23/03/2015
on vendra mes vaches par arrêt de parlement , et en vérité cela n'est pas agréable, la terre ayant produit cette année quatre fois moins que la culture n'a coûté
... Triste réalité pour de si nombreux paysans dont la vie est un constant parcours du combattant, sans trêve ni repos, avec la carotte des subventions CEE , pour beaucoup bouffées bien avant que d'être touchées, et le laminoir des prix imposés par la grande distribution . Difficile dans ces conditions de créer des vocations , l'industrialisation des productions agricoles est une dangereuse tentation .
"Bon appétit messieurs ! ô vous ministres intègres ...!" qu'allons nous trouver dans nos assiettes à cause de vos lois d'énarques ?
Est-ce trop demander ?
Au fait, doit-on faire des bonds de cabri au vu des résultats (provisoires ) des élections départementales ?
"01h40: 220 sièges pour la droite, 6 «divers», 52 pour la gauche et 8 pour le FN
Selon le décompte fourni par le ministère de l'Intérieur à 01h36, la droite a remporté 220 sièges dès le premier tour, la gauche 52 et le Front national 8."
Marine ! que d'âneries débitées pour te réjouir de ce gigantesque résultat (excuse mon qualificatif , ce doit être l'effet d'exagération provençale qui m'a contaminé ! ), piqure de morpion sur cul d'éléphant, voilà tout , ça démange mais ça n'empêche pas de vivre .
« A Charles de Brosses, baron de Montfalcon
24è mars 1760
Encore un petit mot, monsieur, sur le fétiche du bailliage de Gex 1 ; son fétiche est de l'argent comptant ; il m'immole à ce dieu que l'univers adore 2, et 600 livres pour six noix sont assurément le plus horrible abus de ce qu'on appelle justice ; le procureur que vous avez eu la bonté de me donner me dit qu'il trouve mes raisons bonnes, et il prétend que je dois m'adresser au Conseil, que c'est le Conseil qui règle les frais, que c'est à M. de Courteilles qu'il faut que j'écrive . J'écris donc à M. de Courteilles ; il me renvoie au parlement de Dijon, il se trouve en effet que le procureur Finot s'est moqué de moi, et que messieurs de Dijon sont des goguenards , qui redressent les pauvres Suisses de toute manière . Ce n’est point le Conseil qui a réglé les frais, c'est le Parlement ; l'exécutoire est signé par un conseiller au Parlement ; on vendra mes vaches par arrêt de parlement , et en vérité cela n'est pas agréable, la terre ayant produit cette année quatre fois moins que la culture n'a coûté, indépendamment de dix huit mille francs de réparation que j'y ai faites .
Comme je vais acheter Tournay à perpétuité, je vous avoue, monsieur, qu'il m'est fort indifférent d'être haut justicier de l'arpent et demi de La Perrière . On m'a assuré que cette prétendue haute justice n'a jamais été énoncée dans vos dénombrements . Il ne tient donc qu'à vous, monsieur, de faire voir que ce n'est point à moi de payer le procès de Panchaud ; on ne doit point me faire haut justicier malgré moi , quand il n'y a point de preuve que je le sois . Je donne volontiers de l'argent pour améliorer des terres, mais je n'en donnerai qu'avec regret et avec horreur, pour le paiement d'un procès qui monte à 600 livres et qui n'aurait pas dû coûter quatre écus si la justice de Gex ne traitait les seigneurs comme les hussards du roi de Prusse traitent les terres du comte de Bruhl 3.
Enfin, monsieur, voyez si vous pouvez avoir la bonté de me faire rendre justice à Dijon, et d'ordonner au procureur de faire les diligences nécessaires . Je sens bien que je vous importune, mais on me persécute, et je crie, et à qui crierai-je si ce n'est à vous qui siégez sur les fleurs de lys dans le grand banc, qui m'avez vendu Tournay, et qui ne m'abandonnerez pas ?
J'aurai incessamment la réponde définitive de Mgr le comte de La Marche . Je suis prêt, vous l'êtes sans doute , vous aurez la bonté de me faire tenir les papiers nécessaires pour connaître la terre, papiers 4 que je demande depuis trois mois, et vous serez mon fétiche .
Mille respects .
V. »
1 Voir lettre du 17 mars au même : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/03/17/ce-n-est-qu-avec-de-l-argent-comptant-qu-on-reussit-dans-ce-5584530.html
2 On peut voir là une réminiscence de Mahomet, V,iv : « Je me sens condamné, quand l’univers m’adore . »
Voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-maohomet-avertissement-des-editeurs-de-kehl-87416085.html
et : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-mahomet-acte-cinquieme-92991485.html
3 Henri, comte de Brühl , voir pages 93 et suiv. : https://books.google.fr/books?id=wfZo9qwZjVwC&pg=PA94&lpg=PA94&dq=comte+de+bruhl+guerre+de+sept+ans&source=bl&ots=K9U6rSLs_H&sig=hbkBUDpJThNCAKy-uTtOKLVd4LU&hl=fr&sa=X&ei=4lkPVbaRCsbpaKSAgoAN&ved=0CCIQ6AEwAA#v=onepage&q=comte%20de%20bruhl%20guerre%20de%20sept%20ans&f=false
4 Mot que V* a ajouté au dessus de la ligne .
01:32 | Lien permanent | Commentaires (0)
22/03/2015
Qui ne craint rien ne déguise rien ; qui peut penser librement ne pense point en esclave ; qui n'est point courbé sous le joug despotique séculier ou régulier marche droit et la tête levée
... Conclusion : faites vous votre propre opinion, analysez les propositions, souvenez vous des réalisations et des mensongères promesses de tous bords, des menaces et gesticulations des dirigeants politiques, et votez , même si ça vous fait mal au coeur de choisir un camp [gauche - sauf l'extrême-, centre , écolo ou droite] seulement parce que l'autre [FN] est trop imbuvable au figuré comme au réel, à vomir .
"Et à en croire le sommelier du jour, qui officie sur le point de vente où est proposé le cru à l'entrée de l'auditorium de l'Acropolis de Nice, le breuvage "est imbuvable". Il a mal vieilli. Sans doute."
http://www.francetvinfo.fr/politique/a-nice-une-cuvee-imbuvable_259939.html
« A Saverio BETTINELLI de la
Société de J.
24 mars 1760, par Genève,
aux Délices. 1
Le paquet dont vous m'avez honoré, monsieur, me fait regretter plus que jamais votre personne ; vous me paraissez furieusement riche; vous me comblez de biens qui semblent ne vous rien coûter. Tout ce que vous m'apprenez coule d'une source bien abondante ; tous les arts vous sont présents, ainsi que tous les siècles. Vous ajoutez encore à mon estime pour l'Italie. Je vois plus que jamais qu'elle est en tout notre maîtresse. Mais puisque nous sommes à présent des enfants drus et forts, qui sommes sevrés depuis longtemps, et qui marchons tout seuls, il n'y a pas d'apparence que j'aille voir notre nourrice, à moins que je ne sois cardinal. Comme j'ai eu, je crois, l'honneur de vous le dire, je respecte fort Ignace Danti ; mais je n'aime point du tout les jacobins, et j'étranglerais saint Dominique 2 pour avoir établi l'Inquisition. Je ne peux vous passer que vous disiez qu'il y a des hypocrites en Angleterre. Ne seriez-vous pas comme cette femme honnête qui croyait que tous les hommes avaient l'haleine puante, parce que son mari puait comme un bouc ? Non, il n'y a point d'hypocrites en Angleterre. Qui ne craint rien ne déguise rien ; qui peut penser librement ne pense point en esclave ; qui n'est point courbé sous le joug despotique séculier ou régulier marche droit et la tête levée. Nôtez pas au seul peuple de la terre qui jouit des droits de l'humanité ce droit précieux envié par les autres nations. Il a été autrefois fanatique et superstitieux, mais il s'est guéri de ces horribles maladies ; il se porte bien, ne lui contestez pas la santé.
Comme les Français ne sont qu'à demi libres, ils ne sont hardis qu'à demi. Il est vrai que Buffon, Montesquieu, Helvétius, etc., ont donné des rétractations ; mais il est encore plus vrai qu'ils y ont été forcés, et que ces rétractations n'ont été regardées que comme des condescendances qu'on a pour des frénétiques. Le public sait à quoi s'en tenir : tout le monde n'a pas le même goût pour être brûlé comme 3 Jean Hus et Jérôme de Prague. Les sages, en Angleterre, ne sont point persécutés : et les sages, en France, éludent la persécution. Pour les petits pédants de la petite ville de Genève, je vous les abandonne. S'ils sont assez sots pour prendre le parti d'Arius contre celui d'Athanase, et pour prétendre que 4 et 4 font 7, contre des gens qui disent que 4 et 4 font 9, ces maroufles-là devraient au moins être assez hardis pour l'avouer. J'ai pour eux presque autant de mépris que pour les convulsionnaires de Saint-Médard.
Avez-vous entendu parler des Poésies du roi de Prusse imprimées ? C'est celui-là qui n'est point hypocrite : il parle des chrétiens comme Julien en parlait 4. Il y a apparence que l'Église grecque et l'Église latine, réunies sous M. de Soltikof et sous M. Daun, l'excommunieront incessamment à coups de canon. Il se défendra comme un diable : nous sommes bien sûrs qu'il sera damné; mais nous ne sommes pas si c[ertains]5 qu'il sera battu.
Pour nous autres Français, nous sommes écrasés sur terre, anéantis sur mer, sans vaisselle, sans espérance : mais nous dansons fort joliment. Je ne danse point ; mais je sens tout votre mérite, et suis à vous pour jamais : e da banda le ceremonie 6.
V. »
1 Bettinelli avait adressé à V* le 25 janvier 1760 un « petit tribut » de recherches sur la littérature italienne , qui devait plus tard être traduit par P[ommereul] sous le titre de Lettres sur la littérature et la poésie italienne, 1778 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k76323b.r=La+F%C3%AAte+des+Caf%27Conc.langFR
2 Sur le manuscrit, une main étrangère a soigneusement rayé Saint Dominique et remplacé par Innocent et Frédéric .
3 Mot rayé et remplacé (par V*?) par que .
4 Voir lettre du 25 avril 1760 à Mme du Deffand : voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance-annee-1760-partie-11-119862291.html
5 Le papier est déchiré .
6 Et sans cérémonie .
00:15 | Lien permanent | Commentaires (0)
21/03/2015
je crois que Paris n'est bon que pour les fermiers généraux, les filles et les gros bonnets du parlement, qui se donnent le haut du pavé
... Et mangent des croissants quand la pollution ne s'en mêle pas, et les manquent quand elle s'en mêle .
Je suis bien aise que nos autorités soucieuses de nos chères têtes blondes-rousses-brunes aient supprimé les sorties au grand air pour éviter tout aveuglement , ces chers bambins craignant , c'est bien évident, beaucoup plus la lueur du soleil que le scintillement de leurs floppées d'écrans .
« A Octavie Belot 1
Cloître Saint-Thomas du Louvre
à Paris
24 mars 1760, par Genève
aux Délices
Je ne suis plus de ce monde-ci, madame, et mes maladies me mettent un peu sur les confins de l'autre ; que puis-je au fond de mes vallées, entouré de montagnes qui touchent au ciel ? Je ne puis guère que le prier de m'envoyer du soleil . Je suis plus loin encore des grâces des rois que des grâces de Dieu . Il ne faut s'attendre dans ce monde-ci, ni aux unes ni aux autres ; elles tombent comme la pluie, au hasard et souvent mal à propos ; je n'ai à Paris aucune correspondance suivie ; M. Thieriot m'écrit une fois tous les six mois ; un commerce avec les gens de lettres est dangereux, et avec les grands très inutile ; le parti de la retraite la plus profonde est le plus convenable pour quiconque est guéri des illusions , et qui veut vivre avec soi-même . Je sens tout votre mérite, madame, et plus j'y suis sensible, plus je vous plains d'en chercher à Paris la récompense , elle ne s'y trouve pas . Mlle Duchappe 2 peut faire sa fortune à vendre des blondes 3, et d'autres personnes à vendre leurs mines ; mais l'esprit, les connaissances, le vrai mérite, n'ont point de débit, ils ornent la fortune et ne la procurent point ; vous ne trouverez dans cette grande ville, que des gens occupés d'eux-mêmes, et jamais de la triste situation des autres , si ce n'est peut-être pour s'en divertir ; je crois que Paris n'est bon que pour les fermiers généraux, les filles et les gros bonnets du parlement, qui se donnent le haut du pavé . La littérature n'est à présent qu'une sorte de brigandage . S'il y a encore quelques hommes de génie à Paris, ils sont persécutés, les autres sont des corbeaux qui se disputent quelques plumes de cygne du siècle passé qu'ils ont volées , et qu'ils ajustent comme ils peuvent à leurs queues noires ; vous me citez Mme de Graffigny, mais elle est morte de chagrin 4. Il faut être à Paris Mlle Le Duc 5, ou s'enfuir . J'ai l'honneur d'être avec tous les sentiments que je vous dois, madame, votre très humble et très obéissant serviteur.
V. »
2 Mlle Duchappe (ou Duchapt ; voir page 83 :https://books.google.fr/books?id=4lIlFe9zBk4C&pg=PA83&lpg=PA83&dq=Mlle+Duchappe+%C3%A9tait+une+couturi%C3%A8re&source=bl&ots=dRfQgs_fuF&sig=0RgyEsK2IDOKu2o1J1r1hakTDkA&hl=fr&sa=X&ei=91YMVb2LGKSQ7Ab8-4CwDA&ved=0CCIQ6AEwAA#v=onepage&q=Mlle%20Duchappe%20%C3%A9tait%20une%20couturi%C3%A8re&f=false ) était une couturière à la mode . « Mais n'avons-nous pas aujourd’hui la Duchappe ? » concluait déjà V* après un développement analogue dans une lettre du 23 septembre 1752 à Mme du Deffand , voir : http://www.monsieurdevoltaire.com/article-correspondance-annee-1752-partie-20-111838867.html
3 Il s'agit d'une variété de dentelle au fuseaux, de soie écrue ou fil or et argent, qui venait d'être mise à la mode .Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Dentelle
4 A cause de l'échec , dit-on, de La Fille d'Aristide, sa tragédie .Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7oise_de_Graffigny
5 Une dame de la ville .
00:15 | Lien permanent | Commentaires (0)
20/03/2015
Il arrivera du grabuge . C'est moi qui vous le dis Mademoiselle
... Les retraités manifestent !
Ouh la la ! le gouvernement doit trembler sur sa base grâce aux parkinsoniens et sucreurs de fraises en colère .
Cette manif arrive trop tard, aucun ministère ne peut lâcher quoi que ce soit pour améliorer leur sort et du coup, évidemment l'issue des élections prochaines ; le poids des votes des têtes chenues est loin d'être négligeable, attention , elles peuvent faire pencher la balance à leur gré .
Vous noterez qu'il n'y a pas ci-dessus de mémés flingueuses, elles sont à la maison pour préparer la tisane des héros/héraults fatigués
« A Louise-Dorothée von Meiningen, duchesse de Saxe-Gotha
A notre métairie, 21 mars 1760
Ma très honorée Demoiselle,1
J'ai bien reçu celle qu'il vous a plu m'écrire avec l'incluse de la chère demoiselle Féderci 2. C'est dommage qu'elle ait tant de caprices comme mon cousin a toujours eu l'honneur de vous le dire . Son mariage entre nous n'a pas l'air de se conclure sitôt . On lui proposait pourtant un beau garçon et vous savez qu'elle ne hait pas les beaux garçons 3. Mais voyez-vous, elle n'est pas assez craignant Dieu . Il arrivera du grabuge . C'est moi qui vous le dis Mademoiselle . Cette personne- là était bien élevée et paraissait avoir de beaux sentiments . Le monde l'a gâtée . Il ne tenait qu'à elle de vivre la plus heureuse personne du monde ; elle a dépensé son bien en passant pour un avare . Il y a là une mauvaise étoile . Cela finira mal Mademoiselle . Son oncle le capitaine de vaisseau a mieux conduit sa barque . Pour mon cousin je vous avouerai qu'il n'a pas le sens commun et qu'il se ruine en se faisant moquer de lui . Il tire toujours sa poudre aux moineaux, bat les buissons pour qu'un autre prenne les oisillons, fait de cent sous quatre livres, et de quatre livres rien . On ne voit que des sottises dans presque toutes les familles . Que vous êtes heureuse ma chère et honorée Demoiselle d'être auprès de Mme la duchesse ! Tredame 4! C'est un modèle de bonté et de vertu . Si je n’étais pas si vielle et si infirme j’irais vous voir et je prierais la respectable Mme de Bukvald de me mettre aux pieds de Son Altesse Sérénissime . Le bruit a couru dans nos quartiers que ses augustes enfants représentent une comédie en d'Amérique . Cela s'appelle je crois Alzire . Je ne sais pas si c'est en allemand, mais je crois que c'est en français, car on parle admirablement bien la langue française dans le palais de Son Altesse Sérénissime, et je n'ai pas trouvé qu'on eût le moindre accent . Il faut que Mme la duchesse ait bien de la raison et de l'esprit, Mademoiselle, car elle a trouvé le secret de préserver son pays des horreurs de la guerre dans le temps que tant d'autres pâtissent . Je lui souhaite toutes sortes de prospérités car elle les mérite, car elle est adorable . Mon beau-frère Rigourney et ma tante Bougeant vous saluent . Nos terres ont rapporté bien peu de grain cette année, il faut se consoler et espérer, et je suis bien humblement votre servante
Lamentier »
1 Pour les allusions codées, voir lettre du 11 mars 1760 à la duchesse : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/03/14/il-trouve-tres-bon-qu-elle-consulte-le-cousin-qui-est-un-peu-5582513.html
2Sans doute celle-ci : « DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Freyberg, 20 mars [1760].
TOUJOURS SUR LA PAIX.
Peuple charmant, aimables fous,
Qui parlez de la paix sans songer à la faire,
A la fin donc résolvez-vous :
Avec la Prusse et l'Angleterre
Voulez-vous la paix ou la guerre?
Si Neptune sur mer vous a porté des coups,
L'esprit plein de vengeance et le cœur en courroux,
Vous formez le projet de subjuguer la terre;
Votre bras s'arme du tonnerre.
Hélas! tout, je le vois, est à craindre pour nous;
Votre milice est invincible,
De vos héros fameux le dieu Mars est jaloux,
La fougue française est terrible;
Et je crois déjà voir, car la chose est plausible.
Vos ennemis vaincus tremblant à vos genoux.
Mais je crains beaucoup plus votre rare prudence,
Qui par un fortuné destin
A du souffle d'Éole, utile à la finance,
Abondamment enflé les outres de Bertin 1.
Vous parlez à votre aise de cette cruelle guerre. Sans doute les contributions que votre seigneurie de Ferney donne à la France nourrissent la constance des ministres à la prolonger. Refusez vos subsides au Très-Chrétien, et la paix s'ensuivra. Quant aux propositions de paix dont vous parlez 2, je les trouve si extravagantes que je les assigne aux habitants des petites- maisons, qui seront dignes d'y répondre. Que dirai-je de vos ministres? Certes ces gens sont fous, ou ces gens sont des dieux 3. Ils peuvent s'attendre de ma part que je me défendrai en désespéré ; le Hasard4 décidera du reste.
De cette affreuse tragédie
Vous jugez en repos parmi les spectateurs,
Et sifflez en secret la pièce et les acteurs ;
Mais de vos beaux esprits la cervelle étourdie
En a joué la parodie.
Vous imitez les rois : car vos fameux auteurs
De se persécuter ont tous la maladie.
Nos funestes débats font répandre des pleurs,
Quand vos poétiques fureurs
Au public né moqueur donnent la comédie.
Si Minerve de nos exploits
Et des vôtres un jour faisait un juste choix,
Elle préférerait, et j'ose le prédire,
Aux fous qui font pleurer les peuples et les rois,
Les insensés qui les font rire.
Je vous ferai payer jusqu'au dernier sou, pour que Louis du Moulin5 ait de quoi me faire la guerre. Ajoutez dixième au vingtième, mettez des capitations nouvelles, créez des charges pour avoir de l'argent; faites, en un mot, ce que vous voudrez : nonobstant tous vos efforts, vous n'aurez la paix signée de mes mains qu'à des conditions honorables à ma nation. Vos gens bouffis de vanité et de sottise peuvent compter sur ces paroles sacramentales :
Cet oracle est plus sûr que celui de Calchas. (RACINE, Iphigénie, acte III, scène VII.)
Adieu, vivez heureux; et, tandis que vous faites tous vos efforts pour détruire la Prusse, pensez que personne ne l'a jamais moins mérité que moi, ni de vous, ni de vos Français. »
1. Ces vers ont été aussi insérés par Frédéric dans sa lettre à d'Argens, du 20 mars 1760.
2. On n'a pas retrouvé la lettre où Voltaire parlait de paix à Frédéric. (Clogenson.)
3. Épître à Algarotti (1735).
4. Voyez le commencement de la lettre du 30 mars 1759 à Frédéric II : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/05/19/c...
5. Louis XV .
3 Moquerie que ne craint pas de renouveler V* envers Frédéric II et ses « favoris ».
4 Variante euphémistique bien connue de « Notre Dame » qu'on trouve aussi sous la forme tredanse, tredinse, etc.
00:15 | Lien permanent | Commentaires (0)
19/03/2015
Ce qu'on aime fait bien porter
... Je confirme .
Pour moi, Voltaire et Mam'zelle Wagnière sont des sources de vie et santé .
« A Marie-Ursule de Klinglin, comtesse de LUTZELBOURG.
Votre santé m'inquiète beaucoup, madame ; mais, si vous avez le bonheur d'avoir encore auprès de vous monsieur votre fils, j'attends tout de ses soins. Ce qu'on aime fait bien porter. Je prends mes mesures, autant que je le peux, pour avoir encore la consolation de passer quelques journées auprès de vous; mais je suis devenu un si grand laboureur, un si fier maçon, que je ne sais plus quand mes bœufs et mes ouvriers pourront se passer de moi.
Nous laisserons, vous et moi, madame, ce monde-ci aussi sot, aussi méchant que nous l'avons trouvé en y arrivant. Mais nous laisserons la France plus gueuse et plus vilipendée. Voilà encore ce pauvre capitaine Thurot 1 gobé, lui et son escadre et ses gens. La mer n'est pas du tout notre élément, et la terre ne l'est guère. Il est dur de payer un troisième vingtième pour être toujours battus.
On dit qu'il se forme de petits orages à la cour qui pourront bien retomber sur la tête d'une personne 2 que vous aimez, et à laquelle je suis attaché. Rien ne vous surprendra. Votre machine a donc pris une plume et de l'encre! il y a longtemps que je suis persuadé que nous ne sommes que de pauvres machines. Mais quand je vous écris, c'est mon cœur qui prend la plume. Je m'intéresse à votre santé avec la plus vive tendresse, et j'espère vous faire ma cour dans votre jardin cet été.
Aux Délices 19 mars [1760] »
1 François Thurot, né à Nuits vers 1727, avait été tué, le 28 février 1760, dans le combat livré entre le môle de Galloway et l'île de Man. (Beuchot.) ; voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Thurot
et : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k44784j.pdf
Voir lettre du 7 août 1759 à Jean-Robert Tronchin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/09/06/que-dites-vous-de-moi-qui-vous-commande-des-decorations-tand-5441724.html
et lettre du 10 novembre 1759 à Pierre Pictet : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/11/20/mme-denis-et-moi-nous-sommes-bien-faches-contre-l-hiver.html
2 Mme de Pompadour.
00:10 | Lien permanent | Commentaires (0)
18/03/2015
Il veut conserver contre moi des armes dont on pourrait abuser
...
« A François Tronchin
conseiller d’État
17 mars 1760
Vous êtes conciliant , mon cher confrère, et vous empêcherez sans doute Labat d'avoir un procédé peu digne de l'amitié que vous avez pour lui 1.
Le fait est qu'après qu'il a eu 6% de son argent et du mien, après qu’il s'est rendu maître de tout , après m’avoir remboursé comme il a voulu, après avoir exigé de moi des quittances générales, il refuse de m'en donner . Il veut conserver contre moi des armes dont on pourrait abuser, il ne m'a rendu aucun de mes papiers . J'ai annulé tous les siens, il n'a annulé aucun des miens, il m'a fait faire plusieurs quittances de mon propre argent conçues en ces termes : J'ai reçu de M. Labat 100 louis dont je tiendrai compte, au lieu de mettre à compte de l'argent qu'il a à moi . Enfin il ne finit point . Nous étions convenus de nous donner quittance réciproque par-devant notaire . C'est l'affaire d'un instant, et cet instant n'arrive point . J'ai recours à votre équité et à votre amitié .
V. »
1 Voir lettre du 10 mars à Labat : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2015/03/10/je-garde-les-bienseances-requises-en-affaires.html
00:24 | Lien permanent | Commentaires (0)
17/03/2015
Ce n'est qu'avec de l'argent comptant qu'on réussit dans ce monde
... Réaliste , non ? trop vrai, oui !
"CE" monde veut du cash mais il vit à crédit financièrement, et énergétiquement .
Blog qui mérite la visite : http://tbearbourges.com/page/52/?themes_on_signup_preview=1
« A Charles de BROSSES , baron de Montfalcon
Aux Délices, 17 mars [1760]
Je supplie monsieur l'antifétichier de n'être point antivoltaire. Ce procureur Finot me mande qu'il faut s'adresser au conseil pour ne point payer le grand procès des six noix à 100 livres la pièce 1. Je m'adresse donc au conseil. Pourquoi donc vous, monsieur le président, m'avez-vous dit de m'adresser au parlement ? J'ai eu en vous une foi implicite, et voilà qu'on me fait courir à M. de Courteilles !
A propos, monsieur, j'ai reçu vos plants de Bourgogne ; ils sont arrivés tout pourris. Notre terrain est indigne de la Bourgogne; cependant le plant que je fis l'année passée réussit fort bien.
Ayez donc, monsieur, un peu de crédit auprès de monseigneur le comte de La Marche. Il n'a point encore fini pour les lods et ventes de Ferney. Il me chicane. Je veux éloigner toute chicane pour Tournay. Je lui propose une somme fixe. Il me semble qu'il devrait bien l'accepter. On ne prend point assez à cœur la liberté du pauvre pays de Gex. Il n'y a certainement d'autre parti à prendre que de se racheter en donnant une somme au roi, qui s'accommodera comme il voudra avec les fermiers généraux. Ce n'est qu'avec de l'argent comptant qu'on réussit dans ce monde.
On dit qu'on va poursuivre les jésuites, et frère Sacy, et frère- procureur, et frère provincial, pour 150 000 livres tournois de lettres de change 2. S'ils n'ont pas d'argent, les jansénistes triompheront.
Je me mets aux pieds de mon grand antifétichier.
V. »
1 Des noyers abattus dont De Brosses demandait le remboursement ; voir lettre du 29 décembre 1758 à Jean-Robert Chouet : « Je prie monsieur Chouet de faire abattre et scier proprement les huit noyers près de Chambésy, ou autour du grand pré , lesquels ne portent point de noix et sont sur le retour . Fait à Tournay le 29 décembre 1758. Voltaire. »
2 Lisez 1 500 000 livres. Les jésuites furent condamnés comme solidaires avec le Père Sacy, puis supprimés et bannis. Le président de Brosses appelait l'arrêt relatif aux 1,500,000 livres, une avanie à la turque. (Note du premier éditeur.)
01:08 | Lien permanent | Commentaires (0)