02/12/2014
la grande, vilaine, triste et gaie, riche et pauvre, raisonneuse et frivole ville de Paris
...
« A Marie-Elisabeth de Dompierre de FONTAINE,
à Hornoy.
Aux Délices, 24 novembre [1759]
Je reçois, ma chère nièce, votre lettre du 14 de novembre.
Vous devez en avoir reçu une très-ample de moi, écrite il y a environ un mois 1, et adressée au château d'Hornoy, près d'Abbeville, par Amiens en Picardie. Peut-être cette méprise du voisinage d'Abbeville aura fait retarder la réception de la lettre : je vous y disais à peu près les mêmes choses que vous me dites.
Je vous demandais si vous vous étiez déjà mise au rang des bons citoyens qui donnent leur vaisselle d'argent à l'État 2; je plaignais, comme vous, la France ; je vous demandais quand vous reverriez la grande, vilaine, triste et gaie, riche et pauvre, raisonneuse et frivole ville de Paris. Je vous contais comment nous nous sommes amusés à Tournay, pour nous dépiquer des malheurs publics. Nous nous vantions, Mme Denis et moi, d'avoir tiré des larmes des plus beaux yeux qui soient actuellement à Turin : ces yeux sont ceux de Mme de Chauvelin l'ambassadrice.
Je ne pourrai jamais vous dire combien nous vous avons regrettée dans nos fêtes. Nous disions : Ah ! si elle était là ! si le grand écuyer de Cyrus, si le jurisconsulte, étaient avec elle, ils verraient les choses bien changées ! ils seraient bien contents du petit palais, d'ordre ionique, ne vous déplaise, d'ordre ionique bâti, achevé à Tournay 3; et cela n'est point ironique : ce n'est point insulter à vos maçons, qui n'ont pas été plus vite que nous.
Luc est toujours Luc, très-embarrassé et n'embarrassant pas moins les autres; étonnant l'Europe, l'appauvrissant, l'ensanglantant, et faisant des vers, et m'écrivant quelquefois les choses du monde les plus singulières. M. le duc de Choiseul, qui a plus d'esprit que lui, et un meilleur esprit, me fait toujours l'honneur de me donner des marques de bontés auxquelles je suis plus sensible qu'au commerce de Luc. Je compte aussi sur les bontés de Mme de Pompadour ; avec cela, j'aime ma terre ou mes terres, ma retraite ou mes retraites, à la folie; mais je vous aime davantage. »
1 Lettre du 5 novembre 1759 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/11/06/voila-bien-le-temps-d-aimer-ses-terres-et-d-encourager-l-agr.html
2 Voir lettre du 24 novembree 1759 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/12/01/a-force-d-aller-mal-tout-ira-bien-5501515.html
3 Lapsus pour Ferney . Voir lettre du 2 août 1759 à Jean-Robert Tronchin et Ami Camp : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/09/03/je-vois-qu-on-peut-etre-fort-a-son-aise-sans-compter-par-500-mille-ce-n-est.html
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01/12/2014
A force d'aller mal, tout ira bien
... "Laissez-moi faire, tout viendra à point" , on croirait entendre un gouvernant .
Armons-nous de patience et comme Voltaire soyons temporiseurs ! et comme lui aussi disons avec optimisme (et non avec des envies suicidaires, comme dit Super Z) : "en tout cas, cela ne gâtera rien."
« A Charles-Augustin Ferriol, comte d'ARGENTAL.
Aux Délices, 24 novembre [1759]
Mon cher ange, vous me trouvez bien indigne des plumes de vos ailes; mais c'est pour en être digne que je diffère l'envoi de la Chevalerie. Horace veut qu'on tienne son affaire enfermée neuf ans 1; je ne demande que neuf semaines : voyez comme l'âge m'a rendu temporiseur. Je suis un petit Fabius, un petit Daun. D'ailleurs, moi qui ai d'ordinaire deux copistes, je n'en ai plus qu'un, et il ne peut suffire à tenir l'état de mes vaches et de mon foin en parties doubles, à la correspondance, et aux tragédies, et à Pierre le Grand, et à Jeanne. Laissez-moi faire, tout viendra à point.
Dites-moi donc, mon divin ange, s'il ne vaut pas mieux bien faire que se presser. Quand on voudra faire la paix, qu'on se presse ; mais, en fait de tragédies, si on les veut bonnes, il faut qu'on ait la bonté d'attendre. Parlez-moi, je vous en prie, de la fortune que vous avez faite à Cadix, et dites-moi si vous mangez sur des assiettes à cul noir 2. Le crédit est-il toujours grand à Paris? le commerce florissant? M. le duc de Choiseul m'a mandé que feu M. de Meuse 3 avait une terre sur la porte de laquelle était gravé : A force d'aller mal, tout ira bien.
Je vous demandais s'il daignait être content de moi 4; je vous dis aujourd'hui qu'il a la bonté d'en être content.
Quand vous serez de loisir, et lui aussi, quand tout ira de pis en pis, quand on n'aura pas le sou, vous pourrez, mon divin ange, lui dire les belles lanternes dont il est question dans ma dernière épître 5 ; cela pourrait réussir ; et, en tout cas, cela ne gâtera rien. Vous êtes maître de tout.
Mais vraiment, mon cher ange, je crois que tout le monde fera la campagne prochaine, sur terre et sur mer; j'entends, sur mer, ceux qui auront des vaisseaux; il faut que je déraisonne 6 politique.
1° L’Espagne est seule en état de proposer la paix, d'offrir sa médiation, de menacer si on ne l'accepte pas, etc., etc.
2° Les Anglais peuvent nous prendre Pondichéry pendant que la gravité espagnole fera ses propositions.
3° Le Canada n'est qu'un sujet éternel de guerres malheureuses, et j'en suis fâché.
4° Il y a des gens qui prétendent que la Louisiane valait cent fois mieux, surtout si la Nouvelle-Orléans, qu'on appelle une ville, était bâtie ailleurs.
5° Je ne vois dans tout ceci qu'un labyrinthe, et peu de fil. J'aime à vous dire tout ce qui me passe dans la tête, parce que vous êtes accoutumé à rectifier mes idées.
6° Luc voudrait bien la paix 7. Y aurait-il si grand mal à la lui donner, et à laisser à l'Allemagne un contre-poids ? Luc est un vaurien, je le sais ; mais faut-il se ruiner pour anéantir un vaurien dont l'existence est nécessaire ?
7° Si vous avez de quoi bien faire la guerre, faites-la ; sinon, la paix.
Vous vous moquez de moi, mon divin ange : vous avez raison ; mais mes terres sont couvertes de neige ; tous mes travaux champêtres sont malheureusement suspendus ; permettez-moi de déraisonner, c'est un grand plaisir.
Mille tendres respects à Mme Scaliger. M. de Choiseul a bien de l'esprit. »
1 Nonum prematur in annum....= puis , gardez votre manuscrit pendant neuf ans. Tant qu'il n'a pas vu le jour, on peut, à son aise, revenir sur des pages inédites : une fois parti, le mot ne revient plus. Horace, Art Poétique., 388-389 ;http://latinjuxtalineaire.over-blog.com/article-24224678.html
2 Un arrêt du conseil du 26 octobre 1759 exhortait les Français à porter leur vaisselle à la Monnaie pour être convertie en espèces pour les besoins de l'État, et fixait le prix qui en serait donné. Le roi donna l'exemple, qui ne fut suivi que par Mlle Hus, actrice, et quinze cents citoyens. On se servit alors de plats dont le dessous était recouvert d'un vernis brun, et auxquels on donna le nom de culs noirs. http://www.leblogantiquites.com/2007/06/cul-noir-de-for.html
et : http://www.alienor.org/ARTICLES/faience_patronyme/prod02.htm
3 Henri Louis de Choiseul-Meuse (1689-1754), marquis de Meuse (1703-1754), comte de Sorey, lieutenant général des armées du Roi (1738), gouverneur de Saint-Malo (1743), chevalier du Saint-Esprit (reçu le 2 février 1745 dans la chapelle royale du château de Versailles) , mort brigadier d'infanterie en 1746. http://fr.wikipedia.org/wiki/Famille_de_Choiseul
Dans sa lettre du 12 novembre 1759, Choiseul disait : « Avez-vous connu Meuse, mon cher ermite ? Il avait une terre en Lorraine qui s'appelle Sorey […] Meuse était de mes parents ; je n'ai point sa terre , mais j'ai conservé sa devise [... ]»
4 Voir lettre du 15 novembre 1759 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/11/25/u...
5 Lettre du 30 novembre 1759 : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/11/30/o...
6 V* a d'abord écrit raisonne .
7 Frédéric II écrit à V* le 19 novembre 1759 : « Vous apprendrez par la déclaration de La Haye [avec l'Angleterre et la Russie] si le roi d'Angleterre et moi nous sommes pacifiques […] La porte est ouverte, peut venir au parloir qui voudra . la France est maitresse de s'expliquer . C'est aux Français , qui sont naturellement éloquents, à parler, à nous à les écouter avec admiration, et à leur répondre dans un mauvais baragouin, le mieux que nous pourrons […] L'Angleterre a à la tête de ses affaires un ministre [William Pitt] modéré et sage […] Je suis sur le point de m'accommoder avec les Tusses, ainsi il ne me restera que la reine de Hongrie, les malandrins du saint Empire et les brigands de Laponie pour l'année qui vient . »
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il est très difficile de dire la vérité, et de la bien dire
... Et à ce propos, voir monsieurdevoltaire sous la plume de Mam'zelle Wagnière : http://www.monsieurdevoltaire.com/2014/12/citation-du-jour.html
« A Charlotte-Sophie von Altenburg, comtesse Bentinck
Aux Délices 23 novembre [1759]
J'ai bien mal aux yeux,madame, ils ont eu cependant le bonheur de lire la lettre dont vous m'honorez du 5 novembre 1. Venons vite à l'article qui paraît vous intéresser le plus . C'est monsieur le comte de Kaunits en ermite . Je ne le reconnais point du tout dans un habit de moine ; mais je l'aurais deviné au temple de l'immortalité , quand même vous ne m’auriez pas mis le doigt dessus . Voyez si vous voulez cette antienne sur le frontispice de son église :
Temple de l'immortalité,
Vous êtes donc un ermitage !
Loin de la foule, une main sage
L'élève avec solidité .
Par Thérèse il est habité ;
Rien n'est plus juste : elle a conduit l'ouvrage .
Ces vers ne sont pas trop bons, mais tout le monde y est en place . Je vous prie, madame, de ne me pas oublier auprès de M. le prince de Virtemberg qui m'oublie, et à qui je serai toujours attaché ; je le tiens un de vos plus dignes ermites ; car assurément il ne pense point comme la foule du vulgaire .
Je ne peux envoyer encore rien de l'Histoire de Pierre le Grand, j'y travaille tous les jours ; il est très difficile de dire la vérité, et de la bien dire .
Il n'y a point encore d'édition in-quarto, tout traine en longueur comme la guerre ; il n'y a que notre ruine (à nous autres Français qui aille le grand galop) mais tout se réparera par notre régime .
Je suis enchanté que vous soyez enchantée de notre digne ambassadeur, et de madame l’ambassadrice 2: je ne suis point assez heureux pour connaître madame mais j'ai fort l'honneur de connaître monsieur ; ajoutez s'il vous plait , à tout ce que vous me dires de lui, que c'est l'un des plus vertueux hommes de l'Europe ; il semble que M. de Caunits l'ait fait venir exprès pour lui .
Vous ne me parlez pas beaucoup, madame, de votre grand procès de Kniphausen 3; mais vous pouvez toujours assurer M. du Triangle, cet habile avocat, cet homme éloquent, que la cause m'est bien chère ; j'ai même envoyé des pièces de la main de M. Larey notre ennemi, qui ont fait une grande impression sur l'esprit des juges ; il faudra bien qu'on rende Kniphausen, malgré la chicane . Je prends la liberté, madame, de m'intéresser à vos affaires comme à vous même . Pardonnez-moi si je dicte cette lettre ; quand je ne serai plus aveugle, j'aurai l'honneur de vous écrire de ma main combien l'oncle et le nièce saucée dans le ruisseau de Francfort vous respectent, vous regrettent, et vous aiment . »
1 Celle-ci ne nous est pas parvenue .
2 Anne-Marie de Champagne-la Suze, dame de Saint-Romans, qui avait épousé César-Gabriel de Choiseul, duc de Praslin, en 1732 ; en 1758, il a été nommé ambassadeur de France à Vienne, en remplacement de son cousin Étienne François de Choiseul, comte de Stainville, lorsque celui-ci fut appelé au Ministère des Affaires étrangères.
3 Voir par exemple la lettre du 30 juillet 1757 à la comtesse : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2012/11/26/c-est-une-belle-vertu-que-la-douceur-et-la-bonte-mais-la-jus.html
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30/11/2014
Je vois bien que le lieu où il est à présent est pour lui un petit théâtre.
... Un petit théâtre pour un petit homme, une UMP pour un Sarkozy, un théâtre de Guignols pour un Polichinelle ou un Gnaffron.
La version féminine est pour Marine Le Pen, un Front National qui veut se camoufler sous un nouveau nom, -si possible-, pour la tante d'une nièce aux dents longues .
Les acteurs sont heureux, ils n'ont aucun mal à apprendre leur texte, l'improvisation et le rabachage sont de mise, et ils sont bien payés . Sans moi !
« A Ivan Ivanovitch SCHOUVALOW.
Aux Délices, 22 novembre 1759
Monsieur, j'ai reçu aujourd'hui le paquet dont vous m'avez honoré, par les mains de M. de Soltikof 1, qui me paraît de jour en jour plus digne de son nom et de vos bontés. Je peux assurer Votre Excellence que rien ne vous fera plus d'honneur que d'avoir développé ce mérite naissant. Vous avez la réputation de répandre des bienfaits ; mais vous ne pouviez jamais les placer ni sur une âme qui les méritât mieux, ni sur un cœur plus reconnaissant. Il se formera très-vite aux affaires, et vous aurez un jour en lui un homme capable de vous seconder dans toutes vos vues, de rendre votre patrie aussi supérieure par les arts qu'elle l'est par les armes. Je vois bien que le lieu où il est à présent est pour lui un petit théâtre. Votre Excellence le fera voyager en France, en Italie : je regretterai sa perte; mais tout ce qui sera de son avantage fera ma consolation.
Je me flatte, monsieur, que vous avez reçu à présent tout ce que vous avez permis que je vous envoyasse ; le premier volume de Pierre le Grand, un autre paquet assez gros de livres et de manuscrits, et une caisse d'eau de Colladon 2, que je ne vous ai présentée que comme un des meilleurs remèdes pour les maux d'estomac, aussi agréable à boire que l'eau des Barbades 3, et qui peut servir à vos amis dans l'occasion, car, pour vous, je sais que vous joignez à vos vertus celle d'être sobre. Votre Excellence m'honore de présents plus dignes d'elle et de sa cour. Je brave, avec vos belles fourrures, les neiges des Alpes, qui valent bien les vôtres. Un présent bien plus cher est celui des manuscrits que je reçois : ils me serviront beaucoup pour le second tome auquel je vais me mettre. Je n'ai point de temps à perdre. Mon âge et ma faible santé m'avertissent qu'il ne faut pas négliger un instant. Pierre le Grand mourut avant d'avoir achevé ses grandes entreprises ; son historien veut achever sa petite tâche.
Le catalogue de tous les livres écrits sur Pierre le Grand me servira peu, puisque, de tous les auteurs que ce catalogue indique, aucun ne fut conduit par vous. La triste fin du czarovitz 4 m'embarrasse un peu : je n'aime pas à parler contre ma conscience. L'arrêt de mort m'a toujours paru trop dur. Il y a beaucoup de royaumes où il n'eût pas été permis d'en user ainsi. Je ne vois dans le procès aucune conspiration ; je n'y aperçois que des espérances vagues, quelques paroles échappées au dépit, nul dessein formé, nul attentat. J'y vois un fils indigne de son père ; mais un fils ne mérite point la mort, à mon sens, pour avoir voyagé de son côté, tandis que son père voyageait du sien. Je tâcherai de me tirer de ce pas glissant, en faisant prévaloir, dans le cœur du czar, l'amour de la patrie sur les entrailles de père.
Je suis bien surpris de voir, dans les Mémoires que je parcours, ces mots-ci : « Les biens du monastère de la Trinité ne sont point immenses, ils ont deux cent mille roubles de rente. » En vérité, il est plaisant de faire vœu de pauvreté pour avoir tant d'argent ; les abus couvrent la face de la terre.
Quelques lettres de Pierre le Grand seront bien nécessaires ; il n'y a qu'à choisir les plus dignes de la postérité. Je demande instamment un précis des négociations avec Görtz et le cardinal Albéroni, et quelques pièces justificatives. Il est impossible de se passer de ces matériaux. Ayez la bonté, monsieur, de me les faire parvenir. Donnez-moi vite, et vous recevrez vite. Vous êtes cause que j'ai fait une tragédie, et que j'ai bâti un théâtre dans mon château, n'ayant rien à faire. J'en suis honteux; j'aurais mieux aimé travailler pour vous. J'aime mieux traiter l'histoire de votre héros que de mettre des héros imaginaires sur la scène. N'allez pas me réduire à m'amuser, quand je ne veux m'occuper qu'à vous servir. Regardez-moi comme votre secrétaire tendrement attaché.
V. »
1La lettre de Scouvalov est consevée ; voir lettre du 6 octobre 1759 à Schouvalov : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/10/25/la-vie-est-bien-courte-et-tout-ouvrage-est-bien-long-5475952.html
2 Voir : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pharm_0035-2349_1986_num_74_270_3314
3 Voir page 328 et autres : http://books.google.fr/books?id=JwwlfrDuO3MC&pg=RA1-PA314&lpg=RA1-PA314&dq=eau+des+Barbades&source=bl&ots=uAGyjJWxdz&sig=-UJmJ9b7si0_lRLhG6VWSj9tHXw&hl=fr&sa=X&ei=qCt7VO2pMYrtO6zEgbAF&ved=0CC8Q6AEwAg#v=onepage&q=eau%20des%20Barbades&f=false
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29/11/2014
ceux qui vont aux spectacles avec l'argent qu'ils ont tiré du quart de leur vaisselle d'argent vendue ne sont pas de bonne humeur
... Ce qui ne les empêche pas d'y aller et d'en redemander, les trois-quarts qui leur restent sont amplement suffisants à apporter le superflu ; l'ISF ne fait que les égratigner .
David Guetta n'a aucun souci à se faire , show go on !
« Voltaire et Marie-Louise Denis
à Bernard-Louis , marquis de CHAUVELIN, ambassadeur à TURIN.
et Agnès-Thérèse Chauvelin
Aux Délices, 22 novembre [1759]
Vous, faits pour vivre heureux, et si dignes de l'être,
Qui l'êtes l'un par l'autre, et dont les agréments
Ont prêté pendant quelque temps
Un peu de leur douceur à mon séjour champêtre ;
Quoi! vous daignez dans vos palais
Vous souvenir de nos ombrages !
Vous donnez un coup d'œil à ces autels sauvages
Que nous dressions pour vous, où vos yeux satisfaits
Daignaient accepter nos hommages!
Vous parlez de beaux jours : ah! vous les avez faits !
Vous vantez les plaisirs de nos heureux bocages :
C'est courir après vos bienfaits.
Vos deux Excellences nous ont enchantés chacun à sa façon. Vous en faites autant à Turin. Vous y avez essuyé plus de cérémonies que chez Philémon et Baucis; mais, si jamais vous daignez repasser par chez nous, vous n'essuierez que des tragédies nouvelles. Nous aurons un théâtre plus honnête, et nos acteurs seront plus formés. Il faudrait alors jouer un tour à M. et à Mme d'Argental, les faire mander à Parme, et leur donner rendez-vous aux Délices.
Il parait que vous avez écrit à M. le duc de Choiseul avec quelque indulgence sur notre compte ; que vous avez fait valoir notre lac, nos truites et notre vie tranquille, car il prétend qu'il est très-fâché de n'avoir pas pris sa route par notre ermitage, en revenant d'Italie 1. Grâces vous soient rendues de tous vos propos obligeants.
M. d'Argental crie toujours après la Chevalerie, et moi, qui suis devenu temporiseur, avec toute ma vivacité, je réponds qu'il faut attendre, que tout ouvrage gagne à rester sur le métier, que le temps présent n'est pas trop celui des plaisirs, et que ceux qui vont aux spectacles avec l'argent qu'ils ont tiré du quart de leur vaisselle d'argent vendue ne sont pas de bonne humeur ; en un mot, ce n'est pas le temps de la chevalerie.
Vous croyez bien que je n'ai pas encore reçu des nouvelles de Luc; il a été malade, il a beaucoup d'affaires. S'il m'écrit, j'aurai l'honneur de vous en rendre compte plus que de cet abbé d'Espagnac, qui ne finit point, et que j'abandonne à son sens réprouvé de vieux conseiller-clerc. Au reste, en outrageant ainsi les conseillers-clercs, j'excepte toujours monsieur votre frère 2.
Je me mets aux pieds de Vos très-aimables Excellences. Baucis arrache la plume des mains de Philémon pour vous dire que Vos Excellences ont emporté nos cœurs en nous privant de leur présence, et qu'il ne nous reste que des regrets.
P. S. De madame DENIS.
Mais que peut dire Baucis après Philémon? Elle se contente de sentir tout ce qu'il exprime; elle se plaît dans l'idée de vous savoir adorés à Turin, où vous représentez si bien une nation faite autrefois pour servir de modèle aux autres. Malgré tous nos malheurs, on en prendra toujours une grande idée en vous voyant l'un et l'autre. Je vous en remercie pour ma patrie. Aménaïde et Mérope vous demandent vos bontés, et les méritent par le plus tendre et le plus respectueux attachement. »
1 En février 1757, quand il est rentré en France après avoir quitté l'ambassade de Rome et avant de rejoindre celle de Vienne, Choiseul disait dans sa lettre du 12 novembre 1759 : « Divertissez mon ambassadeur chéri ; je l'envie beaucoup et me reprocherai toujours de n'avoir pas passé aux Délices en revenant de Rome . C'est là vraiment où l'on peut être heureux et, lorsque messieurs les souverains se seront assez amusés à dépeuipler la terre, je vous demande de m'y conserver un appartement [...] »
2 Henri-Philippe Chauvelin, conseiller au parlement de Paris ; voir aussi lettre du 24 octobre 1759 à d'Argental : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2010/10/24/on-paye-cher-les-malheurs-de-nos-generaux.html
; famille Chauvelin, voir pages 687 et suiv. : http://books.google.fr/books?id=7-vFKDLGHh8C&pg=PA689...
et : http://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Philippe_de_Chauvelin
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28/11/2014
je serais prêt à payer pour eux pour les tirer de la situation accablante où ils sont
... Bill Gates et autres milliardaires, à travers des fondations caritatives , n'ont fait -sans le savoir je le parierais -, que suivre l'exemple de Voltaire qui ne s'est pas contenté de profiter de sa fortune pour lui seul , mais a su aider les pauvres . Exemple à garder en tête , ce ne fut pas qu'un philosophe, ni qu'un écrivain , il fut homme d'action remarquable .
Il en est aussi encore en France, sans être milliardaires, qui ont de la bonté .
« A Louis-Gaspard FABRY,
premier syndic, maire et subdélégué à Gex
21è novembre 1759, aux Délices.
Monsieur, autant que je suis sensible à vos attentions obligeantes, autant je suis éloigné de demander à monsieur l'intendant comme une grâce la permission de prêter aux communiers de Ferney l'argent nécessaire pour payer le prêtre qui les ruine 1 Ces communiers, qui sont au nombre de cinq, m'avaient dit qu'ils avaient de monsieur l'intendant permission d'emprunter, et c'est sur cette assurance que je voulais bien leur prêter sans aucun intérêt. Mais il me paraît, monsieur, que monsieur l'intendant a pris un parti beaucoup plus sage, et plus utile pour la paroisse. Il a ordonné que la paroisse entière serait imposée au marc la livre de sa taille, pour payer le curé de Moëns. Il résulte de cet arrangement deux avantages : le premier, que les communes ne seront point obligées d'engager leurs pâturages ; le second, que toute la paroisse aura droit de commune, puisque, ayant également supporté l'impôt, elle aura également part au bénéfice.
Si pourtant, monsieur, d'autres considérations engageaient à ne continuer le droit de commune qu'aux quatre ou cinq personnes qui en sont en possession, alors il faudrait bien qu'elles empruntassent, et en ce cas je serais prêt à payer pour eux pour les tirer de la situation accablante où ils sont. Vous pourriez, monsieur, envoyer cette lettre à monsieur l'intendant, sur laquelle il donnerait ses ordres.
J'ai l'honneur d'être, avec tous les sentiments que je vous dois, monsieur, votre, etc."
1 Voir lettre du 16 décembre 1758 à Chaumont : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2013/12/28/des-les-premiers-temps-de-l-eglise-les-saints-peres-se-sont-5257676.html
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27/11/2014
Je me flatte que vous ne ferez aucune difficulté de me payer sur le même pied que vous l'avez été . J'attends cette justice
... Ce que dans la même veine que la note précédente, je pourrais écrire, élégamment, au cher percepteur du Trésor Public coupable d'une taxation d'office irrégulière et exigeant la paiement de la somme avant d'envisager le remboursement du trop perçu . ô merveilleuses arcanes fiscales !
« A Jean-Louis Labat,
baron de Grandcour
à Genève
18 novembre [1759]
Je vous prie très instamment mon cher baron de vouloir bien m'envoyer mon compte et le reste de l'argent qui vous a été remis pour moi . Il reste peu de chose . Il vous sera aisé de solder le tout . Vous avez la date des sommes par moi livrées 1, et dont partie m'a été remboursée par vous en divers temps, avec les intérêts de l'année dernière pour la somme de cinquante mille livres, lesquels intérêts vous ont été payés par les créanciers et dont vous m'êtes redevable, plus les intérêts des sommes ci-devant remboursées par vous jusqu'au jour du remboursement . Je me flatte que vous ne ferez aucune difficulté de me payer sur le même pied que vous l'avez été . J'attends cette justice de votre amitié et de votre régularité en affaires 2. Mes bâtiments me ruinent, et je compte sur vos bontés .
V. »
1 Voir par exemple la lettre du 7 septembre 1759 à Labat : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/10/06/il-est-supplie-de-vouloir-bien-conserver-environ-ladite-som-5462446.html
2 Ce qui n'a peut-être pas été constamment le cas car V* écrira le 25 mars 1760 à la duchesse de Saxe-Gotha : « Un certain La Bat, baron de Grandcour, marchand de Genève, un peu usurier de son métier, m'est venu trouver. Il parle de comptes, de différence d'argent, etc. Fi donc! le vilain n'a été que trop bien payé. »
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