30/12/2016
cette unité ferait un trop grand contraste avec les zéros qu'on trouve
... Un peu partout !
Et dire que ces zéros croient dur comme fer que parce qu'ils sont nombreux et unis ils font plus que zéro , défi en toute logique à toute loi mathématique, sauf erreur . Zéros, en pagaille, je sais que vous ne vous reconnaitrez pas, et continuerez à vous prendre pour les guides du peuple, oubliant que vous n'êtes que derrière la virgule, impuissants .
« A Marie-Françoise-Catherine de Beauvau-Craon, marquise de Boufflers-Remiencourt 1
Aux Délices par Genève 28 décembre 1761
Vous m'avez permis madame d'avoir l'honneur de vous écrire quelquefois . Je profite de cette liberté pour vous dire que le roi ayant daigné souscrire pour la valeur de deux cents exemplaires de la nouvelle édition de Corneille, l'empereur pour cent, l'impératrice pour cent, l'impératrice de Russie 2 pour deux cents, Sa Majesté le roi de Pologne a souscrit pour un 3. Nous allons imprimer les noms des souscripteurs . Je crains qu'il y ait une méprise dans cette unité du roi de Pologne . Il me paraît que cette unité ferait un trop grand contraste avec les zéros qu'on trouve dans la souscription de tant d'autres souverains . Je crains de lui déplaire et c'est le but de ma lettre . Mlle Corneille ne demande point une libéralité trop forte et qui ne puisse être à charge . Mais j'ai peur qu'il ne convienne pas à la dignité du roi de Pologne que son nom paraisse pour un seul exemplaire .
J'ai cru que je ne pouvais mieux m’adresser qu'à vous madame pour savoir ce qui convient, et quelle est l'intention de Sa Majesté .
Pardonnez-moi cette importunité, elle me procure l'honneur de me rappeler à votre souvenir .
Il est vrai que Mlle Corneille n'est pas Lorraine, mais elle est la nièce du grand Corneille . Le roi de Pologne est devenu français, il écrit en français . Il s'appelle le bienfaisant .
J'ai l'honneur d'être avec bien du respect
madame
votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire . »
1 Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Marie-Fran%C3%A7oise-Cather... ; http://souvenirsdutemps.vraiforum.com/t3849-MARIE-FRANCOI...
2 V* a écrit puis rayé pour cent .
3 Une note en marge, apparemment de la main du chevalier de Boufflers, selon Cayrol, dit : « M. de Voltaire s'est trompé et le roi de Pologne a souscrit pour 50, qui lui ont été remis . » En fait, le roi Stanislas ne figure pas dans la liste des souscripteurs .
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29/12/2016
Quoi ! sérieusement, vous voulez rendre la théologie raisonnable ? mais il n’y a que le diable de La Fontaine à qui cet ouvrage convienne
...
De prime abord, "théologie" et "raisonnable" m'ont parus comme l'huile et l'eau, incompatibles, ou alors seulement elles bien secoué(e)s et nous donnant une mayonnaise plus ou moins digeste , enfer et damnation !
http://www.eglise-numerique.org/2015/04/retour-sur-une-te...
« Au cardinal François-Joachim de Pierre de Bernis
Aux Délices , ce 28 décembre [1761] 1
Monseigneur, Les chevaux et les Ânes 2 étaient une petite plaisanterie ; je n’en avais que deux exemplaires, on s’est jeté dessus ; car nous avons des virtuoses. Si je les retrouve, Votre Éminence s’en amusera un moment ; ce qui m’en plaisait surtout, c’est que le théatin Boyer était au rang des ânes.
Voyez, je vous prie, si je suis un âne dans l’examen de Rodogune. Vous me trouverez bien sévère, mais je vous renvoie à la petite apologie que je fais de cette sévérité à la fin de l’examen. Ma vocation est de dire ce que je pense, fari quae sentiam 3: et le théâtre n’est pas de ces sujets sur lesquels il faille ménager la faiblesse, les préjugés et l’autorité. Je vous demande en grâce de consacrer deux ou trois heures à voir en quoi j’ai raison et en quoi j’ai tort. Rendez ce service aux lettres, et accordez-moi cette grâce. Dictez il vostro parere 4 à votre secrétaire. Vous lirez au coin du feu, et vous dicterez sans peine des jugements auxquels je me conformerai.
Bene si potria dir, frate, tu vei
L’altrui monstrando, e non vedi il tuo fallo 5.
Et puis vous me parlerez de poutre et de paille dans l’œil 6; à quoi je répondrai que je travaille jour et nuit à rapetasser mon Cassandre, et que je pourrai même vous sacrifier ce poignard qu’on jette au nez des gens, etc., etc., etc.
Quoi ! sérieusement, vous voulez rendre la théologie raisonnable ? mais il n’y a que le diable de La Fontaine à qui cet ouvrage convienne. C’est La chose impossible 7.
Laissez là saint Thomas s’accorder avec Scot 8. J’ai lu ce Thomas, je l’ai chez moi ; j’ai deux cents volumes sur cette matière, et qui pis est, je les ai lus. C’est faire un cours de Petites-Maisons. Riez, et profitez de la folie et de l’imbécillité des hommes. Voilà, je crois, l’Europe en guerre pour dix ou douze ans. C’est vous, par parenthèse, qui avez attaché le grelot 9. Vous me fîtes alors un plaisir infini. Je ne croyais point que le sanglier 10 que vous mettiez à la broche fût d’une si dure digestion. C’est, je crois, la faute de vos marmitons. Une chose me console, avant que je meure : c’est que je n’ai pas peu contribué, tout chétif atome que je suis, à rendre irréconciliables certain chasseur et votre sanglier. J’en ris dans ma barbe ; car, quand je ne souffre pas, je ris beaucoup, et je tiens qu’il faut rire tant qu’on peut. Riez donc, monseigneur, car, au bout du compte, vous aurez toujours de quoi rire. Je me sens pour vous le goût le plus tendre et le plus respectueux. Je me souviens toujours de vos grâces, de votre belle physionomie, de votre esprit ; vivez felix 11. Daignez m’aimer un peu, vous me ferez un plaisir extrême. »
1 V* répond à une lettre de Bernis du 24 décembre 1761 , où celui-ci écrivait : « Vous êtes curieux de savoir […] si je cultive encore les lettres . J'ai abandonné totalement la poésie depuis onze ans . Je savais que mon petit talent me nuisait dans mon état et à la cour […] J'aime l'histoire . Je lis, ou me fais lire quatre heures par jour . […] J'écris ou je dicte deux heures […] Je n'ai point abandonné Horace , ni Virgile . Je reviens toujours à eux avec plaisir . Vous dites que le cardinal de Richelieu faisait de la théologie à Luçon . Je suis tenté bien souvent de la réduire à ses véritables bornes ; c'est à dire de la dépouiller de toutes les questions étrangères au dogme, et d'enseigner par cette méthode l'art d'éteindre toutes les disputes d'école qui ont été, sont et seront la source des plus grands troubles et des plus grands crimes . Vous me demandez si je suis heureux ? Oui tant que l'humeur de la goutte ne me tracasse pas . Les grandes places m'avaient rendu malheureux, parce que je sentais que je ne pouvais y acquérir la réputation que mon âme ambitionnait, ni y faire le bien de ma patrie . J'étais trop sensible aux maux publics, quand le public avait droit de m'en demander la guérison . Envoyez-moi Les Ânes et les chevaux , s'il est convenable de me les envoyer . »
2 Voir les Satires : https://books.google.fr/books?id=7FIHjzDdVakC&pg=PA187&lpg=PA187&dq=les+chevaux+et+les+anes+satires+voltaire&source=bl&ots=L3rP7Whtf0&sig=ggmOZd_HksaudLxdOFjDnzydnm0&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjM7czwzZXRAhVTe1AKHXoZDMYQ6AEIIzAA#v=onepage&q=les%20chevaux%20et%20les%20anes%20satires%20voltaire&f=false
3 Dire ce que je pense ; réminiscence d'Horace, Épîtres, I, iv, 9 .
4 Ce qu'il vous en semble .
5 Heureux si je pouvais dire : Frère, tu vois pour montrer du doigt autrui, et tu ne vois pas ta propre faute .
6 Évangile selon Matthieu, VII, 3 .
7 Titre d'un conte de La Fontaine, IV, 14 ; http://www.lafontaine.net/lesContes/imprimeConte.php?id=61
8 Citation de Boileau, Satires, VIII, 229 .
9 A l'époque , on considérait généralement que la politique autrichienne de Bernis avait précipité la guerre ; en fait cette politique était clairvoyante à l'égard des ambitions de Frédéric II, et n’échoua que par l'infériorité des chefs militaires français ou alliés par rapport à Frédéric .« Nous parlerons quelque jour du grelot que vous dites que j’ai attaché, répondit Bernis le 30 janvier 1762, et des marmitons qu’on a voulu employer malgré moi. J’ai connu un architecte à qui on a dit : Vous ferez le plan de cette maison, mais bien entendu que l’ouvrage commencé, les piqueurs, ni les maçons, ni les manœuvres, ne seront point sous votre direction, et s’écarteront de votre plan autant qu’il leur conviendra de le faire. » (Georges Avenel.)
10 Le chasseur est Choiseul, le sanglier, Frédéric II .
11 Heureux .
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28/12/2016
Oh ! quelle bonne nouvelle !
... Le chômage est en régression, rendez-vous compte, près de trois chômeurs de moins pour chacune des 36000 communes françaises ! Champagne ! Champommy plutôt , ça suffira pour une telle annonce ! Et puis on est suffisamment saoulé par la ronde des chiffres de statisticiens qui ont la chance d'avoir un job, entretenus par l'Etat .
Comme dit Voltaire "L'Espagne a exaucé mes voeux"
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'ArgentaI
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'ArgentaI
Aux Délices ce 28 décembre 1761 1
Est-il donc bien vrai, mes anges, que l’Espagne a enfin exaucé mes vœux ? puis-je en faire mon compliment ? Oh ! quelle bonne nouvelle !
Me permettrez-vous de vous envoyer ce petit mémoire à l’Académie 2, que je vous supplie de faire passer à M. le secrétaire ?
M. le comte de Choiseul a eu tant de bonté, que j’en abuse. Il s’agit de bien autre chose que de M. d'Excideuil . Il est question de savoir s’il est vrai que la cour de France ait amusé pendant deux ans la cour russe d’un mariage du roi avec mon impératrice Élisabeth, alors pauvre princesse, et qui vient d’envoyer huit mille livres pour l’édition de mademoiselle Corneille. Il est très certain que M. Campédéon en parla très souvent à mon Pierre. Si cette recherche vous amuse, je vous conjure de vous informer de la vérité.
Cassandre ne va pas mal, il se débarbouille. Mille tendres respects, anges consolateurs !
N. b. qu’il y a deux ans que je dis : L’Espagne tombera sur le Portugal.
A propos que dire du tripot, qui fait en tout temps et en tout lieu mes plus chères délices ? Hier soir j'étais bien intéressant, je ressemblais au bon et attendrissant Bélisaire , j'avais un casque et un manteau de sénateur romain : j'ai attendri jusqu'aux larmes . Venez donc, vous jugerez mieux que personne, et votre suffrage me sera plus cher que celui du monde entier .
V.»
1 Copie par Boissy d'Anglas . Le manuscrit olographe est passé à la vente Sensier Charon le 18 mars 1845 . Une autre copie ancienne suivie par les éditions comporte des variantes : Est-il donc bien vrai dans la première phrase, et supppression de Oh quelle bonne nouvelle ! ; suppression de anges consolateurs, du dernier paragraphe et de l'initiale ; M. de Campredon , et à mon Pierre, au lieu de à mon père , dans la même phrase, qui est certainement correct et qui est ici adopté .Voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance-annee-1761-partie-53-122727874.html
2 C'est la lettre du 25 décembre 1761 à Pinot Duclos : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/12/24/comment-peut-on-dire-soyons-amis-a-un-homme-qu-on-accable-d-5890703.html
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27/12/2016
Comment s’accommodera-t-il d'être mari, précepteur, et solitaire ? On se charge quelquefois de fardeaux difficiles à porter
... Est-ce ce qui effraie notre Fanfoué national qui de son propre aveu dit, en substance, qu'il ne croyait pas que l'exercice de président de la République fut si dur, alors que ça ne dure que cinq ans, face au mariage qui est réputé éternel . En tout cas , ce n'est pas une excuse recevable .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
[27 décembre 1761 ?]
L'imagination n'a pas encore dit son dernier mot sur cette pièce . La bonne femme est capricieuse et ne répond jamais de ce qui lui passera par la tête . Si quelque embellissement se présente à elle elle ne le manquera pas . Mes anges aiment Zulime . Je ne saurais m'en fâcher contre eux, mais assurément ils doivent aimer mieux Cassandre .
Mais que dirons-nous de notre philosophe de vingt-quatre ans ?1 Comment fera-t-il avec une personne dont il faudra finir l’éducation ? Comment s’accommodera-t-il d'être mari, précepteur, et solitaire ? On se charge quelquefois de fardeaux difficiles à porter . C'est son affaire . Il aura Cornélie-Chiffon quand il voudra .
Nous venons de répéter Le Droit du seigneur . Cornélie-Chiffon jouera Colette comme si elle était l'élève de Mlle Dangeville .
Le petit mémoire touchant l'ambassadeur prétendu de France à la Porte russe est précisément ce qu'il me fallait . Je n'en demande pas davantage et j'en remercie mes anges bien tendrement . Ils sont exacts, ils sont attentifs, ils veillent de loin sur leur créature . Je renvoie leur mémoire ou apostillé , ou combattu , ou victorieux selon que mon humeur m’y a forcé .
Sur ce je baise leurs ailes avec les plus saints transports . »
1 Ce personnage doit être Colmont de Vaugrenand , voir lettre du 26 décembre 1761 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/12/25/qu-il-arrive-de-plaisantes-choses-dans-la-vie-comme-tout-rou-5890984.html
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26/12/2016
Qu'il arrive de plaisantes choses dans la vie ! Comme tout roule, comme tout s'arrange !
... C'est parfois un constat, c'est plus souvent un voeu que l'on renouvelle encore et encore, en cette période qui va voir débuter un nouvel an .
https://www.youtube.com/watch?v=sbKqt77P-gs
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'ArgentaI
et à Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
26 décembre 1761
C'est pour le coup que nous rirons aux anges . Qu'il arrive de plaisantes choses dans la vie ! Comme tout roule, comme tout s'arrange ! Mes divins anges si c'est un honnête homme, comme il l'est sans doute, puisqu'il s'est adressé à vous, il n'a qu'à venir ; son affaire est faite, il se trouvera que son marché sera meilleur qu'il ne croit . Cornélie-Chiffon aura au moins quarante à cinquante mille livres de l'édition de Pierre . Je lui en assure vingt mille ; je lui ai déjà donné une petite rente ; le tout fera un très honnête mariage de province, et le futur 1 aura la meilleure enfant du monde , toujours gaie, toujours douce, et qui saura, si je ne me trompe, gouverner une maison avec noblesse et économie . Nous ne pourrons nous en séparer Mme Denis et moi qu'avec une extrême douleur . Mais je me flatte que le mari fera sa maison de la nôtre .
Malgré tout cela il m'est impossible d'aimer Héraclius ; je vous l'avoue . Je crois vous avoir cité Mme du Châtelet qui ne pouvait souffrir cette pièce , dans laquelle il n'y a pas un sentiment qui soit vrai , et pas douze vers qui soient bons, et pas un événement qui ne soit forcé . J'ai ce genre-là en horreur . Les Français n'ont point de goût . Est-il possible qu'on applaudisse Héraclius quand on a lu par exemple le rôle de Phèdre ? Est-ce que les beaux vers ne devraient pas dégoûter des mauvais ? Et puis, s'il vous plait, qu'est-ce qu'une tragédie qui ne fait pas pleurer ? Mais je commente Corneille ? Oui, qu'il en remercie sa nièce .
Au reste le futur doit être convaincu que jamais la future ne fera Heraclius ni même ne l'entendra . Elle en est extrêmement loin . C'est une bonne enfant . Le futur n'a qu'à venir . Notre embarras sera de bien loger notre nouveau ménage . Car j'ai fait bâtir un petit château où une jeune fille est fort à son aise, et où monsieur et madame seront un peu à l'étroit . Il serait plaisant que ce capitaine de chevaux fût un philosophe de vingt-quatre ans qui vint vivre avec nous, et qui sût rester dans sa chambre ! Enfin j'espère que Dieu bénira cette plaisanterie .
Divins anges nous seront quatre qui baiserons le bout de vos ailes .
V.
M. de La Marche est-il arrivé ?
M. d'Excideuil 2 a-t-il été ambassadeur en Russie ?
Et le roi d'Espagne ? Le roi d'Espagne ? »
1 Ce personnage doit être Colmont de Vaugrenand . Voir : http://www.armorialdelain.fr/colmont.html et : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/01/28/1...
2 Voir lettre du 12 novembre à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/11/18/voici-la-reponse-de-notre-comite-a-votre-comite-mais-ne-nous-5875746.html
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25/12/2016
et voici l'ouvrage d'un rabbin . Voyez je vous prie s'il a raison
... De nier l'arrivée inopinée du petit Jésus dans une étable -Marie et Joseph n'ayant pas fait leur réservation en temps voulu au F1- de Nazareth .
Toujours est-il que je vous souhaite un bon et joyeux Noël 2016 en attendant celui de 2017 .
Paix et confiance
« A Jacob Vernes
[vers le 25 décembre 1761]
Certainement on mettra ordre mon cher monsieur à l'affaire de ce Mayer 1. C'est un grand ivrogne et qui a dépensé à Ferney 900 livres, ayant fait pour 300 livres d'ouvrages, et n'ayant payé aucun de ses ouvriers, qui ont fait saisir ses meubles . Il faudra qu'il m'en coûte un peu . C'est le droit du seigneur . Il y en a bien d'autres .
Pourriez-vous avoir la bonté de me prêter la Théodicée ?2 la mienne est à Lausanne .
Tuus .
V.
In nomine Dei … et voici l'ouvrage d'un rabbin 3. Voyez je vous prie s'il a raison . »
1Voir lettre de septembre 1760 à Vernes : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/02/03/vous-autres-heretiques-vous-etes-retifs-incommunicatifs-dite-5754701.html
2 Une nouvelle édition des Essais de théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de l'homme et l'origine du mal, 1760, de Leibnitz .
3 Voir lettre du 23 décembre 1761 à Fyot de La Marche : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/12/20/de-la-vient-que-la-vie-des-sots-devient-enfin-un-enfer-5889077.html
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24/12/2016
Comment peut-on dire soyons amis à un homme qu’on accable d’un si profond mépris ?
... N'est-ce pas petit Nicolas Sarkozy, ce n'est pas bien de se comporter ainsi envers son ex-premier ministre quand il vient de vous faire prendre une déculottée .
« A Charles Pinot Duclos
Aux Délices 25 décembre 1761
Je présente à l’Académie ma respectueuse reconnaissance de la bonté qu’elle a eue d’examiner mon commentaire sur les tragédies du grand Corneille, et de me donner plusieurs avis dont je profite.
Nous allons commencer incessamment l’édition. Les frères Cramer vont donner leur annonce au public ; les noms des souscripteurs seront imprimés dans cette annonce : on y verra l’empereur, l’impératrice-reine, et l’impératrice de Russie, qui ont souscrit pour autant d’exemplaires que le roi notre protecteur 1. Cette entreprise est regardée par toute l’Europe comme très honorable à notre nation et à l’Académie, et comme très utile aux belles-lettres.
Le nom de Corneille, et l’attente où sont tous les étrangers de savoir ce qu’ils doivent admirer ou reprendre dans lui, serviront encore à étendre la langue française dans l’Europe.
L’Académie a paru confirmer tous mes jugements sur ce qui concerne la langue, et me laisse une liberté entière sur tout ce qui concerne le goût : c’est une liberté dont je ne dois user qu’en me conformant à ses sentiments, autant que je pourrai les bien connaître . Il est difficile de s’expliquer entièrement de si loin, et en si peu de temps.
Dans les premières esquisses que j’eus l’honneur d’envoyer, je remarque dans la Médée de Corneille les enchantements qu’elle emploie sur le théâtre et comme mon commentaire est historique aussi bien que critique, et que je compare les autres théâtres avec le nôtre, je dis que « dans la tragédie de Macbeth, qu’on regarde comme un chef-d’œuvre de Shakespear 2, trois sorcières font leurs enchantements sur le théâtre, etc. »
Ces trois sorcières arrivent au milieu des éclairs et du tonnerre, avec un grand chaudron dans lequel elles font bouillir des herbes. Le chat a miaulé trois fois, disent-elles, il est temps, il est temps ; elles jettent un crapaud dans le chaudron, et apostrophent le crapaud en criant en refrain : Double, double, chaudron trouble !, que le feu brûle, que l'eau bouille, double, double . Cela vaut bien les serpents qui sont venus d’Afrique en un moment, et ces herbes que Médée a cueillies, le pied nu, en faisant pâlir la lune, et ce plumage noir d’une harpie, etc.
C’est à l’Opéra , c’est à ce spectacle consacré aux fables que ces enchantements conviennent, et c’est là qu’ils ont été le mieux traités.
Voyez dans Quinault, supérieur en ce genre :
Esprits malheureux et jaloux,
Qui ne pouvez souffrir la vertu qu’avec peine ;
Vous dont la fureur inhumaine
Dans les maux qu’elle fait trouve un plaisir si doux,
Démons, préparez-vous à seconder ma haine ;
Démons, préparez-vous
A servir mon courroux.3
Voyez en un autre endroit, ce morceau encore plus fort que chante Médée :
Sortez, ombres, sortez de la nuit éternelle ;
Voyez le jour pour le troubler :
Que l’affreux désespoir, que la rage cruelle,
Prennent soin de vous rassembler.
Avancez, malheureux coupables,
Soyez aujourd’hui déchaînés ;
Goûtez l’unique bien des cœurs infortunés :
Ne soyez pas seuls misérables.
Ma rivale m’expose à des maux effroyables :
Qu’elle ait part aux tourments qui vous sont destinés.
Non, les enfers impitoyables
Ne pourront inventer des horreurs comparables
Aux tourments qu’elle m’a donnés,
Goûtons l’unique bien des cœurs infortunés :
Ne soyons pas seuls misérables.4
Ce seul couplet est peut-être un chef-d’œuvre ; il est fort et naturel, harmonieux et sublime. Observons que c’est là ce Quinault que Boileau affectait de mépriser, et apprenons à être justes.
J’ai l’attention de présenter ainsi aux yeux du lecteur des objets de comparaisons, et je présume que rien n’est plus instructif. Par exemple, Maxime dit :
Vous n’aviez point tantôt ces agitations,
Vous paraissiez plus ferme en vos intentions,
Vous ne sentiez au cœur ni remords ni reproche.
CINNA.
On ne les sent aussi que quand le coup approche,
Et l’on ne reconnaît de semblables forfaits
Que quand la main s’apprête à venir aux effets.
L’âme, de son dessein jusqu’alors possédée, etc.5
Shakespear, soixante ans auparavant 6, avait dit la même chose dans les mêmes circonstances ; Brutus, sur le point d’assassiner César, parle ainsi :
« Entre le dessein et l’exécution d’une chose si terrible, tout l’intervalle n’est qu’un rêve affreux. Le génie de Rome et les instruments mortels de sa ruine semblent tenir conseil dans notre âme bouleversée. Cet état funeste de l’âme tient de l’horreur de nos guerres civiles. 7»
Je mets sous les yeux ces objets de comparaison, et je laisse au lecteur à juger.
J’avais oublié d’insérer, dans mes remarques envoyées à l’Académie, une anecdote qui me paraît curieuse. Le dernier maréchal de la Feuillade 8, homme qui avait dans l’esprit les saillies les plus lumineuses, étant dans l’orchestre à une représentation de Cinna, ne put souffrir ces vers d’Auguste :
Mais tu ferais pitié, même à ceux que j’irrite,
Si je t’abandonnais à ton peu de mérite.
Ose me démentir, dis-moi ce que tu vaux,
Conte-moi tes vertus, tes glorieux travaux,
Les rares qualités par où tu m’as su plaire, etc.9
« Ah ! dit-il, voilà qui me gâte toute la beauté du Soyons amis, Cinna. Comment peut-on dire soyons amis à un homme qu’on accable d’un si profond mépris ? On peut lui pardonner pour se donner la réputation de clémence, mais on ne peut l’appeler ami ; il fallait que Cinna eût du mérite, même aux yeux d’Auguste. 10»
Cette réflexion me parut aussi juste que fine, et j’en fais juge l’Académie.
Cette considération sur le personnage de Cinna me ramène ici à l’examen de son caractère. Je pense, avec l’Académie, que c’est à Auguste qu’on s’intéresse pendant les deux derniers actes ; mais certainement, dans les premiers, Cinna et Émilie s’emparent de tout l’intérêt ; et dans la belle scène de Cinna et d’Émilie, où Auguste est rendu exécrable, tous les spectateurs deviennent autant de conjurés au récit des proscriptions. Il est évident que l’intérêt change dans cette pièce, et c’est probablement par cette raison qu’elle occupe plus l’esprit qu’elle ne touche le cœur.
Nota bene. C’est presque le seul endroit où je me sois écarté du sentiment de l’Académie, et j’ai pour moi quelques académiciens que j’ai consultés 11.
Les remords tardifs de Cinna me font toujours beaucoup de peine ; je sens toujours que ces remords me toucheraient bien davantage si, dans la conférence avec Auguste, Cinna n’avait pas donné des conseils perfides, s’il ne s’était pas affermi ensuite dans cette même perfidie. J’aime des remords après un crime conçu par enthousiasme ; cela me paraît dans la nature, et dans la belle nature : mais je ne puis souffrir des remords après la plus lâche fourberie ; ils ne me paraissent alors qu’une contradiction.
Je ne parle ici que pour la perfection de l’art, c’est le but de tous mes commentaires ; la gloire de Corneille est en sûreté. Je regarde Cinna comme un chef-d’œuvre, quoiqu’il ne soit pas de ce tragique qui transporte l’âme et qui la déchire ; il l’occupe, il l’élève. La pièce a des morceaux sublimes, elle est régulière, c’en est bien assez.
J’ai été un peu sévère sur Héraclius, mais j’envoie à l’Académie mes premières pensées, afin de les rectifier. M. Magens 12, éditeur de Don Quichotte et de la Vie de Cervantes, prétend que l’Héraclius espagnol est bien antérieur à l’Héraclius français 13; et cela est bien vraisemblable, puisque les Espagnols n’ont daigné rien prendre de nous, et que nous avons beaucoup puisé chez eux : Corneille leur a pris le Menteur 14, la Suite du Menteur 15, Don Sanche 16.
Je demande permission à l’Académie d’être quelquefois d’un avis différent de nos prédécesseurs qui donnèrent leur sentiment sur le Cid. Elle m’approuvera sans doute, quand je dis que fuir est d’une seule syllabe, quoiqu’on ait décidé autrefois qu’il était de deux.
J’excuse ce vers :
Le premier dont la race a vu rougir son front.17
Je trouve ce vers beau ; la race y est personnifiée, et en ce cas son front peut rougir.
J’approuve ce vers :
Mon âme est satisfaite,
Et mes yeux à ma main reprochent ta défaite.18
L’Académie y trouve une contradiction ; mais il me paraît que ces deux vers veulent dire : Je suis satisfait, je suis vengé, mais je l’ai été trop aisément ; et je demande alors où est la contradiction. On a condamné instruisez-le d’exemple 19; je trouve cette hardiesse très heureuse. Instruisez-le par exemple serait languissant ; c’est ce qu’on appelle une expression trouvée, comme dit Despréaux 20. J’ai osé imiter cette expression dans la Henriade :
Il m’instruisait d’exemple au grand art des héros 21, et cela n’a révolté personne.
Je prends aussi la liberté d’avoir quelquefois un avis particulier sur l’économie de la pièce. Ceux qui rédigèrent 22 le jugement de l’Académie disent qu’il y aurait eu, sans comparaison, moins d’inconvénient dans la disposition du Cid de feindre, contre la vérité, que le comte ne fût pas trouvé à la fin véritable père de Chimène ; ou que, contre l’opinion de tout le monde, il ne fut pas mort de sa blessure. Je suis très sûr que ces inventions, d’ailleurs communes et peu heureuses, auraient produit un mauvais roman sans intérêt.
Je souscris à une autre proposition : c’est que le salut de l’État eût dépendu absolument du mariage de Chimène et de Rodrigue. Je trouve cette idée fort belle ; mais j’ajoute qu’en ce cas il eût fallu changer la constitution du poème.
En rendant ainsi compte à l’Académie de mon travail, j’ajouterai que je suis souvent de l’avis de l’auteur de Télémaque, qui, dans sa Lettre à l’Académie sur l’Éloquence, prétend que Corneille a donné souvent aux Romains une enflure et une emphase qui est précisément l’opposé du caractère de ce peuple-roi 23. Les Romains disaient des choses simples, et en faisaient de grandes. Je conviens que le théâtre veut une dignité et une grandeur au-dessus de la vérité de l’histoire ; mais il me semble qu’on a passé quelquefois ces bornes.
Il ne s’agit pas ici de faire un commentaire qui soit un simple panégyrique ; cet ouvrage doit être à la fois une histoire des progrès de l’esprit humain, une grammaire, et une poétique.
Je n’atteindrai pas à ce but, je suis trop éloigné de mes maîtres, que je voudrais consulter tous les jours ; mais l’envie de mériter leurs suffrages en me rendant plus laborieux et plus circonspect, rendra peut-être mon entreprise de quelque utilité.
Nota bene que je ne puis me servir dans le Cid de l’édition de 1664, parce qu’il faut absolument que je mette sous les yeux celle que l’Académie jugea quand elle prononça entre Corneille et Scudéry.
J’ajoute que si l’Académie voulait bien encore avoir la bonté d’examiner le commentaire sur Cinna, que j’ai beaucoup réformé et augmenté, suivant ses avis, elle rendrait un grand service aux lettres. Cinna est de toutes les pièces de Corneille celle que les hommes en place liront le plus dans toute l’Europe, et par conséquent celle qui exige l’examen le plus approfondi.
Je supplie l’Académie d’agréer mes respects. »
1Protecteur de l'Académie française .
2 Cette observation figure dans les remarques sur Médée, IV, 2 ; la plus grande partie de ce qui suit a été incorporée au commentaire que fit V* sur cette pièce et passim .
3 Amadis, II, 3, de Quinault .
4 Thésée, III, 7, de Quinault, cité inexactement .
5 Cinna, III, 2 .
6 Jules César fut écrit en 1599, Cinna en 1639 ou 1640, ce qui ne fait que quarante ans de différence .
7 Jules César , III, 1, vers 63-69 , très inexactement traduits .
8 Louis d'Aubusson, comte de La Feuillade, qui mourut en 1725 .
9 Cinna, V, 1 .
10 V* raconte cette histoire d'une façon quelque peu différente dans son commentaire de Cinna, V, 1 .
11 Il semble d'après le manuscrit que V* a ajouté ce paragraphe en marge .
12Gregorio Mayans y Siscar ; sa vie de Cervantès fait partie de l'édition de Londres, 1738 ; Vida y hechos des ingenioso hidalgo don Quixote de la Mancha ; V* avait lu probablement la traduction parue en 1740 sous le titre La vie de Michel de Cervantes Saavedra, 1740 , de D.S.L. [= Pierre Daudé]
13 Il est certain qu'il existe des rapports entre La Rueda de la fortuna, de Antonio Mira de Amuesca, En esta vida todo es verdad y todo es mentira, de Calderon, et Héraclius, de Corneille . Ces influences sont étudiées dans une lettre en latin de Mayans à V* du 14 février 1762 .
14 Inspiré de La verdad sospechosa, de Juan Ruiz Alarcon y Mendoza, 1634 .
15 La Suite du Menteur a été suggérée à Corneille par une pièce de Lopez de Vega, Amar sin saber a quien (Aimer sans savoir qui), 1630 .
16 Pour Don Sanche d'Aragon, Corneille a puisé à des sources diverses, comprenant notamment El palacio confuso, de Lope de Vega ou de Mira de Amuesca .
17 Le Cid, II, 1, cité inexactement (ma race ait pour la race a )
18 Le Cid, I, 4 .
19 Le Cid, I, 4 ; le texte exact est pour s'instruire d'exemple .
20 Boileau, Satires, III, 195-196, qui dit plus précisément : « C'est là ce qu'on appelle un ouvrage achevé ! / Surtout, l'anneau royal me semble bien trouvé . »
21 La Henriade, II, 115 .
22 Nous corrigeons le texte de l'édition Kehl , rédigeront .
23 Les Réflexions sur la grammaire, la rhétorique, la poétique et l'histoire, de Fénelon, plus connue sous le nom de Lettre à l'Académie française .
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