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15/06/2016

Je prends beaucoup plus d'intérêt aux succès des frères, à la liberté de la littérature , à l'édition de l'Encyclopédie qu'à toutes ces misères

... qui me touchent sans me blesser gravement , ajoutè-je subito in petto .

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Nota bene : "Aux origines de la lutte pour la liberté d'expression"

 

 

« A Etienne-Noël Damilaville

11 juillet [1761]

Voici une lettre d'un Italien 1 homme de très grande considération qu'il sera bon, mes frères de faire imprimer dans tous les journaux . Je crois que Mme de Pompadour n'en sera pas fâchée .

Je ne sais pas encore si on a joué Oreste . J'en attends des nouvelles, redolet antiquitatem 2; mais il fait bien chaud, et les Français parum colunt antiquitatem 3.

Je reçois dans ce moment la lettre d'un cher frère dans laquelle il me parle du bon goût du sieur Bellecour 4. Je crois qu'il serait bon de joindre le titre du Droit du seigneur à celui de L’Écueil du sage 5; car les Bellecour et ejusdem farinae homines 6 ne savent pas qu'autrefois les seigneurs séculiers et prêtres avaient dans leur domaines le droit de cuissage , le droit de prélitation ; cette partie du sujet ignorée des comédiens perd de son piquant aux yeux de ceux qui n'en sont pas instruits .

On m'avait mandé qu'on jouait Oreste ; apparemment qu'il n'en est rien .

Je prends beaucoup plus d'intérêt aux succès des frères, à la liberté de la littérature , à l'édition de l'Encyclopédie qu'à toutes ces misères, et je ne suis attaché au Droit du seigneur que pour l'avantage de frère Thiériot .

Voici une pièce de vers d'un M. Poinsinet . Il y a des choses heureusement dites et touchantes, intérêt à part . Ce M. Poinsinet n'est point du tout ami de Fréron, comme on me l'avait écrit . Au contraire il me paraît très honnête homme . »

1 Cette lettre d'Albergati du 30 juin 1761dont on voit des extraits en note de la lettre du 8 juillet 1761 de V* à celui-ci, parut dans le Journal encyclopédique du 15 juillet 1761 .

2 Sent l'antiquité ; Cicéron, Brutus, XXI, 82 .

3 Réverent trop peu l'antiquité .

6 Et les gens de même farine .

 

 

14/06/2016

Il me semble que je commence à connaître l’art, en étudiant mon maître à fond.

... Ce qui vaut autant pour un artiste que pour tout élève qui veut tant soit peu progresser . Connaitre son maître puis en devenir un si possible, si nécessaire .

Connaitre l'art de l'orthographe et de la grammaire, savoir parler français, savoir compter sans calculette, voilà des bases que certains professeurs des écoles ne maitrisent pas aussi bien que les maîtres d'école, -bien nommés,- du passé, d'avant les réformettes à la gomme de l'Education nationale .

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« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

Ferney 8 juillet 1761

Vraiment je prenais bien mon temps pour écrire au cardinal Passionei 1. Il est mort, ou autant vaut ; et, à moins qu’il ne m’envoie de ses reliques, je n’en aurai point. J’ai peur à présent que mon paquet ne soit parti . Je m’abandonne à la Providence.

Pour me dépiquer, mes chers anges, je vous enverrai incessamment Zulime. Je me suis raccommodé avec elle, comme vous savez 2 mais je suis toujours brouillé avec Pierre-le-Cruel 3.

C’est avec un plaisir extrême que je commente Corneille. Je ne donnerai de notes que sur les pièces qui restent de lui au théâtre, et j’ose croire que ces notes ne seront pas inutiles. En vérité, cet homme-là me fera faire encore une tragédie. Il me semble que je commence à connaître l’art, en étudiant mon maître à fond.

Je ne sais comment iront les souscriptions ; mais je travaille à bon compte. Pourriez-vous avoir la bonté de me dire si Duclos est revenu ? Je lui crois un zèle actif qui me va comme de cire 4.

Et Oreste, que devient-il ? est-il fondu par les chaleurs ? M. le comte de Lauraguais me dédie le sien 5, et il est encore plus grec, encore plus déclamateur que le mien.

Omer est un grand cuistre ; mais Corneille est un grand homme.

Oncle, nièce, et pupille, hommage aux anges.

V.»

1 Mort le 5 juillet 1761 .

2 Vers cette époque, peut-être, d'Argental écrivait à V* sur ce sujet : « J'ai relu Zulime avec beaucoup d'attention, elle m'a fait grand plaisir, mais je crois sentir qu'elle pourrait m'en faire davantage […] Zulime est un édifice […] dont les fondements sont faibles et insuffisants . [Ils] devraient être dans l'explication de l'aventure, et selon moi cette explication laisse une infinité de choses à désirer [suit tout le détail des modifications à envisager]. […] la pièce une fois fondée elle doit faire le plus grand effet sur tout le monde , étant remplie de passion, écrite avec chaleur, et conduite avec raison . Il y aurait pourtant plusieurs vers à changer, quelques endroits à fortifier […] en un mot des négligences […] J'en ai marqué un petit nombre . Je suis sûr que vous en trouverez davantage . »

3 La tragédie de Don Pedre .

4 Dictionnaire de Furetière : « On dit […] comme de cire pour dire fort à propos . »

5 La tragédie de Clytemnestre . Voir lettre du 1er avril 14761 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2011/04/07/c-est-quelque-chose-d-avoir-fait-cinq-actes-sans-amour-quand.html

 

13/06/2016

Par tout pays on trouve des esprits très mal faits, et par tout pays il faut se moquer d’eux. On serait vraiment bien à plaindre si on faisait dépendre son plaisir du jugement des hommes.

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Avis aux candidats aux présidentielles ! Je ne cite pas de noms, pour ne pas vous saouler , à chacun ses préférés/détestés .

 

 

« Au marquis Francesco Albergati Capacelli 1

senatore di Bologna

per Milano

à Bologna

Monsieur, depuis longtemps je suis réduit à dicter ; je perds la vue avec la santé ; tout cela n’est point plaisant. Votre belle épître est pour moi une grande consolation ; je vois toujours que tutto il mondo è fatto come la nostra famiglia 2. Par tout pays on trouve des esprits très mal faits, et par tout pays il faut se moquer d’eux. On serait vraiment bien à plaindre si on faisait dépendre son plaisir du jugement des hommes.

Tancrède vous a bien de l’obligation, monsieur : Phèdre vous en aura davantage . Je me mets aux pieds de M. Paradisi. Si jamais j’ai un moment à moi, je lui adresserai une longue épître ; mais le peu de temps dont je peux disposer est consacré à dicter des notes sur les pièces du grand Corneille qui sont restées au théâtre. Cet ouvrage, encouragé par l’Académie française, pourra être de quelque usage aux étrangers qui daignent apprendre notre langue par les règles, et aux légers Français qui l’apprennent par routine. Le produit de l’édition sera pour l’héritière de Corneille, que j’ai l’honneur d’avoir chez moi, et qui n’a que ce grand nom pour héritage. N’est-il pas vrai que vous prendriez chez vous la petite-fille du Tasse, s’il y en avait une ? Elle mangerait de vos mortadelles, et boirait de votre vin noir. La petite-fille de Corneille en boira à votre santé dans un petit château très joli, en vérité, et qui serait plus joli si je l’avais bâti dans la Romagne .

Vous avez bien raison, monsieur, de vanter ma religion, car je construis une église qui me ruine. Autrefois, qui bâtissait une église était sûr d’être canonisé, et moi je risque d’être excommunié en me partageant entre l’autel et le théâtre. C’est apparemment ce qui fait que je reçois quelquefois des lettres du diable 3 ; mais je ne sais pourquoi le diable écrit si mal et a si peu d’esprit. Il me semble que, du temps du Dante et du Tasse, on faisait de meilleurs vers en enfer.

J’espère que, dans ce monde-ci, la lettre dont vous m’avez honoré inspirera le bon goût, et fermera la bouche aux parolai 4. Soyez sûr que, du fond de ma retraite, je vous applaudirai toujours ; que je m’intéresserai à tous vos succès, à tous vos plaisirs. Je me regarde comme votre véritable ami, et je vous serai inviolablement attaché jusqu’au dernier moment de ma vie.

V.

Au château de Ferney en Bourgogne

par Genève, 8è juillet 1761.»

 

1 Original signé , mention « fco Milano », copie par Albergati qui altère dans la Romagne en près de Bologne qu'on retrouve dans l'édition de Kehl qui supprime au début -et toutes les éditions suivantes- les mots l'âge avance, et Votre belle épître […] consolation . Voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance-annee-1761-partie-28-122085604.html

V* répond ici à une longue lettre sur le théâtre, du 30 juin 1761 où Albergati écrivait : « Vous vous êtes plaint à moi fort souvent des petits maîtres, qui s'érigent en juges […] Hélas ! L'Italie en fourmille […] Le bon goût pour le théâtre, grâce à ces messieurs-là , ne bat que d'une aile et est prêt à tomber . La musique et la danse en ont exilé la brillante comédie et la tragédie passionnée […]Dans les loges, dans le parterre ce sont les spectateurs qui veulent fixer l'attention et se faire remarquer par leur bruit : les acteurs doivent être contents de l'argent qu'ils gagnent . Quel dommage ne serait-ce en effet si les amateurs de spectacles devaient se tenir muets dans leurs places, et entendre patiemment parler les Voltaire, les Racine, les Corneille, les Molière, les Goldoni […] Le bon sens étant proscrit , il n'est pas étonnant, si les opéras et la danse exercent leur despotisme, car ce sont les spectacles les mieux goûtés par ces compagnies d'étourdis […] Les eunuques et les danseurs, dont nous sommes véritablement inondés, sont pour l’art comique et tragique autant de Goths, d'Hérules, et de Vandales, qui dans les théâtres ont apporté ou secondé l'ignorance et le mauvais goût . L'extravagance des opéras sérieux, les grimaces des burlesques, et la mimique des ballets sont restés maîtres de la place . Le célèbre Goldoni, qui a mérité vos éloges, a fait connaître que l'on peut rire sans honte, s'instruire sans s'ennuyer, et s’amuser avec profit . Mais quel essaim de babillards et de censeurs indiscrets s’éleva contre lui ! Pour ceux que je connais personnellement, je les divise en deux classes : la première comprend une espèce de savants vétilleux que nous appelons parolai, juges et connaisseurs de mots, qui prétendent que tout est gâté, dès qu'une phrase n'est pas tout à fait cruscante, dès qu'une parole est tant soit peu déplacée, ou l'expression n'est pas assez noble et sublime […] L'autre classe, qui est la plus fière, est un corps respectable de plusieurs nobles des deux sexes, qui crient vengeance contre M. Goldoni, parce qu'il ose exposer sur la scène le comte , le marquis , et la dame avec des caractères ridicules et vicieux, qui ne sont pas parmi nous, ou qui ne doivent pas être corrigés […] Les Athéniens punissaient rigoureusement tout auteur comique, dont la raillerie était générale et indirecte . Ils voulaient qu'on nommât les personnes, quel que fût leur rang […] M. Goldoni a répété tout cela plusieurs fois pour obtenir son pardon […] Il a fait le sourd, il a continué son train, et par là il a obtenu la réputation d'auteur admirable, et de peintre de la nature […] Votre Tancrède a reçu jusqu'à présent tout le lustre qui pouvait convenir à un excellent ouvrage . Composé par M. de Voltaire, traduit en vers blancs par M. Augustin Paradisi, l'un de nos meilleurs poètes […] La traduction en est admirable […] d'ici à quelques jours je jouerai votre Tancrède [à ma maison de campagne] je joindrai la Phèdre de Racine, que j'ai traduite en vers blancs moi-même . »

La lettre d'Albergati répondait à celle de V* du 23 décembre 1760 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/12/23/je-pardonne-de-tout-mon-coeur-a-tous-ceux-dont-je-me-suis-mo-5737506.html

2 Propos d’Arlequin, proverbe cité souvent par V* .

4 Savants méticuleux qui ergotent sur les mots ; voir lettre d'Albergati en note 1 .

 

12/06/2016

Mes lettres auront paru autant de contre-temps

... Hélas ... je viens de perdre au Scrabble ! Képy, Xerox, qoku , sarkozy , kociusko morizet ont été refusés ! mais dans quel monde orthographique rétrograde est-on resté figé ? Je tire mon bicorne circonflexe et vous salue bien bas Madame Larousse, grosses bises au  petit Robert (et aux petits roberts ).

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« A Cosimo Alessandro Collini

Au château de Ferney 7 juillet [1761]1

J’avais écrit à Son Altesse Électorale, mio caro Collini, et je venais encore de l’importuner tout récemment par une lettre que je vous ai adressée, lorsque j’ai reçu la vôtre du 29 juin, qui m’apprend que le baptême s’est changé en enterrement, et les fêtes en tristesse 2. J’en suis pénétré de douleur. Mes lettres auront paru autant de contre-temps, et celle que je prends encore la liberté de lui écrire ne sera qu’un surcroît de désagrément pour monseigneur l’Électeur. Je lui écris plutôt pour vous donner une nouvelle occasion de lui parler, que dans l'espérance de lui plaire .

Ma dernière lettre à Son Altesse Royale 3 regardait une souscription qu’on fait pour les œuvres de Corneille. On les imprime avec  des notes instructives, on les orne de belles estampes. Cette entreprise est au profit de mademoiselle Corneille, seule héritière de ce grand nom, et nous espérons que celui de Son Altesse Électorale ornera notre liste de souscripteurs.

Je vous embrasse de tout mon cœur .

V.»

1L'édition Collini qui ne donne qu'un texte incomplet et peu soigné est suivi par toutes les éditions ultérieures ; Collini a altéré le manuscrit même . Voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance-annee-1761-partie-28-122085604.html

2 L’enfant nouveau-né de l’électeur était mort. Voir lettre du 10 juin 1761 à Von Sulbach : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/05/07/grands-petits-riches-gueux-fous-sages-tous-aveugles-dans-leu-5798358.html

3 Cette lettre n'est pas connue .

 

11/06/2016

il faut s'arranger de façon que personne ne soit gêné, que chacun ait son petit ménage, que chacun soit le maître chez soi, que chacun garde son entière liberté, vive à sa fantaisie, à ses heures, et que la société puisse se rassembler commodément

...

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 Tout est dit dans le titre !

Voltaire, le logeur idéal !

 

 

« [A Jean-Baptiste , marquis d'Albertas ?]1

A Ferney, 7 juillet 1761

Non seulement, monsieur, je fais bâtir une église sans être sûr qu'on y dise la messe, mais je fais un théâtre à Ferney sans espérer qu'on y joue la comédie ; car il est bien plus difficile de rassembler des acteurs que de trouver des célébrants .

Il y a quelque apparence qu'au mois d'août, M. le duc de Villars viendra s'emparer des Délices que je lui cède 2. Il y sera le maître, ce sera sa maison . Il nous y recevra quelquefois . Vous devriez en faire autant de Tournay ; vous vous y établiriez avec armes et bagages, et votre Saconnex serait pour ceux de votre cour que vous ne pourriez pas loger à Tournay . Cet arrangement serait très agréable, très commode pour vous, pour M. le duc de Villars et pour nous, aussi bien que pour les hôtes que nous attendons . Si ce parti ne vous agréée pas, voyez ce qui vous conviendra le mieux ; mais voyez surtout si vous êtes assez philosophe pour vous établir à la campagne et pour aimer longtemps la retraite . En ce cas, il faut s'arranger de façon que personne ne soit gêné, que chacun ait son petit ménage, que chacun soit le maître chez soi, que chacun garde son entière liberté, vive à sa fantaisie, à ses heures, et que la 3 société puisse se rassembler commodément ! Nous passerons continuellement de la douceur du recueillement à celle d'un commerce animé ; vous ferez le charme de ce commerce de quelque manière que vous vous arrangiez . Soit que vous vouliez vivre dans votre ménage, soit que vous nous fassiez l'honneur de partager le nôtre, vous prendrez toutes les mesures qui vous conviendront, afin que rien ne vous manque dans un pays où il faut tirer tout d'assez loin . Votre philosophie ne sera pas celle de Jean-Jacques . Vous ressemblez beaucoup plus à Aristippe que Diogène, et si vous ne faites pas plus cas de Paris que Diogène n'en faisait d'Athènes, ce ne sera pas dans un tonneau, mais dans le sein d'une honnête abondance et des plaisirs de toute espèce, que vous pourriez oublier le fracas de la grande ville ; et Mme Denis et moi nous en aimerons mieux la campagne . »

2 Villars y résidera de août à octobre 1761 .

3 L'édition Bestermann, suivant apparemment la copie provenant des papiers Suard, donna sa, ce qui est une faute : chacun s'oppose à la société .

 

10/06/2016

ils se sont servis de la confession, qui met les sots dans la dépendance des prêtres

... Lesquels peuvent passer pour les psy des pauvres ? Le péché , merveilleuse invention des religieux pour se rendre indispensables, grosses gommes à effacer, au nom de dieu, les fautes répertoriées qu'un peuple abruti reconnaissent servilement .

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La crédulité n'a pas de limite

 

 

« A Jean-Marie Arnoult

Le 6 juillet 1761, à Ferney

Je vous suis obligé, monsieur, des éclaircissements que vous me donnez. Je pensais qu’il n’était pas permis à un official de citer des séculiers sans l’intervention de la justice du roi ; et il est clair que cet imbécile de Pontas 1 rapporte fort mal l’ordonnance de 1627. L’official de Gex est dûment official ; mais je crois qu’il a très indûment instrumenté le 8 Juin. Deux témoins sont prêts à déclarer qu’il les a voulu induire à déposer contre moi. Et de quoi s’agit-il, pour faire tant de vacarme ? d’une croix de bois qui ne peut subsister devant un portail assez beau que je fais faire, et qui en déroberait aux yeux toute l’architecture. Il a fait dire à un malheureux que j’ai appelé cette croix figure ; à un autre que je l’ai appelée  poteau : il prétend que six ouvriers qu’il a interrogés déposent que je leur ai dit, en parlant de cette croix de bois qu’il fallait transplanter Otez-moi cette potence. Or de ces six ouvriers quatre m’ont fait serment, en présence de témoins, qu’ils n’avaient jamais proféré une pareille imposture, et qu’ils avaient répondu tout le contre. Des deux témoins qui restent, et que je n’ai pu rejoindre, il y en a un qui est décrété de prise de corps depuis quatre mois, et l’autre est convaincu de vol.

Au reste, monsieur, je suis bien aise de vous dire que cette croix de bois, qui  sert de prétexte aux petits tyrans noirs de ce petit pays de Gex, se trouvait placée tout juste vis-à-vis le portail de l’église que je fais bâtir ; de façon que la tige et les deux bras l’offusquaient entièrement, et qu’un de ces bras, étendu juste vis-à-vis le frontispice de mon château, figurait réellement une potence, comme le disaient les charpentiers. On appelle potence, en terme de l’art, tout ce qui soutient des chevrons saillants ; les chevrons qui soutiennent un toit avancé s’appellent potence ; et, quand j’aurais appelé cette figure potence, je n’aurais parlé qu’en bon architecte.

J’ai de plus passé un acte authentique par devant notaire avec les habitants, par lequel nous sommes convenus que cette croix de village serait placée comme je le veux. Vous remarquerez encore qu’on ne la dérangea qu’avec le consentement du curé.

Ainsi vous voyez, monsieur, que voilà le plus impertinent prétexte que jamais les ennemis de la justice du roi et des seigneurs puissent prendre pour inquiéter un bienfaiteur assez sot pour se ruiner à bâtir une belle église, dans un pays où Dieu n’est servi que dans des écuries. Ceux qui me font ce procès devraient être plutôt à une mangeoire qu’à un autel. Ils n’ont rien fait depuis le 8 de juin, mais ils menacent toujours de faire, et ils me paraissent aussi insolents que menteurs.

Vous aurez sans doute vu, monsieur, par l’affaire d’Ancian, que parmi ces animaux-là il y en a qui ruent. Si ce curé Ancian esr brutal comme un cheval, il est malin comme un mulet, et rusé comme un renard ; mais, malgré ses ruses, je crois que vous le prendrez au gîte. Je puis vous assurer que lui et ses confrères ont employé toutes les friponneries profanes et sacrées pour avoir de faux témoins ; ils se sont servis de la confession, qui met les sots dans la dépendance des prêtres. Je n’ai point vu les procédures, mais je puis vous assurer, sur mon honneur et sur ma vie, que ce curé Ancian est un scélérat des plus punissables que nous ayons dans l’Eglise de Dieu. Il ne peut empêcher, malgré tous ses artifices et tous ceux de ses confrères, que de Croze n’ait eu  le crâne fendu dans la maison où ce curé alla faire le train au milieu de la nuit la plus noire, avec quatre coupe-jarrets. Je ne veux que ce fait : tout le reste me paraît peu de chose. Le père de Croze peut envoyer aux juges trois serviettes qu’il conserve teintes du sang de son fils ; elles devraient servir à étrangler le curé de Moëns, pourvu que préalablement il fût  bien confessé.

Je suppose, monsieur, que vous avez envoyé votre mémoire à M. de Greilly ; c’est encore un curé à relancer. Je vous ai envoyé à la chasse aux prêtres : si vous voulez venir reconnaître votre gibier au mois de septembre, comme vous me l’avez fait espérer, je compte bien que le rendez-vous de chasse sera chez moi.

Je viens d’écrire au bureau des postes de Genève ; pour savoir si ce n’est point quelque prêtre-commis des postes qui a fait la friponnerie de faire payer deux fois le port.

Nota bene que je ne mets point mon curé au nombre des bêtes puantes que vous devez chasser ; je suis d’accord avec lui en tout. Il est très reconnaissant, du moins quant à présent ; et il peut servir de piqueur dans la chasse aux renards que nous méditons. J’ai l’honneur d’être, en bon laïque, monsieur, votre, etc. »

1 Jean-Pontas, casuiste, né en 1638, mort en 1718. Bien connu comme l'auteur du Dictionnaire de cas de conscience, 1715, avec plusieurs rééditions, ainsi que de divers autres traités concernant les sacrements de baptême, d'extrême-onction, etc. Mais il est difficile de voir auqyuel de ces ouvrages V* peut ici penser . Ne sougerait-il pas putôt à celui qu'il a réclamé par sa lettre du 31 mai à Thieriot et Damilaville : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/05/30/il-faut-defendre-les-vivants-et-les-morts-contre-les-gens-d.html

Voir page 2424 : https://books.google.fr/books?id=JwpEAQAAMAAJ&pg=PA2424&lpg=PA2424&dq=Jean-Pontas,+casuiste,+n%C3%A9+en+1638&source=bl&ots=NZrMQDkH6b&sig=lhLXiUgUZ-PS9QdwX5pVAQK1aQY&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjPoOOUvp3NAhVCmBoKHXc_CfcQ6AEILDAC#v=onepage&q=Jean-Pontas%2C%20casuiste%2C%20n%C3%A9%20en%201638&f=false

Voir : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k209866p

et : http://livresanciens-tarascon.blogspot.fr/2012/11/le-dictionnaire-des-cas-de-conscience.html

Voir : https://books.google.fr/books?id=jfWwAAAAMAAJ&pg=RA1-PA266&lpg=RA1-PA266&dq=La+pratique+de+la+juridiction++eccl%C3%A9siastique,+volontaire,+gracieuse,+et+contentieuse,+fond%C3%A9e+sur+le+droit+commun+et+sur+le+droit+particulier+du+royaume,+de+Fran%C3%A7ois+Ducasse&source=bl&ots=M6oGUqBfQD&sig=z2Nih3l5bXHmgWGgo3RHRTN3e4Q&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwj1rKDzwJ3NAhWClxoKHVASBI0Q6AEIJTAA#v=onepage&q=La%20pratique%20de%20la%20juridiction%20%20eccl%C3%A9siastique%2C%20volontaire%2C%20gracieuse%2C%20et%20contentieuse%2C%20fond%C3%A9e%20sur%20le%20droit%20commun%20et%20sur%20le%20droit%20particulier%20du%20royaume%2C%20de%20Fran%C3%A7ois%20Ducasse&f=false

 

 

Quoi ! dit Alix, cet homme-ci s’endort Après trois fois ! Ah ! chien, tu n’es pas carme !

... Pour le fun : http://www.rfm.fr/player?stream=5107

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«A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental

et à

Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental

 Quoi ! dit Alix, cet homme-ci s’endort

Après trois fois ! Ah ! chien, tu n’es pas carme 1!

On me dira : ah tu n’es pas Sophocle.

Ceci, mes adorables anges, est en réponse de la lettre du 30 de juin, dans laquelle vous me reprochez ma glace. Vraiment il n’est que trop vrai que l’âge, les maladies, les bâtiments, les procès, peuvent geler un pauvre homme. J’étais peut-être très froid quand j’ai radoubé Oreste, mais je suis très vif quand vous avez la bonté de le faire jouer ; et cette vivacité, mes chers anges, est en toute reconnaissance, et non amour-propre d’auteur. Cependant, comme cet amour-propre se glisse partout, je vous prierai de faire jouer Oreste une quatrième fois 2, après l’avoir annoncé pour trois, mais en cas qu’elle réussisse, en cas que le public soit pour la quatrième représentation, et qu’elle soit comme accordée à ses désirs. Il se pourra qu’en été trois fois lassent le parterre ; alors je me retirai avec ma courte honte.

J’insiste beaucoup plus sur ce Pantalon de Rezzonico 3 ; c’est un bœuf qui ne sait pas un mot de français, et qui est assez épais pour ne me pas connaître ; mais ce n’est pas à lui que j’écris, c’est au cardinal Passionei, homme de beaucoup d’esprit, homme de lettres, et qui fait de Rezzonico le cas qu’il doit. Il y a longtemps qu’il m’honore de ses bontés. Je ne demande à M. le duc de Choiseul rien autre chose, sinon qu’il ait la bonté de faire donner cours à mon paquet 4. La grâce est légère ; mais je la demande très instamment. M. le comte de Choiseul, protégez-moi dans cette importante négociation.

Je demande trois ridicules à Rezzonico ; qu’il m’en accorde un 5, cela me suffira ; et s’il me refuse, il n’y a rien de perdu, pas même mon crédit en cour de Rome.

Comment, mes procès terminés ! Dieu m’en préserve ! Il faut que madame Denis vous ait parlé de quelques anciens procès. Mais, pour peu que dans ce monde on ait un champ et un pré, ou qu’on fasse bâtir une église, ou qu’on fasse une ode comme M. Le Brun, on est en guerre 6. Mais je ne sais point de plus sotte guerre que celle qu’on a faite aux Anglais sans avoir cent vaisseaux de ligne et quarante mille hommes de marine.

Divins anges, si l’abbé Coyer parle comme il écrit 7, il doit être fort aimable. Mais ma mère, qui avait vu Despréaux, disait que c’était un bon livre, et un sot homme.

La nièce, la pupille, et l’oncle, baisent le bout de vos ailes.

Pour Dieu, que mon paquet parte ; c’est tout ce que je veux, et point de recommandation. Je veux bien être ridicule, mais je ne veux pas que mes protecteurs le soient. Priez M. le comte de Choiseul de faire mettre mon paquet romain à la poste par un de ses laquais. C’est assez pour Rezzonico et pour moi. »



 

 

 

2 Oreste fut joué deux fois seulement en juillet, mais eut quatre représentations en septembre-octobre 1761 .

3 Clément XIII .

4 Choiseul répondit : « A Saint-Hubert ce 25 juillet 1761 . Je ne vous écris pas ma chère marmotte, mais je m'occupe de vos petites affaires ; voilà : 1° Le passeport que vous avez demandé . 2° Le cardinal Passionei est mort , mais j'ai demandé au nonce de me faire tenir ma relique pour votre église avec les authentiques les plus authentiques . 3° Vous proposez deux choses à la cour de Rome qui en la regardent pas:la première de transférer votre cimetière, cela dépend de votre curé et de l'emplacement ; la deuxième de diminuer les fêtes, cela dépend de votre évêque ; de Rome on lui renvoierait ces demandes . Vos souscriptions vont à merveille, dépêchez-vous de faire imprimer . Adieu, je vous aime et vous embrasse de tout mon cœur . »

5 Une relique .

6 Allusion au proverbe : Qui terre a , guerre a .