02/01/2016
nous ne lui laissons jamais ignorer la signification des mots . Après la lecture, nous parlons de ce qu'elle a lu
... A ceux qui pensent innover en pédagogie devant leurs "apprenants", qu'ils s'inspirent plus simplement du bon sens voltairien , ô maîtres d'école à la tête plus pleine de superflu que bien faite !
« Marie-Françoise Corneille
et
-Voltaire
à
Ponce-Denis Ecouchard Le Brun
Au château de Ferney, pays de Gex,
2 janvier 1761 1
J'ai trop éprouvé vos bontés, monsieur , pour que je ne vous témoigne pas ma reconnaissance au commencement de l'année, et toutes les années de ma vie . Je vous supplie, monsieur, d'ajouter à toutes vos bontés celle de vouloir bien présenter mes remerciements à M. Titon 2, à Mlle Villegenou 3, à M. Du Molard 4, et à tous ceux qui ont bien voulu s'intéresser à mon sort .
Vous m'avez accoutumé, monsieur, à oser joindre mon nom à celui de Corneille ; mais ce n'est que quand il s'agit de sa petite-fille . Nous espérons beaucoup d'elle , ma nièce et moi . Nous prenons soin de toutes les parties de son éducation, jusqu'à ce qu'il nous arrive un maître digne de l'instruire . Elle apprend l'orthographe ; nous la faisons écrire ; vous voyez qu'elle forme bien ses lettres, et que ses lignes ne sont point en diagonale comme celles de quelques-unes de nos Parisiennes . Elle lit avec nous à des heures réglées ; et nous ne lui laissons jamais ignorer la signification des mots . Après la lecture, nous parlons de ce qu'elle a lu ; et nous lui apprenons ainsi, insensiblement un peu d'histoire . Tout cela se fait gaiement et sans la moindre apparence de leçon . J'espère que l'ombre du grand Corneille ne sera pas mécontente ; vous avez si bien fait parler cette ombre, monsieur, que je vous dois compte de tous ces petits détails . Si Mlle Corneille remercie M. Titon, et tous ceux qui ont pris intérêt à elle, souffrez que je les remercie aussi . J'espère que je leur devrai une des grandes consolations de ma vieillesse , celle d'avoir contribué à l'éducation de la cousine de Chimène 5, de Cornélie 6, et de Camille 7 . Il faut que je vous dise encore qu'elle remplit exactement tous les devoirs de la religion, et que nos curés et nos évêques sont très contents de la manière dont on se gouverne dans mes terres . Les Berthier, les Guyon 8, les Chaumeix en seront peut-être fâchés ; mais je ne peux qu'y faire . Les philosophes servent Dieu et le roi, quoi que ces messieurs en disent . Nous ne sommes , à la vérité, ni jansénistes, ni molinistes, ni frondeurs . Nous nous contentons d'être Français et catholiques tout uniment : cela doit paraître bien horrible à l'auteur des Nouvelles ecclésiastiques 9. Quand à ce malheureux Fréron, dont vous daignez me parler, ce n'est qu'un brigand que la justice a mis au Fort-l'Evêque, et un Marysas qu'Apollon doit écorcher . Je vois assez par vos vers et par votre prose, combien vous devez mépriser tous ces gredins qui sont l'opprobre de la littérature . Je vous estime autant que je les dédaigne . Votre distinction entre le vrai public et le vulgaire est bien d'un homme qui mérite les suffrages du public . Daignez y joindre le mien, et comptez sur la plus sincère estime, j'ose dire sur l'amitié de votre obéissant serviteur .
Voltaire . »
1 On a suivi ici l'édition 2 malgré une erreur sur la date, 1760 .
2 Everard Titon du Tillet .
3 Mlle Villegenou est une nièce de Titon du Tillet .
4 Charles Du Molard-Bert ; voir lettre du 15 janvier 1761 à celui-ci .
5 Personnage du Cid .
6 Personnage de Pompée .
7 Personnage d'Horace .
8 Suivi , dans l'édition 1, par les Gauchat .
9 Nouvelles ecclésiastiques ou Mémoires pour servir à l'histoire de la constitution Unigenitus, hebdomadaire janséniste connu aussi sous le nom de Gazette ecclésiastique (1728-1803 ), était alors dirigé, et le fut longtemps par Louis Guidi .
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il faut hardiment chasser aux bêtes puantes
... Et ne pas seulement se boucher le nez, les yeux, les oreilles en attendant que d'autres s'en chargent .
« A Claude-Adrien Helvetius
A Ferney pays de Gex 2 janvier 1761
Je salue les frères en 1761 au nom de Dieu et de la raison, et je leur dis , Mes frères, odi profanum vulgus et arceo 1. Je ne songe qu'aux frères, aux initiés . Vous êtes de bonne compagnie, donc c'est à vous à gouverner le public, le vrai public devant qui toutes les petites brochures, tous les petits journaux des faux chrétiens disparaissent et devant qui la raison reste . Vous m'écrivîtes mon cher et aimable philosophe, il y a quelque temps que j'avais passé le Rubicon . Depuis ce temps là je suis devant Rome . Vous aurez peut-être ouï dire à quelques frères, que j'ai des jésuites tout auprès de ma terre de Ferney, qu'ils avaient usurpé le bien de six pauvres gentilshommes, de six frères, tous officiers dans le régiment des Deux-ponts, que les jésuites pendant la minorité de ces enfants ( il y en a [un] 2 qui n'a que douze ans, et qui sert depuis trois 3) avaient obtenu des lettres patentes pour acquérir à vil prix le domaine de ces orphelins, que je les ai forcés à renoncer à leur usurpation, et qu'ils m'ont apporté leur désistement . Voilà une bonne victoire de philosophes . Je sais bien que frère Croust cabalera, que frère Berthier m'appellera athée, mais je vous répète qu'il ne faut pas plus craindre ces renards que les loups de jansénistes , et qu'il faut hardiment chasser aux bêtes puantes . Ils ont beau hurler que nous ne sommes pas chrétiens ; je leur prouverai bientôt que nous sommes meilleurs chrétiens qu'eux . Je veux les battre avec leurs propres armes, mutemus clipeos 4. Laissez moi faire . Je leur montrerai ma foi par mes œuvres 5 avant qu'il soit peu . Vivez heureux mon cher philosophe dans le sein de la philosophie, de l'abondance, et de l'amitié . Soyons hardiment bons serviteurs de Dieu et du roi et foulons aux pieds les fanatiques et les hypocrites .
Dites moi je vous prie s'il est vrai que ce cher Fréron soit sorti de son fort . On l'avait mis là pour qu'il n'eût pas la douleur de voir encore cette malheureuse Écossaise, mais on se méprit dans l'ordre : on mit Fort-l'Evêque au lieu de Bicêtre . On fera probablement un errata à la première occasion . Mes respects à madame Helvétius .
Je le répète il y a des choses admirables dans l'héroïde du disciple de Socrate 6. Rendez-vous pas cet ouvrage ? Il est de l'un de nos frères . Je lui dis Kairo 7.
V. »
1 Je hais la foule profane et je la tiens à l'écart ; Horace, Odes , III, 1, 1 .
2 Un oublié par V*.
3 Phrase ajoutée en marge, et omise par l'éditon de Kehl et suivantes .
4 Echangeons nos boucliers , Virgile, Enéide, II, 389 .
5 Allusion à l'Épître de Jacques , II, 18 .
6 Héroïde douteusement attribuée à Marmontel . Voir lettre du 12 décembre 1760 à Helvétius : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2008/12/12/je-suis-un-peu-maitre-chez-moi.html
7 Le grec de V* est chancelant ; il faut lire caire = réjouis toi .
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01/01/2016
J'y perds quelque chose mais si cela donne la paix je me console .
... Est-il quelque va-en-guerre qui soit capable d'un tel altruisme actuellement ? ça se saurait !... Guerre religieuse, guerre de conquête, guerre de clans politiques, chasse au pouvoir , on n'a que l'embarras du choix, surtout l'embarras d'ailleurs .
« A Louise-Dorothée von Meiningen duchesse de Saxe-Gotha
[vers le 1er janvier 1761]
Madame, il faut donc que l'année 1761 recommence avec la guerre ! Il faut donc que toutes vos vertus, ou toute la conciliation de votre esprit ne puissent détourner ce fléau de votre voisinage et même de vos États ! Voilà donc les choses à peu près comme elles étaient dans le commencement de ces funestes troubles ! Il y a longtemps , madame, que je n'ai pris la liberté de mêler ma douleur à celle que Votre Altesse Sérénissime ressent de tant de désastres . Les larmes qu'elle verse sur les malheurs de l'Allemagne sont d'autant plus belles, que les désolations qui vous environnent ne vont point jusqu'à vous . Une princesse ne souffre guère personnellement : mais une âme comme la vôtre souffre des peines d'autrui . J'ignore si l'interruption du commerce attachée au fléau de la guerre n'a point empêché le petit paquet qui contenait l’Histoire de Pierre Ier de parvenir jusqu'à Votre Altesse Sérénissime .
Il faut au moins que je l'amuse d'une petite aventure de nos climats pacifiques . J'ai quelques terres dans le pays de Gex aux portes de Genève . Les jésuites en ont aussi, ce sont mes voisins . Non contents du royaume du ciel dont ils sont sûrs, ils avaient usurpé un domaine très considérable sur six pauvres gentilshommes, tous frères , tous mineurs, tous servant dans le régiment des Deux-Ponts . J'ai pris le parti de ces messieurs . Il fallait quelque argent . Je l'ai donné . Calvin ne me le rendra pas, mais enfin j'ai arraché le bien des mains des jésuites et je l'ai fait rendre aux propriétaires . Voilà madame ma bataille de Lissa 1. Je sais bien que saint Ignace ne me pardonnera pas . Mais n'est-il pas vrai que je trouverai grâce à vos yeux, madame ? Il n'y a point de saint dont j'ambitionne la protection comme la vôtre . Je suis sûr que la grande maîtresse des cœurs rira de me voir vainqueur des jésuites . Elle aimera les guerres qui finissent par rendre à chacun ce qui lui appartient . On dit Pontichéri au pouvoir des Anglais . J'y perds quelque chose mais si cela donne la paix je me console .
Je me mets aux pieds de Votre Altesse Sérénissime et de toute votre auguste famille avec le plus tendre respect .
Le Suisse V. »
1 Lissa avait été fondée par des Moraves chassés de Bohème au XVIè siècle ; en outre V* pensait à une autre ville nommée Lissa (= Leuthen ) champ de bataille qui avait vu la victoire de Frédéric II (voir lettre du 20 décembre 1757 à d'Argental : … ). Dans l'espoir de prendre ses quartiers d'hiver en Silésie, le prince Charles et Daun avaient marché sur Leuthen, mais Frédéric II s'attendant à ce mouvement manœuvra si bien que le 5 décembre 1757 il infligea une sévère défaite aux Autrichiens (19 décembre) , leur tuant ou leur prenant prisonniers 55000 hommes sur un total de 90 000 alors qu'il n'avait que 40 000 hommes .
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J'embrasse tendrement toute la famille
... Sans oublier Mam'zelle Wagnière ! Car si je ne le fais pas qui le fera ?
« A Gabriel Cramer
[vers le 1er janvier 1761]
Je suis enchanté que madame Cramer se porte mieux et très fâché qu'elle ait quitté les Délices .
Je ne sais plus où j'en suis . Je crains d'être bientôt incapable de tout travail .
Si vous croyez avoir de quoi faire un volume commencez donc Tancrède . Mais avez-vous l'édition de Paris ? De quoi composerez-vous votre volume ?
J'embrasse tendrement toute la famille .
V. »
16:11 | Lien permanent | Commentaires (0)
Il n'y a point de griffonneur plus à votre service que moi . Imprimez, imprimez, imprimez
... Dédié à Charlie Hebo .
« A Gabriel Cramer
[1760-1761] 1
Caro Gabriele, je voudrais bien avoir une douzaine d'exemplaires de cette relation , petit caractère, pour l'édification des fidèles .
Jeanne est absolument prête ; l'Histoire générale est devenue un fidèle et terrible portrait du genre humain . Crede mihi 2; cela est bien curieux . En voilà pour employer longtemps les presses . Vous commencerez quand il vous plaira . Il n'y a point de griffonneur plus à votre service que moi . Imprimez, imprimez, imprimez .
V. »
1 Il n'est pas impossible que cette lettre soit une mosaïque d'extraits . Le début concerne la « Berthiade », ce qui le ramène à octobre-novembre 1759 ; La Pucelle ne fut publiée qu'en 1762 . Une date intermédiaire aurait-elle été inventée par l'éditeur E. H. Gaulleur dont on connait la légèreté ?
2 Crois-moi .
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Que je suis volumineux
... Dit Obélix à qui Jules César disait qu'il était gonflé !
BONNE
ET
HEUREUSE ANNEE
« A Gabriel Cramer
[1760-1761]
Je prie mon cher Gabriel, mon grand acteur de vouloir bien m'envoyer les feuilles précédentes et celles dont j'ai donné la note et une Histoire générale nouvelle en feuilles, et les x tomes de fatras en feuilles . Que je suis volumineux .
Bonjour aimable famille .»
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31/12/2015
Il aurait donc quelquefois raison ! Il m'a paru un fou qui a beaucoup de bons moments .
... Mais à qui pensè-je en choisissant ce titre ?
A Fanfoué notre président , qui correspond peu ou prou à la première affirmation ?
A Gérard 2par2 qui est digne de la seconde ?
Trouvez bon que je vous laisse donner un nom qui vous plaise pour ce "Il" et n'en parlons plus jusqu'à l'année prochaine .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental
et à
Jeanne-Grâce Bosc du Bouchet, comtesse d'Argental
A Ferney pays de Gex par Genève
31 décembre 1760 1
Les plus aimables et les plus difficiles de tous les anges c'est vous, monsieur et madame . Si vous n'êtes pas contents de Mathurin 2 qui nous paraît assez plaisant et tout neuf ; si vous avez la cruauté de l'appeler vieux, quoique je sois prêt à lui donner trente ans ; si vous voulez que Colette en soit amoureuse (ce que je ne voulais pas ) si vous avez l’injustice de soutenir que le marquis et Acanthe ne s'aimaient pas depuis 14 mois, quoiqu'ils disent formellement le contraire, et peut-être assez finement ; si vous n’êtes pas édifiés de voir un sage qui parle de ne pas succomber, et qui perd la gageure ; si vous n'aimez pas un débauché qui se corrige ; si vous ne trouvez pas le caractère d'Acanthe très original ; je peux être très fâché, mais je ne peux être ni de votre avis, ni vous aimer moins .
Je vous supplie mes chers anges, de me renvoyer les deux copies , c'est-à-dire la première qui n'était qu'un avorton, et la seconde que je trouve un enfant assez bien formé, qui vous déplait .
Madame d'Argental est bien bonne de daigner se charger de faire un petit présent à la muse limonadière 3. Je l'en remercie bien fort . C'est la seule façon honnête de se tirer d'affaire avec cette muse .
Je suis très fâché que Fréron soit au Fort-l'Evêque . Toutes les plaisanteries vont cesser ; il n'y aura plus moyen de se moquer de lui .
L'ami des hommes est donc à Vincennes ? Ses ouvrages sont donc traités sérieusement ! Il aurait donc quelquefois raison ! Il m'a paru un fou qui a beaucoup de bons moments .
Il court parmi vous autres de singulières nouvelles ; est-il vrai que les Anglais ont proposé de vous réduire à n'avoir jamais que vingt vaisseaux ? C'est-à-dire à en construire encore dix ou douze ? On ajoute une paix particulière entre Luc et Thérèse ; quand je la croirai, je croirai celle des jansénistes et des molinistes, des parlements et des intendants, et des auteurs avec les auteurs . J'apprends que messieurs de parlement brûlent tout ce qu'ils rencontrent, mandements d'évêques, vieux et nouveau testament de frère Berryer 4, ouvrages de Salomon 5, défense de la morale du bon Jésus, contre la morale du dur Moïse 6, c'est-à-dire la réponse à l'auteur de l'Oracle des philosophes ; ils brûleront bientôt les édits du dit seigneur roi ; mais je les avertis qu'ils n'auront pour eux que des halles, et point du tout les pairs et les princes .
Je vois toutes ces pauvretés d'un œil bien tranquille aux Délices et à Ferney . La petite Corneille contribue beaucoup à la douceur de notre vie . Elle plait à tout le monde ; elle se forme, non pas d'un jour à l'autre, mais d'un moment à l'autre . Ne vous ai-je pas mandé combien son petit gentil esprit est naturel, et que je soupçonne que c'était la raison pour laquelle Fontenelle l'avait déshéritée ? Mes chers anges permettez que je prenne la liberté de vous adresser ma réponse à la lettre que son père m'a écrite 7, ou qu'on lui a dictée .
Prault ne m'enverra-t-il pas son Tancrède à corriger ? Quand jouera-t-on Tancrède ? Pourquoi La Femme raison , partout, hors à Paris ? Est-ce parce que Wasp en a dit du mal ? Wasp triomphera-t-il ? Comment vont les yeux de mon ange ?
V.
Eh vraiment j'oubliais la meilleure pièce de notre sac, l'aventure de ce bon prêtre, de ce bon directeur, de ce fameux janséniste 8 jadis laquais qui a volé 50 mille livres à Mme d'Egmont ? Maître Omer le prendra-t-il sous sa protection ? requiert-il en sa faveur ? »
1 On peut douter que la date soit de la main de V* . Le dernier paragraphe est écrit dans la marge du bas .
2 Personnage du Droit du seigneur .
3 Charlotte Reynier, devenue Mme Curé puis Mme Bourette , écrivait des épîtres en vers ; voir lettre du 13 octobre 1760 à Mme d 'Argental : en ligne le 13/10/2009
4 Voir lettre du 27 décembre 1758 à Marie-Anne Fiquet du Boccage :
5 Voir lettre du 28 septembre 1759 à JR Tronchin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/10/13/le-parlement-de-paris-est-bien-loin-de-ressembler-au-parleme-5467377.html
6 Voir lettre du 8 décembre 1760 à Thieriot :
7 Ni la lettre ni la réponse de V* ne nous sont parvenues .
8 Voir lettre du 26 décembre 1760 à Mme d'Epinay :
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