ai entièrement changée . Il faut se corriger eût-on quatre-vingts ans. Je n'aime point les vieillards qui disent : j'ai pris mon pli. Eh ! Vieux fou, prends en un autre, rabote tes vers si tu en as fait, et ton humeur si tu en as. Combattons contre nous-même jusqu'au dernier moment. Chaque victoire est douce. Que vous êtes heureux Monseigneur ! Vous êtes encore plus jeune et vous n'avez point à combattre [Bernis a quarante sept ans et est en disgrâce].
Natales grate numeras ? Ignoscis amicis ?
[comptes-tu sans chagrin tes anniversaires , pardonnes-tu a tes amis?]
E per fine baccio il limbo della sua sacra porpora.
V. »
Dédicace à un président qui casse le thermomètre quand la France a de la fièvre, -traduire qui "lourde" un préfet-, quand il met en application sa politique du changement. Que ne se change-t-il lui-même ?
"Combattons contre nous-même"...
Pas cap' !!
http://www.youtube.com/watch?v=PAwUspkm_xE&feature=re...
On dit bien "changement d'herbage rejouit les veaux " ?!
16:15 | Lien permanent | Commentaires (0)
20/07/2010
dans un chariot détesté Par Satan sans doute inventé, Dans ce pesant climat belgique.
http://www.dailymotion.com/video/x66u4_francis-cabrel-encore-et-encore_music
"...Dans ce pesant climat belgique..." : météorologiquement parlant selon Voltaire, politiquement parlant selon notre XXIème siècle .
http://www.youtube.com/watch?v=8zAuUjvbFQI&feature=re...
"Je leur avais appris le partage..."dit Cabrel-Dieu : mais partager la Belgique, c'est comme partager une cacahuète pour dix personnes ! Mais, bon , enfin , ça les occupe un moment et pendant ce temps la France les amuse avec ses ministres et hommes politiques dont la conduite , si elle était contrôlée comme sur la route, mériterait un sévère retrait de points, et pour certains le retrait du permis de berner le peuple !
Mais, je rêve, nous sommes en France, "peuple léger et frivole" comme disait Volti, pays des "Welches", donc sauf révolution, rien ne bougera ...
« A Frédéric II
A La Haye ce 20 juillet à neuf heures du soir 1740
Tandis que Votre Majesté
Allait en poste au pôle arctique,
[au moins jusqu'à Koenigsberg]
Pour faire la félicité
De son peuple lituanique,
Ma très chétive infirmité
Allait d'un air mélancolique, dans un chariot détesté
Par Satan sans doute inventé,
Dans ce pesant climat belgique.
Cette voiture est spécifique
Pour trémousser et secouer
Un bourgmestre apoplectique ;
Mais certes il fut fait pour rouer
Un petit Français très éthique,
Tel que je suis sans me louer.
J'arrivai donc hier à La Haye après avoir eu bien de la peine à obtenir mon congé.[de Mme du Châtelet]
Mais le devoir parlait, il faut suivre ses lois.
Je vous immolerais ma vie.
Et ce n'est que pour vous digne exemple des rois
Que je peux quitter Émilie.
Vos ordres me semblaient positifs, la bonté tendre et touchante avec laquelle Votre Humanité me les a donnés, me les rendait encore plus sacrés. Je n'ai donc pas perdu un moment. J'ai pleuré de voyager sans être à votre suite, mais je me suis consolé puisque je faisais quelque chose que Votre majesté souhaitait que je fisse en Hollande.
Un peuple libre et mercenaire,
Végétant dans ce coin de terre
Et vivant toujours en bateau,
Vend aux voyageurs l'air et l'eau,
Quoique tous deux n'y valent guère ;
Là plus d'un fripon de libraire
Débite ce qu'il n'entend pas
Comme fait un prêcheur en chaire ;
Vend de l'esprit de tous états
Et fait passer en Germanie
Une cargaison de romans
Et d'insipides sentiments,
Que toujours la France a fournie.
La première chose que je fis hier en arrivant fut d'aller chez le plus retors et le plus hardi libraire du pays,[Van Duren, chargé d'imprimer l'Anti-Machiavel] qui s'était chargé de la chose en question. Je répète encore à Votre majesté que je n'avais pas laissé dans le manuscrit un mot dont personne en Europe pût se plaindre [#]. Mais malgré cela, puisque Votre Majesté avait à cœur de retirer l'édition [à sa lettre du 25 juin, Frédéric ajouta ce post-scriptum : « Pour Dieu, achetez toute l'édition de l'Anti-Machiavel. »], je n'avais plus ni d'autre volonté ni d'autre désir. J'avais déjà fait sonder ce hardi fourbe nommé Jean Vanduren, et j'avais envoyé en poste un homme qui par provision devait au moins retirer sous des prétextes plausibles quelques feuilles du manuscrit, lequel n'était pas à moitié imprimé : car je savais bien que mon Hollandais n'entendrait à aucune proposition. En effet je suis venu à temps , le scélérat avait déjà refusé de rendre une page du manuscrit. Je l'envoyai chercher, je le sondai, je le tournai dans tous les sens. Il me fit entendre que maître du manuscrit il ne s'en dessaisirait jamais pour quelque avantage que ce pût être, qu'il avait commencé l'impression, qu'il la finirait.
Quand je vis que j'avais affaire à un Hollandais qui abusait de la liberté de son pays, et à un libraire qui poussait à l'excès son droit de persécuter les auteurs, ne pouvant ici confier mon secret à personne, ni implorer le secours de l'autorité, je me souvins que Votre Majesté dit dans un des chapitres de l'Anti-Machiavel qu'il est permis d'employer quelque honnête finesse en fait de négociations. Je dis donc à Jean Vanduren que je ne venais que pour corriger quelques pages du manuscrit. Très volontiers, Monsieur, me dit-il, si vous voulez venir chez moi, je vous le confierai généreusement feuille à feuille, vous corrigerez ce qui vous plaira enfermé dans ma chambre en présence de ma famille et de mes garçons. J'acceptai son offre cordiale ; j'allai chez lui, et je corrigeai en effet quelques feuilles qu'il reprenait à mesure, et qu'il lisait pour voir si je ne le trompais point. Lui ayant inspiré par là un peu moins de défiance, j'ai retourné aujourd'hui dans la même prison où il m'a enfermé de même et ayant obtenu six chapitres à la fois pour les confronter je les ai raturés de façon et j'ai écrit dans les interlignes de si horribles galimatias, et des coq-à-l'âne si ridicules que cela ne ressemble plus à un ouvrage. Cela s'appelle faire sauter son vaisseau en l'air pour n'être point pris par l 'ennemi. J'étais au désespoir de sacrifier un si bel ouvrage, mais enfin j'obéissais au roi que j'idolâtre, et je vous réponds que j'y allais de bon cœur.
Qui est étonné à présent et confondu ? C'est mon vilain. J'espère demain faire avec lui un marché honnête, et le forcer à me rendre le tout, manuscrit et imprimé et je continuerai de rendre compte à Votre Majesté. »
#Un envoyé de Frédéric, Camas, avait dit à V* « qu'il y a un ou deux endroits qui déplairaient à certaines puissances » (lettre à Frédéric du 5 juillet). On peut penser que c'est un passage du chapitre cinq où il était question de la folie des conquérants et celui du chapitre 10 où est critiquée la vanité ruineuse des petits princes allemands.
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19/07/2010
Le sang pétille dans mes vieilles veines en vous parlant de lui
Il ne s'agit pas ici de mes propres veines qui n'ont qu'une vieillesse future !
Quand à l'age de mes artères, je reste discret sur cette part de mon histoire anatomique .
Mon souhait est de garder un esprit ouvert et pétillant comme celui de Volti.
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
19è juillet 1776
Mon cher ange, j'apprends que Mme de Saint Julien arrive dans mon désert avec Lekain [cf. lettre du 24 juin]. Si la chose est vraie, j'en suis tout étonné et tout joyeux. Mais il faut que je vous dise combien je suis fâché pour l'honneur du tripot contre un nommé Tourneur [Pierre-Prime-Félicien Le Tourneur], qu'on dit secrétaire de la Librairie [le 6 cotobre, Condorcet lui apprendra que Le Tourneur n'est plus secrétaire de la Librairie et eszt devenu le bibliothécaire du comte de Provence], et qui ne me paraît pas le secrétaire du bon goût. Auriez-vous lu deux volumes de ce misérable [Shakespeare traduit de l'anglais, 1776-1782], dans lesquels il veut nous faire regarder Shakespear comme le seul modèle de la véritable tragédie ? Il l'appelle : le dieu du théâtre . Il sacrifie tous les Français, sans exception à son idole, comme on sacrifiait autrefois des cochons à Cérès. Il ne daigne pas même nommer Corneille et Racine ; ces deux grands hommes sont seulement enveloppés dans la proscription générale, sans que leurs noms soient prononcés. Il y a déjà deux tomes imprimés de ce Shakespear, qu'on prendrait pour des pièces de la Foire faites il y a deux cents ans.
Ce maraud a trouvé le secret de faire engager le roi, la reine, et toute la famille royale à souscrire à son ouvrage.
Avez-vous lu son abominable grimoire dont il aura encore cinq volumes [il y en aura vingt]? Avez-vous une haine assez vigoureuse contre cet impudent imbécile ? Souffrirez-vous l'affront qu'il fait à la France ? Vous, et M. de Thibouville , vous êtes trop doux . Il n'y a point en France assez de camouflets , assez de bonnets d'âne, assez de piloris pour un pareil faquin. Le sang pétille dans mes vieilles veines en vous parlant de lui . S'il ne vous a pas mis en colère, je vous tiens pour un homme impassible. Ce qu'il y a d'affreux, c'est que le monstre a un parti en France ; et pour comble de calamité et d'horreur, c'est moi qui autrefois parlai le premier de ce Shakespear [dans la 18ème Lettre philosophique], c'est moi qui le premier montrai aux Français quelques perles que j'avais trouvées dans son énorme fumier. Je ne m'attendais pas que je servirais un jour à fouler aux pieds les couronnes de Racine et de Corneille pour orner le front d'un histrion barbare.
Tâchez, je vous en prie, d'être aussi en colère que moi,sans quoi je me sens capable de faire un mauvais coup.
Je reviens à Lekain. On dit qu'il jouera six pièces pour les Genevois ou pour moi. J'aimerais mieux qu'il eût joué Olympie à Paris [D'Argental répondra le 24 juillet qu'il « n'a pas tenu à Lekain qu'on remit Olympie », qu'il « l'avait demandé » et qu'on en était convenu »] ; mais il n'aime point à figurer dans un rôle lorsqu'il n'écrase pas tous les autres.
Je ne sais si M. de Richelieu fait paraître le précis de son procès qui sera son dernier mot [Contre Mme de Saint Vincent qui a fait des faux billets au nom de Richelieu, et réclame le remboursement d'une énorme somme ; elle a été libérée par la cour des pairs qui a ordonné un nouvel examen du dossier; cf. lettres du 5 avril à d'Argental, 5 septembre et 24 novembre 1774]. Il m'avait promis de me l'envoyer. Je ne lui ai point assez dit combien il est important pour lui de ne point ennuyer son monde. Il avait choisi un avocat qu'il croyait fort grave, et qui n'était que pesant. Il y a beaucoup de ces messieurs qui font de grands factums, mais il n'y en a point qui sache écrire.
Quand à mon ami M. le cocher Gilbert, je souhaite qu'il aille au carcan à bride abattue [il est alors accusé de vol et de faux, lui qui avait témoigné contre Morangiès].
Si vous voulez, mon cher ange, me guérir de ma mauvaise humeur, daignez m'écrire un petit mot. »
15:06 | Lien permanent | Commentaires (0)
Ce pauvre diable traine une vie misérable et le pape est souverain avec quinze millions de revenu. Voilà comme va le monde.
http://www.voltaire-integral.com/VOLTAIRE/Catechi.htm#Not...
http://www.dailymotion.com/video/x7pehf_syd-barrett-pink-...
Let's go !
Que ceux qui ont eu les oreilles écorchées (par les Pink F .) se disent que c'est moins douloureux que les injustices de la vie .
Bon ! il ne manquerait plus que je devienne philosophe !
« A Louise-Dorothée von Meiningen, duchesse de Saxe-Gotha
19 juillet [1763]
Madame,
On n'est pas si raisonnable à Genève que l'est Votre Altesse Sérénissime. Il y a beaucoup de philosophes à la vérité qui ont un profond mépris pour les infâmes superstitions que le vicaire savoyard semble avoir détruites dans l'Emile de ce pauvre Rousseau. L'article de ce vicaire vaut mieux sans doute que tout le reste du livre. Il est goûté des grands et des petits, et cependant il est anathématisé par le Conseil qui est un peu l'esclave des prêtres. [L'Emile a été condamné le 19 juin 1762 par le Petit Conseil de Genève].Tout est contradiction dans ce monde, ce n'en est pas une petite de condamner ce qu'on estime, et ce qu'on croit dans le fond de son cœur. Deux cents citoyens ont réclamé contre l'arrêt du Petit Conseil de Genève,[#] mais bien moins par amitié pour Jean-Jacques que par haine contre les magistrats. Leur requête n'a rien produit et Jean-Jacques ayant renoncé à son beau titre de citoyen [il a abdiqué son droit de bourgeoisie le 12 mai 1763] n'a plus de titre que celui de Diogène. Il va transporter son tonneau en Écosse avec milord Maréchal [Écossais devenu gouverneur du territoire de Neuchâtel qui dépendait du roi de Prusse. La duchesse, le 9 juillet a écrit que milord Maréchal fait de Rousseau « son idole »]. Ce pauvre diable traine une vie misérable et le pape est souverain avec quinze millions de revenu. Voilà comme va le monde.
Nous autres français, nous chassons les jésuites mais nous restons en proie aux convulsionnaires. Je ne connais que les princes protestants qui se conduisent raisonnablement. Ils tiennent les prêtres à la place où ils doivent être, et ils vivent tranquilles (quand la rage de la guerre ne s'en mêle pas).
Madame, j'ai l'honneur de vous envoyer un petit catéchisme qui m'a paru assez raisonnable [Catéchisme de l'honnête homme ou dialogue entre un caloyer et un homme de bien, de V* qui se conclut ainsi : « (je sers Dieu) selon ma conscience. Elle me dit de le craindre, d'aimer les caloyers, les derviches, les bonzes et les talapoins, et de regarder tous les hommes comme mes frères. »].
Agréez mon profond respect.
v. »
#Il y eut plusieurs protestations en faveur de Rousseau, ce qui est enregistré dans les registres du Conseil, les 18 juin, 8 et 20 août. Les protestataires posent le problème général du droit de Représentation et des attributions du Conseil général.
13:32 | Lien permanent | Commentaires (0)
Ces avantages avec beaucoup d'argent comptant ont tenté un cœur ambitieux
http://www.dailymotion.com/video/x27ld9_pink-floyd-money_...
"Ces avantages avec beaucoup d'argent comptant ont tenté un cœur ambitieux..." : décidément, cette constatation de Voltaire reste d'actualité, seule est variable l'identité de celui ou celle qui en est l'objet, président de la république, ministre, député, sénateur, votre patron,etc. ...

Oublions ce monde de Money-money ... pour un monde où je suis très bon public .
Magique !
http://www.youtube.com/watch_popup?v=hwVy_2eOfsE#t=78
Merci a l'ami qui m'a transmis ce lien !
Bonne manière pour commencer une journée que de regarder des exploits pacifiques!
http://www.youtube.com/watch_popup?v=hwVy_2eOfsE#t=78
Jaunes qui étonnent ....
Parcours particulier d'un médecin du XVIIIème :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Louis-Anne_La_Virotte
« A Louis-François-Armand du Plessis, duc de Richelieu
Aux Délices 19 juillet [1757]
Mon héros, c'est à vous de juger des engins meurtriers [projet de char d'assaut, auquel il tient « plus qu'à Zulime » ; cf. lettres à Mme de Fontaine 3 avril et Florian 15 mai], et ce n'est pas à moi d'en parler. Je n'avais proposé ma petite drôlerie que pour les endroits où la cavalerie peut avoir les coudées franches ; et j'imagine que partout où un escadron peut aller de front, de petits chars peuvent aller aussi, mais puisque le vainqueur de Mahon renvoie ma machine aux anciens rois d'Assyrie, il n'y a qu'à la mettre avec la colonne de Folard [le chevalier Jean-Charles de Folard a proposé de remplacer la ligne de bataille par des masses de troupes en colonnes profondes] dans les archives de Babylone. J'allais partir, Monseigneur, j'allais voir mon héros ; et je m'arrangeais avec votre médecin La Virotte, que vous avez très bien choisi autant pour vous amuser que pour vous médicamenter dans l'occasion. Mme Denis tombe malade, et même assez dangereusement. Il n'y a pas moyen de laisser toute seule une femme qui n'a que moi au pied des Alpes, pour un héros qui a trente mille hommes de bonne compagnie auprès de lui. Je suis homme à vous aller trouver en Saxe [par le passé, V* est déjà allé voir Richelieu aux armées : au camp de Philipsbourg en 1734, Richelieu va remplacer le maréchal d'Estrée (qui sera victorieux à Hastembeck le 28 juillet) en Hanovre à la tête de l'armée du Rhin qui doit forcer les Anglais à faire la paix, puis faire la jonction avec l'armée française de l'Est]; car j'imagine que vous allez dans ces quartiers-là. Faites, je vous en prie le moins de mal que vous pourrez à ma très adorée Mme la duchesse de Gotha, si votre armée dîne sur son territoire. Si vous passiez par Francfort, Mme Denis vous supplierait très instamment d'avoir la bonté de lui faire envoyer les quatre oreilles de deux coquins, l'un nommé Freitag, résident sans gages du roi de Prusse à Francfort et qui n'a jamais eu d'autres gages que ce qu'il nous a volé ; l'autre est un fripon de marchand, conseiller du roi de Prusse. Tous deux eurent l'impudence d'arrêter la veuve d'un officier du roi voyageant avec un passeport du roi ; ces deux scélérats lui firent mettre des baïonnettes dans le ventre ou sur le ventre, et fouillèrent dans ses poches [cf lettres du 20 juin et 8 juillet 1753]. Quatre oreilles en vérité ne sont pas trop pour leurs mérites.
Je crois que le roi de Prusse se défendra jusqu'à la dernière extrémité [#]. Je souhaite que que vous le preniez prisonnier, et je le souhaite pour vous et pour lui, pour son bien et pour le vôtre. Son grand défaut est de n'avoir jamais rendu justice ni aux rois qui peuvent l'accabler, ni aux généraux qui peuvent le battre. Il regardait tous les Français comme des marquis de comédie, et se donnait le ridicule de les mépriser, en se donnant celui de les copier. Il a cru avoir formé une cavalerie invincible que son père avait négligée, et avoir perfectionné encore l'infanterie de son père, disciplinée pendant trente ans par le prince d'Anhalt. Ces avantages avec beaucoup d'argent comptant ont tenté un cœur ambitieux et il a pensé que son alliance avec le roi d'Angleterre le mettait au dessus de tout. Souvenez-vous que quand il fit son traité et qu'il se moqua de la France [##] vous n'étiez point parti pour Mahon. Les Français se laissaient prendre tous leurs vaisseaux, et le gouvernement semblait se borner à la plainte. Il crut la France incapable même de ressentiment ; et je vous réponds qu'il a été bien étonné quand vous avez pris Minorque [prise de Port-Mahon le 28 juin 1756 ; cf. lettre du 14 juin 1756]. Il faut à présent qu'il avoue qu'il s'est trompé sur bien des choses. S'il succombe, il est également capable de se tuer, et de vivre en philosophe. Mais je vous assure qu'il disputera le terrain jusqu'au dernier moment. Pardonnez-moi, Monseigneur, ce long verbiage, plaignez-moi de n'être pas auprès de vous. Mme Denis qui est à son troisième accès d'une fièvre violente vous renouvelle ses sentiments. Comptez que nos deux cœurs vous appartiennent.
Voltaire. »
#Frédéric a été battu à Kolin le 18 juin et a évacué la Bohème ; il est menacé par les Français de l'armée du Rhin et d'autre part par les Français de l'armée de l'Est et les Autrichiens, par les Russes, et par les Suédois alliés officiellement aux Français et aux Autrichiens depuis le 21 mars.
## Allusion au traité avec l'Angleterre ennemie de la France, ratifié le 16 janvier 1756 à Londres et le 16 février en Prusse.
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