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04/02/2013

Je ne sais si une âme exaltée prédit l'avenir

... Mais elle serait d'une grande utilité pour les prévisions météo et savoir où les bleus vont installer leurs postes de guet-apens . Le doute est encore permis , qu'on soit exalté ou non .

 Prédire l'avenir

 prédit l avenir 1584.JPG

 

« A FRÉDÉRIC II, roi de Prusse
Aux Délices [ 22 novembre 1757.]1

 
Vous devez, dites-vous, vivre et mourir en roi;
Je vois qu'en roi vous savez vivre
Quand partout on croit vous poursuivre,
Partout vous répandez l'effroi.
A revenir vers vous vous forcez la victoire;
Général et soldat, génie universel,
Si vous viviez autant que votre gloire,
Vous seriez immortel.

 
Sire, je dois remplir à la fois les devoirs d'un citoyen et ceux d'un cœur toujours attaché à Votre Majesté, être fâché du malheur des Français, et applaudir à vos admirables actions, plaindre les vaincus et vous féliciter.
Je supplie Votre Majesté de daigner me faire parvenir une relation. Vous savez que depuis plus de vingt ans votre gloire en tout genre a été ma passion. Vos grandes actions m'ont justifié. Souffrez que je sois instruit des détails. Accordez cette grâce à un homme aussi sensible à vos succès qu'il l'a été à vos malheurs, qui n'a jamais cessé un moment de vous être attaché, malgré tous les géants dont on disséquerait la cervelle, et malgré la poix résine dont on couvrirait les malades 2.
Je ne sais si une âme exaltée prédit l'avenir. Mais je prédis que vous serez heureux, puisque vous méritez si bien de l'être. »

1 On trouve aussi cette lettre à qui on attribue la date du 19 dans les Œuvres de Frédéric II ; il semble plutôt que c'est une lettre du 22, dont fait mention Frédéric dans sa lettre du 16 janvier 1758 .

2 Ces deux allusions se rapportent aux travaux de Maupertuis dont s'est déjà moqué V*.

 

03/02/2013

Je suis tous les jours tenté de m'habiller

... Et , dois-je l'avouer, je cède à la tentation, comme des millions de mes concitoyens . Ma sympathie pour la nudité ne résiste pas à la lâcheté devant les rigueurs hivernales et les foudres de la justice . Mon rêve, comme celui de bien des gens, une île sous les tropiques, sans moustiques (sales bêtes ! suceurs de sang à l'égal des percepteurs ), et liberté , attendra le jackpot du loto .

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« A Louise-Florence-Pétronille de Tardieu d'Esclavelles d'Epinay

[vers le 20 novembre 1757]

Madame, je suis malade et garde-malade . Ces deux belles fonctions n'empêchent pas que je sois rongé de remords de ne vous point faire ma cour . Je suis tous les jours tenté de m'habiller (ce que je n'ai fait qu'une fois pour vous depuis trois mois) et d'entreprendre le voyage de Genève .

Je ferai ce voyage pour vous , madame, dès que ma nièce sera mieux . Je vous demande des nouvelles de votre santé et je vous présente mes profonds respects .

Le Suisse V. »

 

 

 

on ne sait malheureusement ce qu'est devenu le cuisinier de M. de Soubise

... Permettez-moi de verser quelques pleurs !

Soubise lors de la bataille de Rossbach s'y est pris comme un manche (de cuillère à pot ) et fit pleurer la France . Je ne verrai plus cette sauce à l'oignon du même oeil désormais .

 

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« A François Tronchin

[vers le 21 novembre 1757]

La nièce va mieux, elle et l'oncle remercient tendrement monsieur et madame Tronchin . Je ne sais encore que la nouvelle que vous savez 1: un lieutenant général tué, quatre blessés et prisonniers, le duc de Brissac blessé dangereusement, toute l'artillerie perdue, toute l'armée dispersée et poursuivie ; on ne sait malheureusement ce qu'est devenu le cuisinier de M. de Soubise 2. »

1 Défaite française contre les Prussiens à Rossbach le 5 novembre 1757 .Ils étaient dirigés par Charles de Rohan, prince de Soubise .

2 Qui est sans doute l'inventeur de la sauce éponyme : Soubise : Cette fameuse sauce à l’oignon nous vient d’un homme d ‘état gastronome  (ou de son chef cuisinier) qui en fit sa gloire en accompagnant des canetons ; il s’ agi de Charles de Rohan, prince de Soubise, maréchal de France, dit le maréchal de Soubise, né en  1715 et  mort en 1787, homme de guerre et un ministre français du XVIIIe siècle .

 

Il ne fait pas bon à présent pour les Français dans les pays étrangers. On nous rit au nez, comme si nous avions été les aides de camp de M. de Soubise

... Et je crains bien que cette affirmation de 1757 ne soit réactualisée en disant que tout comme au Mali, nous sommes de puissants enfonceurs de portes ouvertes .

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« A M. Nicols-Claude THIERIOT.
Chez Mme la comtesse de Montmorency

rue Vivienne à Paris
Aux Délices, 20 novembre [1757].
Je vois par vos lettres, mon ancien ami, que la rivière d'Ain 1 en a englouti une vers le temps de la mort de Mme de Sandwich 2: car je n'ai jamais reçu celle par laquelle vous me parliez de la mort et du testament de cette philosophe anglaise, de votre pension remise, etc. Je vous répète qu'il se noya dans ce temps-là un courrier, et que jamais on n'a retrouvé sa malle.
Je crois qu'on serait moins affligé à Paris et à Versailles si les courriers qui ont apporté la nouvelle de la dernière bataille s'étaient noyés en chemin. Je n'ai point encore de détails, mais on dit le désastre fort grand, et la terreur plus grande encore. Le roi de Prusse se croyait perdu, anéanti sans ressource, quinze jours auparavant, et le voilà triomphant aujourd'hui , c'est un de ces événements qui doivent confondre toute la politique. La postérité s'étonnera toujours qu'un électeur de Brandebourg, après une grande bataille perdue contre les Autrichiens, après la ruine totale de ses alliés, poursuivi en Prusse par cent mille Russes vainqueurs, resserré par deux armées françaises qui pouvaient tomber sur lui à la fois, ait pu résister à tout, conserver ses conquêtes, et gagner une des plus mémorables batailles qu'on ait données dans ce siècle. Je vous réponds qu'il va substituer les épigrammes aux épîtres chagrines. Il ne fait pas bon à présent pour les Français dans les pays étrangers. On nous rit au nez, comme si nous avions été les aides de camp de M. de Soubise. Que faire? Ce n'est pas ma faute. Je suis un pauvre philosophe qui n'y prends ni n'y mets et cela ne m'empêchera pas de passer mon hiver à Lausanne, dans une maison charmante, où il faudra bien que ceux qui se moquent de nous viennent dîner,
Tros Rutulus ve fuat, nullo discrimine habebo. 3
Ce qui me console, c'est que nous avons pris dans la Méditerranée un vaisseau anglais chargé de tapis de Turquie, et que j'en aurai à fort bon compte. Cela tient les pieds chauds, et il est doux de voir de sa chambre vingt lieues de pays, et de n'avoir pas froid. S'il y a quelque chose de nouveau à Paris, mandez-le-moi, je vous en prie; mais vous n'écrivez que par boutades. Ayez vite la boutade d'écrire à votre ancien ami, qui vous aime. »

 1 Sur le manuscrit V* écrit Dain tout comme dans la lettre du 27 janvier 1757 à Jean-Robert Tronchin .

2  Certaine source la déclare morte le 27 juillet 1757 , y a-t-il erreur ou alors a-ton fait courir prématurément l'annonce de ce décès ? Voir lettre du 23 janvier 1755 à Thieriot , où V* se soucie de la santé de la comtesse : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/01/25/une-sandwich-pour-thiriot-avec-ou-sans-beurre.html

Et voir lettre du 26 octobre 1757 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/01/16/je-n-en-suis-pas-moins-persuade-que-le-commerce-est-l-ame-d.html

3 Virgile, Enéïde, X, 108 : Qu'il soit Troyen ou Rutule, je n'y ferai aucune différence.

 

02/02/2013

vous savez qu'une femme qui souffre sur sa chaise longue, au pied des Alpes, a peu de choses à mander

... Et que c'est à peu près la seule chose qui puisse la faire taire . Hélas !

 

 

 

« A M. Henri LAMBERT d'HERBIGNY, marquis de THIBOUVILLE.

Aux Délices, 20 novembre [1757].

Mme Denis est malade, mon cher ami je lui lis, d'une voix un peu cassée, vos histoires amoureuses d'Égypte et de Syrie 1. Vous faites nos plaisirs dans notre retraite. Mme Denis est, à la vérité, un peu paresseuse mais vous savez qu'une femme qui souffre sur sa chaise longue, au pied des Alpes, a peu de choses à mander, c'est à vous, qui êtes au milieu du fracas de Paris, au centre des nouvelles et des tracasseries, à consoler les malades solitaires par vos lettres. Nous avons renoncé au monde mais nous l'aimerions si vous nous en parliez. Nous pensons qu'un homme qui écrit si bien les aventures syriaques et égyptiennes pourrait nous égayer beaucoup avec les parisiennes mais vous ne nous en dites jamais un mot. Cela refroidit le zèle de Mme Denis; elle dit qu'elle s'intéresse presque autant à ce qui se passe entre Mersbourg 2 et Weissenfeld 3 qu'à ce qui s'est fait à Memphis. Nous sommes consternés de la dernière aventure 4. Ma nièce croyait que cinquante mille Français pourraient la venger des quatre baïonnettes de Francfort . Elle s'est trompée.
Elle vous fait mille tendres compliments et je vous renouvelle, du fond de mon cœur, les sentiments qui m'attachent à vous depuis si longtemps.
Nous avons une comédie nouvelle, que nous jouerons à Lausanne. Y voulez-vous un rôle ? »

1 Le danger des passions ou Anecdotes syriennes et égyptiennes, d'Henri Lambert d'Herbigny, marquis de Thibouville . Voir : http://thesaurus.cerl.org/record/cnp00878828

3 La bataille de Rossbach ne fut pas nommée ainsi tout de suite ; Rossbach est siué à l'est de la rivière Saale entre Merseboug et Weissenfels .

4 La défaite des troupes françaises face aux Prussiens à Rossbach : http://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_Rossbach