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15/04/2016

ce n'est pas assez de montrer qu'on a plus d'esprit que les autres . Allons donc, rendez quelque service au genre humain . Écrasez l’infâme

... Etait-ce une preuve d'esprit que de suivre la prestation télévisée de notre Fanfoué Hollande hier soir ? En était-ce une encore que de suivre le débat qui lui succèda ? Je pense que le débat valait mieux que les dires présidentiels convenus et prévisibles .

Rendre quelque(s) service(s) ? oups ! Au genre humain , dites-vous  ? dur, dur de trier le bon grain de l'ivraie ! dur, dur de penser aux autres quand on vit pour sa pomme .

Ecraser l'infâme ? reste à oser enfin l'entreprendre .

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« A Jean Le Rond d'Alembert

7 ou 8 mai [1761] 1

Monsieur le Protée, monsieur le multiforme, je crois que votre discours sur l'étude 2 est celui de vos ouvrages qui m'a fait le plus de plaisir, soit parce que c'est le dernier, soit parce que je m'y retrouve . Somme totale vous êtes grand penseur et grand metteur en œuvre . Mais ce n'est pas assez de montrer qu'on a plus d'esprit que les autres . Allons donc, rendez quelque service au genre humain . Écrasez l’infâme, sans pourtant risquer de tomber comme Samson sous les ruines du temple qu'il démolit . Faites sentir à notre siècle toute sa petitesse et tout son ridicule . Renversez ses idoles . Qui sont ces polissons qui ont fait brûler cette consultation de ce polisson qui a répondu à Mlle Clairon par du galimatias ? a-t-on jamais rien vu de plus sot que le livre de cet avocat ? et rien de plus impertinent que l'arrêt qui le condamne ?

La séance contre l'Encyclopédie, et le réquisitoire aussi insolent qu'absurde de maître Aliboron Omer ne sont-ils pas dignes du quatorzième siècle ? Faut-il qu'une troupe de convulsionnaires soit toute puissante ? et ne doit-on pas rougir quand on est homme, de ne pas sonner le tocsin contre ces ennemis de l'humanité ? Ne détruisit-on pas dans Athènes la tyrannie des Trente ? Et n'est-ce pas par le ridicule qu'il faut détruire dans Paris la tyrannie des 180 3? On se plaignait autrefois des jésuites, mais saint Médard 4 devient plus à craindre que saint Ignace . Si on ne peut étrangler le dernier moliniste avec les boyaux du dernier janséniste, rendons au moins ces perturbateurs du repos public si ridicules aux yeux des honnêtes gens, qu'ils n'aient plus pour eux que le faubourg Saint Marceau et les halles . Mon cher philosophe vous vous déclarez l'ennemi des grands et de leurs flatteurs et vous avez raison . Mais ces grands protègent dans l'occasion, ils peuvent faire du bien, ils méprisent l’infâme, ils ne persécuteront jamais les philosophes pour peu que les philosophes daignent s'humaniser avec eux . Mais pour vos pédants de Paris qui ont acheté un office, pour ces insolents bourgeois moitié fanatiques moitié imbéciles ils ne peuvent faire que du mal . Notre foutue académie a donné pour sujet de son prix, les louanges d'un chancelier janséniste 5, persécuteur de toute vérité, mauvais cartésien, ennemi de Neuton, faux savant et faux honnête homme . Passe pour le maréchal de Saxe qui aimait les filles et qui ne persécutait personne . Je suis indigné de tout ce qui m'est revenu de Paris . Je ne connais que vous qui puissiez venger la raison . Dites hardiment et fortement tout ce que vous avez sur le cœur . Frappez et cachez votre main . On vous reconnaitra, je veux bien croire qu'on en ait l'esprit, qu'on ait le nez assez bon, mais on ne pourra vous convaincre, et vous aurez détruit l'empire des cuistres dans la bonne compagnie . En un mot je vous recommande l’infâme . Faites-moi ce plaisir avant que je meure . C'est le point essentiel . L'Oracle des fidèles 6 devrait faire une prodigieuse sensation, mais la nation est trop frivole pour un livre qui demande de l'attention .

À propos je n'ai pas ici mes calculs de la vie humaine mais il est clair que nous autres animaux à deux pieds nous n'avons que 22 ans dans le ventre , l'un portant l'autre . Expliquez-moi comment à 30 ans on doit espérer 60 . J'en ai 67 et je suis bien malingre . Je voudrais vous voir avant de rendre mon corps et mon âme aux quatre éléments .

Dites, je vous prie à Mme du Deffand combien je lui suis attaché, elle pense et parle, et il y en a de par le monde qui ne savent pas même parler .

Oui oui j'ai reçu votre lettre 7 et je m'intéresse fort à votre pouce . »

 

1 Edition de Kehl, incomplète ; éditon Renouard plus fidèle mais il y manque les deux derniers paragraphes écits dasn la marge du bas sur le manuscrit .

3 Le parlement de Paris .

4 Allusion au cimetière Saint Médard, où se déroulaient les scènes des convulsionnaires jansénistes ; on les évoque dans Candide, chap . XXII (version initale ) .

5 Le chancelier d'Aguesseau ; mais ce sujet avait en fait été proposé l'année pécédente et gagné par Antoine-Léonard Thomas pour son Eloge du chancelier d'Aguesseau, 1761 ; voir :http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/antoine-leonard-thomas

et : https://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine_L%C3%A9onard_Thomas

et : https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Fran%C3%A7ois_d'Aguesseau

et : https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-00551610/document

6 Sur cet « oracles des fidèles », voir lettre du 8 décembre 1760 à Tieriot : L'Oracle des anciens fidèles, pour servir de suite et d'éclaircissement à la sainte Bible, 1760,condamné au feu par le parlement de Paris le 3 décembre 1760 et brûlé le 6 , serait de Simon Bigex ; V* désigne le véritable auteur dans sa lettre à Damilaville du 12 juillet 1763 ; l'attribution qu'il fait ici de l'ouvrage est- elle une plaisanterie ? Sur Bigex, voir Louis Bouvier :  « Simon Bigex, secrétaire de Voltaire », Revue savoisienne, Annecy, 15 novembre 1863, IV, 85-87 .

 

14/04/2016

Je vois avec des yeux d'envie que les Allemandes valent bien mieux que les Françaises

... Paroles de femme !

Femme(s) du XVIIIè , siècle, et non arrondissement .

A actualiser : est-ce encore vrai ? Je prêcherais plutôt pour l'égalité, ne voyant pas pourquoi les unes l'emporteraient sur les autres .

Quant à ceux qui ont tout de suite pensé qu'il était question de voitures, je vous laisse faire votre choix, sachant que les Allemandes ont une fâcheuse propension à se faire valoir en trichant , mentant sur leurs émanations nocives, et buvant plus que de raison , pire qu'à l'Oktoberfest, -bière ET schnaps : réveils difficiles garantis,- comme quand on passe à la pompe ! 

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Union cordiale ist besser !

 

 

« Marie-Louise Denis et Voltaire

à

Charlotte-Sophie von Altenburg, comtesse Bentinck

Ce 7 mai [1761]

Je n’ai reçu, madame, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire datée du 12è mars que le 30 avril . J'ai déploré mon sort . Ce retardement m'a fait sentir combien j'étais loin de vous .

J'ai eu l'honneur de vous faire une réponse à la lettre dont vous me parlez le 13 janvier . Le 20 mars je vous ai envoyé le mémoire que vous m'aviez chargé de demander au chevalier de Florian 1. J'y ai joint une Épître en vers sur l’agriculture très agréable que mon oncle a daigné m'adresser et dont je suis fort glorieuse .

Voilà un compte exact de ma conduite qui d'ordinaire n'est pas trop bonne . Mais je compte sur vos bontés . Il est vrai madame que mon oncle a fait une très belle action en offrant à Mlle Corneille une main bienfaisante . Son nom seul est intéressant, elle était dans une situation triste . Il est bien étonnant que M. de Fontenelle, son parent , ne lui ai rien laissé . Mon oncle est né plus sensible, il a réparé cette faute . J'en suis d'autant plus contente que cette jeune personne est un très bon sujet, elle est gaie, caressante et très reconnaissante . Si nous trouvons à la marier, mon oncle s'y prêtera de tout son cœur . Si elle aime mieux rester avec nous, elle nous fera une société agréable .

Je ne suis point étonnée, madame, que Tancrède vous plaise . Cette pièce est faite pour les cœurs sensibles, le rôle d'Aménaide est un des plus beaux qui soient au théâtre . Je l'ai joué quelquefois et j'espère le jouer encore . Je sais que vous lisez les vers à merveille et mon oncle est très flatté que vous preniez du plaisir à rendre les siens . Mlle Clairon fait un effet prodigieux dans cette pièce, elle dit toujours que si M. de Voltaire ne veut pas aller l'entendre, elle viendra le trouver et lui jouera toutes ses pièces . Il bâtit actuellement une église à Ferney et finira par un théâtre . Vous voyez madame qu'il remplit tous ses devoirs, c'est à vous à le justifier aux yeux de tous vos rigoristes d'Allemagne . Si vous vous chargiez de sa cause elle serait en de si bonnes mains que je ne désespèrerais pas que vous ne le fissiez canoniser un jour à Vienne, mais il l'est déjà puisqu'une princesse fait pour lui des choses charmantes .

Je vois avec des yeux d'envie que les Allemandes valent bien mieux que les Françaises . On ne peut faire plus agréablement des vers, ni louer plus finement . Mon oncle aura l'honneur de vous écrire incessamment . Vous nous feriez aimer la guerre si nous n’espérions de vos nouvelles que dans ces moments de carnages et d'horreurs . Honorez-nous de vos lettres madame et faisons la paix . Vous savez que vous avez pour ce temps-là des projets à exécuter . Nous souhaitons de nous trouver sur votre passage et de vous renouveler notre attachement le plus inviolable , le plus respectueux et le plus tendre .

Denis .

 

Réponse à l'illustre dame 2

qui me soupçonne d’en avoir trop dit.

Je n'ai pas l'honneur d'être sage,

Mes écrits sont peu compassés.

J'en disais trop dans mon jeune âge,

Mais si je viens vous rendre hommage,

Quoique mes beaux jours soient passés,

Je vous en dirai davantage,

Et je n'en dirai point assez .

Pour vous madame la comtesse, il y a bien longtemps que vous ne m'avez rien dit . Je ne peux vous en faire de reproches puisque vous êtes dans la première des cours et dans la plus aimable . Je conçois bien qu'on ne vous laisse pas le temps d'écrire . Mais vous pensez à trop de choses à la fois pour oublier entièrement le plus respectueux et le plus attaché de vos anciens courtisans, le plus pénétré de votre mérite, et qui certainement ne vous oubliera jamais .

V. »

1 A cette date, Mme Denis écrivait en effet à la comtesse Bentinck : « Pardonnez-moi si j'ai tardé si longtemps . Mais ma lettre a eu de la peine à joindre M. Florian, qui est actuellement chez Mme de Fontaine au château d'Ornoy en Picardie . Il m'envoie ce mémoire madame, il me charge d'avoir l'honneur de vous le faire tenir . Si vous voulez avoir la bonté de lui remettre cet argent, il suffira de faire prendre une lettre de change à Vienne à l'ordre de M. de Florian sur M. Tourton, banquier à Paris . »

2 Dans une lettre du 2 juin 1761, la comtesse Bentinck nomme cette « illustre dame » : c'est la princesse de Trautson ; voir : https://archive.org/stream/charlottesophiec01lebliala/charlottesophiec01lebliala_djvu.txt

 

 

13/04/2016

Je n'étais qu'un Bourguignon de frontières et je suis à présent de la capitale

... Et je le regrette bien .

Voltaire parle ici de la capitale bourguignonne Dijon, ce qui m'aurait suffisamment convenu, plutôt que notre capitale nationale .

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« A Louis Quarré de Quintin

Ferney, 6 mai 1761 1

Vous êtes je crois le premier procureur général qui ait envoyé des douceurs et qui en ait dites à un pauvre homme de lettres comme moi . Je ne me flattais pas, monsieur, que ce serait vous qui me donnassiez des épices .

[Le remercie d'avoir assuré son élection à l'Académie de Dijon . Ira le remercier en personne aussitôt que son église sera achevée .]

Je n'étais qu'un Bourguignon de frontières et je suis à présent de la capitale […] Je bâtis une église et une grange et je vais de l'une à l'autre ; je suis architecte, sacristain, laboureur et jardinier, et de plus, grand barbouilleur de vers et de prose, le tout avec une santé si mauvaise que je ne peux presque être trois heures hors de ma chambre [...] »

1 Le manuscrit olographe, de trois pages, signé, est passé le 21 février 1936 chez Cornuau . Il doit mentionner Ruffey comme destinataire, mais celui-ci n'était pas alors le procureur général de Dijon ; voir aussi lettre du 24 avril 1761 à Ruffey : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/04/03/on-m-a-envoye-des-confitures-5783412.html

 

je n'aime pas ces fureurs étudiées, ces déclamations

... De même que Nuit debout me fait irrésistiblement penser au Nuit grav' des paquets de cigarette : mise en garde bidon, ça pique les yeux  un moment, ça part en fumée, ça pollue, ça ne sert à rien .

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 Ou "comment se faire entendre dans le bordel ambiant !"

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'ArgentaI

4 mai [1761]

Les divins anges auront de l'Oreste tant qu'ils voudront . J'ai relu les fureurs, je n'aime pas ces fureurs étudiées, ces déclamations . Je ne les aime pas même dans Andromaque . Je ne sais ce qui m'est arrivé, mais je ne suis content ni de ce que je fais , ni de ce que je lis . Il y a surtout une consultation d'avocat pour Mlle Clairon qui est du style des charniers Saint-Innocent 1. J'ai pardonné à l’archidiacre, j'oublie Fréron, mais Omer me le paiera .

Les jésuites sont bien impudents d'oser dire que frère La Valette ne faisait pas le commerce, et qu'il ne vendait que les denrées du cru . Je connais un homme d'honneur, un brave corsaire qui l'a vu, déguisé en matelot , courir les colonies anglaises et hollandaises, et qui l'a accompagné dans un voyage à Amsterdam .

Je suis encore plus indigné de tout ce que je vois, que de tout ce que je lis . Je regrette fort le chevalier d'Aydie 2 car il était bien fâché contre le genre humain . Je crois que je n'aime que mes anges et Ferney .

M. le duc de Choiseul m'a écrit une fort jolie lettre 3, mais il est si grand seigneur que je n'ose l'aimer .

Le cardinal de Bernis est à Lyon . Je ne l'ai pas prié de venir dans mon joli séjour . Je ne suis pas arrangé encore, et il est cardinal .

Je vous demanderai encore grâce, de lire Le Droit du seigneur ou L’Écueil du sage . Je vous dis qu'il faut que vous ayez des âmes de bronze si vous n'en êtes pas contents . Il est vrai que c'est toute autre chose que ce que vous avez vu – mais songeons à Oreste . J'y travaille dans l'instant . »

 

3 Du 23 avril 1761 : « Je vous demande mille pardons, mon cher solitaire, d'avoir été si longtemps sasn vous écrire ; j'en suis d'autant ^plus fâché que mon silence forcé occasionne nécesssairement la rareté de vos lettres et que je vous assure que, dans la nombre de celles que je suis dans le cas d elire, les vôtres avaient la préférence [...] »

 

12/04/2016

je suis accablé de tant de riens, si surchargé de billevesées, et si faible que vous me pardonnerez

... Et pourtant, ce cher Voltaire n'avait pas encore à se plaindre des riens radiophoniques, télévisuels, internet et presse people . Il n'avait pas sous les yeux les inepties twittées ou fesses-de-bouquées, heureusement . Je ne les ai pas non plus , jouissant encore de ma liberté de lecture et d'un soupçon de jugeotte adjointes au mode d'emploi de la télécommande .

 

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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

1er mai 1761

Permettez mes anges que je fasse passer par vos mains cette lettre à Duclos ou plutôt à l'Académie en réponse de la proposition que notre secrétaire m'a faite de travailler à donner au public nos auteurs classiques . Il est vrai que j'ai un peu d'occupation, car excepté de fendre du bois, il n'y a sorte de métier que je ne fasse .

Cependant mettez-vous Oreste à l'ombre de vos ailes ?

Pardon encore une fois, mais je n'ai pu m'empêcher de donner beaucoup de temps à cette pièce du temps de François Ier . Ce sujet m'a tourné la tête . Vous dites que c'est à peu près ce que j'ai fait de plus mauvais en ce genre . Mme Denis soutient que c'est ce que j'ai fait de mieux .

Je vous demande pardon ; mais je donne la préférence cette fois-ci à Mme Denis .

Pour Mlle Corneille, elle n'est pas encore dans le secret . Nous lui apprenons toujours à lire, à écrire, à chiffrer, et dans un an nous lui ferons lire Le Cid . Elle n'a pas le nez tourné au tragique . M. de Chimène n'est pas non plus dans la confidence . Il fait jouer cette semaine son Don Carlos à Lyon, et est trop occupé de sa gloire pour qu'on lui confie des bagatelles .

Mes anges je suis accablé de tant de riens, si surchargé de billevesées, et si faible que vous me pardonnerez le laconisme de ma lettre .

N.b. pourtant que j'ai pris la liberté de vous adresser par M. Tronchin ma triste figure pour l'Académie qui la demande 1. N'allez pas faire le difficile comme sur la pièce d'Heurtaud . Ayez la bonté de souffrir cette enseigne à bière . Je la mets sous votre protection, et Heurtaud aussi qui brigue je crois une place d'Arlequin . »

 

11/04/2016

les inventeurs sont si au-dessus des autres hommes que la postérité pardonne leurs plus grandes fautes

... Beau sujet de philosophie pour le bac , aussi ne m'étendrai-je pas là-dessus !

Par exemple; si je reconnais avec joie la valeur d'un Pasteur et d'un Fleming et tous autres grands de la médecine, il m'est très difficile et même impossible d'admirer l'inventeur de Fesses de bouc  ou de Tweetter . A chacun sa vision du progrès, ou bénéfique pour tous les humains, ou qui ne sert qu'à quelques-uns . 

http://www.jesuismort.com/biographie_celebrite_chercher/celebre-inventeur-142.php

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« A Charles Pinot Duclos

A Ferney 1er mai 1761 1

Après le Dictionnaire de l'Académie, ouvrage d'autant plus utile que la langue commence à se corrompre, je ne connais point d'entreprise plus digne de l'Académie et plus honorable pour la littérature que celle de donner nos auteurs classiques avec des notes instructives .

Voici, monsieur, les propositions que j'ose faire à l'Académie avec autant de défiance de moi-même que de soumission à ses décisions . Je pense qu'on doit commencer par Pierre Corneille puisque c'est lui qui commença à rendre notre langue respectable chez les étrangers . Ce qu'il y a de beau chez lui est si sublime qu'il rend précieux tout ce qui est moins digne de son génie . Il me semble que nous devons le regarder du même œil que les Grecs voyaient Homère , le premier en son genre et l'unique même avec ses défauts C'est un si grand mérite d'avoir ouvert la carrière, les inventeurs sont si au-dessus des autres hommes que la postérité pardonne leurs plus grandes fautes . C'est donc en rendant justice à ce grand homme et en même temps en marquant les vices du langage où il peut être tombé et même les fautes contre son art que je me propose de faire une édition in-quarto de ses ouvrages .2

J'ose croire, monsieur, que l'Académie ne me désavouera pas, si je propose de faire cette édition pour l’avantage du seul homme qui porte aujourd'hui le nom de Corneille et pour celui de sa fille .

Je ne peux laisser à Mlle Corneille qu'un bien assez médiocre, ce que je dois à ma famille ne me permet pas d’autres arrangements . Nous tâchons Mme Denis et moi de lui donner une éducation digne de sa naissance ; il me paraît de mon devoir d'instruire l'Académie des calomnies que le nommé Fréron a répandues au sujet de cette éducation . Il dit, dans une des feuilles de cette année, que cette demoiselle aussi respectable par son infortune et par ses mœurs que par son nom est élevée chez moi par un bateleur de foire que je loge et que je traite comme mon frère .

Je peux assurer l'Académie, qui s’intéresse au nom de Corneille à qui je crois devoir compte de mes démarches, que cette calomnie absurde n'a aucun fondement ; que ce prétendu acteur de la foire est un chirurgien-dentiste du roi de Pologne qui n'a jamais habité au château de Ferney et qui n'y est venu exercer son art qu'une seule fois . Je ne conçois pas comment le censeur des feuilles du nommé Fréron a pu laisser passer un mensonge si personnel, si insolent, et si grossier contre la nièce du grand Corneille .

J'assure l'Académie que cette jeune personne qui remplit tous les devoirs de la religion et de la société mérite tout l'intérêt que j'espère qu'on voudra bien prendre à elle . Mon idée est que l'on ouvre une simple souscription sans rien payer d'avance .
Je ne doute pas que les plus grands seigneurs du royaume dont plusieurs sont nos confrères ne s'empressent à souscrire pour quelques exemplaires . Je suis persuadé même que toute la famille royale donnera l'exemple .

Pendant que quelques personnes zélées prendront sur elles le soin généreux de recueillir ces souscriptions, c'est-à-dire seulement le nom des souscripteurs, et devront les remettre à vous, monsieur, ou à celui qui s'en chargera, les meilleurs graveurs de Paris entreprendront les vignettes et estampes à un prix d'autant plus raisonnable, qu'il s'agit de l'honneur des arts et de la nation . Les planches seront remises ou à l'imprimeur de l'Académie ou à la personne que vous indiquerez . L'imprimeur m'enverra des caractères qu’il aura fait fondre par le meilleur fondeur de Paris, il me fera venir aussi le meilleur papier de France, il m'enverra un habile compositeur, et un habile ouvrier . Ainsi tout se fera par des Français . Ce libraire n'aura aucune avance à faire, les deniers de ceux qui acquerrons l'ouvrage imprimé seront remis à une personne nommée par l'Académie, et le profit sera partagé entre l'héritier du nom de Corneille et votre libraire sous le nom duquel les œuvres de Corneille seront imprimées ; la plus grosse part comme de raison pour M. Corneille .

Je supplie l'Académie de daigner accepter la dédicace . Chaque amateur souscrira pour tel nombre d'exemplaires qu'il voudra . Je souscris pour six . Je crois que chaque exemplaire pourra revenir à cinquante livres .3

Les sieurs Cramer se feront un plaisir et un honneur de présider sous mes yeux à cet ouvrage . On leur donnera pour leurs honoraires certain nombre d'exemplaires pour les pays étrangers .

Je prendra la liberté de consulter quelquefois l'Académie dans le cours de l'impression . Je la supplie d’observer que je ne peux me charger de ce travail à moins que tout ne se fasse sous mes yeux, ma méthode étant de travailler toujours sur les épreuves des feuilles, attendu que l'esprit semble plus éclairé quand les yeux sont satisfaits .D'ailleurs il m'est impossible de me transplanter et de quitter un moment le pays que je défriche .

Je peux répondre que l'édition une fois commencée, sera faite au bout de six mois . Telles sont, monsieur, mes propositions, sur lesquelles j'attends les ordres de mes respectables confrères .

Il me paraît que cette entreprise fera quelque honneur à notre siècle et à notre patrie . On verra que nos gens de lettres ne méritaient pas l'outrage qu'on leur a fait quand on a osé leur imputer des sentiments peu patriotiques, une philosophie dangereuse et même de l'indifférence pour l'honneur des arts qu'ils cultivent

J'espère que plusieurs académiciens voudront bien se charger des autres auteurs classiques . M. le cardinal de Bernis et M.  l'archevêque de Lyon 4 feraient une chose digne de leur esprit et de leurs places de présider à une édition des Oraisons funèbres et des Sermons des illustres Bossuet 5 et Massillon 6. Les Fables de La Fontaine ont besoin de notes, surtout pour l'instruction des étrangers . Plus d'un académicien s'offrira à remplir cette tâche qui paraîtra aussi agréable qu'utile .

Pour moi j'imagine qu'il me convient d'oser être le commentateur du grand Corneille, non seulement parce qu'il est mon maître, mais parce que l'héritier de son nom 7 est un nouveau motif qui m'attache à la gloire de ce grand homme .

Je vous supplie donc , monsieur, de vouloir bien faire convoquer une assemblée assez nombreuse pour que mes offres soient examinées et rectifiées et que je me conforme en tout aux ordres que l'Académie voudra bien me faire parvenir par vous, etc»

 

1 L'édition de Kehl donne par erreur «  plus honorable que la littérature » au lieu de « pour » .

2 V* changea plusieurs fois d'avis sur la forme qu'il convenait de donner à l'édition ; elle parut finalement en douze volumes in-8°, avec des figures d'après Gravelot (saut une ) .

3 Ces quatre mots manquent dans les éditions .

4 Montazet .

5 Le projet se réalisa d'autant moins qu'il existait une belle édition récente en quinze volumes in -4° des Œuvres de messire Jacques-Bénigne Bossuet, 1743-1747, suivie de trois volumes d'Oeuvres posthumes, 1753 . il était paru aussi plus récemment le recueil des oraisons funèbres, 1749 .

6 Il existait déjà de nombreuses éditions des Sermons de Massillon ; la première collection de ses Œuvres, parue en 1710 avait été rapidement suivie d'une douzaine d'autres, ce qui rendait également difficile le projet d'une édition académique . V* possédait l'édition de 1745 .

7 Le père de marie-Françoise Corneille .

 

10/04/2016

vous êtes plus sages que nous, vous laissez dormir les lois ridicules, faites dans les temps de barbarie, et nous sommes assez barbares pour réveiller ces lois

...  Je crains bien que ça ne soit pas demain la veille que ces paroles soient dites par les intégristes religieux de tous bords, à ceux qui, tout autant religieux qu'eux mais heureusement fraternels, ont abandonné tous les dogmes mortifères . Ecrasons l'infâme !

A part celà, les lois ridicules de notre vie civile sont foisonnantes et remontent parfois à l'Ancien Régime . Notre Code Civil et notre Code du Travail ont une croissance qui me rappelle l'apport de scories des volcans les plus actifs, énormes et inabordables .

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« Au comte Francesco Algarotti

Au château de Ferney en Bourgogne

par Genève , 1er mai 1761 1

Si je suivais mon goût, j'écrirais toutes les semaines au cygne de Padoue, mais un vieux malade ne fait pas tout ce qu'il veut, la vieillesse est le partage des désirs impuissants . J'ai pourtant écrit une lettre de quatre pages en envoyant un petit paquet, qui doit être parvenu à Venise . Je crois que mon cygne fait actuellement entendre ses chants mélodieux à Bologne ; pourrait-il avoir la bonté de me mander, si en Italie c'est la coutume de jeter à la voirie les acteurs qui ont joué les opera de Métastasio ? C'est une querelle qui se renouvelle actuellement en France ; nous prétendons qu'on ne doit point refuser la sépulture à des citoyens qui sont aux gages du roi ; il est plaisant qu'on enterre le bourreau avec cérémonie, et qu'on ait jeté à la voirie Mlle Lecouvreur . Je sais bien que les rituels de l'Italie et des Gaules sont les mêmes, je sais que dans les uns et dans les autres on excommunie les sorciers, les farceurs qui vendent de l'orviétan dans la place publique pendant la messe, les sauterelles, et ceux qui ne paient pas les dîmes à l’Église ; mais vous êtes plus sages que nous, vous laissez dormir les lois ridicules, faites dans les temps de barbarie, et nous sommes assez barbares pour réveiller ces lois ; c'est que nous avons des jansénistes, et que vous n'en avez point . Les gouvernements tranquilles sont modérés ; et les gouvernements contredits sont de mauvaise humeur .

Je fais ce que je peux pour rendre les jésuites et les jansénistes ridicules . Dieu bénit quelquefois mes petits soins . S'il voulait bénir aussi les jardins que j'ai plantés, il me ferait grand plaisir, mais nous avons nous autres Allobroges des vents de bise, que vous autres Bolognais ne connaissez pas . Sans cet abominable vent du nord, qui gâte tout, notre petit pays vaudrait mieux que celui du pape . Nous allons avoir la paix, ferez-vous un petit tour à Sans-Souci ? Pour moi je ne crois pas que je refasse le voyage . Bonsoir, le plus aimable des hommes ; je suis le plus malingre, mais je ne suis pas le plus triste .Vi abbraccio teneramente 2.

V. »

1 Les derniers mots italiens sont autographes . Le même jour Mme du Bocage écrivait de Paris à Algarotti : « […] il [Voltaire] a mis en vers croisés le Tancrède, que j'ai, comme vous, peine à goûter ; Mlle Clairon le rend de façon qu'on ne sait comment il est rimé ; on croit qu'Apollon le dicte par la bouche de Melpomène ». L'indication sur la diction de Mlle Clairon est précieuse : elle montre que l'actrice dit les vers « comme de la prose », ce dont V* se plaindra dans une note de l'édition des Mémoires de Mme de Caylus .

2 Je vous embrasse tendrement .