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29/06/2015

Il m'a écrit des lettres captieuses

... Ni capiteuses, ni capricieuses .

 

 

 

« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'ARGENTAL.
Aux Délices, 23 juin 1760
Mon divin ange, M. le duc de Choiseul m'a mandé qu'il avait vu le Pauvre Diable. Vous devez l'avoir chez vous; mais en voici, je crois, une meilleure édition,1 que la cousine Catherine Vadé m'a envoyée, et que je remets dans vos mains pour vous amuser, car il faut s'amuser. Voici encore l'amusement d'une nouvelle réponse à une nouvelle lettre de Palissot de Montenoy . Puisque vous avez eu la bonté de lui faire parvenir ma première, j'ose encore vous supplier de lui faire tenir ma seconde. Elle est argumentée ad hominem ; et, s'il ne fait pas ce que je lui demande, je pense qu'on peut alors rendre ma lettre publique ; mais ce ne sera pas sans votre consentement.
Vous aurez, par le premier ordinaire, le drame de Jodelle , ajusté au théâtre moderne par Hurtaud.2 Si cela ressemble à Nanine, j'ai tort; si cela n'est pas gai et intéressant, j'ai encore tort .

 

Si cela peut être joué sans qu'on soupçonne le moins du monde un autre que Hurtaud, j'aurai un vrai plaisir. Voulez- vous m'en faire un ? C'est de m'envoyer un des Mémoires de M. Lefranc de Pompignan. Tout le monde m'en parle, et je ne l'ai point vu.

 

Je suppose que vous daignerez faire prendre copie de ma réponse à Palissot . Il ne manque pas d'esprit ce drôle-là . Il m'a écrit des lettres captieuses 3.

 

Je suis enchanté , on a pris un gros magasin à Luc,4 on est en Silésie … (cela est douteux) .

 

Et je me sens par ma planète

 

A la malice un peu porté 5.

 

Comment se porte Mme d'Argental ? Comment M. de Courteilles se trouve-t-il de la tronchinade 6?
Mon cœur est aussi tendre avec vous que coriace avec Pompignan. Trublet travaille au Journal chrétien 7. Il a imprimé que je le faisais bâiller; Catherine Vadé dit qu'il est plus ennuyeux encore que moi.8 Mes respects, je vous prie, à Abraham Chaumeix, si vous le voyez chez M. Joly de Fleury.
Je ne vous en aime pas moins, mon divin ange.

 

V .

 

Mon cher ange , j'ai demandé un passeport pour un huguenot de Guyenne au gouverneur de Guyenne 9 . Il ne m'a fait seulement réponse , il n'a tenu compte de deux lettres que je lui ai écrites . Il a d'autres torts avec moi . Il devrait au moins être civil . Le voyez-vous ? »

 

1 On connait au moins 6 éditions du Pauvre Diable de 1758 (en fait 1760).

 

 

3 Le mot est joli, sur le mode des Lettres intéressantes, etc. Voir : http://www.cnrtl.fr/lexicographie/captieux

 

4 A Landshut .

 

5 Nouveau souvenir d'Amphitryon, de Molière, acte III, sc. 2 .

 

6 Néologisme après palissoterie et fréronade (voir lettre du 3mars 1760 à Cramer : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/03/05/les-delices-remercient-tres-humblement-madame-cramer-de-ses-5572054.html)

 

7 Depuis le début de 1758, Trublet avait dirigé le Journal chrétien, fondé en 1754 sous le titre de Lettres sur les ouvrages de piété .

 

8 Allusion aux vers 222 et suivants du pauvre Diable :

« L'abbé Trublet alors avait la rage

D'être à paris un petit personnage ;

Au peu d'esprit que le bonhomme avait

L'esprit d'autrui par supplément servait .

Il entassait adage sur adage ;

Il compilait, compilait, compilait [...]

Le dernier vers était cruel et poursuivit Trublet jusqu'à sa mort ; il était aussi injuste car les détails que recueillait Trublet sur la vie des grands hommes qu'il fréquentait , La Motte, Fontenelle et Marivaux, notamment, gardent à nos yeux la valeur de documents irremplaçables .

 

9 Le duc de Richelieu .

 

 

28/06/2015

Je voudrais que vous écrasassiez l'infâme; c'est là le grand point

... Le plus grand point !

Notre infâme du XXIè siècle mélange fanatisme religieux -vrai ou parfaitement frelaté- et avidité matérielle, et ne semble pas être supprimée de sitôt . A la suite de Voltaire, continuons le combat sans relâche et n'économisons pas notre peine .

 

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« A Jean Le Rond d'ALEMBERT.
Je voudrais que Thieriot m'envoyât les nouveautés, et surtout le Mémoire de M. Lefranc de Pompignan, natif de Montauban; et Thieriot m'abandonne.
Je voudrais avoir perdu toutes mes vaches, et qu'on n'eût pas mêlé Mme de Robecq dans la Vision, parce que c'est un coup terrible à la bonne cause, parce que tous les amis de cette dame lui cachaient son état, parce que le prophète lui a appris ce qu'elle ignorait, et lui a dit : Morte morieris 1; parce que c'est avancer sa mort ; parce qu'elle n'avait d'autre tort que de protéger une pièce dont elle ne sentait pas les conséquences ; parce qu'elle n'avait jamais persécuté aucun philosophe; parce que cette cruauté de lui avoir appris qu'elle se meurt est ce qui a ulcéré M. le duc de Choiseul ; parce que je le sais, et je le sais parce qu'il me l'a écrit ; et je vous le confie, et vous n'en direz rien.
Je voudrais que mon cousin Vadé eût pu parler de la querelle présente ; mais, comme il est mort deux ans auparavant, et qu'il n'était pas prophète, il ne pouvait avoir une vision 2.
Je voudrais voir, après ces déluges de plaisanteries et de sarcasmes, quelque ouvrage sérieux, et qui pourtant se fît lire, où les philosophes fussent pleinement justifiés et l'infâme confondue.
Je voudrais que les philosophes pussent faire un corps d'initiés, et je mourrais content.
Je voudrais pouvoir vous envoyer une seconde réponse que je viens de faire 3 à une seconde lettre de Palissot 4, réponse qui passe par M. d'Argental, réponse dans laquelle je lui prouve qu'il a déféré et calomnié le chevalier de Jaucourt, ce qu'il me 5 niait; qu'il a confondu La Mettrie avec les philosophes ; qu'il a falsifié les passages de l'Encyclopédie, etc. Je lui parle paternellement; je lui fais un tableau du bien que l'Encyclopédie faisait à la France; puis vient un Abraham Chaumeix qui fournit des mémoires absurdes à maître Joly de Fleury, frère de l'intendant de ma province. Joly croit Chaumeix, le parlement croit Joly ; on persécute, et c'est dans ces circonstances que vous venez percer, vous Palissot, des gens qu'on a garrottés! vous les calomniez! Votre feuille peut être lue de la reine et des princes qui lisent volontiers une feuille, et qui ne confronteront point sept volumes in-folio, etc. Vous faites donc un très-grand mal. Qu'y a-t- il à faire ? Votre pièce a réussi ; il faut ajouter à ce succès la gloire de vous rétracter. Il n'en fera rien, et alors j'aurai l'honneur de vous envoyer ma lettre. Je la crois hardie et sage ; nous verrons si M. d'Argental la trouvera telle.
Je voudrais savoir quel est l'ouvrage auquel vous vous occupez. On dit qu'il est admirable ; je le crois : il n'y a que vous qui écriviez toujours bien, et Diderot parfois; pour moi, je ne fais plus que des coïonneries 6. Je voudrais vous voir avant de mourir.
Je voudrais que Rousseau ne fût pas tout à fait fou, mais il l'est. Il m'a écrit une lettre 7 pour laquelle il faut le baigner, et lui donner des bouillons rafraîchissants.
Je voudrais que vous écrasassiez l'infâme; c'est là le grand point. Il faut la réduire à l'état où elle est en Angleterre, et vous en viendrez à bout, si vous voulez. C'est le plus grand service qu'on puisse rendre au genre humain.
Adieu, mon grand homme ; je vous embrasse tendrement.

 

23 [juin 1760] 8»

 

 

1 Tu es en train de mourir de ta mort ; I. Rois, XXII, 16; Ézéchiel, XXXIII, 8.

 

2 Dans la satire du Pauvre Diable.

 

 

4 Cette lettre datée du 17 juin 1760 est conservée ; elle est très longue et d'un ton modéré .

 

5 Me est ajouté au dessus de la ligne sur le manuscrit .

 

6 Cette phrase est ajoutée entre les lignes .

 

7 Voyez sa lettre du 17 juin 1760 : « Je ne vous aime point monsieur ; [,,,] . Je vous hais, enfin , [,,,] » ; page 422 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6514333b.texte.r=rousseau.f436

, qu'il reproduira dans Les Confessions en notant que V* ne lui répondit pas ; voir les lettres de Voltaire des 19 mars 1761 et 9 janvier 1765.

 

8 Le manuscrit porte d'une main plus tardive un post-scriptum ajouté puis rayé : « Vous pensez bien que je ne parle que de la superstition, car pour la religion, je l'aime et la respecte comme vous . »

 

 

27/06/2015

Un Français qui n'est pas gai est un homme hors de son élément

... Et si tu es gai, ris donc !

guéridon vache qui rit.JPG

 Humour vache !

 

 

« A Charles PALISSOT de MONTENOY

rue Basse-du-Rempart

à Paris
Aux Délices, 23 juin [1760]
Vous me faites enrager, monsieur; j'avais résolu de rire de tout dans mes douces retraites, et vous me contristez. Vous m'accablez de politesses, d'éloges, d'amitiés; mais vous me faites rougir, quand vous imprimez que je suis supérieur à ceux que vous attaquez. Je crois bien que je fais des vers mieux qu'eux, et même que j'en sais autant qu'eux en fait d'histoire ; mais, sur mon Dieu, sur mon âme, je suis à peine leur écolier dans tout le reste, tout vieux que je suis. Venons à des choses plus sérieuses.
M. d'Argental m'a assuré, dans ses dernières lettres, que M. Diderot n'était point reconnu coupable des faits dont vous l'accusez. Une personne non moins digne de foi m'a envoyé un très-long détail de cette aventure, et il se trouve qu'en effet M. Diderot n'a eu nulle part aux deux lettres condamnables qu'on lui imputait . Encore une fois, je ne le connais point, je ne l'ai jamais vu ; mais il avait entrepris, avec M. d'Alembert, un ouvrage immortel, un ouvrage nécessaire, et que je consulte tous les jours. Cet ouvrage était d'ailleurs un objet de 300 000 écus dans la librairie ; on le traduisait déjà dans trois ou quatre langues ; questa rabbia, detta gelosia,1 s'arme contre ce monument cher à la nation, et auquel plus de cinquante personnes de distinction s'empressaient de mettre la main !
Un Abraham Chaumeix s'avise de donner à M. Joly de Fleury un mémoire contre l'Encyclopédie, dans lequel il fait dire aux auteurs ce qu'ils n'ont point dit, empoisonne ce qu'ils ont dit, et argumente contre ce qu'ils diront. Il cite aussi faussement les Pères de l'Église que le Dictionnaire. M. de Fleury, accablé d'affaires, a eu le malheur de croire maître Abraham ; le parlement croit M. Joly de Fleury; monsieur le chancelier retire le privilège; les souscripteurs en sont pour leurs avances, les libraires sont ruinés; M. Diderot est persécuté. Je me trouve, pour ma part, désigné très-injustement dans le réquisitoire de M. de Fleury; et, quoique le public n'ait pas approuvé le réquisitoire, la persécution subsiste, malgré les cris de la nation indignée.
C'est dans ces circonstances odieuses que vous faites votre comédie contre les philosophes ; vous venez les percer quand ils sont sub gladio. Vous me dites que Molière a joué Potin et Ménage : soit; mais il n'a point dit que Cotin et Ménage enseignaient une morale perverse ; et vous imputez à tous ces messieurs des maximes affreuses dans votre pièce et dans votre préface.
Vous m'assurez que vous n'avez point accusé M. le chevalier de Jaucourt ; cependant c'est lui qui est l'auteur de l'article Gouvernement; son nom est en grosses lettres à la fin de cet article.
Vous en déférez plusieurs traits qui pourraient lui faire grand tort, dépouillés de tout ce qui les précède et qui les suit, mais qui, remis dans leur tout ensemble, sont dignes des Cicéron, des de Thou et des Grotius.
Vous n'ignorez pas d'ailleurs que M. le chevalier de Jaucourt homme d'une très-grande maison, et beaucoup plus respectable par ses mœurs que par sa naissance est dans des circonstances délicates qui exigent de tout honnête homme le plus grand ménagement .2
Vous voulez rendre odieux un passage de l'excellente Préface que M. d'Alembert a mise au devant de l'Encyclopédie; et il n'y a pas un mot de ce passage. Vous imputez à M. Diderot ce qui se trouve dans les Lettres juives 3; il faut que quelque Abraham Chaumeix vous ait fourni des mémoires comme il en a fourni à M. Joly de Fleury, et qu'il vous ait trompé comme il a trompé ce magistrat. Vous faites plus; vous joignez à vos accusations contre les plus honnêtes gens du monde des horreurs tirées de je ne sais quelle brochure intitulée la Vie heureuse, qu'un fou, nommé La Mettrie, composa un jour, étant ivre, à Berlin, il y a plus de douze ans. L’homme-plante est encore de La Mettrie 4. Cette sottise de La Mettrie, oubliée pour jamais, et que vous faites revivre, n'a pas plus de rapport avec la philosophie et l'Encyclopédie que le Portier des Chartreux 5 n'en a avec l'Histoire de l'Église; cependant vous joignez toutes ces accusations ensemble.

Qu'arrive-t-il ? Votre délation peut tomber entre les mains d'un prince, d'un ministre, d'un magistrat, occupé d'affaires graves, de la reine même, plus occupée encore à faire du bien, à soulager l'indigence, et à qui d'ailleurs les bienséances de la grandeur laissent peu de loisir. On a bien le temps de lire rapidement votre préface, qui contient une feuille ; mais on n'a pas le temps d'examiner, de confronter les ouvrages immenses auxquels vous imputez ces dogmes abominables. On ne sait point qui est ce La Mettrie; on croit que c'est un des encyclopédistes que vous attaquez, et les innocents peuvent payer pour le criminel, qui n'existe plus. Vous faites donc beaucoup plus de mal que vous ne pensiez et que vous ne vouliez; et certainement, si vous y réfléchissez de sang-froid, vous devez avoir des remords.

Voulez-vous à présent que je vous dise librement ma pensée ?
Voilà votre pièce jouée : elle est bien écrite, elle a réussi ; il y aurait une autre sorte de gloire à acquérir : ce serait d'insérer dans tous les journaux une déclaration bien mesurée, dans laquelle vous avoueriez que, n'ayant pas en votre possession le Dictionnaire encyclopédique, vous avez été trompé par les extraits infidèles qu'on vous en a donnés; que vous vous êtes élevé avec raison contre une morale pernicieuse ; mais que, depuis, ayant vérifié les passages dans lesquels on vous avait dit que cette morale était contenue; ayant lu attentivement cette préface de l'Encyclopédie, qui est un chef-d'œuvre, et plusieurs articles dignes de cette préface, vous vous faites un plaisir et un devoir de rendre au travail immense de leurs auteurs, à la morale sublime répandue dans leurs ouvrages, à la pureté de leurs mœurs, toute la justice qu'ils méritent. Il me semble que cette démarche ne serait point une rétractation (puisque c'est à ceux qui vous ont trompé à se rétracter); elle vous ferait beaucoup d'honneur, et terminerait très-heureusement une très-triste querelle.
Voilà mon avis, bon ou mauvais ; après quoi je ne me mêlerai en aucune façon de cette affaire : elle m'attriste, et je veux finir gaiement ma vie. Je veux rire ; je suis vieux et malade, et je tiens la gaieté un remède plus sûr que les ordonnances de mon cher et estimable Tronchin. Je me moquerai tant que je pourrai des gens qui se sont moqués de moi ; cela me réjouit, et ne fait nul mal. Un Français qui n'est pas gai est un homme hors de son élément. Vous faites des comédies, soyez donc joyeux, et ne faites point de l'amusement du théâtre un procès criminel. Vous êtes actuellement à votre aise; réjouissez-vous, il n'y a que cela de bon.
Si quid novisti rectius istis,
Candidus imperti ; si non, his utere mecum.6

E per fine, sans compliment, votre très-humble et très obéissant serviteur

Le Suisse V. »

1 Cette rage dite jalousie .(italien)

2 J. Lough, dans « Louis, chevalier de Jaucourt », essays presented to C. M. Girdlestone, 1960, émet l'hypothèse que la famille de Jaucourt le pressait de renoncer à collaborer à l'Encyclopédie .

3 Du marquis d'Argens .

Cette dernière phrase est ajoutée par V* en marge

5 Cet ouvrage licencieux a été publié vers 1745 sous le titre Histoire de dom B... ; portier des Chartreux, est de J.-C. Gervaise de Latouche .

6 Horace, Épîtres, I, vi, 67-68 : Si tu connais quelque règle de conduite meilleure, fais-m'en part sans détour, sinon, suis avec moi celle que je propose .

 

26/06/2015

je veux des gens qui labourent vite et qui se portent bien.

... Valls serait-il , lui aussi, vif , voltairien de caractère (faute d'en avoir toutes les qualités) , ce qui expliquerait son recours au fumeux fameux article 49-3 pour faire avancer la machine à lois plus rapidement, et d'autre part , en sous main, peut être soutenir le projet limitant à 70 ans   l'âge de ceux qui tiennent les rênes du pouvoir législatif ? point de boeufs malades aux Assemblées ! encore moins de vieux  chevaux de retour , d'ailleurs !

 http://slideplayer.fr/slide/1747622/

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« A François Guillet, baron de Monthoux 1

à Annemasse

recommmandé à M. Mirabaud

à Genève
20 juin 1760
Monsieur, puisque vous me mettez des Monsieur en sentinelle, je vous en mettrai aussi ; mais je vous dirai que j'ai plus besoin d'avoine que de traducteurs. J'obéirai à vos ordres, et les Cramer ne manqueront pas de vous adresser un exemplaire de l'Histoire de Pierre le Grand dès qu'elle sera prête à paraître ; ces détails les regardent uniquement. Je leur ai abandonné sans réserve tout le profit de mes ouvrages : ils font mon amusement; je souhaite qu'ils fassent l'avantage de ceux à qui j'en fais présent. Je leur recommanderai de prendre, pour la traduction, les arrangements que vous ou vos amis, monsieur, vous voudrez bien prescrire ; je ne sais si j'engraisse mes libraires, mais mes chevaux sont bien maigres ; et comme j'ai beaucoup plus de chevaux que d'imprimeurs, je vous demande instamment votre protection pour une vingtaine de coupes d'avoine, en attendant que vos belles récoltes passent dans mes greniers. Si Dieu me prête vie, vous ne débourserez pas un sou pour me payer mes douze mille francs 2. Je me suis brouillé avec les bœufs; ils marchent trop lentement; cela ne convient point à ma vivacité. Ils sont toujours malades ; je veux des gens qui labourent vite et qui se portent bien.
Mille respects à Mme la baronne de Monthoux. Habitez-vous actuellement votre château d'Annemasse ?

J'ai l'honneur d'être avec les sentiments que je vous dois

monsieur

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire . »

1 Pour les éditeurs, Cayrol et François, le destinataire est le baron de Montrons  : «  N'est-ce pas Montyon qu'il faut lire ? » notera Georges Avenel . 

 

25/06/2015

Pardonnez à un pauvre vieillard bien languissant

... De ne plus se soumettre à vos suffrages électifs , 70 ans ont sonné sur mon bulletin de naissance et la retraite politique devient obligatoire , peut-être !..." va déclarer un certain nombre de candidats potentiels au siège de député  ou sénateur .

Pas croulants, pas très nombreux pour l'instant, ces élu(e)s députés et sénateurs, et peut-être aussi tous les élus de tous grades vont être renvoyés à leurs foyers , la pétanque, la pêche à la ligne et le glandage (avec bonne retraite au demeurant ) .

Projet de loi à suivre d'un oeil distrait, car tout ce qui touche aux avantages de ces hommes/femmes politiques n'a quasiment aucune chance d'être adopté, encore moins décrété . Chat échaudé ... (c'est moi)...

 

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« A François de Lassalle-Cézeaux 1

Aux Délices, 20è juin 1760

Mes maladies, monsieur, ne m'ont pas permis de vous remercier plus tôt de vos vers et de votre prose . Pardonnez à un pauvre vieillard bien languissant s'il vous répond si tard et si mal ; mais il est près de sortir de la carrière où vous entrez . Il vous souhaite tous les plaisirs de votre âge et il compte encore la poésie parmi les plaisirs . Elle peut être un amusement pour un officier et le roi de Prusse a fait voir qu'on peut faire des vers et se bien battre .

J'ai l'honneur d'être, monsieur, avec tous les sentiments que je vous dois, votre très humble et très obéissant serviteur .

Voltaire . »

1 Jeune officier- poète , correspondant de V* . Voir page 76 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58430585/f86.image.r=lassalle%20c%C3%A9zeaux.langFR

24/06/2015

malgré toute sa raison elle est encore femme

... M'a dit Voltaire, parlant de Mam'zelle Wagnière .

C'est bien la connaitre que d'affirmer celà , raison et féminité, elle en est douée à la perfection, et je peux le confirmer à notre grand ami commun . La raison n'est pas un attribut purement masculin et on peut être "encore" et "toujours" femme sans perdre son bon sens . Longue et heureuse vie à elle .

 

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 Tête à tête

 

« A Charles-Jean-François Hénault

20è juin aux Délices par Genève

Mon illustre et respectable confrère, vos lettres peuvent contribuer à me rendre l'esprit prompt ; mais malgré Tronchin la chair est infirme ; je ne peux guère écrire . Souffrez que je dicte ; je dirai, je dicterai, j'imprimerai toujours que vous êtes le plus aimable homme du siècle ; mais il faudrait qu'il y eût bien des gens comme vous pour faire oublier toutes les sottises de nos jours ; on a besoin d'un Homère qui chante les combats des rats et des grenouilles . Est-il possible qu'on soit parvenu à débiter des satires contre des gens de lettres, dans le sanctuaire de lettres ! À faire jouer des comédies où l'on représente les plus honnêtes gens du monde, enseignant à voler dans la poche ! Il faut lever les mains au ciel pour qu’il lui plaise nous rendre notre argent, nos vaisseaux et autre vaisselle, mais il faut lever les épaules sur tout le reste ; je prends le parti de me moquer de tout, de rire de tout ; ce régime est très bon pour la santé, et j'espère qu’il me guérira . Je m'imagine que Mme du Deffand use de ma recette . Vous ne me parlez point d'elle dans la lettre dont vous m'avez honoré ; je vois bien que malgré toute sa raison elle est encore femme ; elle m'a fait des coquetteries, m'a agacé, m'a tourné la tête, et quand elle a été bien sûre de m'avoir inspiré une passion sérieuse, elle m'a laissé là ; vous êtes plus honnête qu'elle, monsieur, vous faites du moins quelques caresses à vos adorateurs ; je vous assure que j'en sens bien le prix . Nous autres philosophes retirés nous sommes bien plus sensibles que les gens du monde , notre cœur n'a point de distraction ; il est vrai que je me suis fait un chemin bien agréable, et que j'aime mes chaumières de plus en plus ; si la reine savait que je suis très bien avec mes curés, que je marie des filles, que je baptise des enfants 1, et que je me garde bien d'en faire, elle serait vraiment bien édifiée . Je suis tout juste le contraire de M. de Cobinzel 2 qui disait à l'impératrice : Je vous ai fait serment d'obéissance, mais non pas de chasteté .

Enfin , monsieur, je maintiens qu'il n'y a point de seigneur de paroisse, lequel remplisse mieux ses devoirs que moi ; le tout sans préjudice pour les belles-lettres , qui feront jusqu'au dernier moment le charme de ma vie , c'est-à-dire, le même effet que font sur moi vos bontés et votre souvenir ; Mme Denis unit ses sentiments aux miens ; je tiens qu'elle joue beaucoup mieux que la Champmeslé qui chantait, mais il faut avouer que la Champmeslé était plus belle .

Mille tendres respects et portez-vous bien.

V. »

1 Le 23 mai 1760,V* et Mme Denis signaient le registre des baptêmes à l'occasion de la naissance aux Délices d'un fils de Louis Faÿ et Marie-Thérèse Maton (état civil de Prégny) .

2 Le comte Johann Karl Philipp von Cobenzl éait un haut dignitaire de la cour de Vienne à qui V* avait eu recours par l'intermédiaire du libraire Varrentrapp pendant l'affaire de Francfort ; voir une lettre de ce dernier à Cobenzl : voir : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rbph_0035-0818_1925_num_4_2_6345

 

23/06/2015

je vous aurais importuné plutôt d'un remerciement

... Si vos services n'avaient pas donné de mauvaises informations , ô URSSAF aux mille bras (ballants trop souvent) et aux têtes d'hydre (moches, très moches ) nourrie de paperasses inutiles et renseignements redondants . Mesdames et messieurs les ronds de cuir , je ne vous salue pas .

 

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« A Jean-Philippe Fyot de La Marche

Aux Délices, 20 juin 1760

Monsieur, si je n'avais pas été malade, je vous aurais importuné plutôt d'un remerciement . Je vous le dois non seulement pour la lettre que vous avez daigné écrire à Gex 1, mais pour celle dont vous m'avez honoré 2. Moins je mérite les choses flatteuses que vous me dites, plus la manière dont elles sont dites m'en font 3 sentir le prix . Que ne puis-je avant ma mort avoir la consolation de voir encore une fois monsieur votre père ?4 et vous assurer du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'être, monsieur , votre très humble et très obéissant serviteur .

Voltaire . »

1 Lettre aux officiers du bailliage .

2 Ces lettres qui ne nous sont pas parvenues faisaient suite à la lettre du 28 mai 1760 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/05/27/il-est-impossible-que-la-necessite-ou-ils-m-ont-mis-de-mettre-leur-erreur-a.html

3 Accord fautif, mais spontané et très fréquemment attesté, avec le mot qui précède immédiatement .

4 Ami du collège (Louis le Grand ) de V*, voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Claude-Philippe_Fyot_de_La_Marche