23/02/2016
Le solitaire voit avec une extrême consolation que le public a des égards pour les gens qui pensent
... Qu'en pensez-vous ?

« A Octavie Belot
[février-mars 1761]
Vous savez madame combien le solitaire des Alpes aime vos charmantes lettres ; mais tout Suisse qu'il est, il n'aime point du tout les romans suisses , et il déteste l'insolent orgueil d'un valet de Diogène qui insulte notre nation . Il est enchanté que la pièce de M. Diderot ait triomphé de la cabale . C'est une réparation d'honneur que le public lui fait d'avoir écouté la prétendue Comédie des philosophes .
Le solitaire voit avec une extrême consolation que le public a des égards pour les gens qui pensent . Mme Belot doit trouver son compte à cette disposition des esprits . On lui réitère du fond du cœur les assurances de la plus respectueuse estime . »
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22/02/2016
C'est beaucoup d'être indépendant ; mais d’avoir trouvé le secret de l'être en France, cela vaut mieux
... Notre bureaucratie tatillonne doublée des normes européennes fait la vie dure aux travailleurs indépendants, libéraux comme paysans . L'auto-entreprenariat prend du plomb dans l'aile et le salariat est à la ramasse .
Hé ! François, ramène moi du monoï et fait la bise aux vahinés, dopé au kava !
NDLR : cette dernière allusion vient d'une association d'idées tirée par la barbichette : vahiné => sucre vanillé bien connu, sucre vanillé => gâteau, gâteau du Pays de Gex => papette, papette=> Papeete, CQFD !
https://fr.wikipedia.org/wiki/Tarte_%C3%A0_la_papette
« A Marie-Elisabeth de Dompierre de Fontaine
27 février 1761 à Ferney
Nos montagnes couvertes de neige et mes cheveux devenus aussi blancs qu'elles, m'ont rendu paresseux, ma chère nièce ; j'écris trop rarement . J'en suis très fâché, car c'est une grande consolation d'écrire aux gens qu'on aime : c'est une belle invention que de se parler de cent cinquante lieues pour vingt sous .
Avez-vous lu le roman de Rousseau ?1 Si vous ne l'avez pas lu, tant mieux . Si vous l'avez lu, je vous enverrai les Lettres que le marquis de Chimènes croit avoir faites sur ce roman suisse . Ce marquis de Chimènes est venu se camper chez nous avec tout son train et tous ses vers . Nous montrons l'orthographe à la cousine issue de germaine de Polyeucte et de Cinna . Si celle-là fait jamais une tragédie, je serai bien attrapé . Elle fait du moins de la tapisserie : je crois que c'est un des beaux arts, car Minerve, comme vous savez , était la première tapissière du monde . Il n'y a que la profession de tailleur qui soit au dessus , Dieu ayant été lui-même le premier tailleur, et ayant fait des culottes pour Adam quand il le chassa du paradis terrestre à coups de pied au cul .
Votre sœur embellit les dedans de Ferney, et moi je me ruine dans les dehors . C'est une terrible affaire que la création . Vous avez très bien fait de vous borner à rapetasser . Je vous crois actuellement bien à votre aise dans votre château ; mais je vous plains de n'avoir ni grand jardin ni grand lac : ce n'est pas assez d'avoir trois mille gerbes de champart 2, il faut que la vue soit satisfaite .
Le grand écuyer de Cyrus aura beau faire, il ne formera point de paysage où la nature n'en a pas mis . J'ai peur qu'à la longue le terrain ne vous dégoûte . Quand vous voudrez voir quelque chose de fort au-dessus des Délices, venez chez nous à Ferney . Surtout n'allez jamais à Paris : ce séjour n'est bon que pour les gens à illusion, ou pour les fermiers généraux . Vive la campagne, ma chère nièce ; vivent les terres, et surtout les terres libres où l'on est chez soi maître absolu, et où l'on n'a point de vingtièmes à payer . C'est beaucoup d'être indépendant ; mais d’avoir trouvé le secret de l'être en France, cela vaut mieux que d'avoir fait la Henriade .
Nous allons avoir une troupe de bateleurs auprès des Délices ; ce qui fait deux avec la nôtre . En attendant que nous ouvrions notre théâtre, je m'amuse à chasser les jésuites d'un terrain qu'ils avaient usurpé, et à tâcher de faire envoyer aux galères un curé de leurs amis . Ces petits amusements sont nécessaires à la campagne . Il ne faut jamais être oisif .
Votre jurisconsulte est-il à Hornoy ou à Paris ? Votre conseiller clerc qui écrit de si jolies lettres tous les jours de courrier à ses parents, est-il allé juger ? Le grand écuyer travaille-t-il en petits points ? Montez-vous à cheval ? Daumart est au lit depuis cinq mois sans pouvoir remuer . Tronchin vous a guérie parce qu'il ne vous a rien fait . Mais pour avoir fait quelque chose à Daumart, ce pauvre garçon en mourra, ou sa vie sera pire que la mort . C'est une bien malheureuse créature que ce Daumart ; mais son père était encore plus sot que lui, et son grand-père encore plus . Je n'ai pas connu le bisaïeul, mais ce devait être un rare homme .
J'ai commencé ma lettre par le roman de Rousseau, je veux finir par celui de La Popelinière . C'est , je vous jure, un des plus absurdes ouvrages qu'on ait jamais écrits : pour peu qu'il en fasse encore un dans ce goût, il sera de l'Académie .
Bonsoir : portez-vous bien . Je ne vous écris pas de ma main ; on dit que j'ai la goutte, mais ce sont mes ennemis qui font courir de bruit là . Je vous embrasse de tout mon cœur . »
1 Le passage « Avez-vous lu.... tous ses vers. » supprimé sur le manuscrit fut néanmoins imprimé, sauf la dernière phrase .
2 Dans la jurisprudence féodale, le champart est une portion du produit de la terre perçus par le seigneur d'une tenure .
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J'assomme les frères de petites dépenses
... Et les faux frères, que payent-ils ? tous ces tricheurs fiscaux qui ne sont pas assommés mais assommants !

« A Etienne-Noël Damilaville
27 février 1761
Reçu K. et L. Enivré du succès du Père de famille, je crois qu'il faut tout tenter pour mettre M. Diderot de l'Académie ; c'est toujours une espèce de rempart contre les fanatiques et les fripons . Si je peux exécuter quelques ordres pour monsieur Damilaville auprès de M. de Courteilles, je suis tout prêt et trop heureux .
Les frères ont-ils reçu un chant de Dorothée 1, retrouvé dans d'anciennes paperasses ? Et des Lettres du marquis de Chimène sur le roman de J.-J. ?
J'assomme les frères de petites dépenses . Je prie M. Thieriot de mettre tout sur son agenda . Il y a longtemps qu'il ne m'a écrit ; il ne sait pas que j'aime passionnément ses lettres . Mille tendres amitiés . »
1 Qui est maintenant le chant XIX de La Pucelle .
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21/02/2016
je suis de bon cœur pour la langue française . J'avoue qu'elle est bien lâche sous la plume de nos bavards
... Foin de ces termes anglo-américains rabâchés par quelques élus qui sont incapables d'en donner une traduction compréhensible par tout un chacun ; s'ils sont aussi mauvais en anglais qu'en français, ce dont je me doute, bonjour le galimatias poudre aux yeux .

Merci à ce grand auteur lettré
« A Jean Le Rond d'Alembert
Au château de Ferney, pays de Gex
27 de février 1761 1
Vous êtes un franc savant, dans votre charmante et drôle de lettre ; vous concluez dans votre cœur pervers que je n'ai point été à la messe de minuit, parce que mon libraire hérétique a mis le 23 pour le 24 2. Vous triomphez de cette erreur, mon cher et grand philosophe, comme un Saumaise ou un Scaliger ; mais vous êtes fort plaisant, ce que les Scaliger n'étaient pas . Sachez que vos bonnes plaisanteries ne m'ôteront point ma dévotion, et qu'il n'y a d'autre parti à prendre que de se déclarer meilleur chrétien que ceux qui nous accusent de n'être pas chrétien . J'ai un évêque qui est un sot, et qui me regarde comme un persécuteur de l’Église de Dieu parce que je poursuis vivement la condamnation d'un curé grand diseur de messes et assassin . Je conjure mon évêque, par les entrailles de Jésus-Christ, de se joindre à moi pour ôter le scandale de la maison d'Israël ; les impies diront que je me moque, mais je ne rougirais point de mon père céleste devant eux ; quand on a l'honneur de rendre le pain bénit à Pâques, on peut aller partout la tête levée .
Je regarde le succès du Père de famille comme une preuve évidente de la bénédiction de Dieu et des progrès des frères ; il est clair que le public n'était pas mal disposé contre cet homme qu'on a voulu rendre si odieux ; point de cabales, point de murmures ; le public a fait taire les Palissot et les Fréron ; le public est donc pour nous .
Comptez, mon cher et vrai philosophe, que je suis de bon cœur pour la langue française . J'avoue qu'elle est bien lâche sous la plume de nos bavards ; mais elle est bien ferme et bien énergique sous la vôtre .
J'apprends qu'il y a vingt-cinq candidats pour l'Académie ; je conseille qu'on fasse l'abbé Le Blanc portier ; je vous réponds qu'alors personne ne voudra plus entrer . M. de Malesherbes avilit la littérature, j'en conviens ; il est philosophe, et il fait tort à la philosophie , d'accord ; il aime le chamaillis 3 ; il fait payer le Journal des savants qui ne se vend point, par le produit des infamies de Fréron, qui se vendent ; c'est le dernier degré de l'opprobre . Mais un impudent Omer qui se fait en plein parlement le secrétaire et l'écolier d'Abraham Chaumeix, un lâche délateur public, qui cite faux publiquement, un vil ennemi de la vertu et du sens commun ; voilà ce qu'il faudrait faire assommer dans la cour du palais par les laquais des philosophes .
Envoyez-moi, je vous prie, pour me consoler, vôtre roide discours sur l'histoire , prononcé avec tant d’applaudissements dans l'Académie . On dit que cette journée fut brillante ; j'ai d'autant plus besoin de votre discours qu'on réimprime actuellement mes insolences sur l'Histoire générale . J'avais trop ménagé mon monde, mais,
Qui n'a plus qu'un moment à vivre
N'a plus rien à dissimuler .4
Il faut peindre les choses dans toute leur vérité, c'est -à-dire dans toute leur horreur .
Je vous embrasse, vous aime, estime, et révère . »
1 Renouard, qui dit avoir revu le texte sur les manuscrits donne la version ici retenue ; l'édition de Kehl donne M... pour Malesherbes, supprime Omer et remplace assommer par siffler .
2 Voir lettre du 23 décembre 1760 à Albergati Capacelli : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/12/23/je-pardonne-de-tout-mon-coeur-a-tous-ceux-dont-je-me-suis-mo-5737506.html
3 Ancien terme militaire signifiant « combat » ; ce terme est attesté au sens figuré moderne chez Saint-Simon .
4 Atys, I, 6, de Quinault : vers 221 : http://www.theatre-classique.fr/pages/programmes/edition.php?t=../documents/QUINAULT_ATYS.xml#A2
Voir et écouter : https://www.youtube.com/watch?v=QZjJeb6MPtU
Ça change du rap !!
17:19 | Lien permanent | Commentaires (0)
recevez mes remerciements, et ceux de toute la petite province de Gex
... Fleur Pellerin, pour avoir poursuivi la restauration du château de Voltaire .

« A Jean-Baptiste Sénac, conseiller
d’État, premier médecin du Roi 1
à Versailles
Au château de Ferney pays de Gex
24è février 1761
Monsieur, recevez mes remerciements, et ceux de toute la petite province de Gex, de la bonté que vous avez eue de soutenir notre bon droit contre un marais empesté qui nous désole, et qui cause la mort à un de mes parents, lequel lutte en vain, depuis cinq mois , contre la carie de ses os . Je suis pénétré de vos bontés . Permettez-moi de renouveler les assurances de mon attachement à messieurs vos fils 2; je serai toute ma vie avec la plus sincère reconnaissance
monsieur
votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire. »
10:19 | Lien permanent | Commentaires (0)
20/02/2016
mon principal soin sera toujours de seconder autant qu'il sera en moi vos volontés et vos vues pour le bien public
... Pour le bien public ! pour le bien public mes (trop) chers gouvernants, mettez-vous bien ça dans le crâne ! pour le bien public, chers et innombrables fonctionnaires !
En vérité, je vous le dis ( tiens, je parle comme un certain Jésus ), Voltaire ne s'est jamais dégonflé dans son oeuvre de bien public , et Ferney et ses habitants en ont été la preuve tangible . Qu'on se le dise !
« A Louis-Gaspard Fabry, Maire et
subdélégué
à Gex
Aux Délices 24è février 1761
Monsieur, j'ai l'honneur de vous envoyer la lettre de M. de Montigny où vous verrez ce qu'on pense du sieur Sédillot . J'y joins une lettre de M. de Villeneuve à M. l'intendant de Lyon . J'écris à M. de Villeneuve pour le remercier, et en même temps lui dire combien la province vous a d'obligations . Je lui fais un petit tableau des malheurs du pays de Gex, et des torts que le sieur Sédillot a faits à ce petit coin du monde, qui sans vous serait accablé . J'ai écrit en conformité à M. de Courteilles, et à M. de Trudaine .
J'ai vu M. Myrani que vous avez eu la bonté de m’envoyer ; vous me rendez cette province chère, je contribuerai autant qu’il me sera possible au dessèchement que vous projetez de tous les marais, et mon principal soin sera toujours de seconder autant qu'il sera en moi vos volontés et vos vues pour le bien public . J'ai l'honneur d'être avec tous les sentiments qui vous sont dus, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur .
Voltaire . »
14:08 | Lien permanent | Commentaires (0)
Bon 322 ème anniversaire François-Marie Arouet de Voltaire
...
Né de son propre aveu, le 20 février 1694, ce qui fait qu'il a deux dates de naissances répertoriées, et pour faire bon poids, deux pères . On ne choisit pas ses parents, dit-on, eh ! bien, notre génial Voltaire fait mentir le dicton sans souci du qu'en dira-t-on . Et surtout :
Qui sert bien son pays n'a pas besoin d'aïeux.
Mérope, acte I, scène III.
07:10 | Lien permanent | Commentaires (0)

