04/07/2019
Dites-lui du moins comment il faut s’y prendre pour obtenir l’honneur de brailler en allemand pour de l’argent
...
« A Cosimo Alessandro Collini 1
Mon cher confrère en historiographerie 2, je crois que vous avez [été 3] très content de notre confrère M. Mallet, qui s’en va historiographer le landgraviat 4 . Je vous présente toujours quelque étranger . En voici un 5 qui a une autre sorte de mérite ; mais vraiment il n’est point étranger à Manheim . C’est un Palatin . Il est vrai qu’il est luthérien et qu’il demande une cure luthérienne 6 Vous ne vous mêlez pas de ces œuvres pies ou impies, ni moi non plus. Il m’est fortement recommandé, et je vous le recommande autant que je peux. Dites-lui du moins comment il faut s’y prendre pour obtenir l’honneur de brailler en allemand pour de l’argent . Indiquez-lui la route qu’en vérité je ne connais pas. Je vous écris de ma main ; mais c’est avec une difficulté extrême . Ma fluxion s’est jetée sur la gorge, et m’empêche de dicter. Je ne sais pas comment je suis en vie avec tous les maux qui m’assiègent . Ils n’ont point encore pris sur l’âme, et ils laissent surtout des sentiments à un cœur qui est à vous.
V.
Délices 28 mai [1764]»
1 L'édition Collini présente la lettre par ces mots : « Il m'adressait un jeune candidat de la communion réformée, qui se nommait Hilspach. »
2 Historiographerie et historiographer sont des néologismes plaisants ; voir lettre du 27 septembre 1755 à Richelieu : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/04/04/ceux-qui-ont-parle-de-cette-affaire-ont-ete-peu-instruits-ma.html
et lettre du 28 mars 1763 à Collini : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2018/03/21/envoyez-moi-je-vous-prie-par-les-messageries-les-plus-prompt-6036249.html
3 Mot ajouté par Collini sur le manuscrit .
4 Suivi dans les éditions par de Hesse, selon l'habitude de Collini d'introduire des gloses dans le texte même .
5 Sur la recommandation de Voltaire, Hilspach fut fait ministre réformé à Beaumenthal. (Note de Colini.)
6 Collini a corrigé sur le manuscrit luthérien et luthérienne en réformé et réformée que l'on retrouve dans les éditions ; voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/07/correspondance-annee-1764-partie-18.html
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03/07/2019
Il est bon de l’accoutumer aux grandes affaires
... Dit Emmanuel à propos de Brigitte .
« A Bernard-Louis Chauvelin
Aux Délices 28 mai 1764
Voilà Votre Excellence associée à la conjuration. Si quelque curieux ouvre ce gros paquet, il croira, à ce grand mot, qu’il s’agit d’une affaire bien terrible, et quand il apprendra que votre ami M. le duc de Praslin est un des principaux conjurés, il ne doutera pas que vous n’alliez mettre le feu en Italie. Mais, après tout, il n’y a que moi de méchant homme dans tout ceci, en y comprenant mes méchants vers . Pour vous mettre bien au fait du plan des conjurés, il faut que je vous dise ce que vous savez peut-être déjà aussi bien que moi. M. de Praslin, qui veut s’amuser, et qui en a besoin, et M. et Mme d’Argental, ont fait serment qu’on ne saurait point le nom de l’auteur ; vous ferez, s’il vous plaît, le même serment avec madame l’ambassadrice. Il est bon de l’accoutumer aux grandes affaires . On a lu une esquisse de la pièce à nos seigneurs les comédiens ; on leur a fait croire que l’auteur était un jeune pauvre diable d’ex-jésuite dont il fallait encourager le talent naissant. Les comédiens ont donné dans le panneau ; et voilà la première fois de ma vie qu’on m’a pris pour un jésuite. Je me confie à vous ; je suis bien sûr que le secret des conjurés est en bonnes mains. Je n’ai qu’un remords, et il est grand . C’est que la pièce ne soit pas tendre, et que les beaux yeux de madame de Chauvelin demeureront à sec. Je lui en demande mille pardons, mais, en qualité d’ambassadrice, elle trouvera du raisonner 1 et de fort vilaines actions qui peuvent amuser des ministres. Enfin j’envoie ce que j’ai et ce que j’ai promis. Si je ne vous ai pas ennuyé plus tôt, c’est que la pièce n’était pas faite, et que j’ai été obligé de donner tout mon temps à mon maître Pierre, que j’ai si mal imité . Je crois que, du temps de la Fronde, les marauds que j’ai l’honneur de vous présenter auraient fort réussi.
Je suis étonné d’écrire une lettre de ma main ; mais c’est que ma fluxion, qui désolait mes yeux, s’est jetée ailleurs. Je n’ai rien perdu . On dit que vous avez à Turin une belle épidémie qui fait mourir les Piémontais. Je me flatte que les ambassadeurs n’ont rien à craindre, et que l’épidémie respecte le droit des gens. J’ai eu l’honneur de voir votre ami, que vous avez bien voulu charger d’une lettre pour moi. Il m’a paru digne de votre amitié.
Que Vos Excellences reçoivent avec amitié les respects du vieux de la montagne.
V.»
1Sur l'emploi de ce terme, voir lettre du 14 mars 1762 à Thibouville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2017/02/24/les-anges-ni-vous-ni-moi-ne-connaissaient-la-piece-il-y-a-qu-5914624.html
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02/07/2019
Voici mon cher frère, la clef de l'aventure de frelon et du seigneur étranger
...
« A Etienne-Noël Damilaville
[vers le 25] mai [17]64
Voici mon cher frère, la clef de l'aventure de frelon et du seigneur étranger . Pardonnez à un malade s'il ne vous en dit pas davantage . Faites de ces deux lettres 1 tout ce qui vous plaira .
Écr l'inf . – Vale . »
1La lettre de Panckoucke et la réponse de V* : voir lettre du 23 mai à Damilaville et lettre du 24 mai à Panckoucke : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/06/25/j-ai-un-si-violent-mal-de-gorge-que-je-ne-peux-dicter-et-mes-yeux-sont-si-m.html
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01/07/2019
Si je pouvais écrire longtemps je ne finirais pas sur votre mérite, sur vos talents, sur l'amitié que vous me témoignez et qui m'est bien chère
... On croirait lire du Sarkozy s'adressant à Fillon et la réponse tout aussi aimable du premier ministre choisi au temps d'une politique de nantis malhonnêtes .
« A Philibert-Charles-Marie Varenne de Fénille
Aux Délices près de Genève
25è mai 1764
Ma fluxion sur les yeux monsieur qui m'a privé neuf mois de la vue, et une extinction de voix qui m’empêche de dicter ne peuvent rien contre les remerciements que je vous dois . Vous faites des vers comme j'aime qu'on en fasse . Votre Idoménée est à celui de Crébillon ce que Cinna est à Pertharite 1. Si je pouvais écrire longtemps je ne finirais pas sur votre mérite, sur vos talents, sur l'amitié que vous me témoignez et qui m'est bien chère . Tous les gens de lettres doivent être unis . Il n'y a que les Fréron qui sèment la zizanie dans les champs d'Apollon . Je prie monsieur de Varenne de vouloir bien que cette lettre soit pour vous deux 2. J'écris avec une peine extrême . Partagez tous deux mes sentiments . Il fait de jolis vers comme vous en faites de beaux . Vous êtes amis, pardonnez-moi tous deux de ne vous pas dire le quart de ce que je voudrais vous dire, et comptez l'un et l'autre sur la parfaite estime de votre très humble et très obéissant serviteur
V. »
1 Le malheur est que Varenne de Fénille n'a jamais écrit d'Idoménée ! V* fait une confusion avec l'Idoménée de Lemierre ; en voulant la corriger, il en fera une seconde un peu plus tard (voir lettre du 28 mai 1764 à Damilaville ). Par ailleurs le compliment qu'il fait ici n'a pas grande valeur tant l'Idoménée de Crébillon lui déplait .Voir aussi : https://www.cairn.info/revue-d-histoire-litteraire-de-la-...#
2 Le second est le frère du précédent , Jacques Varenne de Béost . Voir : https://data.bnf.fr/fr/13190639/jacques_varenne_de_beost/
et : https://data.bnf.fr/fr/12443470/philibert-charles-marie_varenne_de_fenille/
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30/06/2019
Mais les clameurs ne sont pas des raisons ... Il faut bien du temps pour fixer le jugement du public
...
« A Jean-François de La Harpe
Aux Délices près de Genève 25è mai 1764
Avec une fluxion sur les yeux qui m’a privé de la vue pendant six mois, avec une extinction de voix qui m’empêche de dicter, il faut pourtant que je vous dise, mon cher confrère, combien vos lettres me font de plaisir. Vous avez l’esprit juste et vrai, votre goût est sûr, vous n’êtes dupe d’aucun préjugé . Vous avez bien raison de dire que je n’ai pas remarqué toutes les fautes de Corneille 1, et cependant on crie sur la moitié que j’ai observée avec des regards très respectueux . Mais les clameurs ne sont pas des raisons. Voudrait-on que j’eusse fait aux beautés de Corneille l’outrage d’encenser les défauts, et qu’à côté de ses admirables scènes (je ne dis pas de ses admirables pièces) j’eusse placé Théodore, Pertharite, Andromède, la Toison d’Or, Tite et Bérénice, Othon, Pulchérie, Agésilas, Suréna ?2
J'ai jugé les ouvrages et non l'auteur . J’ai dit ce que tout homme de goût se dit à lui-même quand il lit Corneille, et ce que vous dites tout haut, parce que vous avez la noble sincérité qui appartient au génie. N’est-il pas vrai que le grand tragique ne se rencontre que dans la dernière scène de Rodogune ? Mais ce sublime, sur quoi est-il fondé ? sur quatre actes bien défectueux. Pourquoi Racine a-t-il été si parfait, sans pourtant faire aucun tableau qui approche de la dernière scène de Rodogune ? C’est que le goût joint au génie ne produit jamais rien de mauvais. C’est à vous, mon cher confrère, à réunir ce que la nature partagea entre deux grands hommes.
Il faut bien du temps pour fixer le jugement du public. Vous savez avec quelle fureur on affectait de louer cette partie carrée de l’Electre de Crébillon, ce roman ténébreux, ces vers durs et hérissés, ces dialogues où personne ne répond à propos ; cet Itys, cette Clytemnestre, cette Iphianasse. On commence à peine à ouvrir les yeux. Travaillez, mon cher confrère ; faites oublier toutes ces extravagances boursouflées, tous ces vers welches. Il y a de très belles choses dans Rhadamiste, mais j’espère que votre Timoléon vaudra mieux 3. Votre goût pour la simplicité est le vrai goût, et il n’appartient qu’au grand talent. Il est bien singulier que vous n’ayez pas un Corneille commenté . Vous étiez le premier sur la liste. Je suis très affligé de ce contre-temps ; il sera réparé . Il est trop juste que vous ayez votre modèle pour les belles scènes, et les remarques bonnes ou mauvaises de votre ami.
V. »
1 La Harpe lui reprochera plus tard d'en avoir, au contraire, trop remarqué .
2 On arrive ici, sur le manuscrit, en bas de page ; suivent deux pages blanches barrées par V*, en y portant cette mention : « Je ne me suis pas aperçu que j'avais pris quatre feuilles pour deux. »
3 La tragédie Timoléon doit être représentée le 1er août 1764 au Théâtre-Français . Voir : https://archive.org/details/bub_gb_r3omp0VlT9oC
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29/06/2019
C'est une [grande] consolation pour moi qu'il y ait dans Pa[ris] des jeunes gens de votre mérite
... Jeunes sapeurs-pompiers et jeunes donneurs de sang doivent recevoir notre reconnaissance, non seulement à Paris mais dans toute la France . Bravo à eux .
« A Nicolas-Sébastien Roch de Chamfort
Aux Délices près de Genève 25è mai 1764 1
Je vous fais monsieur des remerciements bien sincères de votre lettre et de votre pièce . La Jeune Indienne 2 doit plaire à tous les cœurs bien faits . Il y a d'ailleurs beaucoup de vers excellents . J'aime à m'attendrir à la comédie pourvu qu'il y ait du plaisant . Vous avez ce me semble très bien réussi dans ce mélange si difficile, je suis persuadé que vous irez très loin . C'est une [grande] consolation pour moi qu'il y ait dans Pa[ris] des jeunes gens de votre mérite . Je donnerais ic[i] plus d'étendue aux sentiments que vous m'inspirez si mes yeux presque aveugles me le permettaient . Je n'écris qu'avec une difficulté extrême . Mais cette peine est bien adoucie par le plaisir de vous assurer de toute l'estime avec laquelle j'ai l'honneur d'être
monsieur
votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire. »
1 Manuscrit sur papier légèrement endommagé .
2 Voir lettre de mars 1764 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/04/19/notre-nation-n-a-de-gout-que-par-accident-6145031.html
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28/06/2019
Vraiment voilà un bon petit caractère, c’est-à-dire que quand il dira du bien de quelqu’un, on peut compter qu’il le méprise
... On dirait que Voltaire a bien connu Nicolas Sarkozy et lu sa prose dont "Passions" dernier opus ce ce grand auteur à la sincérité et honnêteté débridées .
« A Charles-Joseph Panckoucke
Aux Délices, 24 Mai 1764 (1).
Vous me mandez, monsieur, que vous imprimez mes romans , et je vous réponds que si j’ai fait des romans, j’en demande pardon à Dieu ; mais tout au moins je n’y ai jamais mis mon nom, pas plus qu’à mes autres sottises. On n’a jamais, Dieu merci, rien vu de moi contre-signé et paraphé Cortiat, secrétaire 1, etc. Vous me dites que vous ornerez votre édition de culs-de-lampes : remerciez Dieu, monsieur, de ce qu’Antoine Vadé n’est plus au monde ; il vous appellerait Welche sans difficulté, et vous prouverait qu’un ornement, un fleuron, un petit cartouche, une petite vignette ne ressemblent ni à un cul ni à une lampe.
Vous me proposez la paix avec maître Aliboron dit Fréron ; et vous me dites que c’est vous qui voulez bien lui faire sa litière 2. Vous ajoutez qu’il m’a toujours estimé et qu’il m’a toujours outragé. Vraiment voilà un bon petit caractère, c’est-à-dire que quand il dira du bien de quelqu’un, on peut compter qu’il le méprise. Vous voyez bien qu’il n’a pu faire de moi qu’un ingrat, et qu’il n’est guère possible que j’aie pour lui les sentiments dont vous dites qu’il m’honore. Paix en terre aux hommes de bonne volonté ; mais vous m’apprenez que maître Aliboron a toujours été de volonté très maligne. Je n’ai jamais lu son Année littéraire . Je vous en crois seulement sur votre parole.
Pour vous, monsieur, je vois que vous êtes de la meilleure volonté du monde, et je suis très persuadé que vous n’avez imprimé contre moi rien que de fort plaisant pour réjouir la cour ; ainsi je suis très pacifiquement, monsieur, votre, etc. »
1 Voir lettre du 30 décembre 1763 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/01/01/un-beau-mandement-bien-chretien-bien-seditieux-bien-intolerant-bien-absurde.html
2 V* répond sans bienveillance, et même sans aucune pitié à une suggestion que lui a faite Panckoucke d'établir la paix avec Fréron . Le texte de la lettre en question, à laquelle Fréron a sans doute eu part, ne fut-ce que pour en approuver l'intention est citée avec la lettre du 23 mai 176 à Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2019/06/25/j-ai-un-si-violent-mal-de-gorge-que-je-ne-peux-dicter-et-mes-yeux-sont-si-m.html
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