Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

07/08/2015

la nation a été souvent plus malheureuse qu'elle ne l'est ; mais elle n'a jamais été si plate

... Consolation : la plate bande !

Oui, c'est à raz le gazon, normal .

 

Mis en ligne le 14/11/2020 pour le 7/8/2015

 

 

« A Marie de Vichy de Chamrond, marquise du Deffand 1

à Saint-Joseph

à Paris

6 août 1760

Si la guerre contre les Anglais nous désespère, madame, , celle des rats et des grenouilles est fort amusante ; j'aime à voir les imprimeurs bernés, et les méchants confondus ; il est assez plaisant d'envoyer du pied des alpes à Paris des fusées volantes qui crèvent sur la tête des sots ; il est vrai qu'on n'a pas visé précisément aux plus absurdes, et aux plus révoltants , mais patience, chacun aura son tour ; il se trouvera quelque bonne âme qui vengera l'univers, 2 et le président Lefranc de Pompignan n'est pas le seul qui mérite que l'univers lui donne des nasardes . On m'a mandé que l'illustre Palissot a fait imprimer mes lettres, mais je soupçonne fort qu'il a altéré la pureté du texte ; il est sujet à corrompre ses citations, aussi bien que Me Joly de Fleury .

Il est bon que Paris vive de ces niaiseries, puisqu'il n'a pas de quoi vivre d'ailleurs . Alcibiade coupait la queue à son chien pour détourner l'attention des Athéniens des sottises qu'il faisait à la guerre ; sans Palissot, Pompignan et Fréron on ne parlerait que de remontrances ; je vous avoue que je ne les aime pas dans ce temps-ci, et que je trouve impertinent, très lâche et très absurde qu'on veuille empêcher le gouvernement de se défendre contre les Anglais, qui se ruinent à nous assommer ; la nation a été souvent plus malheureuse qu'elle ne l'est ; mais elle n'a jamais été si plate . Tâchez, madame, de rire comme moi, de tant de pauvretés en tout genre ; il est vrai que dans l'état où vous êtes on ne rit guère, mais vous soutenez cet état, vous vous y êtes accoutumée, c'est pour vous une espèce nouvelle d'existence ; votre âme peut en être devenue plus recueillie, plus forte, et vos idées plus lumineuses ; vous avez sans doute quelque excellent lecteur auprès de vous, c'est une consolation continuelle ; vous devez être entourée de ressources ; nous avons dans Genève à un demi-quart de lieue de chez moi, une femme de cent-deux ans 3 qui a trois enfants sourds et muets ; ils font conversation avec leur mère du matin au soir, tantôt par écrit, tantôt en remuant les doigts, jouent très bien tous les jeux, savent toutes les aventures de la ville et donnent des ridicules à leur prochain, aussi bien que les plus grands babillards ; ils entendent tout ce qu'on dit au remuement des lèvres . En un mot , ils sont de bonne compagnie . M. le président Hénault est-il toujours bien sourd ? Du moins, il est sourd à mes vœux, mais je lui pardonne d'oublier tout le monde, puisqu'il est avec M. d'Argenson .

A propos, madame, digérez-vous ? Je me suis aperçu après bien des réflexions sur le meilleur des mondes possibles, et sur le petit nombre des élus qu'on n'est véritablement malheureux que quand on ne digère point . Si vous digérez, vous êtes sauvée dans ce monde, vous vivrez longtemps et doucement, pourvu, surtout , que les boulets de canon du prince Ferdinand et des flottes anglaises n'emportent pas le poignet de votre payeur des rentes .

Je n'ai nul rogaton à vous envoyer, et je n'ai plus, d'ailleurs, d'adresse contresignante, tant on se plait à réformer les abus ; je suis de plus occupé du czar Pierre matelot, charpentier , législateur, surnommé le Grand . Ayant renoncé à Paris, je me suis enfui aux frontières de la Chine, mon âme a plus voyagé que le corps de La Condamine ; on dit que ce sourdaud 4 veut être de l'Académie française,5 c'est apparemment pour ne pas nous entendre . Heureux ceux qui vous entendent, madame . Je sens vivement la perte de ce bonheur . Je vous aime, malgré votre goût pour les feuilles de Fréron . On dit que L’Écossaise en automne amène la chute des feuilles .

Mille tendres et sincères respects . »

1 La présente lettre est une réponse à la lettre de la marquise du 23 juillet . Le passage qui va de n'est pas le seul qui mérite... à sans Palissot, Pompignan, manque dans les éditions à la suite d'une copie par Wyart .

3 Voir lettre du 9 février 1759 à Mme Gallatin : « Nous avons dans mon petit ermitage une fille qui a aussi cent ans mais je ne ferai jamais de vers pour elle . »

4 Ce mot a déjà été utilisé à propos du même personnage .

5 Il y fut effectivement reçu par Buffon le 12 janvier 1761 .

06/08/2015

Il n'y a donc pas à balancer, il n'y a donc pas de temps à perdre

... Mis en ligne le 14/11/2020 pour le 6/8/2015

 

 

"A Charles-Augustin Ferriol, comte d'Argental, Envoyé

de Parme etc.

Rue de la Sourdière

à Paris

6 aug[u]st[e] [1760] 1

C'est pour vous dire ô ange gardien que la chevalerie est lue à l'armée tous les soirs quand on n'a rien à faire, c'est pour vous dire qu'il y en a trente copies à Versailles et à Paris, et que je prétends que M. le duc de Choiseul répare par ses bontés le tort qu'il m'a fait .

Il n'y a donc pas à balancer, il n'y a donc pas de temps à perdre . Il faut donc jouer, il faut donc hasarder le sifflet sans tarder une minute . Par tous les saints la fin de Tancrède est une claironade 2 terrible . Imaginez donc cette Melpomène désespérée, tendre , furieuse, mourante, se jetant sur son ami, se relevant, envoyant son père au diable, lui demandant 3 expirante dans les convulsions de l'amour et de la fureur . Je le dis ce sera une claironade triomphante .

Vous avez dû recevoir mon gros paquet par M. de Chauvelin .

Au reste je désapprouve fort les tribunaux normands 4.

Ma foi juge et plaideurs il faudrait tout lier .5

Mon divin ange, il ne faudrait pas jouer L’Écossaise trois fois la semaine . C'est bien assez de siffler deux fois en sept jours l'ami Fréron .

Je pris le premier dimanche du mois pour le second dans mon dernier paquet ; je datai 10, j'en demande pardon à la chronologie 6.

Dites-moi je vous prie ce qu'on fait de l'abbé Morsles .

Mille tendres respects aux anges .

V."

1 Date complétée par d'Argental .

2 Le rôle d'Aménaïde était tenu par Mlle Clairon ; pour le mot c'est encore un néologisme voltairien .

3 En tournant la page, V* a oublié un mot ; l'édition Kehl insère ici pardon .

4 Qui s'opposaient au roi, sans considérer la situation extérieure de guerre ; voir lettre du 2 août 1760 à la comtesse de Lutzelbourg : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2020/11/14/je-serais-charme-d-avoir-dans-ma-petite-galerie-une-belle-fe-6277107.html

5Les Plaideurs, ac.I, sc. 8, de Racine .

05/08/2015

les sottises qui règnent dans la plupart des têtes viennent encore plus de la faiblesse du cœur que de celle de l'esprit

... Mis en ligne le 14/11/2020 pour le 5/8/2015

 

"A François Achard Joumard Tison, marquis d'Argence

à Angoulême

6è août 1760 aux Délices

près de Genève

Je crois , monsieur, avoir plus besoin de M. Tronchin, que le jeune homme dont vous me parlez ; ma santé s'affaiblit tous les jours, et c'est ce qui m'a privé de l'honneur de vous répondre plus tôt ; si vous venez dans nos quartiers, le triste état où je suis ne m'empêchera pas de sentir le bonheur de vous posséder ; j'ai peur que vous ne soyez bien mal logé dans la petite maison que j'occupe à un demi-quart de lieue de Genève ; mais on tâchera par toutes les attentions possibles de suppléer à ce qui nous manque .

Il parait, par les lettres dont vous m'honorez, que vous n'avez besoin du secours de personne pour mépriser les idées absurdes dont le monde est infatué ; les sottises qui règnent dans la plupart des têtes viennent encore plus de la faiblesse du cœur que de celle de l'esprit . Je serai enchanté de voir en vous une âme courageuse et éclairée ; pardonnez à un pauvre malade s'il donne si peu d'étendue aux sentiments que vous inspirez ; il espère se dédommager d'une si courte lettre par le bonheur de vous recevoir chez lui . J'ai l'honneur d'être avec tous les sentiments que je vous dois, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Voltaire."

04/08/2015

Il arrive toujours quelque chose à quoi on ne s'attend point , et qui décide de la conduite des hommes . Il faudrait être bien hardi à présent pour avoir un système

... Aussi les "systèmes" pullulent au gré des appartenances politiques et religieuses, se contredisant le plus souvent, ce qui fait que rien ne change , -au mieux,- ou sème la panique , -au pire . Toujours le trop peu ou l'excès , pas d'équilibre .

 

Mis en ligne le 14/11/2020 pour le 4/8/2015

 

« A Charles-Augustin Ferriol , comte d'Argental

10 [3] august 1760 1

Mon archange, que votre volonté soit faite sur le théâtre comme ailleurs . Je vois que votre règne est advenu, et que les méchants ont été confondus .

Et pour vous souhaiter tous les plaisirs ensemble,

Soit à jamais hué quiconque leur ressemble 2.

Si j'avais pu prévoir ce petit succès, si en barbouillant L’Écossaise en moins de huit jours j'avais imaginé qu'on dût me l'attribuer et qu’elle pût être jouée, je l'aurais travaillée avec plus de soin, et j'aurais mieux cousu le cher Fréron à l'intrigue 3. Enfin je prends le succès en patience . J'oserais seulement désirer que Mme Alton 4 parût à la fin du premier acte . On s'y attendait . Je vous supplie de lui faire rendre son droit . Mme Scaliger va-t-elle aux spectacles ? a-t-elle vu la pièce de M. Hume ?

N'avez-vous pas grondé M. le duc de Choiseul de ce que la chevalerie traine dans 5 les rues , et de ce que l'abbé mords-les est encore sédentaire 6? Cet abbé mords-les n'a point fait La Vision, c'est Pylade qui se sacrifie pour Oreste . Il mérite une pension 7.

Il ne me parait pas douteux à présent qu'il ne faille donner à Tancrède le pas sur Médime 8. On m'écrit que plusieurs fureteurs en ont des copies dans Paris . Les commis des affaires étrangères n'ayant rien à faire l'auront copiée . Il faut je crois se presser . Je ne crois pas qu'il y ait un libraire au monde capable de donner sept louis à un inconnu . En tout cas si Prault trouve grâce devant vos yeux, qu'il imprime Tancrède après qu'il aura été applaudi ou sifflé . Vous êtes le maître de Tancrède et de moi comme de raison .

J'ignore encore en vous faisant ces lignes 9 si j'aurai le temps de vous envoyer par ce courrier les additions, retranchements, corrections que j'ai faits à la chevalerie . Si ce n'est pas pour cette poste, ce sera pour la prochaine .

Savez-vous bien à quoi je m'occupe à présent? à bâtir une église à Ferney . Je la dédierai aux anges . Envoyez-moi votre portrait et celui de Mme Scaliger . Je les mettrai sur mon maître-autel . Je veux qu'on sache que je bâtis une église, je veux que M. de Limoges 10 le dise dans son discours à l'Académie ; je veux qu'il me rende la justice que Lefranc de Pompignan m'a refusée . J'avoue que je ressemble fort aux dévots qui font de bonnes œuvres, et qui conservent leurs infâmes passions . Il entre un peu de haine contre Luc dans ma politique . Je vous avoue que dans le fond du cœur je pourrais bien penser comme vous, et entre nous il n'y a jamais eu rien de si ridicule que l'entreprise de notre guerre, si ce n'est la manière dont nous l'avons faite sur la terre et sur l'onde 11. Mais il faut sortir d'où l'on est, et être le très humble et très obéissant serviteur des évènements . Il arrive toujours quelque chose à quoi on ne s'attend point , et qui décide de la conduite des hommes . Il faudrait être bien hardi à présent pour avoir un système . Je me crois aujourd’hui le meilleur politique 12 que vous ayez en France, car j’ai su me rendre très heureux et me moquer de tout . Il n'y a pas qu'au parlement de Dijon à qui j'aie résisté en face ; et je l'ai fait désister de ses prétentions, comme vous verrez par ma réponse ci-jointe à M. de Chauvelin 13. Mon cher ange, je vous le répète, il ne me manque que de vous embrasser , mais cela me manque horriblement . »

 

1 Date rectifiée d'après ce que dit V* lui-même dans cette lettre . On a ici un des premiers exemples de l'emploi par V* de la forme « auguste » avec formes variées pour « août » qui à ses yeux est un monument de la « barbarie welche » ; voir lettre du 10 août 1760 à d'Argental : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1760/Lettre_4220

2 Parodie de Rodogune, ac. V, sc. 4, de Corneille ; le premier vers est ajouté entre les lignes sur le manuscrit .

3 Mme du Bocage, à ce propos, écrivait judicieusement à Algarotti le 15 mai 1760 : « La scène est dans un café, où il y a un nommé Frelon, faiseur de feuilles, et fripon peut-être . Ce rôle est-il ajouté à la pièce ? Il y tient peu . » Sur le succès de la pièce, d'Argental écrit le 27 juillet 1760 : [...] cette Écossaise que vous aviez fait imprimer ne la jugeant pas digne de la représentation, cette Écossaise que vous n'avez pas daigné corriger, cette Écossaise en un mot dont vous faisiez peu de cas a été jouée hier avec le plus prodigieux succès . » ; et Thieriot, écrit le 30 juillet : « C'est aujourd’hui la troisième représentation de l’Écossaise dont le succès sans exagération est égal à celui de Mérope [...] Fréron y était et sa femme qui soutint fort bien son rôle, ayant été fort sérieuse dans les endroits qui regardaient son mari, et applaudissant sans affectation à tout le reste . »

4 Mme Alton fait une brève apparition à la fin de l'acte ; mais quelques vers avaient été omis par les comédiens .

5 dans est ajouté au-dessus de la ligne .

6 Morellet a été remis en liberté le 30 juillet , jour où Thieriot écrit à V* : « Protagoras et les autres frères se flattaient tous que le digne abbé mords-les sortirait hier, et nous croyons tous que vous y avez plus fait que Jean-Jacques qui dans cette affaire a été bizarre et singulier comme il l'est en tout . »

7 A partir de « Cet abbé mords-les ... » le passage supprimé sur la copie Beaumarchais-Kehl, manque dans les éditions .

8 Le 27 juillet 1760, d’Argental écrit : « Le jour même de notre triomphe [création de l’Écossaise] Prault le fils m'a dit qu'un inconnu très mal mis lui avait demandé s'il voulait imprimer Tancrède . Très volontiers , a répondu le libraire . Sur cela ils ont conclu le marché sur le champ à sept louis (cela n'est pas cher) . L'inconnu n'ayant pas le manuscrit dans sa poche n'a pas pu le livrer tout de suite . Il a prétendu qu'il allait le chercher et il n'est pas revenu [...]. J'ai loué Prault de sa fidélité, je l'ai assuré que non seulement on le rembourserait de ses sept louis, mais qu'il aurait la préférence pour imprimer la tragédie [...] . j'ai parlé à M. de Malesherbes [...]. Que faut-il donc faire mon cher ami ? Se mettre le plus promptement qu'il sera possible en état de jouer Tancrède, la revoir bien sérieusement, bien scrupuleusement, joindre les nouvelles corrections à celles que vous avez fait déjà, nous envoyer le tout à l’adresse de M. Chauvelin l'intendant. »

9 V* souligne cette formule qui pastiche le style épistolaire des gens peu cultivés .

10 V* pense , non pas au titulaire de l'évêché de Limoges, Louis-Charles du Plessis d’Argentré, mais à son prédécesseur du Coëtlosquet qui allait être élu à l'Académie française et devait y prononcer un discours de réception le 9 avril 1761 .

11 Réminiscence de Cinna, ac. II, s. 1 .

12 D'Argental , le 27 juillet écrit : «  [...] le plus beau génie du siècle et de tous les siècles n'est pas un bon politique » , à cause d'une « lettre charmante », une « jolie lettre à Palissot » que ce dernier montrait et dont V* devait  avoir « eu des remords » puisqu'il ne l’avait pas adressée ainsi que les autres à d'Argental . D'Alembert écrit le 3 août 1760 : « [...] je vous dirai que vos amis ne sont point contents de votre troisième lettre . » ; c'est la lettre du 12 juillet 1760 à Palissot : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2016/01/25/je-suis-comme-mlle-de-lenclos-qui-ne-voulait-pas-qu-on-appel-5750114.html

03/08/2015

Je plains tendrement ma chère patrie ; mais ma chère patrie a fait tant de sottises que je lève les yeux au ciel quand tout le monde lève les épaules

... Dans les sottises, qu'il me soit permis de vous donner celle des catholiques qui, en plein confinement, sans doute immunisés contre tous virus par le parfum des cierges et l'eau bénite chère à ces grenouilles de bénitiers, veulent manifester pour que les messes aient encore lieu .

Nom de Dieu ! quel courage, quelle foi, j'en reste béat, païen moqueur que je suis ! Pour mémoire, le premier gros foyer de Covid-19 début 2020 a été fourni par une réunion d'évangélistes . Ils ne sèment pas que la bonne parole .

Le virus, créature de Dieu (créateur de toutes choses Sic ), va-t-il subir les foudres de paroissiens en manque de préchi-précha ? Prêts à tout pour se faire remarquer . Quel manque d'humilité .

 

Mis en ligne le 14/11/2020 pour le 3/8/2015

 

« A Jacques-Bernard Chauvelin

10 [3] août 1760 1

Monsieur l'intendant du peu de finances qui restent à ce pauvre et plaisant royaume, saura que mon cousin Vadé s'occupe très peu des niaiseries dont il est soupçonné de s'occuper beaucoup .

Mon cousin Vadé emploie sa vieillesse à cultiver la terre, à défricher deux lieues incultes, à dessécher des marais . Il se sert du semoir avec succès . Il se sert de van cribleur qui vanne et qui crible cinq setiers 2 de blé par heure . Il bâtit une église ; il est bénit de ses curés et de ses vassaux, qui ne lisent ni Fréron ni Palissot, ni les qui ni les quand, ni le Russe, ni Le Pauvre Diable, ni L’Écossaise . Il paye le vingtième trois mois d'avance ; il aime l’État ; il croit qu'un homme qui fait lever cinq épis de blé où il n'en croissait qu'un rend plus de services à l’État qu'un poète et même qu'un faiseur de feuilles .

Il remercie humblement, vivement et tendrement, monsieur Chauvelin de ses bontés . Il a glorieusement fini son affaire avec le roi et lui a cédé noblement la seigneurie de La Perrière 3 malgré les souterrains du président De Brosses, et malgré ses fétiches ; car le président a fait un livre touchant les fétiches ; et s'il m’échauffe les oreilles, je pourrai en informer le public . Je suis devenu un petit noli-me-tangere 4 tout à fait mutin .

Au reste , j'ignore comment on sauvera mon Ponticheri, comment on trouvera de l'argent pour l'an de grâce 1761, comment on trouvera dans mon pays de Gex des bras pour cultiver la terre . J'ai deux lieues à cultiver . Je suis citoyen à raison de deux lieues, et je suis tout aussi embarrassé à trouver des laboureurs que M. Berryer à trouver des flottes . Je plains tendrement ma chère patrie ; mais ma chère patrie a fait tant de sottises que je lève les yeux au ciel quand tout le monde lève les épaules .

Je supplie monsieur l'abbé de Chauvelin 5 de considérer que toutes les remontrances du monde ne serviront pas à nous donner de l'argent, des vaisseaux et des lieutenant-généraux dont nous avons besoin .

Je présente mes tendres respects à monsieur de Chauvelin , et à monsieur l'abbé .

V. »

1 La date est rectifiée d'après ce que dit V* lui-même dans sa lettre du 6 août 1760 à d'ArgentaI :  https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1760/Lettre_4214

; on apportera la même correction pour la lettre du 3/10 août à d'Argental : https://fr.wikisource.org/wiki/Correspondance_de_Voltaire/1760/Lettre_4212

2 Le septier (qu'on prononce « stié ») est une mesure de liquides (une demi-pinte) et de grains (54 litres à Genève) cette dernière étant très variable dans les différentes localités .

3 Voir à ce sujet la lettre de Louis-Gaspard Fabry à Jean-François Joly de Fleury du 29 juillet 1760 ; le premier concluait, après examen des pièces du dossier, que la seigneurie de La Perrière, située « au delà du grand chemin de Suisse à Genève » était de fait « du domaine de sa majesté » . Chauvelin avait adopté ces conclusions .

4 Ne me touchez pas .

5 Henri-Philippe de Chauvelin, dont on a déjà parlé ; voir lettre du 14 octobre 1759 à Bernard-Louis Chauvelin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/10/30/je-suis-un-grand-babillard-monsieur-mais-il-est-si-doux-de-s-5479589.html

et lettre du 22 novembre 1759 à Bernard-l’ermite et Agnès-Thérèse Chauvelin : http://voltaireathome.hautetfort.com/archive/2014/11/29/ceux-qui-vont-aux-spectacles-avec-l-argent-qu-ils-ont-tire-d-5499892.html

02/08/2015

Je serais charmé d'avoir dans ma petite galerie une belle femme qui vous aime, et qui fait autant de bien qu'on dit de mal d'elle

... A votre goût ?

Madame de Pompadour | Histoire et analyse d'images et oeuvres

 

Mis en ligne le 14/11/2020 pour le 2/8/2015

 

 

« A Marie-Ursule de Klinglin, comtesse de Lutzelbourg

Aux Délices, 2 août 1760

On n'a pas plutôt appris une bonne nouvelle, madame, que vingt mauvaises viennent l'effacer . Est-il vrai que la discorde est dans notre armée pour nous achever de perdre 1? On m'avait dit que la moitié de Dresde était réduite en cendres 2. Heureusement il n'y a eu que des faubourgs de saccagés . Où est monsieur votre fils ? Vous savez combien je m'intéresse à lui . Puissent nos sottises ne lui être pas funestes . J'ai encore l'espérance d'être chez vous à la fin de septembre . Je voudrais madame vous engager dans une infidélité . Je veux vous proposer de me faire avoir une copie du portrait de Mme de Pompadour . N'y aurait-il point quelque petit peintre à Strasbourg qui fut un copiste passable ? Je serais charmé d'avoir dans ma petite galerie une belle femme qui vous aime, et qui fait autant de bien qu'on dit de mal d'elle .

On parle de troupes envoyées contre le parlement de Normandie 3; je les aimerais mieux contre le parlement d'Angleterre . Portez-vous bien madame, laissez le monde en proie à ses fureurs et à ses sottises . Que j'ai envie de venir causer avec vous ! »

1 Information exacte ; Charles-Louis, comte de Saint-Germain, étant en mauvais termes avec le duc de Broglie, avait quitté l'armée française et s'était engagé dans celle du Danemark .

2 Frédéric II avait lancé une furieuse attaque contre Dresde le 9 juillet 1760, puis l'avait assiégée avec beaucoup de vigueur ; cependant il dût lever le siège le 29 du même mois .

3 Sous le commandement du maréchal de Luxembourg, pour éviter que la fronde parlementaire ne dégénérât en rébellion .

Mon zèle ne se ralentira point . Vous m'avez fait Russe

... Et j'en ai tout le caractère excessif, dit notre Gégé 2par2, en enchaînant rôle sur rôle et se mettant dans la peau d'Obélix aussi bien (façon de parler) que de Dirty Silly Keutard . Gégé sera beaucoup pardonné, car il a beaucoup déconné/détonné .

 Afficher l'image d'origine

« A Ivan Ivanovitch Schouvalov

Aux Délices par Genève 2 août 1760

Monsieur, à peine ai-je reçu la lettre agréable dont Votre Excellence m'a honoré par la voie de M. le comte de Keizerling que ma joie fut bien altérée par l'amertume d'une nouvelle de La Haye . Les frères Cramer, libraires citoyens de Genève, à qui j'ai fait présent de l'Histoire de Pierre le Grand, m'apportèrent une gazette de La Haye, par laquelle j'appris qu'un libraire de La Haye nommé Pierre de Hondt 1 met en vente cet ouvrage . Ce coup me fut d'autant plus sensible que je n'ai point encore reçu les nouvelles instructions que Votre Excellence veut bien me donner . Me voilà donc exposé , monsieur, et vous surtout, à voir ce monument que vous éleviez, paraître avant qu'il soit fini . Le public le verra avec les fautes que je n'ai pu encore corriger, et avec celles qu'un libraire de Hollande ne manque jamais de faire .

J'ai écrit incontinent à Son Excellence de Golofskin 2, votre ambassadeur à La Haye . Je lui ai expliqué l'affaire, les démarches de la cour de Vienne à Hambourg, l'intérêt que vous prenez à l'ouvrage, l'injuste et punissable procédé du libraire Hondt et je ne doute pas que M. le comte de Golofskin n'ait le crédit d'arrêter , du moins pour quelque temps, les effets de la rapine des libraires hollandais .

Mais, tandis que je prends ces précautions avec la Hollande, je suis bien plus en peine du côté de Genève . Les frères Cramer ont fait beaucoup de dépenses pour l'impression du livre, ils ne sont pas riches, ils tremblent de perdre le fruit de leurs avances, je ne peux les empêcher de débiter le livre qu'ils ont imprimé à leurs frais . J'espère que le second volume n'essuiera pas les disgrâces que le premier a souffertes . Mon zèle ne se ralentira point . Vous m'avez fait Russe, vous m'avez attaché à Pierre le Grand . Nous avons en France une comédie 3 dans laquelle il y a une fille amoureuse d'Alexandre le Grand . Je ressemble à cette vieille fille . Je me flatte que ma passion ne sera pas malheureuse, puisque c'est vous qui la protégez .

J'attends avec empressement les nouveaux mémoires que Votre Excellence a la bonté de me destiner . Je les mettrai en œuvre dès qu'ils seront arrivés . Il est vrai que la paix serait un temps plus favorable pour faire lire ce livre dans l’Europe . Les esprits sont trop occupés de la guerre ; mais il est à croire que vos victoires nous donneront bientôt cette paix nécessaire . Alors je prendrais ce temps pour venir vous faire ma cour dans Petersbourg si j'avais plus de santé et moins d'années que je n'en ai . Les lettres dont vous m'honorez sont la consolation la plus flatteuse que je puisse recevoir et la seule qui puisse me dédommager . Je serai jusqu'au dernier jour de ma vie, avec la plus respectueuse reconnaissance et le plus inviolable attachement

monsieur

de Votre Excellence

le très humble et très obéissant serviteur

Voltaire »

1 Pierre de Hondt [http://data.bnf.fr/12402162/pieter_de_hondt/#allmanifs] était le fils d'Abraham de Hondt qui avait édité Les Illustres Françaises, et le Journal de voyage aux Indes de Robert Challe (https://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Challe).

2 La lettre de V* n'est pas connue, mais son existence est établie également par la réponse de Golovskin, datée de La Haye du 26 août 1760 : «  ... j'ai parlé au libraire de Hondt qui m'a dit qu'on imprimait ici toutes sortes d'histoires .... qu’ainsi il croyait pouvoir le faire aussi ... protestant en même temps qu'il se donnerait bien garde d'imprimer rien qui soit désagréable à ma cour ... Il m'a promis de suspendre son impression ; mais en même temps il m'a fort prié que ... on veuille bien lui accorder la préférence ... j'attendrai les ordres de ma cour . »

3 Cette comédie est Les Visionnaires, 1637, de Desmarets de Saint Sorlin : http://www.theatre-classique.fr/pages/programmes/edition.php?t=../documents/DESMARETS_VISIONNAIRES.xml