25/02/2017
Il me faut les suffrages de ma nation pour mériter le vôtre
... Mise sous une forme interrogative, cette affirmation correspondrait tout à fait à une demande de parrainage pour un candidat aux présidentielles, raisonnant par l'absurde ( évidence : l'absurde étant monnaie courante pour la majorité des candidats ) : " Faut-il que j'obtienne les suffrages de ma nation pour obtenir le vôtre ?"
« A Ivan Ivanovitch Schouvalov
Au château de Ferney 15 mars ns. 1762 1
Monsieur, Je reçois la lettre dont vous m'honorez en date du 14/25 janvier . J'avais eu l'honneur d'écrire à Votre Excellence par la voie de M. le comte de Caunits qui eut la bonté de se charger de mon paquet . Je vous écrivis trois lettres 2 dès que je sus la triste nouvelle qui m'a fait verser des larmes . Je crois que des trois lettres vous en avez reçu deux . La troisième qui accompagnait un gros paquet a eu un sort funeste . Le maître de poste de Nuremberg à qui il était adressé m'a mandé que le courrier qui le portait a été assassiné par des inconnus qui ont pris l'argent dont il était chargé, un paquet destiné pour Vienne, et un autre pour la Suède . J'en rends compte à M. le comte de Caunits qui sans doute en est déjà informé .
Je vois monsieur par votre lettre que vous prenez un parti bien digne d'un philosophe, vous voulez vous berner à cultiver les lettres . Vous serez l'Anacharsis 3 moderne . Mais puisque vous avez une intention si sage et si noble , pourquoi ne feriez-vous pas comme Anacharsis ? pourquoi ne voyageriez-vous point ? Je parle un peu pour mon intérêt . Je me trouverais peut-être sur votre route , j'aurais le bonheur de vous voir et d'entretenir celui dont les lettres m'ont fait tant de plaisir . Il serait difficile qu'en passant d'Allemagne en France ou en Italie, vous ne vous trouvassiez pas à portée de mes ermitages . Je vous en ferais les honneurs de mon mieux et ce serait le cœur qui les ferait . Je suis trop vieux pour venir vous trouver . Vous êtes jeune et si votre santé est un peu altérée, ce voyage dans des climats plus doux que le vôtre la raffermirait . Je vois avec douleur que si la nature donne à vos compatriotes une constitution robuste elle leur accorde rarement une longue vie ; voyez à quel âge meurent tous vos souverains . Aucun n'atteint une heureuse vieillesse . Je souhaite que l'empereur régnant et dont vous faites un si bel éloge ait ce nombre de jours que je souhaitais à l'impératrice que je pleure 4. Il mérite de vivre longtemps, lui et son auguste épouse, puisqu'ils ne vivent que pour le bonheur des hommes .
Sans doute, monsieur, il vous attachent l'un et l'autre à Petersbourg ; et d'ailleurs je sens bien que vous ne voulez pas quitter une patrie qui vous aime, et que vous illustrez .
Si vous êtes toujours, monsieur, dans le dessein d'achever le monument auquel vous avez bien voulu que je travaillasse , je vous prierai de faire adresser les gros paquets à M. de Czernichev à Vienne qui les remettra à notre ambassadeur M. le comte du Châtelet 5. Il aura la bonté de me les faire parvenir 6 par le courrier qui passe par Strasbourg . J'en préviens M. le comte de Czernischew . Je suis obligé de prendre ces précautions .
Je suis charmé que vous daigniez monsieur accepter le témoignage public que je veux vous donner de ma très respectueuse et très tendre estime . Si le petit ouvrage dont il est question est reçu favorablement du public, je vous le présenterai avec plus de confiance . Il me faut les suffrages de ma nation pour mériter le vôtre . Votre Excellence sait combien je lui suis dévoué pour jamais .
Votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire .
J'ajoute que depuis trois mois Votre Excellence doit avoir reçu quatre paquets pour l'Histoire et huit lettres 7. »
1 A partir de la formule, la fin , omise dans l'édition de Kehl manque dans les éditions suivantes ; le post-scriptum est écrit dans la marge du bas de la quatrième page .
2 Aucune de ces trois lettres ne nous est parvenue .
4 De fait, Pierre III fut détrôné le 9 juillet et assassiné le 18 juillet 1762 .
5 Voir lettre de novembre 1762 à Mme de Champbonin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/11/23/les-formalites-sont-le-poison-de-la-societe-il-faut-passer-p-5878012.html
6 Depuis par le courrier..., la phrase biffée sur la copie Beaumarchais manque dans les éditions .
7 Seules les lettres du 23 décembre 1761 et du 14 janvier 1762 nous sont parvenues : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/12/20/je-suis-persuade-que-vous-ne-voulez-pas-que-j-entre-dans-les-5889437.html
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24/02/2017
Je ne vous ai point remercié mon cher ami de toutes vos attentions
... Aussi , je tiens à vous remercier publiquement pour cette nouvelle attention envers les automobilistes, - caste des taillables et corvéables à merci,- et envers les chomeurs et les Uberisés qui vont avoir un nouveau job (égal à celui des conducteurs de moto-crottes) : chauffeur de voiture radar-tirelire . Il va devenir difficile de conduire, un oeil sur le tachymètre (NDLR - James se la pète un peu avec des termes techniques ) et l'autre sur le rétroviseur, avantage à ceux qui ont un strabisme divergent . Nous sommes sur le chemin des polices privées pour nantis, prochaine étape du désistement public . A suivre .
« A François de Chennevières
De Ferney du 14 mars [1762] 1
Je ne vous ai point remercié mon cher ami de toutes vos attentions ; nous avons été occupés à jouer la comédie . Il a fallu faire le théâtre, la pièce et les acteurs . J'en excepte Mme Denis que la nature a fait une excellente actrice . Mlle Corneille l'est devenue . Je ne m'étais pas attendu qu'elle développerait un talent si marqué . Elle dit des vers, comme son oncle les faisait . Nous avons un théâtre digne d'elle, mieux entendu, mieux orné, plus éclairé que celui de Paris ; et ce qui est fort extraordinaire, nous avons un auditoire composé de très bons juges . Il y a beaucoup d'esprit dans l'enceinte de nos montagnes, et point de cabales ; on ne vient à notre spectacle que pour avoir du plaisir ; que ne pouvons-nous jouir de celui de vous y avoir . Je vous embrasse, etc. »
1 Pour l'année, voir la référence à Mlle Corneille dans la lettre du même jour à Thibouville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2017/02/24/les-anges-ni-vous-ni-moi-ne-connaissaient-la-piece-il-y-a-qu-5914624.html
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Les anges ni vous ni moi ne connaissaient la pièce il y a quinze jours . Je ne réponds de rien . Si elle ne fait pas d'effet telle qu'elle est à présent, elle n'en fera jamais
... Se disent Hamon et aussi Macron suite à leurs alliances qui confirment qu'ils sont réellement pour le mariage pour tous, y compris celui de la carpe et du lapin . La chasse aux voix est ouverte .
Fillon ne trouve pas d'alliés spontanés, juste des soutiens par défaut . La Marine, magnifique exemple de courage et d'honnêteté fuit la justice mieux que le plus effronté dealer ; qui peut encore voter pour "ça" ?
Au moins un couple de héros , qui (r)assure
« A Henri Lambert d'Herbigny, marquis de Thibouville
Ferney 14 mars [1762]
Mon cher Catilina vous êtes trop bon et moi trop vif . Cela est honteux à mon âge . De quoi me suis-je avisé d'envoyer une esquisse où les couleurs et les attitudes manquaient entièrement ? Mais je voulais consulter, je voulais voir si de cette esquisse on pouvait faire un tableau . L'ouvrage enfin est prêt d'être terminé . Le rôle d'Olympie est sans contredit le plus beau, et son amour nous paraît si touchant que nous craignons que Statira ne révolte, et qu'on ne la regarde comme une mauvaise religieuse, comme une dévote implacable qui meurt de rage de ce que sa fille aime un très bon mari, très repentant de ses fautes de jeunesse . Nous répétons la pièce, nous la jouons incessamment sur le théâtre le mieux décoré, le mieux éclairé, avec les plus beaux habits, les plus jolies prêtresses, la plus grande illusion . La pompe, la décence, la magnificence, rien ne nous manquera qu'une bonne tragédie . Les anges ni vous ni moi ne connaissaient la pièce il y a quinze jours . Je ne réponds de rien . Si elle ne fait pas d'effet telle qu'elle est à présent, elle n'en fera jamais . On a bien de l'esprit dans notre voisinage et on a l'esprit de se laisser aller à l'impression que les choses doivent faire . Si on n'est pas ému, je tiens la pièce perdue sans ressource, et je la condamne au portefeuille . Voilà mon cher marquis à quel point nous en sommes 1.
Je ne vois pas pourquoi je ne donnerais pas le profit à des acteurs choisis, puisque M. Picardin de l'académie de Dijon a donné le revenant bon du Droit du seigneur à Thieriot . Il me semble que les deux cas sont absolument semblables . Mais c'est à mes amis de me conduire dans tous les cas . Mme Denis vous fait les plus tendres compliments . Elle joue Statira supérieurement . Nous avons une assez bonne Olympie, un bon Cassandre, un bon hiérophante, un bon Antigone . Mlle Corneille dit des vers comme son oncle les faisait , mais par une singularité malheureuse, elle n'aime guère les vers de Pierre . Elle dit qu'elle n'entend point le raisonner 2, et qu'elle ne peut jouer que le sentiment . Elle est née actrice comique, tragique ; c'est un naturel étonnant . Dieu nous la devait . Elle a joué Colette dans le Droit du seigneur à faire mourir de rire . Je suis trop heureux sur mes vieux jours, mais il me manque le bonheur de vous revoir . »
1 Adapté de Cinna, I, 3 : « Voilà, belle Émilie, à quel point nous en sommes. » : http://units.georgetown.edu/french/opsis/SEME/textes/cinna1.htm#I,3
2 Le premier exemple que donne Littré de cet emploi est de Voltaire, mais un peu plus tardif : 1764 . Voir Alexis François : Histoire de la langue française, IV, p. 1303.
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Nous espérons que ce prince nous donnera la paix, et que la Russie deviendra la bienfaitrice de l'Europe
... Raté ! au moins pour l'instant ... On est plutôt enclins à jouer Casse Noisettes à guichet fermé dans nos ambassades, et le temps est à la neige : https://www.youtube.com/watch?v=anIkwFNHVvc
Un des rares bienfaits de nos voisins orientaux ...
« A François-Pierre Pictet
A Ferney 12 mars 1762 1
Mon cher géant je suis très édifié que vous vouliez bien vous ressouvenir de moi au milieu de vos belles neiges, et que le voisinage du cercle polaire n'ait pas refroidi votre amitié . Vos compatriotes célèbrent comme vous les louanges de votre nouvel empereur : la plus grande louange qu'on puisse donner à un souverain tout puissant est celle d'être aimé d'un peuple libre . Nous espérons que ce prince nous donnera la paix, et que la Russie deviendra la bienfaitrice de l'Europe . En attendant nous en goûtons les fruits par avance dans notre petit château de Ferney . Nous y jouons des pièces nouvelles sur un assez joli théâtre ; nous donnons le bal à vos dames et nous vous regrettons au milieu de nos plaisirs . J'ai dit aux Cramer que leur liste devait s’honorer du nom de Strogonof pour trois exemplaires . À l’égard de M. le chambellan Ivan de Shouvalof je lui ai écrit trois lettres, et il y en avait une toute entière à votre honneur et gloire . Il ne m'a fait réponse ni sur vous, ni sur le second volume de Pierre le Grand qu'il avait tant à cœur ni sur les compliments que je lui ai faits . Vous voyez que je ne suis pas vain, et que je conviens très naïvement du peu de cas qu'on fait des seigneurs de Ferney à la cour de Russie . Si vous voyez M. de Shouvalou je vous prie de lui dire que je n'ai point de rancune . Toute la troupe du château vous embrasse de tout son cœur . »
1 La Revue de littérature comparée, Paris avril-juin 1931, donne pour destinataire « le comte Strogonof » . Pictet avait écrit une longue lettre à V* le 2 mars 1762 : voir page 12 : http://www.archivesfamillepictet.ch/bibliographie/documents/VoltaireetRousseau.pdf
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23/02/2017
Je crois rendre par ces notes un très grand service au christianisme que les impies attaquent de tous côtés
... Ce qui est dit est dit !
Laïcité , c'est bien vu !
« A Etienne-Noël Damilaville
9 mars 1762 1
À mes frères en Belzébuth
Mes frères, vous avez le diable au corps . Un peintre fait en six jours l’esquisse d'un tableau, et avant d'y mettre les couleurs et d'en arrêter toute l’ordonnance, il le fait voir à des amateurs . Comment peuvent-ils s'étonner que le tableau n'ait pas été achevé ? comment peuvent-ils critiquer des couleurs qui ne sont pas encore sur la toile ? Comment mes frères ont-ils pu imaginer que la pièce était faite ? Est-ce parce que ce léger croquis a été dessiné en vers au lieu de l'être en prose?mais ne savez-vous pas que je fais toujours toutes mes esquisses en vers, parce que la prose me glace ? N'en parlons plus, et attendez . Mais songez , comme dit Rabelais, qu'il y a des choses profondes sous cette écorce 2. On a voulu mettre au théâtre la religion des prétendus païens, faire voir dans des notes que notre sainte religion a tout pris de l'ancienne, jusqu'à la confession et à la communion à laquelle nous avons seulement ajouté avec le temps la transsubstantiation, qui est le dernier effort de l'esprit . Je crois rendre par ces notes un très grand service au christianisme que les impies attaquent de tous côtés . Ainsi, mes frères, priez Dieu que la pièce réussisse pour l'édification publique .
On joua samedi dernier Le Droit du seigneur sur un théâtre un peu mieux entendu et mieux décoré que celui de la Comédie-française . Tous les gens qui se piquent d'avoir de l'esprit depuis Dijon jusqu'à Turin vinrent à cette fête . La pièce fut très bien jouée . Nous avions un excellent Mathurin . Mlle Corneille était Colette elle-même . C'était la nature pure . Je doute que Mlle Dangeville ait plus de talent ; elle ne peut avoir que plus d'art .
Tout ce qu'on a ridiculement retranché à la police de Paris a été rétabli à la nôtre . Aussi n'a-t-on jamais tant ri ; et Acanthe de son côté n'a jamais tant intéressé . Le bailli conduisait la noce sur le théâtre . Six femmes jolies, habillées en bergères, six jeunes gens très galants, précédés de violons, se présentaient avec les acteurs devant Monseigneur . C'était un tableau de Teniers 3.
Nous jouons dans six jours Cassandre, qui commence a être colorié . Nous verrons l'effet qu'il fera avant que nous terminions l'ouvrage . La nature est la même partout . Ce qui aura touché les bons esprits de ce pays-ci, et il y en a beaucoup, touchera sans doute à Paris . Ce qui aura déplu, aura dû déplaire et sera réformé . On ne peut pas prendre un parti plus sûr . Jouez une pièce en société, vous n'avez que des flatteurs ; jouez-la devant quatre cents personnes, vous avez des critiques ; et quatre cents personnes assemblées sont comme quatre mille . Les juges de ce pays-ci valent bien ceux de Paris .
N.B. – Frère Thieriot me dit qu'il m'envoie le discours de l'avocat général La Chalotais, et au lieu de ce discours intéressant il m'envoie des chiffons hebdomadaires . Je le prie de ne plus se tromper à ce point 4.
Valete, fratres : estote fortes contra fanaticos 5. »
1 L'édition de Kehl et suivantes changent la date en 8 mars .
2 Réminiscence du prologue de Gargantua : « vous devez être sage, pour sentir, appréhender et estimer ces beaux livres au contenu de grande tenue, léger et hardi au premier abord, puis par l’apprentissage curieux et les méditations fréquentes, rompre l’os et sucer la substantifique moelle. » : http://www.ferrarilycee.com/pages/ballades-litteraires-sur-les-grands-textes/denouement-don-juan-moliere/rabelais-gargantua-prologue-translate-en-francais-moderne.html
3 Peintre , mais auquel V* pense-t-il ici ? Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/David_Teniers_l'Ancien
4 Allusion au Compte rendu des constitutions des jésuites les 1, 3, 4 et 5 décembre 1761 (au parlement de Bretagne}, 1762, in-12. , de La Chalotais .
Et voir : https://books.openedition.org/pur/110552?lang=fr
et : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57191626/texteBrut
5 Portez-vous bien frères ; soyez forts contre les fanatiques .
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22/02/2017
c'est à l'emprunteur de venir chercher le prêteur
... Valable au XVIIIè siècle ; on ne connaissait pas encore le racolage que font les banquiers actuels pour attirer le client, englué, qui va mal dormir pendant un bon laps de temps .
Le costume a changé, mais l'état d'esprit est toujours, toujours le même .
« A Ami Camp
5è mars 1762
Je vous supplie, mon très aimable correspondant, de vouloir bien mander à votre mari, qu'il ne se donne pas la peine de chercher M. d'Albertas ; c'est à l'emprunteur de venir chercher le prêteur . Au reste, si un homme qui a quatre-vingts mille livres de rente est obligé de s'adresser au pays de Gex pour deux mille écus, les gens du pays de Gex doivent être un peu surpris, et très peu empressés .
Nous jouons samedi une pièce nouvelle 1. Cela est plus agréable que de prêter de l'argent à des premiers présidents de la chambre des comptes .
Je vous souhaite cent fois plus de succès dans vos affaires sérieuses, que nous n'en aurons dans nos plaisirs . »
1 Samedi, donc le lendemain ; Du Pan écrit le 8 mars 1762 à Freudenreich en rendant compte de la fête : « Avant hier M. de Voltaire donna une très belle fête à son château de Ferney . Il y eut environ soixante dames et cent hommes . L'assemblée se forma entre six et sept heures du soir . On servit des rafraichissements . Ensuite on passa au théâtre où l'on entendit représenter la comédie intitulée L’Écueil du sage . Voltaire jouait un des principaux rôles . M. et Mme d'Hermenches et M. de Saint-Cierge chantèrent un opéra-comique pour servir de petite pièce . L'orchestre était excellent ; ce plaisir dura jusqu'après onze heures ; quand on fut rentré dans les salles du château, les jeunes gens se mirent à danser pendant que les acteurs changeaient d'habit, à minuit on alla souper . Il y avait une table de soixante couverts, une autre de trente et plusieurs petites, on eut abondamment de toutes sortes de viandes froides, de bons vins, etc., à deux heures on se remit à danser jusqu'à six, que chacun remonta en carrosse pour retourner chez soi bien content. »
Dans la même veine ... parlons d'argent ( la parole étant d'argent, je crains bien d'avoir écrit un pléonasme )
François, et Pénélope en plein travail (parlementaire ?! )
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je dis mon pays, car je n’en ai point d’autre
... Ô France frontalière qui m'a vu naître, tu m'as appris que les frontières sont le fait de commerçants plus que de seigneurs et de gouvernements . Un trait pointillé ou continu sur une carte, un seul pas pour la franchir sous l'oeil de la police et du douanier, voilà ce qui énervait particulièrement mon père-grand qui rêvait d'une terre sans frontières autres que naturelles, océans, fleuves infranchissables, montagnes itou . Ce n'est pas, hélas, pour demain la veille que le souhait de mon aïeul se réalisera .
« Au cardinal François-Joachim de Pierre de Bernis
A Ferney par Genève 5 mars 1762 1
Oui, monseigneur, ceux qui disaient, quand vous fûtes ministre pour trop peu de temps, celui-là du moins sait lire et écrire, avaient bien raison. Votre Éminence daigne se souvenir de Cassandre, et me donne un excellent conseil 2, que je vais sur-le-champ mettre en pratique. Vous jugez encore mieux Cinna . Rien n’est mieux dit : c’est plutôt un bel ouvrage qu’une bonne tragédie 3. Je souscris à ce jugement. Nous n’avons guère de tragédies qui arrachent le cœur ; c’est pourtant ce qu’il faudrait.
Vous savez peut-être ce qui arriva à Tancrède, il y a huit ou dix jours . Je ne dis pas que ce Tancrède arrache l’âme, ce n’est pas cela dont il s’agit . Il y a des vers ainsi tournés :
On dépouille Tancrède, on l’exile, on l’outrage ;
C’est le sort d’un héros d’être persécuté.
Tout le monde battit des mains, on cria Broglie , Broglie , maréchal de Broglie et les battements recommencèrent ; ce fut un bruit, un tapage, dont les échos retentirent jusqu’au château où les deux frères vont faire du cidre 4. Si les voix des gens qui pensent étaient entendues, les échos de Montélimar feraient aussi bien du bruit. Je fais une réflexion en qualité d’historiographe : c’est que pendant quarante ans, depuis l’aventure du marquis de Vardes 5, Louis XIV n’exila aucun homme de sa cour ...
Pour vous, monseigneur, vous avez un grand umbrello 6 d’écarlate qui vous mettra toujours à couvert de la pluie . Vous aurez toujours la plus grande considération personnelle. Une chose encore qui met votre âme bien à son aise, c’est que tous les hasards sont pour vous, et qu’il n’y en a point contre . Votre jeu, au fond, est donc très beau.
A propos de hasards, la ville de Genève, qui est celle des nouvellistes, dit que la Martinique est prise 7, et que Pierre III est d’accord avec Frédéric III ; et moi je ne dis rien, parce que je ne sais rien, sinon qu’il fait très froid dans l’enceinte de nos montagnes, et que je suis actuellement en Sibérie. Mon pays est pendant l’été le paradis terrestre ; ainsi je lui pardonne d’avoir un hiver, je dis mon pays, car je n’en ai point d’autre 8. Je n’ai pas un bouge à Paris, et on aime son nid quand on l’a bâti. La retraite m’est nécessaire, comme le vêtement. J’y vis libre, mes terres le sont, je ne dois rien au roi. J’ai un pied en France, l’autre en Suisse . Je ne pouvais pas imaginer sur la terre une situation plus selon mon goût. On arrive au bonheur par de plaisants chemins. Ce bonheur serait bien complet, si je pouvais faire ma cour à Votre Éminence. Je la quitte pour aller faire une répétition sur notre théâtre (et très joli théâtre ), d’une comédie de ma façon. Ah ! si vous étiez là, comme nous vous ferions une belle harangue, recreati sacra presentia !9 J’ai le cœur serré de vous présenter de loin mon très tendre et profond respect.
V. »
1 V* avait commencé à écrire f[évrier ?]
2Voir lettre au duc de Villars du 25 mars 1762 : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance-...
3 En fait c'est V* qui avait tenu ce propos à Bernis ainsi que celui-ci le lui rappelle dans une lettre du 25 février 1762 : « En disant que Cinna est plutôt un bel ouvrage qu'une bonne tragédie, vous avez tout dit . » A propos de Cassandre, Bernis écrivait : « […] en revoyant votre tragédie vous ferez bien de fonder encore davantage l'amour d'Olympie pour Cassandre ; il faut que cet amour soit d'une bonne constitution pour résister à la révélation de tant de crimes ; ainsi je crois nécessaire d'établir que Cassandre a sauvé la vie à Olympie au péril de la sienne, dans un âge où elle ait pu en conserver la mémoire, qu'elle se rappelle cet événement avec reconnaissance, qu'elle le raconte à sa mère, que Cassandre insiste sur ce service, quand il n'a plus d'autres droits à faire valoir […] on pardonnera à Olympie d'aimer un homme à qui elle doit la vie, et de se tuer quand l'honneur lui défend de l'épouser . En un mot elle sera plus intéressante. »
4 Broglie est en Normandie pays du cidre .Voir : http://maisondebroglie.com/chateau-de-broglie-eure/
5 Vardes, qui avait calomnié des personnes de la cour, fut arrêté le 30 mars 1665 et emprisonné . Voir Le Siècle de Louis XIV chap. XXV : http://c18.net/vo/vo_textes_siecle.php?div1=25 .
6 Ce mot italien d'où est venu ombrelle, désigne l'espèce de parapluie qu'on tenait au dessus de la tête des cardinaux dans les cérémonies .
7 Le contre-amiral Georges Brydges Rodney et le major général Robert Monckton avaient obtenu la reddition de La Martinique le 12 février ; l'île fut restituée à la France l'année suivante par le traité de paix . Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/George_Brydges_Rodney
et : http://www.biographi.ca/fr/bio/monckton_robert_4F.html
et : https://fr.wikipedia.org/wiki/Invasion_de_la_Martinique_(...)
8 Bernis concluait (dans sa lettre du 25 février) : « […] je ris comme un fou quand je songe que vous êtes destiné à vivre en Suisse et moi à habiter un village . »
9 Ranimés par votre auguste présence .
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