23/12/2014
Dieu vous donne la paix le plus tôt qu'il pourra ; les gens qui bâtissent en ont autant besoin que ceux qui couchent dans la rue
... C'est vrai , mais quelle paix peut on attendre et atteindre quand on couche dans la rue ?
« A François de Chennevières
Vos contes sont très jolis, mon cher monsieur . Mlle de Bazincour 1 est une bonne emplette, et de bonne emplette ; je peux en parler ainsi sans conséquence, à mon âge .
Nous savons très bien avant vous toutes les nouvelles du dehors, vous devriez bien nous dire un petit mot du dedans . La confiance est-elle revenue ? mange-t-on toujours sur des cul noirs ? M. de Montmartel aide-t-il encore le ministère de son crédit ? prête-t-il de l'argent ? Vous n'en savez rien . La cour doit être très affligée de la perte de Madame Infante ; mais hélas ! à la cour chacun ne songe qu'à soi . Il faut être bien aveuglé par le préjugé, pour ne se pas faire inoculer quand on n'a pas eu la petite vérole à trente ans . Est-il possible que tant de funestes exemples ne servent à rien à notre malheureuse nation ? On ne fait pas plus de difficulté dans le petit pays où j'ai choisi ma retraite de se faire inoculer 2, que de prendre une médecine de précaution . Mais la raison parle en vain, l'ancienne erreur domine toujours . On dit que vous avez quatorze jésuites à Versailles pendant qu'on en chasse trois cents du Portugal . Dieu vous donne la paix le plus tôt qu'il pourra ; les gens qui bâtissent en ont autant besoin que ceux qui couchent dans la rue ; personne ne paie , on meurt de faim dans le pays de Gex, comme ailleurs ; mauvaise récolte, mauvaises vendanges, mortalité de moutons . Dites-moi quel est l’hôpital le plus voisin, sous votre direction, et j'irai m'y établir moi, ma nièce, un grand petit neveu que j'ai, un homme de lettres qui est venu s'établir chez moi, le secrétaire qui vous écrit, et vingt domestiques, envoyez-nous vite un billet pour être reçus, ou consolez-nous par vos lettres .
Mille respects à la sœur du pot 3.
V.
15 décembre [1759] »
1 Elle logeait chez V* et Mme Denis ; voir lettre du 22 octobre 1759 à Chennevières : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/11/07/on-pretend-que-paris-rit-toujours-autant-qu-il-murmure-5484636.html
2 Allusion à l'inoculation de Mme d'Epinay ; voir lettre du 5 août 1759 à Mme d'Epinay : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/09/06/nous-ne-manquerons-pas-de-venir-admirer-le-courage-et-voir-l-5441715.html
3 La duchesse d'Aiguillon ; voir lettre du 17 mars 1759 à Chennevières : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/05/02/quelque-operation-qu-on-imagine-il-faut-que-le-peuple-la-pay-5360563.html
15:54 | Lien permanent | Commentaires (0)
22/12/2014
je demande seulement, comme citoyen, si vous pensez que nous aurons la paix. Je la vois nécessaire pour nous. J'ai bien de la peine à la voir glorieuse
... Question ouverte à tout citoyen du monde qui répondra "non" beaucoup trop souvent à mon goût et laissera encore une grande amertume en cette période de fêtes .
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'ARGENTAL
Aux Délices, 15 décembre [1759] 1
Je me flatte, mon divin ange, que la mort funeste de la princesse 2 que vous regrettez ne changera rien à votre destinée, et que votre place n'en sera pas moins pour vous une source de choses utiles et agréables. Permettez-moi de vous marquer toute la part que nous prenons, Mme Denis et moi, à ce triste accident. Je suis persuadé que madame l'infante vous avait bien goûté, qu'elle sentait tout ce que vous valez ; et, en ce cas, vous perdez beaucoup. Votre cœur sera affligé ; mais, quoique votre intérêt ne soit pas pour vous un motif de consolation, il faut bien que vos amis envisagent cet intérêt, que vous êtes bien homme à négliger.
Voilà, dit-on, de belles espérances de paix; le roi d'Angleterre l'offre en vainqueur. Je ne veux point demander si cette déclaration de sa part est une suite de certaines démarches; je demande seulement, comme citoyen, si vous pensez que nous aurons la paix. Je la vois nécessaire pour nous. J'ai bien de la peine à la voir glorieuse ; mais j'attends tout des lumières et de la belle âme de M. le duc de Choiseul.
C'est alors que nous pourrons mettre les chevaliers français sur la scène; ils seront à vos ordres comme l'auteur. Cette Femme qui a raison me fait de la peine ; on la dit imprimée, et très-mal : c'est ma destinée, et cette destinée désagréable a été toujours la suite de ma facilité. On ne se corrige de rien ; au contraire, les mauvaises qualités augmentent avec l'âge comme les bonnes. Que vous êtes heureux! et que cette loi de la nature vous est favorable ! Je vous souhaite, et à Mme Scaliger, une jolie année 1760, et cinq ou six bonnes pièces nouvelles. Si j'avais du temps j'en ferais une, bonne ou mauvaise; mais Pierre m'appelle; je ne connais que vous et lui.
V.
Je me flatte encore une fois que M. le duc de Choiseul n'est pas mécontent de moi, et que vous fortifiez les bontés dont il m’honore . Je n'ai point d'autre prétention . »
1 Date complétée par d'Argental ; une tache d'encre sur l'orignal fait interpréter le 15 en 11 pour la copie Beaumarchais, date suivie par les éditions suivantes . Le dernier paragraphe en bas de page est supprimé dans la copie Beaumarchais et manque dans les éditions suivantes .
2 Louise-Élisabeth de France, duchesse de Parme, fille de Louis XV et femme du duc de Parme, morte le 6 décembre, de la petite vérole. Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lisabeth_de_France_%281727-1759%29
11:02 | Lien permanent | Commentaires (0)
21/12/2014
on ne reçoit point de moines sans savoir d'où ils viennent, et qui ils sont
... A en juger par l'image, ils sont à poil en attendant que la lessive sèche , autrement dit , ils n'ont plus rien à cacher , enfin je suppose .
« A Jean Le Rond d'Alembert
15 décembre 1759 aux Délices
Votre Siméon Valette ou /Valet ou La Valette 1 est chez moi, mon cher philosophe, il s'est fait moine dans mon couvent . Mais on ne reçoit point de moines sans savoir d'où ils viennent, et qui ils sont . Cet homme ne donne aucun renseignement . Il paraît assez bon diable, mais je veux qu'au moins je sache qui est ce diable . Où l'avez-vous connu ? qui répond de lui ? quis, quid, ubi, quibus auxilliis, cur, quomodo, quando 2? Nous allons donc avoir la paix . Votre pension berlinoise sera bien assurée 3. Je vous plaindrai si vous restez à Paris, je vous plaindrai si vous allez en Prusse, mais partout où vous serez je vous aimerai de tout mon cœur . Mes compliments à frère Berthier et à tutti quanti .
V. »
1Auteur de Trigonométrie sphérique résolue par le moyen de la règle et du compas, 1757, ouvrage dédié à d'Alembert , voir : https://books.google.fr/books?id=VRc1AAAAcAAJ&pg=PR1&lpg=PR1&dq=Trigonom%C3%A9trie+sph%C3%A9rique+r%C3%A9solue+par+le+moyen+de+la+r%C3%A8gle+et+du+compas&source=bl&ots=nBElV9Gtas&sig=I6goYqcZ6uhfFAMLhYWdRd8fIYI&hl=fr&sa=X&ei=HtaWVJTlI8r_Ura9gLgL&ved=0CCUQ6AEwAQ#v=onepage&q&f=false
. Voir lettre du 25 août 1759 à d'Alembert : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2009/08/24/7ee3c111bfab5da7b657b0c44a4d4b32.html
2 Qui, quoi, où, avec quel concours, pourquoi, comment, quand . Telles sont les questions que la rhétorique enseigne à répondre pour nourrir un développement .
3 Frédéric II assurait en effet une pension à d'Alembert . En 1752, Frédéric II, roi de Prusse, qui admirait fort les écrits de d'Alembert et avait conçu pour sa personne une vive sympathie, s'efforça de l'attirer à Berlin. D'Alembert ne voulut point quitter la France; mais en 1754 il accepta de ce prince une pension de douze cents livres. Une autre de la même somme lui fut accordée en 1756, par le roi Louis XV, à la sollicitation de M. d'Argenson, alors ministre.
15:50 | Lien permanent | Commentaires (0)
Et parcus victus cum deficiente crumena = Et une vie frugale, et une bourse vide
... Vous attend inéluctablement après cette période de fêtes dispendieuses si vous vous laissez influencer par les sirènes de la publicité et le désir d'épater la galerie .
Je ne m'étendrai pas sur le sujet de mensonges aux petits enfants, prétexte à stupides déclarations, le père Noël qui, pour moi, rejoint la fabuleuse engeance de la mouche qui pète et la poupée qui tousse .
... Sauf vous mesdames !
« A Charles de Brosses, baron de Montfalcon
12 décembre [1759]
Croyez-moi, monsieur, partageons à peu près notre petit différent par la moitié 1. Cent mille francs vous conviendraient-ils ? 40000 en signant le contrat ? 30000 dans un an et la rente de 30000 ? voilà tout ce que je peux, et en vérité vous devez accepter des offres qui paraissent très raisonnables à tous ceux que j'ai consultés .
Si vous vous déterminez monsieur ayez la bonté de vous arranger pour les lods et ventes avec M. d'Espagnac, je voudrais une diminution des deux tiers . Girod pourrait sonder Fabry, et vous vous chargeriez de Mgr le comte de La Marche . Je prendrai aussi les devants pour m'assurer la conservation des droits de l'ancien dénombrement, et la réunion des terres . Je crois monsieur que voici le temps où ceux qui ne sont point présidents des parlements doivent vivre à la campagne . Il vous faut à vous autres messieurs des belles villes et de bonnes rentes qui viennent aisément vous trouver dans vos palais . Mais pour moi
Flumina amem silvas que inglorius .2
Vous me faites trop d'honneur . Gratia et valetudo 3 me manquent net . Dites
Et parcus victus cum deficiente crumena 4.
Je vous offre tout ce qui reste dans cette crumena malheureuse, sans laquelle on ne peut vivre à moins que ce ne soit parmi les sauvages . J'ai vu l'année 1709 5 mais notre 1759 est encore pire pour les crumenae . C'est à vous monsieur à ressusciter le pays de Gex, mais il faut faire entendre raison à ceux qui le tuent ; et cela peut être sera difficile .
J'ai allégué à M. le chancelier et à M. le procureur général de Dijon l'exemple d'un jugement sur un délit commis précisément au même endroit où Panchaud a défendu ses noix 6. Il ne s'agissait pas de noix mais d'un meurtre , le coupable fut pendu au nom du roi et aux frais du roi . La justice du seigneur doit finir au grand chemin, et c'est entre le grand chemin et le lac que la bataille des noix a été donnée .
J'ai écrit au bibliopole 7 pour Jugurtha et pour Catilina . Vous aurez incessamment monsieur la première feuille , et j'attends avec impatience le moment de les voir toutes . Il me semble que vous pourriez nous gratifier encore de quelques autres ouvrages , remplis, dit-on, de vérités dont nous avons besoin . Continuez monsieur à faire honneur aux lettres, et à m'honorer de vos bontés .
V. »
1 Le différend sur le prix de Tournay . De Brosses écrit vers le 7 décembre : « Vous continuez donc d'être à mon égard un Satan tentateur . Vous me dites d'abord que j'ai déjà reçu à compte de 47 mille livres . Là-dessus j'ai secoué votre lettre, et n'en voyant point tomber de lettre de change de 12 mille livres j'ai pris mon barème qui m'a toujours dit 35 […] Or ça parlons raison . Vous avez entendu à peu près mon mot, mais puisque vous voulez que j'en rabatte […] vous donnerez de surplus 120 mille livres, la moitié ou le tiers comptant, le reste aux termes qui vous conviendront . Si cela ne vous agrée pas, tout est dit […] si cela vous convient j'enverrai ma procuration […]. quant aux lods et ventes , je ferai mon possible auprès de M. le comte de La Marche […] . je connais fort aussi MM. de Saint-Simon et d'Espagnac qui sont les principaux de sa maison [...].Au milieu de tant de désastres je ne laisse pas que de faire des efforts pour tacher de faire mettre en liberté notre pauvre petit pays de Gex […] Vous devriez bien joindre ici votre crédit et vos amis qui sont en grand nombre . »
2 Puissè-je , dans mon obscurité, me contenter des bois et des rivières ? ; Virgile, Georgiques, II, 486 .
3 Horace, Épîtres, I, IV, 10 ; dans le texte d’Horace, ces mots qui représentent ce que souhaite une nourrice à l'enfant qu'elle élève, signifient « la faveur et la santé » ; V* joue sans doute sur le sens de gratia, la grâce, au sens théologique .
4Et une vie frugale, et une bourse vide ; Horace, Épîtres, I, IV, 11 .
5 L'hiver rigoureux et prolongé de 1709 était resté fameux , c'était le grand hiver (V* l'a vécu au collège Louis Le Grand) . Voir : http://www.histoire-pour-tous.fr/histoire-de-france/3971-le-grand-hiver-de-1709.html
6 Voir la lettre du 30 novembre 1759 à Fabry : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/12/06/et-c-est-par-dela-le-grand-chemin-vers-le-lac-que-le-crime-concernant-les-d.html
et du 3 décembre 17459 à De Brosses : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/12/10/je-ne-sais-ce-que-je-fais-tant-j-ai-je-n-ose-pas-dire-de-pla-5507498.html
à laquelle De Brosses a répondu : « […] je connais il y a longtemps le Suisse de La Perrière pour un fieffé garnement . Il y a plusieurs années que j'ai recommandé qu'on le chassât et je croyais même que cela était fait […] Le meilleur de vos huit arguments est que le lieu où s'est commis le délit est hérétique, et par conséquent hors de la justice de Tournay qui est la plus papiste du monde […] je puis vous répondre d'avance de faire en sorte que par la discrétion du prêteur [les frais] seront réduits à beaucoup moins que les mille écus dont on vous menace . » Sur cette affaire, voir notamment les mémoires de juillet 1760 ainsi que la suite de la correspondance .
7 Voici un emploi de ce mot antérieur au premier emploi attesté par les dictionnaires étymologiques . Il est emprunté au grec qui signifie libraire . V* répond ici à la fin de la lettre de De Brosses : « Dites à M. Cramer qu'il m'envoie cette feuille imprimée de mon Salluste qu'il doit m'envoyer pour essais, afin que je puisse juger du format et vois combien l'ouvrage fera de volumes . Il y a un siècle que je l'attends. » Pour Salluste, voir lettre du 23 septembre 1758 à De Brosses : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/11/03/mon-grand-plaisir-serait-de-n-avoir-affaire-de-ma-vie-ni-a-u.html
L'allusion qui suit à « quelques autres ouvrages » désigne sans doute Du culte des dieux fétiches ou Parallèle de l'ancienne religion de l’Égypte avec la religion actuelle de Nigritie, 1760, ( http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k106440f )
dont De Brosses envisageait déjà la publication plus d'un an auparavant .
01:14 | Lien permanent | Commentaires (0)
20/12/2014
qui, en se laissant battre neuf années de suite, apprit à battre l'ennemi le plus intrépide
... Parlerait-on ici de ce malheureux Bayrou, de cet exécrable Le Pen et sa Marine de fille, serait-ce prémonitoire pour l'agité et menteur Sarkozy, je n'ose me prononcer ; Mme Soleil n'est plus là pour m'éclairer et Elisabeth Teissier pédale dans la semoule .
Et puis, au fait , peut-on parler d'intrépidité à propos de candidats politicards ? Ennemis, certes, mais sans plus !
« A Élie BERTRAND.
De quoi vous avisez-vous, mon cher ami, de donner sitôt de l'argent 1 à Panchaud ? Il n'en a pas probablement tant de besoin que vous ; c'était à lui d'attendre votre commodité. Vous êtes bien heureux de n'avoir pas votre bien à Leipsick ; le roi de Prusse vient encore de lui extorquer 300000 écus. Tout ce qu'on voit, à droite et à gauche, fait aimer et estimer ce pays-ci, surtout si le sage gouvernement de Berne ne donne pas des lettres de naturalité à ce fripon de Grasset. Je crois qu'il faudra faire paraître à la fois les deux volumes de l'Histoire de Pierre le Grand, le plus sage et le plus grand des sauvages, qui a civilisé une grande partie de l'hémisphère, et qui, en se laissant battre neuf années de suite, apprit à battre l'ennemi le plus intrépide. Ce qui se passe aujourd'hui est juste le revers de Pierre; on a commencé par des victoires, on finira par le plus affreux revers. On m'écrivait le 17 novembre : Je vous en dirai davantage de Dresde, où je serai dans huit jours.
Vous voyez ce qui est arrivé le troisième jour. Pour la France, il n'y a rien à en dire. Il n'y a qu'à n'avoir point d'argent chez elle.
Mille tendres respects à M. et à Mme de Freudenreich. Voilà des gens sages et aimables ; je leur suis attaché pour ma vie.
Je vois, par mes archives, qu'un seigneur de leur nom 2 a possédé ma terre de Fernex, au XVIe siècle. Cela me rend tout glorieux.
Bonsoir, mon cher ami ; je vous embrasse tendrement de tout mon cœur.
12 décembre 59 3»
1 Voltaire, un an auparavant, avait prêté cinquante louis à Bertrand en novembre 1758 ; voir lettre du 27 novembre 1758 : .http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/12/16/des-jesuites-qui-sont-plus-riches-que-vous-mais-qui-ne-sont-5248005.html . Panchaud : propriétaire de Montriond , -avec M. de Watteville,- que V* loua à Lausanne .
2 C'est faux ; la famille d'où sortiront les seigneurs de Fernex en 1453 s'appelait Frédéric ou Frédérick (Genève, Société d'histoire et d'archéologie )
3 Pour le mois écrit Xbre selon l'usage, V* a d'abord mis 9 bre, ensuite corrigé ; néanmoins Bertrand a endossé « 12è 9è 1759 » . Il n'est pas impossible que l'un et l'autre aient été influencés par la date du prêt .
19:17 | Lien permanent | Commentaires (0)
19/12/2014
Je pense que tout le monde est devenu fou ; cela ne serait rien, si l'on n'était pas devenu aussi gueux
... Soyons fous, gueux !
« Au marquis Bernard-Louis de CHAUVELIN,
ambassadeur à Turin.
Aux Délices, 11 décembre [1759].
Il est bien beau à Votre Excellence de songer à des tragédies françaises, quand vous avez des opera italiens. Pour moi, je renonce cet hiver aux uns et aux autres. Phèdre, non pas la Phèdre de Racine, mais Phèdre, le conteur de fables, dit :
Vaces oportet, Eutiche, a negotiis,
Ut liber animus sentiat vim carminis. 1
Je maintiens que le public de Paris est comme ce M. Eutichius ; il n'est pas en état de sentir vim carminis.2 Il lui faut argent, gaieté, succès; il n'a rien de tout cela; il siffle tout pour se venger.
J'avais fait ma Chevalerie dans un temps moins malheureux, et j'espérais que vous pourriez la voir à Paris. Vous et madame l'ambassadrice l'avez assez honorée dans ma petite retraite.
M. le duc de Choiseul est, je crois, à présent un vrai Eutichius ; moi, chétif, je suis attristato, malinconico, ammalato 3. L'hiver me rend de mauvaise humeur ; il m'ôte le plaisir de me ruiner en bâtiments. J'essuie des banqueroutes. Les misères publiques poussent jusqu'au mont Jura, et viennent m'y trouver.
Vraiment oui, monsieur, j'ai reçu une lettre du roi de Prusse ; j'en ai reçu trois en huit jours. Je suis comme les gens de l'île des Papegaux 4 : « L'avez-vous vu, bonnes gens, l'avez-vous vu ?
Eh oui, pardieu ! nous en avons vu trois, et nous n'y avons guère profité. 5» Cette petite affaire me paraît aussi épineuse que celle de ce rude abbé d'Espagnac, qui ne finit point, et qui s'amuse à présent à condamner le lit de justice.
Je pense que tout le monde est devenu fou ; cela ne serait rien, si l'on n'était pas devenu aussi gueux. Je crois pourtant que Luc écrira à votre ami 6 avant un mois. Pour moi, je vous remercierai toujours des bontés dont vous m'avez honoré auprès de cet épineux d'Espagnac. Il devrait bien plutôt songer à tirer le pays de Gex de la misère qu'à grimeliner 7 des lods et ventes.
Il ne m'appartient pas de parler à Votre Excellence des affaires publiques ; mais il faut que je vous conte un trait assez singulier qui a quelque rapport à ce qui se passe sur terre. Vous savez que le roi de Prusse m'écrit quelquefois en vers et en prose, quand il a fait sa revue et joué de la flûte ; or il m'écrivait le 17 de novembre : « Nous touchons à la fin de notre campagne ; elle sera bonne, et je vous écrirai, dans une huitaine de jours, de Dresde, avec plus de tranquillité et de suite qu'à présent ; » et vous savez, au bout de trois jours, ce qui lui est arrivé 8. Je trouve partout la fable du Pot au lait 9. Quel pot au lait que ce Silhouette ! Son premier début m'avait séduit. Ce traducteur du Tout est bien, de Pope, m'a vite rangé du parti de Martin, et m'a fait voir combien tout est mal. Il faut tâcher de vivre comme le seigneur Pococurante. Mais il y a un seigneur qui me paraît de tout point préférable ; c'est le plus aimable des hommes, mari de la plus aimable des femmes. Je leur présente à tous deux, avec leur permission, les plus tendres respects.
V. »
1 Il faut, Eutichius, que tu lances tes occupations, pour que ton esprit libre sente la force du poème . Phèdre , Fables, III, prologue, v. 2-3 : http://latinjuxtalineaire.over-blog.com/article-24810395.html
2 La force du poème .
3 Attristé, mélancolique, malade, ce sont presque les termes du début de la lettre à Algarotti du 10 décembre 1759 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/12/17/la-musique-change-c-est-une-affaire-de-gout-et-de-mode-mais-5514916.html
4 Voyez Pantagruel, liv. IV, chap. XLVIII; comment Pantagruel descendit en l'isle des Papimanes. — C'était de mémoire seulement que Voltaire en citait ce passage.
V* écrit papes gaux en deux mots . Les trois lettres de Luc sont sans doute celles des 12, 17 et 19 novembre ; voir lettre du 4 décembre 1759 à Frédéric II qui répond à celle du 19 novembre : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/12/12/quelle-idee-quel-contraste-quel-mot-5509288.html
5 Rabelais , Pantagruel, IV, XLVIII ; page 197 : https://books.google.fr/books?id=GaxBAAAAIAAJ&pg=PA576&lpg=PA576&dq=Rabelais+,+Pantagruel,+IV,+XLVIII&source=bl&ots=fjkytC1OS9&sig=DOYs_PtpeEQZeE9Zym5zYMAnWWc&hl=fr&sa=X&ei=vvyTVMySCMvgauargPAD&ved=0CD8Q6AEwBA#v=onepage&q=Rabelais%20%2C%20Pantagruel%2C%20IV%2C%20XLVIII&f=false
6 Le duc de Choiseul
7 De grimelin, petit écolier, signifie « jouer petit jeu » comme des enfants . Le sens du texte est tout proche de celui-là . Littré dit « se ménager quelque petit profit dans une affaire . »
8 Voir lettre du 4 décembre 1759 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/12/13/on-n-est-pas-toujours-sur-pegase-on-est-ballotte-dans-le-mem-5509651.html
9 Voir lettre du 5 décembre 1759 à Thiériot : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/12/05/je-n-ai-point-de-culs-noirs-xii-et-j-ai-renonce-aux-blancs-q.html
11:53 | Lien permanent | Commentaires (0)
18/12/2014
vous vous acquitterez insensiblement d'une grande partie de votre dette, sans débourser d'argent ; ce marché pourrait durer longtemps et serait commode pour vous et pour moi
... Yeah !
8, oui, vous lisez bien HUIT centimes d'euro supplémentaires pour chaque heure de travail d'un SMICard à compter du 1er janvier 2015 ; modérez votre joie de futurs millionnaires, c'est une augmentation brute , 12,14€ par mois : une place de cinéma et un petit cornet de pop corn , une vie de nabab nous tente inexorablement .
On dit "merci" ? sans coup de pouce à attendre du ministère (le Sapin est un sapin givré et le ridicule ne tue pas encore).
Et : "encore !" ce n'est qu'un début !
http://www.lefigaro.fr/emploi/2014/12/18/09005-20141218AR...
Le SMICAGNOTTE nouveau est arrivé
« A François Guillet, baron de Monthoux, au château d’Annemasse . Recommandé à M. Mirabaud
[vers le 10 décembre 1759] 1
Monsieur, une indisposition de quelques jours m'a privé jusqu'à présent de répondre à l'honneur de votre dernière lettre par laquelle vous me fîtes savoir l'emploi des 12000 livres ; je n'ai jamais douté de votre exactitude, je vous avais seulement averti des difficultés qu'on me faisait à Genève ; je vous serai très obligé de vouloir bien me procurer le plus que vous pourrez d'avoine . Si vous pouviez m'en fournir trois à quatre cents coupes à 4 livres de France comme vous l'avez proposé dans vos lettres, vous vous acquitterez insensiblement d'une grande partie de votre dette, sans débourser d'argent ; ce marché pourrait durer longtemps et serait commode pour vous et pour moi .
Je serai toujours à vos ordres, et j'ai l'honneur d'être avec le plus respectueux attachement,monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur .
Voltaire »
1 Monthoux note sur la lettre : « Voltaire – par laquelle il m'offre 4 francs de France la coupe de l'avoine à continuer les années suivantes. »
17:09 | Lien permanent | Commentaires (0)